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Gilets Jaunes, nos débats continuent….

On a reçu ça, on a trouvé ça TRES intéressant… on publie! dndf

Gilets Jaunes, revenu et rapport à l’État.

Notes sur le mouvement des Gilets Jaunes, autour de Noël 2018

NB : ces notes ont été écrites fin décembre ; depuis, le mouvement a déjà en partie changé d’allure, et ce texte est à certains égards obsolète. Cependant je le propose à dndf tel quel, afin de susciter d’éventuelles discussions.

La question centrale du mouvement, c’est je crois, celle de sa composition, plutôt que celle de son idéologie (facho, pas facho), celle-ci découlant au demeurant de celle-là. En l’analysant, cette composition, on doit analyser l’État et la forme qu’il a pris, en France, en s’introduisant partout, jusque dans les derniers recoins des rapports sociaux, en étant l’intermédiaire absolu de tout, et particulièrement en tant que pourvoyeur de revenu (direct ou indirect). Au fond si les gens s’en prennent à l’État c’est bien parce qu’il médie tous les rapports, et en particulier la répartition du surproduit social. On ne s’en prend pas à son patron (quand on en a un) parce qu’on se sent plus ou moins comme une sorte de « salarié » de l’État, comme sous sa dépendance.

En apparence, on ne parle guère du travail. Mais ça n’est qu’une apparence. Que « la condition commune c’est le revenu » c’est déjà un indice. « Ras-le-bol de bosser pour faire le plein pour aller bosser » (entendu sur un rond-point) est un autre indice, sérieux celui-là, que derrière les revendications sur le salaire global est sans doute masqué le rejet du travail lui-même, qui n’est jamais très loin. Au demeurant chacun a été surpris de la disjonction entre des revendications en apparence mesurées (SMIC à 1 300 euros alors même que la CGT en exige 2 000) et des formes d’actions extrêmement radicales et immédiates.

Que dire alors du fameux « capitaliste collectif en idée » (Engels) que serait l’État ? Cette définition (si c’en est une) serait-elle caduque ? En tous cas l’État semble à présent un monstre peut-être encore plus hideux, ce qui d’ailleurs ne veut en aucune façon dire qu’il n’est pas au service des capitalistes (il l’est). Mais les rapports État / capital se complexifient sans cesse, et dans cette complexification l’État devient une sorte d’intermédiaire entre les capitalistes et les travailleurs / acheteurs de marchandises. La question est alors la suivante : l’État fait-il écran entre les prolos et les capitalistes, en détournant sur lui-même la colère des premiers ? [On peut penser que nous ne sommes guère autre chose que des intermédiaires entre des marchandises, de simples étapes dans le cycle de la valorisation du capital : si « on » pouvait se passer de nous, « on » le ferait sans doute volontiers… c’est la contradiction basique du capitalisme. À cet égard il faut observer que la valorisation s’autonomise de l’activité humaine – mais pas totalement, et d’ailleurs comment le ferait-elle ?]

Donc, la composition du mouvement.

1 – l’interclassisme

On a beaucoup dit, écrit, sur l’interclassisme des GJ, fusion (momentanée) de « petits patrons », d’artisans, et d’ « authentiques prolétaires », travailleurs ou non : on comprend que ce mouvement ait inquiété voire terrifié la gauche, qui ne veut en général voir la classe que « pure ».

De fait la confusion idéologique est en apparente contradiction avec la radicalité des formes, qui, si elle ne touche pas (comme en général dans la période) aux secteurs productifs, n’a échappé à personne. Il faudrait dire un mot de l’invraisemblable sentiment de légitimité des gens, qui là aussi est sans doute à rapprocher de l’idéologie interclassiste (« nous contre l’État injuste »).

Cet interclassisme fonctionne dans une large mesure avec les catégories du vingtième siècle, où les classes, fort étanches, fort conscientes d’elles-mêmes, ne se définissaient que par leur place dans les rapports de production, essentiellement autour du fait d’être salarié ou de ne l’être pas. Or il est vrai que l’évolution de la forme, du rôle, de la nature de l’État a rendu les choses nettement plus confuses. On a ainsi à présent (sur les rond-points, dans les émeutes) une sorte de grande catégorie aux contours flous définie par 1) sa pauvreté en terme de revenu et 2) sa dépendance à l’État quant à sa reproduction. En somme n’en sont exclus que les authentiques bourgeois et les catégories culturellement bourgeoises (par exemple personne n’a songé à demander le soutien des profs). Il s’opère donc, « grâce » à l’État, un phénomène de clarification apparente du rapport de classe, qui substitue à des dizaines de catégories opposables à la manière des CSP, une sorte de grand fourre-tout défini surtout par sa dépendance matérielle à l’État. Cette catégorie (les « gens ») ne se définit pas par sa place dans les rapports de production, sans quoi elle imploserait aussitôt. Il ne s’agit donc nullement d’une classe. Cette espèce de « conscience » d’une classe (les « gens ») qui n’en est pas une sera sans doute clarifiée par les faits.

Il n’est au reste pas anodin que l’État, quand il fait des concessions, les fait en cherchant à enfoncer un coin précisément  dans cet interclassisme, en donnant aux uns (petits patrons, retraités) et pas ou presque pas aux autres (les travailleurs et les chômeurs). A-t-il raison, a-t-il tort, de faire ça, au risque de se retrouver aux prises avec un prolétariat furieux, trahi par la petite bourgeoisie, conscient de sa classe au sein d’un rapport clarifié ? Je ne sais pas.

Et d’autre part il est significatif que les « gens » s’engueulent dès lors sur leur composition idéologique : facho, pas facho, voire « fachos et antifas ensemble » (entendu dans une assemblée générale). En admettant ce qui précède, la fusion de plusieurs classes en une confuse entité « gens », on comprend aisément que toutes les composantes, en se fondant, amènent avec elles leurs constructions idéologiques. Une fois fondues ou en fusion, chacun voit bien que toutes ces constructions ne peuvent que s’entrechoquer : aussi la première précaution sur nombre de rond-points c’est souvent de dire « on ne fait pas de politique ». Cette précaution ne vaut qu’un temps et dans de nombreuses villes il y a désormais les rond-points « de gauche » et les rond-points « de fachos ».

