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Théorie Communiste N° 22 est sorti!

image15– Communiqué “Guadeloupe”
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– L’éditorial

Dans l’article ci-dessous……



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Communiqué “Guadeloupe”

Ce numéro de Théorie Communiste était bouclé, corrigé, maquetté et presque en route chez l’imprimeur quand, il y a un mois, les luttes de la classe ouvrière en Guadeloupe ont pris de l’ampleur. Il ne s’agit pas ici de bricoler vite fait une analyse de ce qu’il se passe en Guadeloupe.  Les événements qui s’y déroulent sont d’une importance cruciale et signifient un point essentiel du cycle de luttes actuel.  La lutte revendicative telle qu’elle se déroule confirme et enrichit tout ce que l’on pouvait dire plus ou moins abstraitement dans le texte de ce numéro intitulé “Revendiquer pour le salaire”. Les développements actuels de cette lutte revendicative après avoir mis en scène des accommodements plus moins alternatifs de la survie s’orientent maintenant vers la remise en cause de ce qui définit la classe ouvrière comme telle. Les clivages au sein de la population, au sein des organisations dans la lutte, entre les dynamiques que la lutte elle-même a créé et son propre point de départ, apparaissent. C’est-à-dire que cette lutte est en passe de devenir paradigmatique de ce que nous entendons par la “création d’écart au sein de l’action en tant que classe”. Dans la lutte revendicative elle-même, dans revendiquer pour le salaire, dans l’action en tant que classe, c’est la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe qui est en jeu.

Nous ne lancerons à la dernière minute aucune analyse improvisée du cours même des événements; aucune proclamation incendiaire de solidarité du prolétariat international, aucun appel à faire ceci ou cela. Nous ne pouvons que renvoyer dans le présent n° de Théorie Communiste au texte “Revendiquer pour le salaire” et aux développements de la théorie de l’écart (TC 20) qui se trouve dans divers textes de ce numéro. L’écart en Guadeloupe, nous y sommes, on sentait venir depuis un moment que la revendication, la représentation ouvrière et unanimiste ne tenaient plus la route. Ici, nous avons tout, l’action en tant que classe, la revendication salariale, les tentatives diverses d’aménagement de la vie quotidienne qui ne mènent à rien, mais aussi l’impasse de la lutte revendicative, son absence de sens pour la reproduction même des rapports sociaux capitalistes et le rejet de l’action revendicative, de leur propre représentation de la part des prolétaires

(A suivre)

Théorie Communiste

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Extraits de l’éditorial, parfaitement arbitraires, relevés au fil de la lecture.

L’édito in extenso est un peu plus bas sur la page

…La situation à l’issue de la restructuration est telle que l’affirmation du prolétariat en vue de libérer le travail productif perd tout sens et tout contenu. Il n’existe plus d’identité ouvrière propre face au capital et confirmée par lui. Maintenant, l’existence sociale du prolétariat est, et reste, face à lui comme étant le capital même. …

…L’abolition du capital, c’est-à-dire la révolution et la production du communisme, est immédiatement abolition des classes et donc du prolétariat, dans la communisation de la société qui est ainsi abolie comme communauté séparée de ses membres…

…Ce procès de la révolution est communisation, production du communisme sans transition autre que la révolution elle-même. Il n’y a pas d’étape entre la révolution et le communisme : ni socialisme, ni une quelconque forme de pouvoir ouvrier ou de gestion ouvrière…

