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“Temps, travail et domination sociale” de Moishe POSTONE

Un livre alléchant de 1993, traduit en français. Des
échos avec les théories de la communisation, mais jusqu’où ? A lire
pour y revenir. Commentaire du Monde des Livres :

” Si les mouvements sociaux des années 1960 puis l’effondrement du
bloc soviétique ont réveillé la créativité marxiste, celle-ci est aussi
plus académique, plus éclatée disciplinairement, et surtout moins
populaire.”[print_link]

Bien qu’il soit presque inconnu en France, Moishe Postone occupe une
place importante dans la nébuleuse internationale des marxismes
contemporains. Publié aux Etats-Unis en 1993, Temps, travail et
domination sociale constitue l’oeuvre maîtresse de ce professeur
d’histoire de l’université de Chicago. Il y propose une relecture
générale de Marx “à un niveau logique fondamental” : il s’agit de
comprendre avec les seuls concepts de valeur, travail et marchandise,
la succession des trois âges du capitalisme : libéral, post-libéral
(keynésien ou “socialiste réel”) et néolibéral.

L’auteur commence par une analyse dévastatrice du “marxisme
traditionnel”, qui critique le capitalisme “du point de vue du
travail”. Le “socialisme réellement existant” et les communismes
critiques auraient toujours défini la révolution comme libération des
forces productives et donc de la créativité des travailleurs. Même en
souhaitant l’appropriation étatique ou collective des moyens de
production, ces politiques ont défendu le productivisme et n’ont ainsi
affecté que le “mode de distribution” des produits, pas la relation
capitaliste de travail.

Postone, lui, vise à construire “une critique du travail sous le
capitalisme”. A partir d’une lecture fine des écrits de 1857-1858 comme
foyer irradiant l’oeuvre de Marx, il montre que l’idée d’un travail
libéré des inégalités et de l’aliénation ne peut pas servir d’appui
central à la critique sociale. Le travail comme objet d’échange
marchand est une création historique du capitalisme : sous ce rapport
de production, le travail que je fournis est mis en équivalence
monétaire avec toute autre activité d’une nature différente.

Ainsi, comme le travail n’est pas l’essence de l’homme mais une
institution historique, l’opposition au capitalisme ne saurait
s’appuyer sur la classe des travailleurs, même redéfinie
sociologiquement au fil des âges. Plus que la domination sociale d’une
classe sur une autre, la relation de travail produit en réalité une
domination impersonnelle de l’abstraction sur l’expérience concrète et
singulière. Cette logique profonde du capitalisme n’a pas changé de
structure en plusieurs siècles : il n’y a pas selon Postone de
spécificité historique du néolibéralisme.

Pour lui, le post-capitalisme passera par une nouvelle organisation
sociale de la production “fondée sur le fossé croissant entre les
possibilités “techniques” engendrées par le capitalisme”, d’un côté, et
leur usage exclusivement productiviste, de l’autre. En ce sens, ceux
qu’on appelle les “décroissants” et les mouvements de chômeurs
pourraient se réclamer de cette lecture de Marx. Une chose est certaine
: la théorie parfois aride de Postone doit être mise à l’épreuve des
formes de vie et de contestation actuelles. » Laurent Jean-Pierre

TEMPS, TRAVAIL ET DOMINATION SOCIALE (TIME, LABOR, AND SOCIAL
DOMINATION) de Moishe Postone. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par
Olivier Galtier et Luc Mercier. Fayard-Mille et une nuits, 616 p., 28 €.

Categories: Nouvelles du monde Tags:
  1. 07/05/2009 à 23:42 | #1

    “Merci pour cet article. La traduction de “Temps, travail et domination sociale” se faisait attendre et pour être en train de le lire, je peux vous dire que ce texte est plus qu’à la hauteur de nos espérances. Nul doute qu’il faille désormais compter Postone parmi les auteurs les plus influents en ce qui concerne la critique radicale du capitalisme. Pour plus d’info ou engager une discussion, rendez-vous sur “mon” blog : http://critiquedelavaleur.over-blog.com/

  2. BL
    14/05/2009 à 10:43 | #2

    Oui est c’est le cas depuis longtemps en anglophonie, sauf que là, ils ont depuis longtemps compris que Postone liquide le bébé proplétariat avec l’eau du bain du programme ouvrier et qu’à la fin il se retrouve avec un vague démocratisme radical avant la lettre des “nouveaux mouvements sociaux” et qu’il ne sait absolument plus quoi faire de ce prolétariat qui lui reste sur les bras.
    Tu as un site “critique de la valeur et j’irai le voir avec interêt mais justement le probléme ce n’est pas sa critique (nécessaiire) mais son abolition. Or cette abolition ne peut être que l’abolition du capital par ses exploités, les prolétaires. Cette abolition est ce que nous appelons “communisation”, c’est à dire l’emparement de tous les éléments de la société capitalistes pour les utiliser ou pas comme éléments des nouveaux rapports immédiats entre les individus formant une communauté qui ne les subsume plus (qui n’est ni Etat ni même société)
    La valeur n’est abolie comme commensuration des résultats des activités que par la production révolutionnaires d’activités qui ne cherchent plus à être mesurées: ce sont les activités des individus immédiatement sociaux en rapports strictement affinitaires.