2 – les revendications

Jetons un œil sur les revendications qui ont circulé surtout sur internet au début du mouvement, qui ont fait parler d’elles car elles mélangeaient des positions dites « de gauche » avec des positions anti-immigrés etc.

On peut les ranger en quelques grandes catégories : 1) le prix du travail doit augmenter (SMIC, retraites, indexation sur l’inflation…) ; 2) les allocations doivent augmenter (allocation handicapé, aide à la garde d’enfants…) et les impôts être plus justes (moins de TVA, plus d’ISF…) ; 3) le prix des marchandises doit baisser (baisse des loyers et « zéro SDF » pour ce qui est du logement ; gaz, élec, carburant…) ; 4) la démocratie doit être exemplaire (moralisation de la vie politique, RIC) ; 5) revendications confuses (immigration, petit commerce, etc.). [Au fond elles ne sont pas si confuses que ça, mais elles révèlent la confusion du mouvement : on y trouve des revendications de type poujadiste, par exemple sur le petit commerce, qui n’ont obtenu aucun succès ensuite. Concernant l’immigration, les revendications montrent peut-être que leurs rédacteurs ont compris que l’existence d’une sous-catégorie de travailleurs (les « immigrés ») était une cause du maintien de bas salaires : si on veut en effet « renvoyer » les immigrés non munis de papiers, les autres doivent bénéficier d’un « bon accueil », être « intégrés » à la nation, etc., en un mot être placés sur un pied d’égalité avec les autres travailleurs (« nationaux ») afin de ne plus exercer de pression à la baisse sur le prix du travail. Il va sans dire que de telles revendications portent tout de même la marque de l’extrême-droite nationaliste, et qu’elles doivent être combattues, etc.]

Les trois premières catégories de revendications montrent bien 1) que l’enjeu est sur le plan de la distribution ; et 2) que le combat est entre l’État et les gens. On peut d’ailleurs fondre les catégories 1 et 2 en une catégorie « revenu », ce dernier étant dans une large part distribué par l’État lui-même, voir plus bas.

3 – le rejet des instances représentatives

Une chose frappe tout le monde, c’est le rejet des représentants. Les syndicats sont méprisés, les partis associés à l’État injuste, et chaque tentative de représentation effectuée par des petits groupes ou des individus isolés s’est traduite par un échec complet assorti de menaces de mort. L’absence de la grève est sans doute explicable (outre par le fait que les gens sont trop pauvres et trop précaires) aussi par l’absence totale des syndicats et par la bonne connaissance, sans doute, chez les prolétaires, du rôle que les syndicats jouent dans le capitalisme, d’où la défiance absolue ; par contrecoup, la grève devient difficile, puisque c’était le syndicat qui l’organisait[1].

La fin du cortège comme forme visible de la prise de l’espace public est assez amusante. On la sentait à l’œuvre déjà pendant le mouvement contre la loi travail, où progressivement le cortège dit de tête a fini par constituer la totalité de la manifestation. À  présent, plus de cortège du tout, mais des « manifestations » erratiques, dépourvues (pour le moment ?) d’objectif, dont les flux et les scissions sont le plus souvent causés par les forces répressives elles-mêmes, et qui, il faut le dire, prennent tout de suite des formes émeutières (destructions, pillages) comme il n’y en a pas eu en France depuis longtemps. Le cortège comme monstration de la puissance de la classe ouvrière apparaît alors peut-être comme une forme caduque de l’histoire des luttes.

Cette forme caduque de l’histoire des luttes apparaît aussi dans l’absence totale de médiation : à défaut de s’opposer directement aux capitalistes, les prolétaires s’opposent (avec quelques alliés plus ou moins de circonstance) directement à l’État. C’est cet aspect qu’il s’agit d’examiner.

La question des représentants et de leur refus généralisé doit sans doute être comprise comme une défiance « de classe » vis-à-vis de « ceux qui se gavent ». Apparaissent des limites de la cinquième république : ce régime reposant beaucoup sur le plébiscite, quelle légitimité pour un président élu avec à peine 8 millions de voix, dans le cadre d’un jeu pipé par la sempiternelle figure repoussoir du FN ? La bourgeoisie, je crois, prend l’avertissement au sérieux, mais que peut-elle faire ? Le RIC ne changera pas grand-chose, probablement, à la défiance des masses envers elles. D’ailleurs, le RIC, une fois qu’on l’aura octroyé aux gens, on ne pourra plus le leur resservir : c’est un avantage.

Face au refus total (violent) des représentants, les syndicats sont, de même que les partis, comme des punaises sur le dos, agitant leurs faibles pattes en tous sens, pour le moment sans résultat. À Toulouse par exemple, la première « AG des GJ » qui s’est tenue le 9 décembre a, après un débat paraît-il animé, décidé de « se structurer » (quoi que ça puisse signifier) mais surtout de ne pas avoir de représentants.

L’autonomie de classe fantasmée par les gauchistes depuis si longtemps, là voilà ; à ceci près, cependant, que cette classe n’est pas « pure ».

4 – un mouvement de pauvres

Mais alors, qui sont ces « gens » ? On l’a dit, les rond-points regroupent des « prolétaires » au sens strict, aussi bien que des artisans et auto-entrepreneurs, des « petits » patrons, etc. Qu’est-ce qui les relie ? La conscience qu’ils ont d’eux mêmes, celle d’être le « peuple ». Mais une fois qu’on a dit ça on n’a pas dit grand-chose.

Ce que j’ai compris, en parlant avec des gens, c’est aussi que ce mouvement permet une sorte d’auto-acceptation de soi en tant que pauvre. On raconte ses conditions d’existence très vite et facilement. On retrouve la dignité, du moins celle d’être pauvre. Et comme les autres le sont aussi, c’est ça qui nous relie, face à « ceux qui se gavent ». D’ailleurs, la polysémie du mot « peuple » fait qu’on passe facilement des « pauvres » à la nation.

Donc, en somme, ce qui fait pour le moment l’unité du mouvement, c’est le revenu.