…En Russie très vite, dans le procès même de la gestion ouvrière et du développement des soviets, il se créa une nouvelle classe exploiteuse à partir des structures révolutionnaires, parce que la bourgeoisie avait été chassée, mais le travail productif était toujours à développer. Ce fut la contre-révolution adéquate à la révolution programmatique, pas moins sanglante ou moins barbare qu’une contre-révolution plus visiblement bourgeoise. C’est à cause de la nature de cette contre-révolution que l’ultra-gauche a été incapable de voir que ce qu’elle appelait « capitalisme d’Etat » était quand même vraiment le socialisme. Car cette contre-révolution spécifique planifia l’échange et ne rétablit pas la propriété privée, elle résolut le problème de l’impossibilité de l’auto-exploitation ouvrière en inventant l’exploitation par l’Etat ouvrier et sa classe dominante entrouverte à la promotion ouvrière, le Parti. C’est ce type absolument spécifique de développement capitaliste qui expliquait l’attachement que lui manifestait une grande partie de la classe ouvrière des pays du capitalisme bourgeois classique. Cette forme « programmatique » (on aurait pu dire « travailliste » – en anglais « labourist » – s’il n’y avait eu préemption du Labour party) de la lutte de classe est maintenant globalement dépassée (ainsi que sa contre-révolution) et l’horizon est totalement et simplement capitaliste. Le « socialisme réel » (qui était réellement le socialisme, c’est-à-dire l’économie capitaliste étatisée à idéologie ouvrière et à marché du travail non-libre) s’est effondré dans la restructuration de la subsomption réelle où elle n’avait plus sa place. Il apparaissait que la subsomption réelle était directement antagonique à sa péréquation à priori du taux de profit – constamment problématique – et à son non-marché du travail. Le socialisme s’étant tout de même articulé au capitalisme libéral mondial, la restructuration mondiale l’a liquidé, sa disparition fut si soudaine qu’elle donna l’impression hallucinante qu’il s’était évaporé aux soleils de Tchernobyl et de l’Afghanistan pour se perdre dans les ténèbres insondables de la « guerre des étoiles » de Reagan…

…La crise révolutionnaire ne sera pas un vaste « mouvement social », le pouvoir ouvrier ou l’autogestion n’y auront aucun sens…

… Si l’autogestion implique la reproduction de ce qui est autogéré, en revanche l’emparement est le processus de la lutte révolutionnaire et n’a que celui-ci pour critère et raison d’être. L’autogestion ne se dépassera pas en communisation. Il n’existe pas de dynamique des formes de luttes, mais un sujet qui se transforme en engageant un processus de rupture, de négation de son ancienne situation. Immédiatement, l’autogestion ne trouve pas sa place dans une crise révolutionnaire….

… La communisation est lutte des prolétaires pour leur unité dans la lutte, lutte dans laquelle ils cessent d’être des prolétaires car les mesures mêmes qui assurent leur unité (abolition de l’échange, de la valeur, de la propriété, etc.) sont la dissolution de leur existence comme classe. La communisation n’est pas la réappropriation des capitaux par leurs prolétaires ni de l’ensemble des moyens de production par l’ensemble de la classe, les prolétaires ne se réapproprient rien. Les moyens de prodution sont décapitalisés radicalement, ils ne sont plus propriété, ils sont désobjectivés comme capital, comme réification de rapports sociaux, ils sont ramenés à leur éventuelle utilisation pour la lutte comme moyen de vie et/ou d’extension de la décapitalisation.

La communisation est révolution dans la révolution…

…La théorie de la communisation, dans sa liaison avec les luttes de classe, produit l’eau dans laquelle elle nage, … Le devenir social du concept-clé de notre théorie, la communisation, est notre affaire…

…L’élaboration poursuivie de la perspective communisatrice implique qu’elle intègre maintenant la nécessité de devenir incontournable parmi toutes sortes de partisans d’une révolution, voire même, comme disent modestement les démocrates radicaux, d’une « transformation sociale ». Le programme ouvrier révolutionnaire n’existe plus, le démocratisme radical aura été sa disparition et ce qui en subsiste comme forme politique (sous – politicienne) de la limite des luttes. Dans ce cycle, l’articulation avec les luttes immédiates doit donc être pensée à partir des éléments suivants :

*  La théorie comme élément réel des luttes.

* Le caractère théoricien des luttes.

* La formation d’écarts dans le caractère de classe des luttes, c’est-à-dire dans leur limite, identique à leur nature même d’être de classe.

*  La production du dépassement sur l’ensemble du cycle, ayant débuté dès les années 70.

* Le dépassement comme non-transcroissance des luttes nécessitant une rupture.

* La crise économique comme crise du rapport d’exploitation, comme crise de la reproduction des classes.

* L’apparition d’un courant théorique communisateur. L’élément synthétique peut être l’existence de ce courant communisateur.

