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A paraître dans le prochain numéro de la revue SIC : L’Humain d’abord ?

un extrait du texte L’Humain d’abord ? ” à lire dans le prochain n° de la revue SIC, 

« On dirait que l’ancienne profondeur s’est étalée, est devenue largeur: Le devenir illimité tient tout entier maintenant dans cette largeur retournée. Profond a cessé d’être un compliment […] Les événements sont comme les cristaux, ils ne deviennent et ne grandissent que par le bords, sur les bords […] Et s’il y a rien a voir derrière le rideau, c’est que tout le visible, ou plutôt toute la science possible est le long du rideau, qu’il suffit de suivre assez loin et assez étroitement, assez superficiellement, pour en inverser l’endroit […] »

Gilles Deleuze, Logique du sens

Introduction

 

Il faut apposer différentes prémisses à ce texte, dans lequel – comme on peut le déduire du titre – on va articuler une critique de l’humanisme. La première est qu’il n’a pas la prétention de dire grande chose de nouveaux ou d’”original”, parce que, en premier lieu, les fondements de cette critique ont déjà été posés depuis longtemps, et – à notre avis – elle est déjà (au moins en partie) partagée par ce milieu, qui est la rédaction de SIC ; donc il s’agit surtout – pour nous – d’insister et d’approfondir certains aspects. La deuxième prémisse est que de façon prévisible, dans la mesure où les hypothèses exprimées par la rédaction de SIC sur le présent et le futur de l’actuel cycle de luttes sont correctes, dans la mesure où la théorie de la communisation sera de plus en plus une “détermination objective” 1 incontournable de l’actuel cycle de luttes, la nécessité de se présenter avec clarté devant les cercles d’individus et groupes jusqu’ici restés en dehors du débat sur la communisation, mais qui vont manifester de l’intérêt à propos de “nos” formulation, sera de plus en plus urgent ; à notre avis, dans le développement de ces rapports, l’antihumanisme sera très souvent, de façon implicite ou explicite, le “nœud” à partir duquel les accords et les discordes, les rapprochements et les séparations vont se produire; pour cette raison, nous avons considéré qu’un texte sur l’humanisme pouvait se révéler utile. Dès la citation en exergue, le style du texte – et celle-ci est la dernière prémisse – pourrait paraître plutôt “philosophique” ; en réalité, plutôt que de faire de la philosophie, il s’agit de sonder les manières dont nous lisons la réalité, voire la réalité actuelle : ce qui est en jeu, donc, c’est toujours la compréhension de la phase où nous sommes. En outre il faut tenir compte que le concret, quoiqu’il soit à tout instant une prémisse du processus de pensée, il ne se donne jamais à lui de façon immédiate : il peut paraître juste à la fin d’un processus spécifique, comme “produit”. Nous ne pouvons pas garantir si ce qui va suivre sera une simple spéculation “philosophique” ou un moment réel (bien que limité) de théorie du prolétariat – elle aussi conçue comme processus. Mais quiconque écrit sur la révolution ou le communisme, même en termes plus probablement “concrets”, ne peut avancer, sur ce point, aucune garantie.