5 – le revenu et la pauvreté

Les gens se définissent donc comme 1) pauvres en terme de revenu et 2) dépendants absolument ou relativement de l’État pour leur reproduction. C’est sûr que par rapport aux catégories convenues du vingtième siècle, qui structuraient les luttes autour de l’opposition patron-ouvrier sur le salaire, le changement est d’importance. Il faut voir un peu la réalité de ce rapport de dépendance à l’État

La DREES, officine du ministère du travail, a (et c’est significatif) mené une enquête, cette année 2018, intitulée « Des inégalités de niveau de vie plus marquées une fois les dépenses pré-engagées prises en compte ». Sans entrer dans le détail, cette étude montre tout le poids de ce qui est nommé « dépenses pré-engagées » : 30 % du revenu disponible moyen et surtout 61 % pour les ménages en dessous du seuil de pauvreté [dans le détail : loyer et charges (élec, gaz, eau…) s’élevant à 13 % du « revenu disponible » moyen, mais à 37 % de celui des gens « sous le seuil de pauvreté » (14,3 % population), téléphone (resp. 2 et 5 %), cantine scolaire, mutuelles, etc.].

En tenant compte ensuite des dépenses alimentaires, l’étude montre que pour les 10 % les plus pauvres de la population, le revenu disponible mensuel est de 180 euros en moyenne, desquels il faut encore déduire l’habillement et le transport (carburant compris).

On voit dès lors ce qui peut faire consensus, à travers les couches basses de la population, indépendamment du statut au regard des rapports de production. Et de fait, on se demande bien comment vit tout ce petit  monde, de travail non déclaré en débrouille quotidienne.

6 – les « revenus de transfert »

Les statistiques étatiques (INSEE ou DREES) ont des façons de compter les choses destinées à faire en général valoir les intérêts de leur maître, c’est une chose entendue. L’INSEE, ainsi, écarte les revenus des allocations chômage et des pensions de retraite de ses calculs des « prestations sociales » qu’il nomme « non contributives » : il ne reste donc que les aides au logement, le RSA et autre « minima sociaux », les aides à la garde d’enfant etc. Même avec ce mode de calcul on arrive à la proportion de 42 % des ménages qui touchent ces allocations. Une étude sur la Picardie (2015) a montré encore que cette proportion pouvait atteindre 49 % de la population totale dans les centres urbains.

Concernant les ménages les plus pauvres (les 10 % ayant le plus faible niveau de vie), ces prestations sociales constituent 45 % du revenu disponible (revenu disponible = revenus – impôts directs + prestations sociales), en 2013, soit grosso modo autant que la part des revenus du travail.

Ces statistiques permettent de voir l’importance, dans le revenu des gens, particulièrement des plus pauvres bien sûr, de l’argent versé directement par l’État : la moitié du revenu des pauvres, en moyenne. Et encore, rappelons qu’il n’est pas tenu compte des prestations dites contributives (chômage et retraite), qui elles aussi sont versées directement par l’État.

Il n’est dès lors que fort logique qu’une communauté de vécu s’établissent autour de cette dépendance aux revenus étatiques, et contre l’État.

7 – l’impôt

La question de l’impôt ne peut être passée purement et simplement sous silence. C’est un thème assez tabou des luttes de classe, en France, du moins depuis 36. On y est en effet attaché traditionnellement à un État répartissant avec justice (justesse) la plus-value collective : beaucoup d’impôt égale beaucoup de welfare. C’est le fond sur lequel a prospéré la gauche pendant cent ans.

Or ces impôts sont essentiellement iniques : la TVA représente la moitié des recettes fiscales quand l’impôt sur le revenu en représente moins du quart. Ailleurs en Europe, en Grèce, en Espagne, au Portugal, les luttes anti-austérité avaient pris un caractère anti-fiscal (on se souvient du mouvement de retraités grecs brûlant leurs feuilles d’impôts).

Il est vrai qu’une contradiction est apparente ; le salaire indirect, dont la part est toujours croissante dans le revenu des gens (voir juste au-dessus), est financé par l’impôt, que les gens refuseraient de payer. Il s’agit – bien entendu – d’une fausse contradiction : en réalité les gens sont sans doute encore très attachés à une « juste répartition » puisque par exemple ils réclament à cors et à cris la remise en œuvre de l’ISF. D’autre part, il faut bien reconnaître que leur opinion a été bien travaillée ces derniers temps, d’affaire Cahuzac en Panama Papers, etc. ; il est donc assez logique qu’ils aient le sentiment d’être les seuls à devoir financer (toujours plus) des dépenses publiques qui leurs sont toujours moins destinées (fermeture des services publics, diminution des allocations…), quand les « cadeaux aux entreprises » se multiplient sous leurs yeux. En outre, le matraquage sur les « petits patrons écrasés par les charges » a fini par se retourner contre ses promoteurs, puisque ce discours est repris par les salariés de ces « petits patrons » qui ont fini par être convaincus eux-mêmes que c’est pour cette raison qu’ils étaient mal payés. Ici, la clarification des intérêts et des antagonismes sera sans nul doute fort difficile.

8 – l’État et la gestion de la reproduction des prolétaires

Ainsi du RMI au RSA, à la prime d’activité, aux APL, etc., l’État constitue la clef du fonctionnement du capitalisme (du moins en Europe) : il permet de maintenir les salaires bas voire de les baisser ; il permet d’augmenter les loyers et donc d’accroître la rente foncière ; il permet aux surnuméraires d’avoir des moyens de subsistance, de consommer des marchandises, et in fine d’exister et de se reproduire en tant qu’armée de réserve ; il permet aussi d’accroître la part du profit que les capitalistes conservent (suppression de l’ISF, exonérations de charges, et tout le reste).

De plus en plus, l’État se place comme exploiteur direct ou indirect d’une partie de la population, indépendamment du statut formel. À cet égard, l’exemple de l’agriculture est je crois fort parlant. On fait passer les agriculteurs, à leurs propres yeux comme à ceux de tous, pour des « exploitants agricoles » c’est-à-dire pour des sortes de petits patrons jouissant de la rente foncière et du respectable fruit de leur travail ; or qu’en est-il ? Les agriculteurs (à part sans doute le modèle du céréalier géant de la Beauce, authentique capitaliste rentier) : 1) sont payés dans une très large mesure par l’État sous forme de subventions ; 2) ne décident pas – ou presque – de la nature de leur production ; 3) ne décident pas – du tout – de la forme de leur travail ; 4) ne décident pas – du tout – du prix des marchandises qu’ils produisent et 5) ne possèdent pas leurs moyens de production, qu’ils leurs soient affermés ou payés par leur endettement. Comment, dès lors, ne pas les considérer comme des travailleurs de l’État, prolétaires producteurs de nourriture, intégrés à des circuits capitalistes agro-industriels, n’ayant rien d’autre que leur force de travail pour vivre ?