L’édito complet

Edito TC 22
La perspective communisatrice

Maintenant, la contradiciton entre le prolétariat et le capital dans le capitalisme restucturé et le nouveau cycle de luttes autorisent de concevoir que l’activité du prolétariat puisse annoncer la négation de sa propre existence comme classe. L’action de classe peut être autre que programmatique, elle ne fonctionne plus sur l’alternative absolue entre programmatisme et révolution, luttes immédiates ou révolution. Nous avons maintenant la maturation d’un cycle de luttes où l’identité entre la contradiction entre prolétariat et capital et la contradiction du prolétariat à sa propre existence comme classe annonce la révolution comme communisation.

La perspective communisatrice est l’articulation concrète du caractère théoricien des luttes et de la production théorique au sens restreint, elle ne se confond ni vec l’une, ni avec l’autre.

Le concept de communisation, apparu au début des années 1970, dans la crise du programmatisme, exprimait alors le rapport entre luttes immédiates et révolution comme un rapport négatif. Il désignait l’hiatus entre la révolution comme abolition de toutes les classes, « autonégation du prolétariat », disions-nous, et les luttes immédiates. Ces dernières n’étaient pas « méprisées », mais, de leurs impasses et de la succession de leurs échecs, devait naître la nécessité de « faire autre chose ». Elles étaient un processus de « maturation négative » D’échecs en échecs jusqu’à l’aurore. L’élaboration de la théorie de la communisation s’est faite au cours de l’entrée en crise du mode de production capitaliste à la fin des années 60 et du commencement du procès de restructuration contre-révolutionnaire du capital à partir du début des années 70. En tant qu’élaboration théorique, elle est le dépassement de la contradiction dans laquelle était enfermée l’Ultra-gauche qui critiquait les formes de l’affirmation et de la montée en puissance du prolétariat (parti de masse, syndicat, parlementarisme) tout en conservant la révolution comme affirmation de la classe. Elle est également le dépassement de l’impasse de l’autonomie ouvrière. La critique partielle et formelle faite par l’Ultra-gauche prônant encore l’affirmation directe par les conseils ouvriers se radicalise alors en théorie de l’autonégation d’un prolétariat toujours vu théoriquement comme révolutionnaire par nature, distingué de la classe ouvrière réelle aliénée, qui ne pouvait être vue que défendant le travail salarié. La critique de cette conception d’une contradiction prolétariat / classe ouvrière a débouché – la restructuration se poursuivant et l’identité ouvrière disparaissant – sur l’abandon de l’idée d’une nature révolutionnaire du prolétariat, même cachée sous la classe ouvrière. La contradiction prolétariat / classe ouvrière avait été une façon transitoire de sortir de l’impossibilité de l’affirmation de la classe, cette pure lutte de concepts supposait que la nature du prolétariat ne pouvait se manifester qu’en détruisant toutes les formes d’existence de la classe dans la société capitaliste, classe qui pouvait même être appelée simplement « capital variable ».

La situation à l’issue de la restructuration est telle que l’affirmation du prolétariat en vue de libérer le travail productif perd tout sens et tout contenu. Il n’existe plus d’identité ouvrière propre face au capital et confirmée par lui. Maintenant, l’existence sociale du prolétariat est, et reste, face à lui comme étant le capital même. La lutte du prolétariat contre le capital contient la contradiction à sa propre nature d’être une classe du capital.

« Nous parlons de certains aspects du mouvement social argentin qui, à partir de la défense de la condition prolétarienne et dans cette défense, sont allés jusqu’à sa remise en cause ; des luttes « suicidaires » ; de l’extériorité par rapport aux luttes de Kabylie de leur auto-organisation dans les aarchs ; des pratiques des « sauvageons » dans les entreprises ; des collectifs ; de la faillite de l’autonomie ; des chômeurs revendiquant l’inessentialisation du travail ; de toutes les pratiques dans les luttes qui produisent l’unité de la classe comme une unité extérieure et une contrainte objective ; du Mouvement d’action directe ; de l’insatisfaction contre elle que contient l’auto-organisation telle qu’elle existe réellement en ce qu’elle ne s’oppose au capital qu’en entérinant l’existence du prolétariat comme classe du mode de production capitaliste. Mettre le chômage et la précarité au coeur du rapport salarial ; définir le clandestin comme la situation générale de la force de travail ; poser – comme dans la Mouvement d’action directe – l’immédiateté sociale de l’individu comme le fondement, déjà existant, de l’opposition au capital ; mener des luttes suicidaires comme celle de Cellatex et d’autres du printemps et de l’été 2000 (Metaleurop – avec des réserves – , Adelshoffen, la Société Française Industrielle de Contrôle et d’Equipements, Bertrand Faure, Mossley, Bata, Moulinex, Daewoo-Orion, ACT – ex Bull ) ; renvoyer l’unité de la classe à une objectivité constituée dans le capital, sont pour chacune de ces luttes particulières des contenus qui construisent la dynamique de ce cycle à l’intérieur et dans le cours de ces luttes. Dans la plupart des luttes actuelles apparaît la dynamique révolutionnaire de ce cycle de luttes qui consiste à produire sa propre existence comme classe dans le capital donc se remettre en cause comme classe (plus de rapport à soi), cette dynamique a sa limite intrinsèque dans ce qui la définit elle-même comme dynamique : agir en tant que classe. Nous sommes théoriquement les guetteurs et les promoteurs de cet écart qui à l’intérieur de la lutte du prolétariat est sa propre remise en cause et, pratiquement, les acteurs lorsque nous y sommes directement engagés. » (TC 20)

