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Correspondance du Caire

une correspondance en date du 11 mars dernier

Sur une autre liste que quelqu’un a envoyé un message très optimiste – je pense par des anarchistes – concernant la situation d’autogestion à Port-Saïd [message au bas de ce mail]. Ce à quoi quelqu’un répond :

« Quand j’ai dis aux gens d’ici que Port Saïd pouvait être comparé à la Commune de Paris ils ont généralement éclaté de rire ».

Oui – les forces de police se sont retirées de Port-Saïd devant le verdict du tribunal, le samedi, et oui, l’armée a pris le relais à Port-Saïd avec les citoyens.

Oui – “Beaucoup de magasins à Port Saïd restent fermés en tant que pression des résidents pour une campagne de désobéissance civile, en cours depuis au moins deux semaines pour protester contre la marginalisation de la ville par le gouvernement central et pour réclamer justice pour les plus de 40 manifestants tués dans des affrontements avec la police depuis le 26 janvier. “

http://www.egyptindependent.com/news/after-verdict-tense-calm-port-said

La situation semble beaucoup plus confuse et ambivalente – en parlant à beaucoup de gens, j’ai su qu’ils arrêtaient de faire des prédictions …

Fondamentalement, les postes de police un peu partout dans l’Égypte et au Caire ont aussi fait grève pendant la semaine dernière.

Cette semaine la police s’est également retiré de la garde des sièges des Frères Musulmans au Caire en disant que cela ne faisait pas partie de leur rôle d’assurer la sécurité d’une « organisation de prédications » (le parti Justice et Liberté de Morsy est l’aile politique des Frères Musulmans) et certains fonctionnaires de police ont ouvertement critiqué le ministère de l’Intérieur dans la presse.

http://www.egyptindependent.com/news/police-giza-cairo-end-strikes

Déjà, dans les mois qui ont précédé, cette police a disparu des rues de nombreuses villes, où ils avaient l’habitude de stationner de façon très visible – maintenant ils sont juste regroupés autour de certains endroits stratégiquement importants (comme les ministères, le palais présidentiel, etc). Cela est dû à une réaction populaire contre la police, les attaques constantes contre la police par des jeunes, et une perte de moral.

Les policiers se plaignent aussi au sujet de leur rémunération et du manque d’équipement et de sécurité.

Pour moi, il semblerait qu’il y ait deux choses qui se passent (ou peut-être beaucoup plus encore) – l’une étant que la police est véritablement effrayés par la réaction populaire, l’autre étant qu’ils essaient de faire pression sur le gouvernement pour ne pas impliquer n’importe qui dans les forces de police pour le massacre de Port-Saïd et généralement garder la main-mise sur les procédures judiciaires pour les meurtres de manifestants.

Pendant ce temps Morsy a annoncé qu’il se penchait sur la création d’une force de sécurité privée pour combler le vide sécuritaire et de leur donner les pouvoirs d’arrestation.

Comme aujourd’hui, la télévision d’État est en train d’encourager les citoyens égyptiens, devant le «vide sécuritaire», à arrêter EUX-MEMES les gens qui commettent des crimes et de les amener dans les postes de police. Il a également été recommandé aux citoyens d’engager une police de sécurité privée pour protéger leurs bussiness et leur maison. Il s’agit d’une portion assez importante de l’organisation de quartier qui a surgi lors de la révolution dans laquelle les hommes dans chaque quartier se sont relayés pour protéger leurs propres rues d’éléments criminels qui tentent d’exploiter la situation.

C’est comme ce chauffeur de taxi, que moi et un de mes amis avons payé pour faire un tour, qui prédisait cet après-midi : « des voyous qui seront embauchés vont faire le tour pour voler les gens et les arrêter et les expédier au poste de police – en accusant les victimes de vol »

Et pendant que je suis en train d’écrire, l’armée fait irruption dans le débat en annonçant qu’elle ne tolérera pas les « milices politiques »:

http://english.ahram.org.eg/NewsContent/1/64/66626/Egypt/Politics-/Army-will-not-tolerate-political-militias-Egyptian.aspx

Les prix du carburant et de la nourriture sont à la hausse tous les jours et il y a des queues pour le pétrole un peu partout et bien sûr beaucoup de commerce informel – mais ce n’est pas toujours une expression de l’auto-organisation ou de la solidarité, mais il y a aussi beaucoup de corruption, d’exploitation et de profits sur la rareté .