Il en va de même, d’une manière sans doute moins caricaturale, de la plupart des autres catégories de travailleurs « non-salariés ».

La reproduction des travailleurs est de moins en moins entre les mains des capitalistes et de plus en plus entre celles de l’État. Il est dès lors assez prévisible que les « gens » finissent par se soulever vivement contre le responsable immédiat de leurs maux, et c’est l’État. À cet égard il est assez juste de dire que l’État fait écran au conflit de classe « normal » capitaliste-prolo.

9 – les gens et l’État

Mais l’État, s’il fait effectivement écran entre les gens et leurs supposés adversaires (les capitalistes eux-mêmes), ne fait pas totalement écran. Ceci peut s’observer, cette fois encore, dans les formes de la lutte, dans ses cibles : si l’État est visé (quoique souvent dans une manière ambiguë où on scande « la police avec nous » dans le même temps qu’on lui jette des bouteilles), les symboles capitalistes sont aussi ciblés (œuvre des totos sans doute), des magasins sont pillés (on a vu des barricades de mannequins habillés de costumes de luxe)… Je pense que la fusion de l’État et du capital est intuitivement saisie par les gens ; c’est face à cette fusion (aussi) qu’ils se soulèvent, certes encore au nom du modèle idéologique précédent, largement fantasmé, dans lequel l’État eût réparti justement le surproduit social, etc. Reste à voir si, à la place de ce modèle, qui correspond en fait à la forme précédente du rapport d’exploitation, les « gens » (et surtout les prolétaires !) pourraient entrevoir autre chose (c’est ça, « l’écart », je crois ?).

– conclusion provisoire

Les gens de Théorie Communiste, dans TC25, « Une séquence particulière », nous disent que la conception selon quoi tout est question de revenus est, au fond, quelque chose qui masque la réalité des rapports de production, à commencer par le fait que le salaire s’oppose aux autres formes de revenus, rente, intérêt, profit. D’accord, et plutôt deux fois qu’une, mais c’est faire peu de cas des « revenus de transfert » : en effet leur importance objective dans les revenus des « gens » est grande (sans rapport mécanique avec la place dans les rapports de production) et croissante. On ne peut pas tenir ces revenus de transfert comme simple redistribution par l’État du surproduit (ce qui est certes le cas) : il faut aussi voir ce qu’ils sont dans le cadre de la reproduction de la force de travail (« au niveau des prolétaires ») : ils permettent de ne pas augmenter les salaires, en fait de les baisser (en terme de salaires réels) ; donc on est tout de même bien ici dans la sphère de la production (de l’autre côté de la « paroi de verre », disons), et en tous cas dans la contradiction centrale du capitalisme : l’échange de force de travail à un certain prix et l’extraction de plus-value.

On est donc face à un mouvement dans lequel un magma interclassiste s’auto-définit et affronte l’État (et non le capitalisme). Ce faisant, il s’auto-valide et valide l’État comme interlocuteur-adversaire. L’État, face à ça, aurait en quelque sorte le choix entre valider cet interlocuteur-adversaire informe et interclassiste, au risque d’un conflit durable et compliqué, avec des enjeux sans cesse mouvants ; ou bien l’invalider en en dévoilant les contradictions, au risque d’avoir face à lui un prolétariat « clarifié » (au sens du beurre clarifié), auto-conscient, et menaçant de s’en prendre à son « vrai » adversaire : les capitalistes. Dans l’un et l’autre cas il est vraisemblable que les forces répressives ont un rôle à jouer qui fait les cheveux se dresser sur la tête. Mais il ne faut pas oublier que ce sont les gens eux-mêmes qui font l’histoire.

Contact : lacanaille@riseup.net

[1]« La question centrale demeure celle du travail. Comme, pour eux [les GJ], le canal classique de la revendication collective, organisée sur les lieux de travail, est bouché, ça a débordé ailleurs : ils ont en quelque sorte contourné cette impossibilité en s’organisant en dehors des heures de travail, sur des barrages et des places, en occupant l’espace public. Du coup, ce n’est pas le patron qui est interpellé mais l’État, qui est jugé comme ayant une responsabilité en matière salariale et se retrouve à devoir gérer ces revendications. C’est tout à fait nouveau et c’est un défi pour lui. », Yann Le Lann dans Le Monde du 25/12/2018. Ce sociologue a effectué une enquête sur internet auprès de 526 personnes appartenant à des groupes facebook ; autant dire que ça ne vaut pas un clou.

 

 

  1. R.S
    11/02/2019 à 19:27 | #1

    Salut
    Un peu étonné que ce texte n’est encore suscité aucun commentaire. Le mien sera bref. Pas de banques brisées, de barricades enflammées, mais l’exposition de ce qui permet de comprendre dans son fondement même, la nature du mouvement, ses formes, ses revendications, les adversaires qu’il désigne, ses limites et pourquoi pas sa dynamique. Sans considération du fondement que cerne ce texte, toute analyse ne s’intéressera qu’à l’écume. L’essentiel (au sens fort) y est, “il ne reste plus qu’à “développer” …
    R.S

  2. Prada Meinhof
    11/02/2019 à 20:38 | #2

    Puisque R.S s’étonne que le texte n’ait pas suscité de commentaires, je reposte ici les miens, publiés ailleurs :

    “l’existence d’une sous-catégorie de travailleurs (les « immigrés ») [est] une cause du maintien de bas salaires”

    Ça reste à prouver (et même les “économistes” ne sont pas tous d’accord là-dessus)… Le marché du travail n’est pas un et homogène, mettant au prise l’ensemble des travailleurs pour l’accès à l’ensemble des emplois, il est au contraire segmenté et hiérarchisé. La racialisation, quant à elle, n’est pas l’équivalent terme à terme de cette segmentation (comme dans la théorie du reflet), il y a de l’idéologie et donc du “jeu”. À trop vouloir dénicher le secret de l’idéologie raciste dans la pure et simple mécanique des rapports de production, et seulement là, on risque de “rationaliser” ce racisme.