Quand dans les luttes apparaît que, pour le prolétariat, sa propre exitence en tant que classe devient une contrainte extérieure, la propre limite de sa lutte en tant que classe, apparaît ce que nous nommons un écart dans l’activité du prolétariat en tant que classe (cf. TC 20) et le caractère théoricien des luttes devenant la saisie autocritique d’elles-mêmes. Les écarts qui se manifestent à l’intérieur même de l’action du prolétariat en tant que classe et qui font de celle-ci la limite même de la lutte de classe entraîne que le caractère théoricien des luttes est maintenant une saisie autocritique d’elles-mêmes, il devient lui-même une abstraction critique. Au travers d’activités changeantes, émeutes, grèves sans revendications dans les années 70, activités d’écart et émeutes encore, des années 90 et 2000, les luttes montrent aussi le refus actif – contre le capital – de la condition prolétarienne, y compris au sein de l’auto-organisation ou de manifestations éphémères et limitées d’autogestion.

Dans la révolution comme communisation, le communisme est produit contre le capital, tout simplement parce qu’il est consciemment nécessaire pour la lutte contre l’exploitation et contre la crise même de l’exploitation, c’est-à-dire crise de l’implication réciproque entre les classes. Toute affirmation d’une nature révolutionnaire du prolétariat, même sous la forme de l’affirmation d’une pure négativité, est dépassée quand la révolution comme production du communisme est le moyen même de la destruction du capital, et de l’abolition des classes. Production dans laquelle aucune nature du prolétariat ne s’exprime, dans laquelle la critique cohérente du capital, c’est-à-dire incluant son procès historique, est actuellement l’affirmation de la perspective communisatrice.

L’abolition du capital, c’est-à-dire la révolution et la production du communisme, est immédiatement abolition des classes et donc du prolétariat, dans la communisation de la société qui est ainsi abolie comme communauté séparée de ses membres. La société est toujours la communauté séparée de ses membres, toujours société de classes incarnée par la classe dominante. L’abolition de la classe dominante, la classe du capital, est abolition de l’Etat et de la société qu’il représente en tant qu’Etat du capital. Les prolétaires abolissent le capital en produisant contre lui une communauté immédiate à ses membres, ils se transforment en individus immédiatement sociaux. Relations entre individus singuliers et groupes affinitaires qui ne sont plus chacun l’incarnation d’une catégorie sociale, y compris les catégories supposées naturelles mais données par la société comme les sexes sociaux de femme et d’homme.

