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La violence liée au trafic de drogues n’épargne pas les communautés indigènes les plus isolées

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Reportage chez les Tarahumara.
(Du Barrancas del Cobre) Tout au nord du Mexique, à 1420 mètres d’altitude, au cœur de la Sierra Madre occidentale, se trouve la zone de biodiversité la plus riche d’Amérique du Nord. Ces terres, rugueuses et inhospitalières, sont habitées par les Tarahumara, « les hommes aux pieds légers », depuis près de 2000 ans. Aujourd’hui, ce peuple pacifique est menacé par le narcotrafic qui menace l’essence même de sa culture et l’équilibre de son environnement.[print_link]

« La violence du narcotrafic est un serpent à mille têtes. Quand on lui en coupe une, cent repoussent », explique un indien Tarahumara, qui tient à garder sa vie et donc son anonymat. « N’allez pas croire que ma parole ne vaut rien, se défend-il, mais ce que je vais vous raconter pourrait me coûter la peau. »

Après un silence aussi lourd que son regard, l’Indien finit par parler :

« Ils viennent, tuent les arbres et après, on doit choisir : soit nous quittons nos terres, soit nous restons pour cultiver leur drogue. »

Le peuple tarahumara paie un lourd tribut pour la défense de sa forêt, qui concentre les secrets ancestraux de leur culture, de leur cosmogonie et de leur vie même. « On ne commercialise pas sa famille, on ne peut pas vendre ce qui appartient à la Terre Mère et au Dieu Père », s’indigne l’Indien, qui tire de la forêt l’essentiel de son alimentation et de ses plantes médicinales.

« La forêt est l’âme du feu », continue-t-il en regardant le bois se consumer dans l’âtre. C’est aussi celle de la musique : sans bois, plus de flûtes, violons ou tambours, éléments indispensables des rites et des danses traditionnelles.
Propriétaires hier, dominés aujourd’hui

L’invasion des bûcherons et des narcos sur des terres pourtant reconnues légalement comme propriété des Tarahumara en 1960 a placé ce peuple dans un rapport de domination. Ils sont passés du statut de propriétaires historiques de ces terres boisées à celui d’employés sous-payés d’une entreprise sans scrupules, que les Blancs et les Métis dirigent comme si ces forêts et ces indigènes leur appartenaient.

Quand les autorités locales sont questionnées sur le sujet, elles opposent mutisme et immobilisme. Cela fait plus de trente ans qu’un réseau de politiciens locaux corrompus et de trafiquants de drogue font leur business sur des contrats d’exploitation forestière obtenus frauduleusement. Ils ont aménagé plusieurs pistes d’atterrissage pour transporter à grande échelle des cargaisons de marijuana et d’opium, dont la demande, toujours plus grande, se trouve tout près : de l’autre coté de la frontière américaine.

Les terres tarahumara sont la proie du cartel de Sinaloa, commandé par El Chapo Guzmán, le narcotrafiquant le plus recherché. Il est traqué non seulement par le gouvernement mexicain, mais aussi par les Etats-Unis et Interpol. Il avait été capturé en 1993 et condamné à vingt ans de prison ferme, mais une fois derrière les barreaux, Guzmán a très vite repris les commandes. Il a su acheter les faveurs de la plupart des gardiens et même du directeur de la prison, qui veillait à ce qu’il ait un traitement exceptionnel.

El Chapo Guzmán au cœur des tueries

Au terme d’une « planification magistrale » et quelques jours avant son extradition aux Etats-Unis, El Chapo Guzmán s’est enfui, dissimulé dans la fourgonnette qui transportait le linge sale. Soixante dix-huit personnes auraient été impliquées dans l’évasion !

Depuis, Guzmán a non seulement repris le contrôle du cartel de Sinaloa, mais s’est aussi fixé l’objectif d’exterminer la concurrence, à savoir le cartel du Golf, le cartel de Juarez et celui de Tijuana, au prix d’une surenchère de mort et de chaos.

Dans cette guerre mexicaine du narcotrafic, des massacres d’une violence indicible sont monnaie courante, même dans les coins les plus inaccessibles du pays, tels les canyons de la Sierra Tarahumara.

En août dernier, le Mexique découvrait avec horreur la tuerie qui s’est déroulée en plein jour à Creel, petit village installé au sommet de la Sierra Madre. Quatre camionnettes de luxe sont arrivées de nulle part et ses occupants ont tiré sur une centaine de personnes. Le bilan : de nombreux blessés et 13 morts, dont plusieurs enfants et adolescents.

La version officielle parle d’un « règlement de comptes » entre narcos ; la vérité est que ce sont des innocents qui en ont payé les frais. « Des événements comme celui de Creel se répètent régulièrement partout dans la Sierra Tarahumara, mais la presse nationale n’en parle pas car elle est contrôlée », se plaint Ernesto Palencia, avocat et membre de l’ONG Alianza Sierra Madre.

Cet activiste au regard profond raconte le cas emblématique de Choreachi, petit village perché dans la forêt de la municipalité de Guadalupe y Calvo, au sud de Chihuahua. Cela fait 200 ans que la communauté indigène mène une lutte silencieuse pour préserver sa forêt, car comme beaucoup de Tarahumara, ils considèrent que leur mission est d’éviter à tout prix la destruction de ces terres, afin de préserver l’équilibre entre « le monde du haut et le monde du bas ».
Des procès arrangés à l’avance

« Ils ont été l’objet de fausses accusations et beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui en prison, dit l’avocat, les procès sont arrangés à l’avance, les Tarahumara ne bénéficient pas d’une défense ni d’un interprète qui parle leur langue. »

Autant de violations des droits de l’homme qui mettent les indiens dans une position de totale vulnérabilité, dans un contexte qui ne leur est déjà pas favorable.

Car au-delà de la lutte pour préserver leurs terres, leur culture et leur paix, les Tarahumara se battent pour leur propre survie. Ils doivent faire face à un climat toujours plus dur, avec des récoltes toujours plus maigres, dans une région où les sources d’emploi sont quasiment inexistantes, sans parler du manque de soins médicaux et d’éducation.

« La situation est bien plus complexe qu’on ne croit », juge Victor Martinez, anthropologue spécialisé dans la culture Tarahumara depuis plus de vingt ans. Il explique que si certains Indiens cultivent la drogue sur leurs terres, c’est pour ne pas mourir de faim, ou d’une balle dans la tête : « Pourriez-vous les condamner ? les juger ? »

Source: Rue89

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