    “De plus en plus, l’État se place comme exploiteur direct ou indirect d’une partie de la population, indépendamment du statut formel. À cet égard, l’exemple de l’agriculture est je crois fort parlant. On fait passer les agriculteurs, à leurs propres yeux comme à ceux de tous, pour des « exploitants agricoles » c’est-à-dire pour des sortes de petits patrons jouissant de la rente foncière et du respectable fruit de leur travail ; or qu’en est-il ? Les agriculteurs (à part sans doute le modèle du céréalier géant de la Beauce, authentique capitaliste rentier) : 1) sont payés dans une très large mesure par l’État sous forme de subventions ; 2) ne décident pas – ou presque – de la nature de leur production ; 3) ne décident pas – du tout – de la forme de leur travail ; 4) ne décident pas – du tout – du prix des marchandises qu’ils produisent et 5) ne possèdent pas leurs moyens de production, qu’ils leurs soient affermés ou payés par leur endettement. Comment, dès lors, ne pas les considérer comme des travailleurs de l’État, prolétaires producteurs de nourriture, intégrés à des circuits capitalistes agro-industriels, n’ayant rien d’autre que leur force de travail pour vivre ?”

    Là, par contre, j’ai l’impression de nager en plein délire : quel secteur de l’économie n’est pas subventionné par l’État (notamment du côté des TPE et PME, dans le tourisme, la restauration, etc.) ? quelle entreprise capitaliste (donc prise dans la validation sociale du marché, la contrainte à la productivité et à la hausse de sa composition organique, le risque de ne pas réaliser la valeur contenu dans les marchandises produites) “décide” de la nature de sa production, de la forme de son procès de travail ou du prix des marchandises ? quel moyen de production n’a pas été acquis à crédit ou loué à une firme tierce ? On nous refait le coup de l'”exploitation secondaire” (ici par l’État en lieu et place du capital fictif) ? C’est sûr que ça simplifie pas mal la tâche pour penser l’interclassisme (“les gens” vs. les “authentiques” bourgeois ; on se demande qui sont les “inauthentiques” du coup)…

  3. ânonime
    11/02/2019 à 21:00 | #3

    @R.S

    j’avais comme un peu à tout réagi

    « jeter le bébé Marx avec la boue des Gilets jaunes ? » remarques à partir du texte “Gilets Jaunes, revenu et rapport à l’État.”, 16 janvier, ici :
    http://patlotch.forumactif.com/t101-les-luttes-en-france-vers-la-restructuration-politique-depuis-le-17-decembre-2019-les-debats-continues

    j’avais posé le problème du rapport entre salaire et revenu dès le début, en référence à l’ancien débat sur “la légitimité de la revendication salariale” (TC)

    extraits :

    je dirais plutôt que l’État se présente comme grand administrateur, un faciliteur de l’exploitation par la redistribution du salaire général prélevé sur la valeur produite. Vu la quasi fin du capitalisme d’État (nationalisations), il est difficile de le faire passer pour un exploiteur capitaliste au-dessus des autres. Maintenant, qu’il soit perçu ainsi par le mouvement, c’est bien son incompréhension/inversion du rapport politique/économie dans le capitalisme

    de même à propos de « La reproduction des travailleurs est de moins en moins entre les mains des capitalistes et de plus en plus entre celles de l’État » : mais ce n’est que la surface, la reproduction (du capital et du prolétariat) est inhérente au capitalisme comme mode de production-reproduction, dont l’État n’est qu’un médiateur. Il ne faut pas prendre ce que croit le mouvement des GJ pour la réalité de ce processus fondé sur l’exploitation “du travail” et y retournant

    “j’ai dit mes réticences avec ce concept d’interclassisme, qui laisse entendre des classes constituées (moyenne haute et basse, prolétariat). À tout prendre, quand le capital n’est pas remis en cause ni la classe capitaliste attaquée comme telle, je préfère la vieille terminologie de réformisme voire de collaboration de classes.”

    alors effectivement : « que désigne le préfixe “inter” » ? Il désigne ce qui se passe entre des classes considérées comme constituées (pour soi) : mission théorique impossible tant qu’on se refuse à différencier classes existantes (comment, en dehors de la classe capitaliste : une existence sociologique en termes de “composition” ?) et classes constituées : c’est le fondement classiste de la théorie de la communisation qui est en crise !

    sur « La question centrale du mouvement, c’est je crois, celle de sa composition, plutôt que celle de son idéologie (facho, pas facho)… »

    je comprends la remarque, mais l’idéologie, dans ce mouvement ou tout autre, ce n’est pas que “facho/pas facho”, c’est ce qui fait le cœur de sa dynamique comme rapport social dans l’économie politique, ce qui apparaîtra de plus en plus clairement malgré la politisation et l’intervention de la gauche et de l’extrême-gauche. S’en prendre à l’État plutôt qu’à son patron, parce qu’il serait “l’intermédiaire absolu de tout” doit se rapporter au rapport salaire/revenu (voir plus haut), mais ne peut faire oublier les grands absents : le prolétariat ouvrier des grandes entreprises, les chômeurs en masse, etc. ni l’absence de la revendication salariale au sens strict de la feuille de paye

    je ne saisis pas bien pourquoi l’auteur se dit « d’accord, et plutôt deux fois qu’une » avec TC « la conception selon quoi “tout est question de revenus”… masque la réalité des rapports de production » alors que nombre de passages de son texte me semblent plutôt affirmer le contraire

    sur l’interclassisme, j’avais ouvert un autre sujet :

    SUR L’INTERCLASSISME, un renversement théorique de perspective, et 3 débats en 1
    http://patlotch.forumactif.com/t108-sur-l-interclassisme-un-renversement-theorique-de-perspective-et-3-debats-en-1

    il faut souligner que le débat Patlotch-AC, voir Patlotch-TC, n’a pas encore été ouvert ICI, et je n’y suis pour rien

    bref, désolé, mais il ne reste certainement pas qu’à “développer”

  4. AC
    12/02/2019 à 03:07 | #4

    J’ai rapidement relu ce texte que je persiste à trouver peu pertinent. Tout son argumentaire consiste à montrer que l’Etat est désormais un acteur incontournable dans les rapports de classe capitalistes, ce qui est difficilement contestable par ailleurs et pose de vraies questions et pas seulement pour les GJ, mais il conclut de manière décevante en opposant l’Etat et le capital, le vrai adversaire auquel le prolétariat devrait finalement s’opposer. Tout le développement oscille de cette manière entre confusion et normativisme.