Il y a eu une grève des pilotes de micro-bus au Caire ce week-end au sujet des prix des carburants:

http://www.egyptindependent.com/news/monday-s-papers-demons-and-horse-carts

Dans cette situation, il y a en fait une partie importante et croissante de la société (bien que ce soit principalement anecdotique et personne ne sait vraiment quel est le pourcentage) qui veulent que l’armée prenne le relais et rétablisse une certaine forme de normalité, parce qu’ils n’ont pas confiance dans les Frères, l’opposition ou le mouvement révolutionnaire pour être en mesure de le faire. Ce sentiment semble être présente dans toutes les couches de la société. Mais l’armée est réticente à se laisser entraîner dans la politique à nouveau – mais on dirait qu’ils se laissent entraîner au jeu de l’incertitude.

Quand il y a eu des émeutes au Caire ce week-end après que le verdict du tribunal a été prononcé, les pompiers furent réticents à aller réprimer les troubles et faire face aux incendies et à la fin, les hélicoptères de l’armée sont venus pour éteindre les feux. Apparemment un tuyau de gaz cassé à Zamalek dans une zone assez proche des incendies n’a pas été réparé pendant des heures, parce que personne ne voulait y aller dans cette situation.

Un autre aspect à surveiller est l’implication du FMI – quel que soit ce qui se passe sur le terrain ce sera probablement déterminant sur la situation économique de l’Égypte sur une longue durée – mais parce que je ne suis pas plus que ça au courant, je ne peux que vous citer quelques articles récents, sans être en mesure d’esquisser une image claire. Morsy est en train de négocier avec le FMI au sujet des prêts et tente également d’appliquer de nouvelles mesures d’austérité – bien qu’il gagne du temps en ne proposant que des hausses d’impôts pour le moment afin de ne pas perdre plus de popularité.

Des articles sur les derniers événements qui pourraient être intéressants:

Un résumé de la couverture des nouvelles officielles sur les événements de ce week-end:

www.egyptindependent.com/print/1555656

Philip Rizik de Mosireen a écrit quelques bons morceaux pour LeMonde:

L’Egypte et l’ordre économique mondial
Les protestations en Égypte étaient une dénonciation du néo-libéralisme et de la répression politique nécessaire pour l’imposer.

http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2011/02/20112148356117884.html

Crime d’État et criminalité de rue: les deux faces d’une même monnaie ?
Lorsque la société est corrompue, est-il légitime que les pauvres se lèvent et prennent ce qui est « à eux » ?  

http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2012/04/20124129515475812.html

Quelques trucs de Egypt Independent sur Morsy et le FMI – donne au moins une idée de ce qui se passe à l’arrière-plan de tout ceci bien que l’analyse puisse certainement être débattue :

www.egyptindependent.com/print/1319756

www.egyptindependent.com/print/1305811

Certains sites d’information sur l’Égypte en anglais :

http://www.egyptindependent.com/

http://english.ahram.org.eg/

Et aussi, bien sûr:

http://mosireen.org/

Je vais essayer de recueillir des informations un peu plus et les poster dans les prochains jours.

Le 10 mars 2013, à 20:14, ——— a écrit:

très curieux de savoir si toute autre personne a des infos à ce sujet …

l’article lui-même contredit la comparaison avec la Commune de Paris (par exemple, l’armée est toujours présente, le peuple n’est pas armé), et je doute que l’auto-organisation des travailleurs soit “complete”, mais de toute évidence quelque chose de très intéressant se passe

         http://www.anarkismo.net/article/25022

Egypte: L’autogestion de Port-Saïd et les luttes des travailleurs

afrique du nord | luttes communautaires | non anarchiste presse Mardi Mars 05, 2013 18:46 par Corrispondente Infoaut – Infoaut

Une réalité sans précédent se déroule dans la ville de Port-Saïd : une autogestion complète, un rejet de tout ce qui représente l’autorité. Une réalité que les protagonistes de la lutte égyptienne en ce moment – les travailleurs – cherchent à reproduire dans d’autres villes.