Ce procès de la révolution est communisation, production du communisme sans transition autre que la révolution elle-même. Il n’y a pas d’étape entre la révolution et le communisme : ni socialisme, ni une quelconque forme de pouvoir ouvrier ou de gestion ouvrière. Dans la restructuration du rapport de classes qui a eu lieu, le prolétariat n’oppose plus au capital la positivité que le capital lui confirmait : être la classe du travail productif. La situation actuelle du rapport de classe est le produit de l’ensemble du procès historique du capital : comme exploitation, comme mode de production, comme économie, comme société capitaliste, comme Etat, c’est-à-dire comme contradiction permanente (l’exploitation), irréductible et s’approfondissant, entre la classe capitaliste et le prolétariat. Dans les cycles de luttes antérieurs, avec la perspective de sa propre affirmation et de la libération du travail, le prolétariat, en implication réciproque avec le capital, produisait le dépassement communiste de manière adéquate au contenu de sa contradiction avec le capital. Cette révolution – bien qu’impossible dans ses propres termes – était le dépassement réel, dont l’impossibilité n’existe comme évidente que du point de vue du dépassement que la contradiction de classe produit maintenant. Le prolétariat projetait son affirmation en programmant une étape historique de développement libre de la productivité et donc de la caducité de la valeur. Cette étape transitoire au communisme était l’intégration nécessaire par le prolétariat du devenir, sous son contrôle, de l’arc historique du capital. Cette période pouvait être conçue comme Etat ouvrier (par les marxistes) ou comme gestion communale ou syndicale (par les anarchistes), cela ne changeait rien à l’essentiel. L’impossibilité de cette intégration de l’arc du capital, était l’impossibilité de l’auto-exploitation car l’exploitation est toujours le rapport de classes distinctes.

En Russie très vite, dans le procès même de la gestion ouvrière et du développement des soviets, il se créa une nouvelle classe exploiteuse à partir des structures révolutionnaires, parce que la bourgeoisie avait été chassée, mais le travail productif était toujours à développer. Ce fut la contre-révolution adéquate à la révolution programmatique, pas moins sanglante ou moins barbare qu’une contre-révolution plus visiblement bourgeoise. C’est à cause de la nature de cette contre-révolution que l’ultra-gauche a été incapable de voir que ce qu’elle appelait « capitalisme d’Etat » était quand même vraiment le socialisme. Car cette contre-révolution spécifique planifia l’échange et ne rétablit pas la propriété privée, elle résolut le problème de l’impossibilité de l’auto-exploitation ouvrière en inventant l’exploitation par l’Etat ouvrier et sa classe dominante entrouverte à la promotion ouvrière, le Parti. C’est ce type absolument spécifique de développement capitaliste qui expliquait l’attachement que lui manifestait une grande partie de la classe ouvrière des pays du capitalisme bourgeois classique. Cette forme « programmatique » (on aurait pu dire « travailliste » – en anglais « labourist » – s’il n’y avait eu préemption du Labour party) de la lutte de classe est maintenant globalement dépassée (ainsi que sa contre-révolution) et l’horizon est totalement et simplement capitaliste. Le « socialisme réel » (qui était réellement le socialisme, c’est-à-dire l’économie capitaliste étatisée à idéologie ouvrière et à marché du travail non-libre) s’est effondré dans la restructuration de la subsomption réelle où elle n’avait plus sa place. Il apparaissait que la subsomption réelle était directement antagonique à sa péréquation à priori du taux de profit – constamment problématique – et à son non-marché du travail. Le socialisme s’étant tout de même articulé au capitalisme libéral mondial, la restructuration mondiale l’a liquidé, sa disparition fut si soudaine qu’elle donna l’impression hallucinante qu’il s’était évaporé aux soleils de Tchernobyl et de l’Afghanistan pour se perdre dans les ténèbres insondables de la « guerre des étoiles » de Reagan.

Avec cette disparition et celle concomitante du mouvement ouvrier, il n’est plus d’économie et de société que capitalistes. Dans cette éternisation du capital, le Démocratisme Radical a, à la fois, enterré et suppléé au programmatisme en renvoyant aux luttes de classe leur propre limite : sa propre existence comme classe est, pour le prolétariat, la limite à dépasser de sa lutte en tant que classe. Le démocratisme radical est alors la construction pour elles-mêmes des limites réelles des luttes comme corpus de revendications et de « solutions » au problèmes du capital : exigence de l’adéquation du capital à cette idéologie qui prône la démocratie et l’égalité sociale, démocratie totale, économie solidaire et développement durable. Le démocratisme radical a sans doute connu son apogée dans les années 1995 à 2003, il constitue néanmoins un obstacle que les luttes auront à bousculer, même si la crise actuelle peut le revivifier sous une forme plus ouvrière. La caractéristique actuelle de la contradiction de classe qui est de ne pas permettre l’existence d’un « au-delà » (socialiste) du capital dans le présent du capital, pose à la fois son éternisation et la détermination de son abolition.