L’identité du prolétariat

Le problème de l’identité du prolétariat obsède la théorie révolutionnaire depuis sa première apparition. Pour le léninisme l’identité prolétaire était le fruit de l’organisation construite par la direction politique des ex-intellectuels bourgeois devenus révolutionnaires de profession. Le populisme et certains courants de l’anarchisme ont vu cette identité dans la permanence de certains caractères liés aux métiers, aux particularités locales, à la sensibilité de la classe ouvrière. Pour d’autres courants de l’anarchisme et pour le conseillisme elle est implicite dans la condition du prolétariat même, qui pendant les moments les plus intenses de la lutte de classe révélerait sa propre autonomie et sa propre inclination naturelle à reconstruire la société sur d’autres fondements. Le rôle historique de ces théories a été celui d’avoir affirmé – de façon diversifiée et conflictuelle aussi – l’existence du prolétariat, et d’avoir exprimé son aspiration à exercer son hégémonie sur la société, à une époque (subsomption formelle et première phase de subsomption réelle du travail sous le capital) dans laquelle le contenu de la révolution communiste était vraiment celui-ci : les différents courants ici citées répondaient de façon différente aux mêmes questions. Cependant, ils ne pouvaient ne pas traduire en termes théoriques les contradictions réelles liées à la faillite de l’affirmation du prolétariat comme contenu de la révolution : de la “trahison” sociale-démocrate de 1914, jusqu’au massacre de mai 1937 à Barcelone par un Front Populaire à participation anarchiste, c’est toujours le mouvement ouvrier qui détruit la révolution. Parmi les courants révolutionnaires, seules les Gauches communistes “italienne” et “allemande-hollandaise” (l’ultragauche) se sont rapprochées à la compréhension de la contre-révolution dans toute sa profondeur : elles se sont ainsi retrouvées dans la position inconfortable de devoir désigner comme contre-révolutionnaires presque toutes les manifestations empiriques du prolétariat de cette période 2. Dès lors, ces courants se sont déchirés en attendant une apparition limpide et non mystifiée du prolétariat ou une reformation totale du mouvement ouvrier. Dans ce geste – celui de faire appel à l’action de classe, en désignant comme contre-révolutionnaires toutes les formes empiriques de l’existence de la classe – ils sont entrés dans une sorte de contradiction avec elles-mêmes, contradiction qui est arrivée à se résoudre seulement pendant la période 1968-1977, surtout à partir de certaines caractéristiques des luttes d’alors (déclin des conseils ouvriers, refus du travail etc.) il a été possible pour quelques camarades, qui ont rompu avec l’horizon classique de l’ultragauche, de commencer à thématiser la révolution non plus comme affirmation du prolétariat comme pôle absolu de la société, mais comme négation du prolétariat et de toutes les autres classes. Selon cette rupture dans la théorie du prolétariat, il ne s’agit plus, pour le prolétariat, de se reconnaître en tant que classe autonome (de la “classe en soi” à la “classe pour soi”), mais de supprimer, au cours même du processus révolutionnaire, précisément tout ce qui le définit comme prolétariat, c’est-à-dire comme une détermination du mode de production capitaliste. Le communisme – abolition de la valeur, du travail, de la propriété, de l’État – en tant que but final de la révolution devient le moyen même de la révolution (faillite du programme révolutionnaire et de la transition). Le communisme n’est plus un projet ou un résultat, c’est la révolution elle-même et son contenu. À partir de cette nouvelle perspective il a été possible de définir ce qu’il y avait de téléologique et d’humaniste dans la compréhension théorique des théories révolutionnaires du passé, et de redéfinir le concept même de matérialisme. Bien sur, le milieu anti-capitaliste ne manque certainement pas de continuateurs ad infinitum d’ordinaires litanies du marxisme plus ou moins léniniste, de l’anarchisme et de l’ultragauche. Mais la reprise ou la continuation de ce qu’on est convenu d’appeler “programmatisme” est devenue manifestement un archaïsme qui devient tous les jours de plus en plus obsolète : l’affirmation d’une identité prolétaire méconnue est en train de perdre tout fondement. D’un côté, le prolétariat actuel manifeste son excentricité par rapport au travail productif de plus-value dans le sens restreint (tertiarisation d’une partie du prolétariat, salarisation de la petite bourgeoisie, immense armée de réserve), de l’autre il vit le déclin de l’identité prolétaire qui est la conséquence de ses défaites antérieures (restructuration = contrerévolution) ; son milieu, aujourd’hui plus que jamais, n’est donc pas celui d’une contradiction simple entre deux hégémonies, entre deux formes de gestion etc., mais celui d’une contradiction complexe, dont la dissolution implique la suppression de ses deux pôles en même temps. La prolétarisation qui aujourd’hui se manifeste dans la société capitaliste sur l’onde longue de la crise/restructuration est très différente de celle connue dans les théories révolutionnaires du passé. Il semblerait que les prolétaires d’aujourd’hui n’arrivent à affirmer aucune identité sinon celle de “capital variable” (« en dehors du rapport salarial, nous ne sommes rien »), et tous ceux qui essaient de leur donner cette identité prolétaire de l’extérieur ils échouent invariablement; d’autre part, elle ne semble pas du tout être leur propriété secrète. Toute tentative de définir l’identité du prolétariat actuel finissent par se graver dans son passé, dans une prétendue essence préexistante et définitive, plus ou moins latente.

La suite dans la revue SIC n°2

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