    L’interclassisme est vraiment un “magma”, de par la manière dont le texte essaie de le produire : subjectivité et objectivité se mélangent sans cesse, de sorte que l’interclassisme n’existe que comme segments strictement séparés ou comme amas idéologique indistinct, selon les besoins de la cause. Par ailleurs les classes elles-mêmes apparaissent comme toutes constituées, sans qu’ils soit besoin de les définir, et on notera l’absence criante de la classe moyenne. On dirait que la question n’est pas tant pour le texte les classes en présence que l’ensemble de lutte qu’elles constituent dans le mouvement des GJ, et on peut le comprendre, mais l’un ne peut se construire sans l’autre. La co-présence de prolétaires et de petits patrons n’est pas un problème pour la “pureté de la classe”, c’est le problème même de l’interclassisme, à cet égard l’idée de la “fusion” dans un collectif de “gens” n’est pas un progrès théorique notable. Il est important de voir qu’il y a un résultat comme des conditions de l’interclassisme, qu’il donne lieu à une expression collective et constitue un ensemble particulier, mais c’est le produit d’interactions de classe et pas d’une “fusion”. L’interclassisme par lui-même n’abolit pas les classes, à mon avis le seul cas où on arrête de se friter c’est quand les couches supérieures prennent le contrôle. Mais finalement, il n’y a plus d’interclassisme qui tienne dans le texte, puisqu’on choisit de ne prendre en compte que les plus pauvres, ceux qui tirent en moyenne la moitié de leur revenu de prestations sociales diverses, et la “communauté de vécu” qu’ils constituent. S’il y a une contradiction interne, par exemple autour de l’impôt comme prélèvement et comme distribution, loin de constituer une dynamique elle ne demande qu’à être “clarifiée” par le prolétariat. Exit toute espèce de dynamique des conflits internes au mouvement. L’interclassisme n’est qu’une variété de situations posée sur l’unité substantielle de la classe, qui “clarifie” tout à la fin. En attendant, il suffit de ne pas parler politique sur les ronds-points pour que ça se passe bien.

    Au bout du compte, l’Etat est vraiment considéré comme un “masque” des rapports de classes, un “écran au conflit de classe « normal » capitaliste-prolo”. Mais si c’est bien l’Etat qui est principalement responsable de la reproduction de la FDT, pourquoi irait-on s’en prendre aux capitalistes (dans le texte, il s’agit semble-t-il à peu près exclusivement des patrons), voire, encore plus abstrait, au capitalisme (donc au rapport salarial, puisque les capitalistes sont les patrons) ? De fait, il ne faut pas s’étonner si “les gens” trouvent que l’Etat pourrait bien leur reproduire un peu mieux la FDT, dans la mesure où l’Etat est une instance jouissant d’une autonomie plus que relative vis-à-vis du capital. Pour l’heure, on pourrait très bien en rester à ce niveau de conflit, comme le suggère d’ailleurs “Une séquence particulière” (avant la révision autour des rapports de distribution de TC 25). On pourrait aussi se demander s’il est bien nécessaire de s’en prendre aux rapports de production (ici, le capital) “cachés derrière” mais “désignés par” les rapports de distribution (ici, l’Etat) pour lutter effectivement contre le capitalisme, voire pour l’abolir, mais c’est une autre question.

    Le texte ne sort jamais de l’évidence qu’il entend remettre en cause : la vraie lutte de classes (celle qui n’est pas interclassiste, en fait) c’est quand le prolétariat s’oppose directement à son véritable ennemi, le capital, le vrai, celui des patrons, qui est donc bien distinct de l’Etat (malgré tout ce qu’on vient de dire sur la “fusion” des deux), et en somme la question est de savoir quand la classe prendra la tête d’un vrai mouvement révolutionnaire anticapitaliste. On ne saura pas ce que c’est que s’opposer “directement” au capitalisme, on peut peut-être considérer comme un indice que ses “symboles” soient attaqués pendant les manifs – sans doute parle-t-on ici des banques. Il serait difficile, sous couvert d’oser dire les choses comme elles sont désormais et plus comme au XXe siècle, de faire plus platement normatif comme point de vue. Les capitalistes, ce sont les banques et les patrons, et les prolétaires qui se sont un peu mélangés dans l’interclassisme vont finalement se “clarifier”, comme le beurre. Finalement la démarche consiste à dire “regardez, c’est pas normal”, et de tenter de décrire cette anormalité, mais ne se donne pas les moyens de comprendre la situation autrement que comme un écart avec une norme qui n’est jamais vraiment questionnée.

  5. ânonime
    12/02/2019 à 10:49 | #5

    LE CAPITALISME COMPRIS COMME MODE DE REPRODUCTION PLUS QUE DE PRODUCTION
    une nouvelle idéologie théorique (communisatrice ?)
    rompant avec la critique marxienne de l’économie politique (Le Capital)
    et le rapport Capital-État chez Marx

    http://patlotch.forumactif.com/t108-sur-l-interclassisme-un-renversement-theorique-de-perspective-et-3-debats-en-1#1351

  6. AC
    12/02/2019 à 18:57 | #6

    Une petite précision concernant ma réponse. Il faut évidemment lire : “De fait, il ne faut pas s’étonner si “les gens” trouvent que l’Etat pourrait bien leur reproduire un peu mieux la FDT, dans la mesure où l’Etat EST PRÉSENTÉ PAR LE TEXTE COMME une instance jouissant d’une autonomie plus que relative vis-à-vis du capital.” Je critique, tout au long de mon commentaire, la conception selon laquelle Etat et capital sont deux instances distinctes, je ne la fais donc pas mienne à la dernière minute.

  7. un lecteur de TC
    12/02/2019 à 19:25 | #7

    LE CAPITALISME COMPRIS COMME MODE DE REPRODUCTION PLUS QUE DE PRODUCTION une nouvelle idéologie théorique (communisatrice ?)

    Pourquoi nouvelle ?