La révolution n’est plus le prolongement du caractère revendicatif des luttes de classe. Le contenu propre de l’activité révolutionnaire, l’abolition de toutes les classes, ne peut apparaître que dans le dépassement des luttes revendicatives et, du syndicalisme à l’auto-organisation, de toutes les formes qu’elles auront produites. La crise révolutionnaire ne sera pas un vaste « mouvement social », le pouvoir ouvrier ou l’autogestion n’y auront aucun sens. Toutes ces visions d’extension de l’autogestion remise à l’honneur à la suite de la crise argentine oublie que l’économie continuait à fonctionner, les ouvriers de Zanon vendaient des carreaux de céramiques à l’Hôtel Bauen qui louait ses chambres aux touristes plus ou moins sociaux arrivés par l’aéroport encore en fonction, tout en étant un lieu de rencontre du « mouvement social ». Si l’autogestion implique la reproduction de ce qui est autogéré, en revanche l’emparement est le processus de la lutte révolutionnaire et n’a que celui-ci pour critère et raison d’être. L’autogestion ne se dépassera pas en communisation. Il n’existe pas de dynamique des formes de luttes, mais un sujet qui se transforme en engageant un processus de rupture, de négation de son ancienne situation. Immédiatement, l’autogestion ne touve pas sa place dans une crise révolutionnaire.

L’expansion conflictuelle, dans et contre le capital, des emparements d’éléments de tous ordres de la société capitaliste, n’est pas un développement de l’autogestion car celle-ci se contredit elle-même, comme autogestion, par le développement en son sein d’un dépassement de l’échange, par la gratuité et l’unification, dans la lutte, des éléments saisis. Dans la crise du rapport d’exploitation, la prise en main, pour leur valeur d’usage, d’unités de production ou d’autres unités dont les services sont immédiatement nécessaires (santé, communication, transports, énergie…) s’impose comme une nécessité de survie immédiate. La gratuité n’est pas une autre forme, face à l’échange, de mise en rapport de tout ce dont on s’empare, elle unifie comme un processus continu la production et la reproduction de tous les rapports que les individus entretiennent et qui les définissent. Il se constitue une communauté de prolétaires qui ne veulent plus l’être et qui se transforment par la lutte en individus singuliers immédiatement sociaux. L’autogestion, l’auto-organisation, sont dépassées en communisation qui refuse toute stabilisation qui serait une forme de ré-étatisation et d’économie de crise potentiellement contre-révolutionnaire. Ce dépassement est lutte interne simultanée à la lutte contre la société capitaliste. La communisation est lutte des prolétaires pour leur unité dans la lutte, lutte dans laquelle ils cessent d’être des prolétaires car les mesures mêmes qui assurent leur unité (abolition de l’échange, de la valeur, de la propriété, etc.) sont la dissolution de leur existence comme classe. La communisation n’est pas la réappropriation des capitaux par leurs prolétaires ni de l’ensemble des moyens de production par l’ensemble de la classe, les prolétaires ne se réapproprient rien. Les moyens de prodution sont décapitalisés radicalement, ils ne sont plus propriété, ils sont désobjectivés comme capital, comme réification de rapports sociaux, ils sont ramenés à leur éventuelle utilisation pour la lutte comme moyen de vie et/ou d’extension de la décapitalisation.

La communisation est révolution dans la révolution.

Si agir en tant que classe est devenu la limite même de l’action de classe, le caractère théoricien des luttes est devenu leur saisie autocritique d’elles mêmes. Les luttes immédiates, pratiquement et dans leur propre discours, produisent sans cesse, à l’intérieur d’elles-mêmes, une distance interne. Cette distance, c’est la perspective communisatrice comme articulation théorique concrète, objective, du caractère théoricien des luttes et de la théorie dans son sens restreint. Si le caractère théoricien des luttes tend à devenir lui-même une abstraction critique, la théorie au sens restreint est alors, inversement, minée dans sa définition même.

La théorie de la communisation, dans sa liaison avec les luttes de classe, produit l’eau dans laquelle elle nage, c’est le devenir banal de cette théorie qui est déjà un élément réel des luttes, qui lui permettra d’être, de plus en plus, la théorie critique de luttes de plus en plus théoriciennes. La diffusion du concept de communisation sera l’unification des deux formes de la théorie et leur permettra d’avoir une langue commune. Cette diffusion permettra des polémiques et fera émerger, dans les luttes, une expression possible de la perspective de dépassement qui ne sera pas, comme c’est souvent le cas maintenant, un implicite à décrypter.