  3. Patlotch
    15/05/2009 à 01:53 | #3

    Commencez -TC- plutôt, par vous interroger sur ce que vous nommez “individus”. RS l’avait noté, il n’a plus aucune sens, relativement à l’immétiateté sociale – qui ne serait pas sociétale, mais communautariste – THE communisme… ça nous fait une belle jambe

    Tant que vous produisez théoriquement (abstraitement) le “dépassement produit” du capital et des classes, vous êtes pertinent dans l’analyse, mais dès que vous tentez de projeter en pensée le dépassement communiste, vous devenez religieux. Ce qui ne manque pas de produire des effets en retour -que je qualifierais de désastreux- sur la validité théorique.

    A ce stade, y compris de la nécessité théorique dans l’affrontement de classe, une formule comme “les activités des individus immédiatement sociaux en rapports strictement affinitaires”, relève de la messe communisatrice.

    Comme dit PP qqpart, prolétaires, avant de vous métamorphoser (en quoi, that is the question) va vous falloir un peu plus d’imagination que “théorique” embarquée. Je me prends pas pour le pape. Mais les évêques…

  4. BL
    17/05/2009 à 15:12 | #4

    L’Homme, l’être humain est toujours individu et communauté, dans les sociétés c’est à dire dans la domination et l’exploitaion de classe, les individus singuliers n’ont pas d’existence sociale, cette existence est toujours celle de l’individu moyen membre d’une classe ou d’une sous-classe (couche) sociale, l’existence comme individu et comme communauté sont séparées et reliées de cette façon. L’individu immédiatement social est exactement le dépassement de ça, son activité ne se détache pas de lui dans un devenir social qui est DIRECTEMENT visé et non indirectement au travers de l’échange. C’est cela que signifient les “rapports strictement affinitaires” ce n’est pas de l’ordre de la communion mystique, de la fusion amorphe. L’activité de chacun est directement pour les autres dans le rapport affinitaire. Et ce dépassement est le contenu de l’activité pratique qu’est la révolution comme communisation: l

  5. A.D.
    17/05/2009 à 22:00 | #5

    Le temps des cerises…
    Je ne trouve pas les commentaires de B.L. empreints de religiosité, et même pas dans cette assertion autour de la stricte affinité et tout ça, mais ce que je trouve très amusant (eh,oui) et comme qui dirait à la lisière de la philosophie et du programme ouvrier, c’est cette volonté de projection, de projet et de prévoyance, toutes notions performatives et pro-grammatique en diable.
    Nous ne serons satisfaits que de ce que nous avons bricolé nous-mêmes, disait-il.
    Comment ne pas se douter que c’est de cela qu’il s’agit?
    Si la communisation peut être quelque chose, si nous la faisons advenir en fait, comment ne pas considérer que c’est dans son boulversement que s’organisera la vie sans classes. La communisation doit abolir l’économie et l’aliénation( deux temps imposés par l’exploitation et les classes de celle-ci), ce combat est immédiatemment celui de l’organisation du monde sans classes et la création de nouveaux modes de vie et de nouveaux besoins, qui veut faire des plans sur la comète et pourquoi?
    Qui fera quoi, comment fera-t-on pour produire et il faudra se taper des tâches très ingrates (tout dépend dans ce dernier cas de la position sociale occupée présentement, n’est-ce-pas?), cela c’est du programme et la partition pour libérer le travail, la problématique autour du questionnement sur qu’est-ce que l’individu? que de la mousse philosophante, pour savoir il va peut-être falloir effectuer ce saut, pratiquer l’écart, écarter les projets, produire une révolution.

  6. Patlotch
    22/05/2009 à 18:04 | #6

    Ce qui est problématique, comme résultat de ce “dépassement” (de son caractère de classe, aliéné, scindé, séparé…), comme l’ont admis de précédentes discussions, c’est l’expression, la formule ” Individu immédiatement social” (à voir encore la différence entre ce singulier et le pluriel “indvidus immédiatement sociaux”, qui est sans doute moins contradictoire dans les termes).

    L’expression est problématique doublement. En montant, de l’individu vers la communauté; et en descendant, de la communauté (le social ?) vers l’individu singulier. Autrement dit nous ne disposon pas là de la bonne dialectique de la partie et du tout, parce que nous reprenons les catégories anciennes.