    “La contradiction qui résulte, dans le mode de production capitaliste, du rapport entre l’extraction de plus-value et la croissance de la composition organique du capital se développe, au travers de la péréquation du taux de profit, sur l’ensemble des activités de la production et de la reproduction et structure comme rapport contradictoire entre des classes l’ensemble de la société. Il s’ensuit que le prolétariat et la classe capitaliste sont la polarisation en activités contradictoires, sur l’ensemble de la société dans son auto-présupposition, de la contradiction qu’est la baisse tendancielle du taux de profit. Dans ce procès, la contradiction essentielle qu’est la production de plus-value ne disparaît jamais, c’est elle qui existe sous toutes les formes de la reproduction d’ensemble de la valorisation et de ses conditions de renouvellement comme reproduction du rapport social capitaliste.” (https://sites.google.com/site/theoriecommuniste/les-classes)

  8. ânonime
    12/02/2019 à 19:59 | #8

    @un lecteur de TC

    on est bien d’accord, ce que je pointe et critique, c’est un basculement de la production à la reproduction faisant de celle-ci l’essentiel, et ce n’est pas chez TC qu’on trouve, si j’ose dire, ce “dépassement produit” qui nous fait sortir et du Capital de Marx dans le rapport de l’économie à la politique, et de toute la théorie de la communisation telle qu’exposée par TC, Dauvé et Astarian

    j’ai souligné que cette dérive était commune à certains “communisateurs”, en les citant, à Joshua Clover dans Riot-Strike-Riot 2016 (L’émeute prime, 2018) dont c’est même la thèse théorique principale, l base sur laquelle il théorise l’émeute, qu’on retrouve en plus floue, car ils ne se réclament pas de Marx, chez ses amis auteurs de Lundimatin bien connus quoiqu’invisibles

    maintenant, on a le droit d’innover, à condition, quand on sort de ce qui définit une théorie, de ne pas en garder le nom

    quand je l’ai fait en 2015, à partir du moment où ma critique n’était plus seulement “interne” au courant de la communisation, mais devenait de lus en plus “externe” car remettant en cause la révolution prolétarienne comme horizon (prolongeant Charrier/La Matérielle par une théorisation tenant sur ses deux jambes), j’ai considéré plus honnête de dire : « je sors de la théorie de la communisation », et c’est ainsi que je suis devenu pestiféré dans le “milieu”

    mais, paradoxalement, on voit que sur le point essentiel du capitalisme fondé sur l’exploitation dans la production de marchandises, je suis plus proche de la théorie de la communisation que certains qui prétendent ne pas en sortir !

    il faudra peut-être un jour en convenir, accorder les violons dingues, cesser de prendre les partisans de la communisation pour des illettrés, et, accessoirement, rendre à Patlotch ce qui lui revient

    merci à toussétoutes d’y réfléchir

  9. lacanaille
    16/02/2019 à 18:46 | #9

    Bonjour,

    Je vais tâcher de répondre à quelques uns des commentaires qui ont été faits aux notes que j’ai proposées il y a déjà un moment, avec ce rappel liminaire qu’il s’agissait précisément là de simples notes, et non pas d’un texte achevé ayant pour ambition de révolutionner quelque théorie que ce soit.

    D’abord, ce qui ne me paraît pas pertinent : « Prada Meinhof » estime d’après une brève citation (« l’existence d’une sous-catégorie de travailleurs (les « immigrés ») [est] une cause du maintien de bas salaires »), que je cherche à « dénicher le secret de l’idéologie raciste dans la pure et simple mécanique des rapports de production ». Je suis bien d’accord avec le fait qu’on ne peut réduire les rapports de race aux rapports de classe, et je n’ai jamais dit ça. J’ai parlé des « immigrés », sans parler de race ; et je trouve douteux de replier immigration et questions de race (quand bien même il y a des liens). J’en ai parlé en outre avec des guillemets pour montrer qu’il s’agissait pour moi de la « pensée GJ », qui, peut-être, sans le formuler clairement, prendrait conscience de la segmentation nationale du marché du travail. Au fait je pense que c’était très exagéré. Mais je n’ai pas parlé de « l’idéologie raciste ».
    « Prada Meinhof » attaque ensuite mon « délire » consistant à établir une analogie entre la situation réelle d’un soi-disant exploitant agricole avec celle d’un prolétaire, au sens (ancien) de quelqu’un qui n’a que sa force de travail : « Quelle entreprise capitaliste […] « décide » de la nature de sa production », etc. ? Eh bien, qu’on le veuille ou non, je crois bien que les entreprises décident, en effet (et au moins partiellement), de la nature de leur production, etc. : je crois que la direction d’Airbus décide de produire une certaine marchandise, par exemple l’A380 ; si par la suite cette marchandise ne trouve pas à se vendre sur le marché, la production devra être arrêtée, et les capitaux seront déplacés, ou vers un autre secteur productif (par exemple l’armement), ou vers le secteur dit financier, bref. Ce qui complique la situation, dans le cas d’Airbus, c’est que l’État possède une partie importante de ces capitaux, et qu’il prend part au processus de prise de décisions économiques, de toute évidence. Mais dire que les entreprises ne décident en réalité de rien, que c’est le marché qui détermine totalement le procès de production, etc., me paraît être une hypothèse peu crédible, relevant d’une analyse mécanique de l’économie qui ne laisse pas beaucoup de place aux acteurs réels.