Il y a tout un travail à faire autour de l’affirmation d’une théorie révolutionnaire, de sa diffusion, de la constitution de noyaux plus ou moins stables sur cette base et de leurs activités. Au terme « intervention », il faut préférer la description de l’activité de partisans de la communisation, engagés dans des luttes de classe avec les conflits et les écarts qui les traversent. Le devenir social du concept-clé de notre théorie, la communisation, est notre affaire.

La question de l’intervention ne se pose qu’à partir du moment où l’on a fait de la diversité des activités une abstraction : la pratique comme abstraction. La question de l’intervention transforme ce que l’on fait dans telle ou telle lutte (ou ce que l’on ne peut pas faire), c’est-à-dire des pratiques toujours particulières en une abstraction de la pratique construisant le dilemme intervention / attentisme. Cette abstraction est quelque chose de bien tangible qui se construit par des activités et des attitudes empiriquement constatables : la « veille pratique » ; la capacité à « choisir » entre les luttes ; la « partie de la société au-dessus de la société » ; le « tout me concerne » ; l’évanouissement de la reproduction du capital dans la lutte des classes, conservé comme cadre mais non comme définition des acteurs ; la question de la stratégie et la révolution comme but à atteindre ; la décision de l’individu comme point de départ méthodologique et non l’existence d’un processus contradictoire ou d’un écart que des activités expriment ; le saut par dessus la reproduction du capital au nom d’une situation jugée comme fondamentalement commune. L’essentiel de la critique de la question de l’intervention réside dans l’abstraction de la pratique et l’objectivation de la lutte des classes qui se répondent réciproquement (par là, son ennemi, « l’attentisme », n’est que le sien). La « Pratique » acquiert en tant que telle, en tant qu’entité, un sens face à son complément, tout aussi abstrait, la lutte de classe comme situation. Les pratiques particulières en tant que telles ne sont plus que des manifestations occasionnelles de la pratique comme abstraction dans le dilemme entre Pratique et Attentisme. C’est là le fondement même de la question de l’intervention, c’est-à-dire de l’intervention comme question.

La perspective communisatrice existe comme moyen d’auto-compréhension du mouvement de dépassement de la lutte revendicative, de son illégitimité vis-à-vis de la reproduction du capital. Cette perspective est un renforcement des activités qui annoncent le dépassement, entre autres, dans la critique de l’auto-organisation et de l’autogestion de l’économie par les travailleurs. C’est dans cette situation qu’existe un champ d’expansion épidémique du concept de communisation. Le terme de communisation a même pu être considéré comme plus clair qu’anarchosyndicalisme, sans voir d’opposition entre eux. Cette perspective qui systématise le contenu des écarts dans la limite des luttes, c’est-à-dire dans le fait d’agir en tant que classe, est en polémique avec les anarchistes de gauche et les partisans immédiatistes du communisme. La théorie de la communisation à venir, comme dépassement de l’autodéfense des prolétaires contre le capital qui s’attaquent à leur reproduction immédiate, ne se présente pas comme solution, comme choix stratégique que les prolétaires devraient faire. Le terme peut fonctionner comme une étiquette politique, et on la collera à tous ceux qui parleront de communisation, ils seront des « communisateurs » comme on peut être trotskiste ou ultra-gauche, c’est ainsi et il faut « faire avec ».

L’élaboration poursuivie de la perspective communisatrice implique qu’elle intègre maintenant la nécessité de devenir incontournable parmi toutes sortes de partisans d’une révolution, voire même, comme disent modestement les démocrates radicaux, d’une « transformation sociale ». Le programme ouvrier révolutionnaire n’existe plus, le démocratisme radical aura été sa disparition et ce qui en subsiste comme forme politique (sous – politicienne) de la limite des luttes. Dans ce cycle, l’articulation avec les luttes immédiates doit donc être pensée à partir des éléments suivants :

*  La théorie comme élément réel des luttes.

* Le caractère théoricien des luttes.

* La formation d’écarts dans le caractère de classe des luttes, c’est-à-dire dans leur limite, identique à leur nature même d’être de classe.