Port-Saïd est devenu un lieu entièrement entre les mains du peuple. A l’entrée de la ville, si dans le passé, il y avait de nombreux barrages de police, on trouve maintenant un check-point formé par des habitants, surtout des travailleurs en grève, auto-proclamés « police populaire ». Il en va de même pour la circulation : plus de police, mais des jeunes, des étudiants et des travailleurs qui autogèrent la circulation urbaine.

Désobéissance civile : ce qui caractérise maintenant la ville est un rejet complet du gouvernement de Morsi sous toutes ses formes, d’où l’expulsion de la police, le refus du travail et du système scolaire gouvernemental.

En ce qui concerne l’aspect « sécurité », avec l’autogestion les rues sont devenues maintenant plus sûres que jamais. La semaine dernière, la police – à la suite des protestations de rue, de la colère populaire consécutive des 21 condamnations à mort liées au massacre de Port-Saïd et des 40 victimes des affrontements ultérieurs –a été contrainte d’accepter de laisser la ville dans les mains du peuple.

Le gouvernement de Morsi a accepté de rappeler la police, à la fois à cause des preuves vidéo irréfutables montrant des policiers du régime tirer et tuer les manifestants de sang-froid, mais aussi parce qu’il était convaincu qu’une ville toute seule ne pouvait pas s’autogérer et que Port Saïd aurait demandé l’intervention du gouvernement pour réprimer les probables révoltes. Mais la réalité est très différente et montre qu’une ville sans « forces de l’ordre » est plus sûre et vit mieux.

Ensuite, il y a un accord tacite qui permet à l’armée (majoritairement respectée par les gens car traditionnellement moins liée au régime que la police, cette dernière étant une émanation du pouvoir et des services secrets) de surveiller les points névralgique de la ville, mais sans pouvoir intervenir.

Donc, la réalité est la suivante : les militaires non armés gardent des endroits tels que le tribunal et le port très important (actuellement en grève) et la « police populaire » s’occupe de la sécurité dans la ville.

Le refus de tout ce qui représente l’autorité se manifeste dans la pratique de ne pas payer les taxes gouvernementales et les factures, en refusant même toute communication avec le gouvernement qu’il soit central ou local.

La fermeture de l’administration centrale et l’auto-organisation des moyens et des modes de production, font de l’expérience de Port-Saïd une réalité sans précédent et l’expérimentation d’un nouveau mode de vivre, de produire, d’exister.

Les usines sont fermées, le trafic maritime est bloqué, il ne se produit que ce qui est utile et ne restent ouverts uniquement que les services nécessaires.

Le pain est fabriqué , les magasins d’alimentation, les hôpitaux et les pharmacies restent ouverts. Dans chaque usine, ce sont les travailleurs qui ont eu à décider de poursuivre ou non la production et la réponse générale est désormais NON. D’abord la justice, d’abord l’achèvement de la révolution et ensuite, au besoin, la production repartira.

Une nouvelle forme d’auto-organisation est en train d’être expérimentée dans les écoles. Celles-ci restent ouvertes, mais les familles de Port-Saïd elles-mêmes refusent d’envoyer leurs enfants dans les écoles du gouvernement. En ce moment même, des enseignants et des comités populaires essaient d’organiser des écoles populaires dans la place centrale, rebaptisée place Tahrir de Port-Saïd, où, en plus des matières scolaires, il y a la volonté d’enseigner la justice sociale et les valeurs de la révolution égyptienne.