    S’il y a dépassement (“produit”, de façon nécessaire et non suffisante par et dans la révolution comme abolition du capital et des classes, dite communisation), c’est vers un résultat de qualité différente, que les catégories d’individualité et de société, ou de socialité ne permettent pas de penser, car elles sont entièrement déterminées par ce qu’elles ont été historiquement, et sont encore dans les rapports sociaux capitalistes.

    Il est normal que la théorie de TC ne puisse dépasser cette limite conceptuelle, en raison de l’arc historique du capital auquel elle se borne pour penser l’être humain. Autrement dit, il y a bel et bien adéquation de la conservation de cette formule et de la théorie de TC, théorie de la révolution comme abolition du capital (et du prolétariat). Nous en avons senti les conséquences avec le texte sur le genre.

    Pour aller jusqu’au bout, c’est cet individu même dont l’abolition est désormais posée comme nécessaire, car il n’en est pas d’autre définition possible que celle que nous avons sous les yeux, dans sa singularité séparée. Je dirai d’une façon provocatrice que l’individu est une production de la société de classe.

    Je vois bien ce dont parle BL, mais c’est lui qui joue sur les mots, pas moi, dans cette affaire. Ce que je pointe, c’est le problème de cette formulation, et je soutiens qu’à la conserver telle qu’elle sans en rien dire de plus, on verse dans la mystique.

    La production d’un monde dépassant le capitalisme et les sociétés de classes nous confronte à une métamorphose du genre humain, incluant ses rapports en delà de leur dimension sociale – si l’on entend par là entre les êtres humains – sauf à demeurer dans une forme d’humanisme.

    Quant aux remarques d’AD, que dire en peu de mots. Mauvaise polémique et confusion que de faire dans cette discussion un procès en programmatisme. “Philosophant” : évidemment qu’on ne peut prévoir en “philosopher” dans le vide. Mais ce n’est pas d’utiliser le terme “théorie” qui lui donne une autre valeur que “philosophie”. Nous sommes bien d’accord : sous quelque nom que ce soit, la spéculation, l’abstraction sera à dépasser dans la vie en la transformant. Toute théorie est en tant que telle concernée par la 11ème thèse sur Feuerbach.

    Par conséquent, je persiste à considérer nécessaire de penser (philosopher ou théoriser, peu importe) la question de l’individualité au-delà du capital, et ceci dans des termes qui en posent la nécessaire révolution – ce que ne permet pas la formule en cause.

  7. A.D.
    23/05/2009 à 23:31 | #7

    “S’il y a dépassement (”produit”, de façon nécessaire et non suffisante par et dans la révolution comme abolition du capital et des classes, dite communisation), c’est vers un résultat de qualité différente, que les catégories d’individualité et de société, ou de socialité ne permettent pas de penser, car elles sont entièrement déterminées par ce qu’elles ont été historiquement, et sont encore dans les rapports sociaux capitalistes”…”.Je dirai d’une façon provocatrice que l’individu est une production de la société de classe”…”.Par conséquent, je persiste à considérer nécessaire de penser (philosopher ou théoriser, peu importe) la question de l’individualité au-delà du capital, et ceci dans des termes qui en posent la nécessaire révolution – ce que ne permet pas la formule en cause.”
    Penser la question de l’individualité, ce n’est pas : qui s’occupera de quoi, les tâches ingrates et le toutim. Cela peut être utile en effet de la façon dont tu l’exposes dans les paragraphes que je cite en tête. Je ne crois pas à une provocation pour le mode de production produisant l’individu, c’est même basique. J’en veux pour exemple la relation amoureuse, l’amour inventé et réinventé.
    Bien entendu “l’immédiateté sociale de l’individu” est une approximation contradictoire dans ses termes- ce n’est pas moi qui vais sortir le contraire, puisque je l’avais fait remarqué dans feu Meeting- ce que je persiste à penser c’est que seule une situation révolutionnaire peut accoucher d’un dépassement positif, justement c’est pour cette raison que nous n’avons guère les moyens de définir les modalités relationelles qui pourraient advenir. Mais, encore une fois : la question de l’individualité au-delà du mode de production se pose effectivement comme se pose celle de son révolutionnement, et qui sais? de sa communisation.
    Salut, BL, Patlotch et autres individuelles

  8. Jean-jacques
    24/05/2009 à 01:50 | #8

    “Nous en avons senti les conséquences avec le texte sur le genre.” Quel est donc ce texte ?

  9. pepe
    26/05/2009 à 08:31 | #9

    Il s’agit d’un “travail en cours” qui a circulé autour de la revue “Théorie Communiste”. il devrait être publié un de ces quatre… On vous préviendra ici quand il sera fini!

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