*  La production du dépassement sur l’ensemble du cycle, ayant débuté dès les années 70.

* Le dépassement comme non-transcroissance des luttes nécessitant une rupture.

* La crise économique comme crise du rapport d’exploitation, comme crise de la reproduction des classes.

* L’apparition d’un courant théorique communisateur. L’élément synthétique peut être l’existence de ce courant communisateur.

Sans doute peut-on articuler l’action des partisans de la communisation avec l’apparition d’écarts, sans les considérer du tout comme des déclencheurs mais plutôt comme des « dénicheurs » et des promoteurs. La situation implique la formation d’écarts dans les luttes : les « communisateurs » ont par nature des atomes crochus avec ces potentialités.

On ne peut pas penser que la communisation se fasse sans qu’elle se nomme. Le devenir hégémonique du concept n’est en aucune façon une condition à la communisation, dont la détermination est la crise révolutionnaire du rapport d’exploitation. Cependant, le procès de dépassement communisateur aura vu le concept se répandre, dans la conflictualité au sein des luttes au sein de l’auto-organisation. Dès maintenant, il y a une bagarre entre ce que le courant communisateur avance et les restes fossilisés de l’ultra-gauche conseillo-bordiguiste. Certes, ces restes sont insignifiants mais il y a aussi, sinon bagarre, du moins polémique avec un courant immédiatiste-alternativiste qui est bien moins négligeable. L’hégémonie du concept passe maintenant par l’analyse autocritique des luttes en cours et non par la critique déjà dépassée du programme.

Cette bagarre et cette polémique ne cherchent pas à populariser le concept, qui porte sur le sens des luttes, sur le sens du cours du capital, sur le débouché des luttes, mais elles le diffusent et ce concept peut être intégré par bien des schémas a priori de révolution. Il peut être synonyme de collectivisation, d’autogestion (si, si, on l’a vu !). Il peut être synonyme de constitution de l’unité des prolétaires en lutte. Les prolétaires en lutte créent entre eux des rapports dont la médiation est la lutte contre la médiation, le capital, la désignation de cette unité dans la lutte comme communisation signifie, pour ceux qui l’utilisent, qu’ils font le lien direct entre les luttes actuelles et la révolution, ce qui est essentiel. Mais ce lien est ici marqué d’immédiatisme, il autonomise la dynamique de la période[1], et en construit l’idéologie, qui débouche inévitablement sur un mode de vie alternatif, ce n’est pas le mode vie qui est à critiquer, c’est la posture interventionniste qui en découle. Les tendances plus ou moins immédiatistes auront tort jusqu’à ce qu’elles aient raison, mais alors ça se saura !

Le développement du concept, que le courant communisateur élabore en permanence, est aussi le développement d’un réseau de petits groupes et d’individualités qui n’est pas homogène et qui comprend des divergences, mais encore plus divergentes seront les réappropriations du concept au-delà de ce réseau. Les divergences, voire les contradictions, dans la compréhension du concept, désignant l’abolition positive du capital par les prolétaires s’autotransformant en individus immédiatement sociaux sont inévitables mais ne sont porteuses d’aucune possibilité de « fausse route » pour la communisation réelle, car le concept ne crée pas le mouvement : il est une auto-saisie nécessaire du mouvement. Le courant communisateur se développe en liaison (quelle qu’en soit la forme) avec les luttes, ses concepts sont utilisés pour intégrer ces luttes à une perspective, cette utilisation génère des divergences et des interprétations qui peuvent être, immédiatistes, alternativistes, idéologiques ou étonnamment productives !

Cette activité se situe dans le cours quotidien de la lutte de classes réellement, concrètement productif de son propre dépassement comme révolution communiste, il faut comprendre ces activités comme produites dans ce cours comme une de ses déterminations pratiques, comme un de ses éléments, et cela dans ses caractéristiques théoriques (au sens restreint) elles-mêmes. Cette production théorique n’existe pas en soi, en tant que corps constitué, face et précédant ce cours immédiat, c’est pourquoi la théorie doit être perçue comme élément réel des luttes et la perspective communisatrice comme l’articulation de la théorie au sens restreint qui est abstraction critique au caractère théoricien des luttes qui est leur propre saisie autocritique. Nous allons vers la lingua franca de la communisation

Attendons-nous à être surpris et dérangés par le succès de la communisation.

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