    Mais tout ça sont des points de détail, je pense. L’essentiel des commentaires, je crois, c’est d’avoir à juste titre relevé que mon propos est confus. J’oscille sans cesse entre objectivisme et subjectivisme. Dans ma tentative de comprendre la situation « du point de vue des prolétaires », on ne parvient pas à distinguer ce qui serait une analyse générale de ce qui relèverait d’un propos de rond-point : l’une n’est pas plus vraie que l’autre, mais il faudrait savoir à quel niveau on se situe. En étant confus il est logique que je me perde moi-même.
    Une petite remarque : le concept de « gens » relève de la plaisanterie, il ne s’agissait pas de proposer un nouvel outil théorique.
    « Ânonyme » laisse penser que je tiens l’État pour un « exploiteur capitaliste au dessus des autres » : je ne crois pas dire ça ; en revanche, lorsqu’il dit tout de suite après que « la reproduction […] est inhérente au capitalisme comme mode de production-reproduction, dont l’État n’est qu’un médiateur », à mon tour de ne pas bien comprendre la place, la nature de l’État « par rapport » au capitalisme dont, si je comprends bien, il serait distinct. On touche là au point central soulevé non pas tant par mes notes que par le débat en commentaires : le rapport État-capital. « AC » critique vertement, dit-il, « la conception selon laquelle État et capital sont deux instances distinctes ». Il s’oppose donc diamétralement à la position de « Ânonyme », si je comprends correctement. Au passage, il faudrait clarifier un peu cette notion d’ « instance » et d’ « autonomie relative » des « instances » les unes par rapport aux autres. Dans le texte « Notes sur la police et les banlieues », paru sur le blog Carbure il y a un bon moment, la police était déjà présentée comme une « instance » jouissant d’une « autonomie relative », je n’invente rien, c’est facile à vérifier. Je trouve humblement que de dire de deux choses qu’elles ont un rapport « d’autonomie relative » ça ne sert à rien, ou presque, si on ne dit que ça. À confusion, confusion et demie.
    En revanche, je souscris absolument à la critique d’ « AC » concernant le « normativisme » de mes notes, qui en effet passent sans cesse de la théorie pontifiante au volontarisme idiot d’un tract, énonçant la manière correcte sinon normale dont devrait se dérouler la lutte : ça ne va pas. Il a raison aussi lorsqu’il relève que je ne suis pas clair sur ce que sont les « capitalistes », à part des « patrons » ; c’est vrai, je ne suis pas clair : mais je veux bien qu’on m’éclaire.
    Encore une chose : « AC » dit, en parlant du fameux interclassisme, qu’il s’agit « d’interactions de classe et non pas d’une fusion ». Je crois qu’il s’agit des deux, selon que l’on se place d’un point de vue objectiviste (dans ce cas le prétendu interclassisme est effectivement le produit d’interactions de classes), ou subjectiviste : la fusion des classes dans « le peuple », c’est l’expression de la subjectivité des gens ; c’est une fiction, mais elle n’en est pas moins réelle dans la tête des gens, ce qui, qu’on le veuille ou non, détermine au moins en partie leur manière de lutter, leurs choix, etc. Mais là encore il faut être clair sur le point de vue d’où on parle, ce que je ne suis pas.

    Je suis en tous cas ravi de ce que mes pauvres notules suscitent des débats.

  10. ânonime
    16/02/2019 à 21:16 | #10

    @lacanaille

    la canaille : ” « Ânonyme » laisse penser que je tiens l’État pour un « exploiteur capitaliste au dessus des autres » : je ne crois pas dire ça ; en revanche, lorsqu’il dit tout de suite après que « la reproduction […] est inhérente au capitalisme comme mode de production-reproduction, dont l’État n’est qu’un médiateur », à mon tour de ne pas bien comprendre la place, la nature de l’État « par rapport » au capitalisme dont, si je comprends bien, il serait distinct. On touche là au point central soulevé non pas tant par mes notes que par le débat en commentaires : le rapport État-capital. « AC » critique vertement, dit-il, « la conception selon laquelle État et capital sont deux instances distinctes ». Il s’oppose donc diamétralement à la position de « Ânonyme », si je comprends correctement. Au passage, il faudrait clarifier un peu cette notion d’ « instance » et d’ « autonomie relative » des « instances » les unes par rapport aux autres.”

    AC refusant le débat avec moi, cad 2/3 des questions que je pose à la théorie de la communisation, je ne tiendrai pas compte ici de son avis, qui n’est pas diamétralement opposé au mien, puisqu’il connaît quelques bribes de “La critique de l’économie politique”, alias Le Capital

    car l’enjeu est de comprendre… l’enjeu, qui est au niveau de la critique de la classe capitaliste dans son ensemble État& Capital. Il serait effectivement simpliste de ne voir que l”État-outil-politique-et-policier-du-Capital”, avec l’économie déterminant le tout de la politique. “Autonomie relative”, cela signifie que conjoncturellement, la politique est première, TC l’a bien expliqué il me semble dans “une séquence particulière”, ou à propos de l’Iran sauf erreur

    l’exemple d’Airbus est effectivement quasi marginal, du fait que le modèle des entreprises “françaises” n’est plus le Renault des Trentes Glorieuses (subsomption réelle 1ère phase dans la périodisation de TC). Le rôle économique de l’État ne tient pas (ou plus) au “CME = Capitalisme Monopoliste d’État” cher à Paul Boccara du PCF

    “la gouvernance” de la mondialisation nous présente comme un “État des États” qui en dirige les choix politiques et économiques, entrant en contradiction(s) avec des intérêts de classes divers “en-haut” comme “en-bas” et “au milieu”, d’où les nationalismes français ou européen et leur bras de fer perceptible dans la crise des GJ, la bataille Macron-Le Pen qu’auront facilitée les GJ pour les deux parties

    voilà, je ne sais pas si ça éclaire…

    PS : j’insiste sur le piège de l’analyse par “l’interclassisme”. On en fait un gros concept posé là, et on se demande ensuite comment il est à l’œuvre dans “ce qui se passe”. On fait ainsi de la théorie “à l’envers” de la méthode de Marx, qui partait des choses, pas des concepts pour redescendre des généralités abstraites sur les réalités, car c’est ainsi que TC a longtemps fonctionné, désolé

    mais RS pourra encore sortir une dégeulasserie sur mon compte, genre : « Il est vrai que Patlotch a annoncé une nouvelle cible : le « conceptualisme », plus de théorie manipulant des concepts, maintenant Patlotch est en connexion directe avec le « réel », le « vivant » et la « nature » »https://dndf.org/?p=17431 Il a eu tort, car ça lui nuit plus qu’à moi, et c’est un aveu d’impuissance théorique déplorable aux yeux de qui souhaite des débats sérieux

    j’utilise évidemment des CONCEPTS, j’en ai même forgé plusieurs dont j’avais besoin dans ma théorisation : RS n’en a JAMAIS parlé qu’ironiquement, et les autres “communisateurs théoriciens” JAMAIS

    alors, de deux choses l’une : soit on veut discuter sérieusement, soit on ne veut pas, et je laisse juge de qui prend les autres pour des illettrés, ai-je dit en ajoutant : merci à toussétoutes d’y réfléchir

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