Une réalité qui peut sembler impossible. Même dans les pages de ce portail, nous avons raconté dans le passé l’expérience de Port-Saïd avec d’autres yeux. Mais après la mort des 21 accusés pour le massacre du stade, une nouvelle conscience populaire a surgi dans cette ville, probablement très traditionaliste dans le passé. En fait, les 21 à être condamnés sont des jeunes, étudiants pour la plupart, alors que la responsabilité de ce massacre doit être recherchée dans la sphère politique ; la sentence semble avoir été une satisfaction accordée à ceux qui cherchent la justice. Aucun des accusés ne sont issus des rangs de la police ou de l’Etat et de ses services secrets. Port-Saïd l’a bien compris et dès que les condamnations à mort ont été prononcées, des manifestations importantes ont éclaté et ont conduit à la mort d’une quarantaine de manifestants, certains d’entre eux, même lors de l’enterrement des victimes des émeutes. De là a commencé la grève, la désobéissance civile.

Une réalité que nous-mêmes, avant de la voir de nos propres yeux, n’aurions jamais imaginé.

Une colère, d’abord né d’un désir de justice pour la peine de mort et pour les 40 victimes consécutives, mais qui a grandi et est devenu politique. Le fort protagonisme ouvrier, la croissante prise de conscience de la population de Port-Saïd ont fait de cette contestation une lutte sans précédent qui fait trembler sérieusement le régime de Morsi. Une lutte qui, si elle s’étendait dans d’autres villes, pourrait vraiment mettre le régime à genoux.

Maintenant, les gens ne demandent plus, comme c’était encore le cas il y a une semaine, de ne pas punir les citoyens de Port-Saïd pour des crimes qui ont été commis par le régime. Maintenant, ce qui est demandé, c’est la justice pour toutes les victimes de la révolution ; maintenant, ce qui est demandé à haute voix c’est la chute du régime.

Dans la journée de lundi [25 février], une grande manifestation a eu lieu dans les rues de Port-Saïd : le syndicat indépendant des travailleurs, les étudiants, le mouvement révolutionnaire, ils sont nombreux à être descendus dans les rues, nombreux à être venus du Caire pour exprimer leur solidarité aux travailleurs et à la ville en lutte. Un grand cortège a envahi les rues de la ville, en appelant à une grève générale dans tout le pays.

Pendant ce temps, au cours des dernières semaines, d’autres villes égyptiennes ont connu de grandes grèves : à Mahalla, à Mansoura, à Suez, les travailleurs dans de nombreuses usines se sont croisés les bras pendant des semaines. De même, par centaines ils sont descendus dans les rues pour appeler à une grève générale dans tout le pays, de nombreuses écoles et universités ont annoncé une prochaine grève générale. Beaucoup de travailleurs et de secteurs sociaux qui sont en grève n’ont pas réussi – pour l’instant – à généraliser la grève et la lutte, comme cela s’est produit à Port-Saïd.

On ne sait pas comment cette expérience, appelée « la Commune de Paris égyptienne » va pouvoir se poursuivre. Il est certainement difficile de poursuivre une lutte de ce genre dans un moment où le gouvernement central pourrait couper l’eau et l’électricité ; pour le moment, s’il ne le fait pas, c’est seulement parce qu’il craint des explosions de rage majeures. En outre, la poursuite ou non de la grève des travailleurs est fortement liée à la possibilité qu’elle se généralise et se reproduise dans d’autres villes.

Initialement, les habitants de Port-Saïd avaient annoncé leur intention de poursuivre la grève jusqu’au 9 mars prochain, date où seront confirmées les 21 condamnations à mort. Maintenant, avec l’entrée en mouvement des travailleurs, l’avenir est incertain, mais certainement riche de potentialité.

Les difficultés du moment peuvent sembler nombreuses, mais la prise de conscience de toutes les personnes (et pas seulement les travailleurs), la pratique du refus du régime, l’auto-organisation, sont autant d’éléments qui semblent donner des perspectives positives à ces luttes.

Le correspondant d’Infoaut dans l’aire moyen-orientale

Traduction par FdCA – Bureau des relations internationales .

Lien connexe: http://www.infoaut.org

 

 

 

 

 

 

 

 

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