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De manifestants écologistes à ‘extrémistes domestiques’

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Les manifestations légales sont de plus en plus surveillées par les autorités. Les participants sont photographiés et leurs informations personnelles stockées dans des bases de données de la police, révèle cette enquête du Guardian.
Il fut un temps où une manifestation paraissait plus un événement festif qu’une menace contre la sécurité nationale.
Il y a trois ans, près de 600 militants écologistes se sont rassemblés devant la centrale électrique de Drax, dans le nord du Yorkshire. Ils avaient choisi ce lieu car cette immense centrale représente la première source d’émissions de carbone au Royaume-Uni. L’essentiel des manifestants se composait de jeunes couples avec enfants, accompagnés de clowns, de cyclistes, de jongleurs et même, d’après certaines sources, d’une autruche géante en guise de mascotte.[print_link]

Il y avait bien eu quelques incidents. Deux manifestants avaient escaladé un lampadaire en bordure du site et quatre autres avaient réussi à passer l’enceinte de sécurité. En tout, une trentaine de participants avaient été arrêtés pour trouble à l’ordre public.

[Le lendemain], le journal The Guardian expliquait que l’affrontement annoncé entre les forces de police et les militants réclamant la fermeture de la centrale n’avait finalement pas eu lieu.

L’Angleterre est le théâtre de ce genre de manifestations depuis des dizaines d’années, mais les autorités policières n’ont visiblement pas eu la même vision des événements.

Après cette manifestation – première édition de ce qui allait devenir le rendez-vous annuel du Climate Camp [mouvement écologiste qui organise des campements temporaires dans des lieux symboliques] –, les forces de police locales ont longuement discuté avec des représentants du gouvernement. Selon les notes internes que le Guardian a réussi à se procurer, ce rassemblement constituait “la première manifestation d’un extrémisme domestique dirigé contre une infrastructure nationale sur le territoire national”.

Aujourd’hui, l’expression “extrémisme domestique” est passée dans le langage courant des services de police. Elle sert à désigner les forces qui cherchent à contrôler les manifestations. Elle a également justifié la collecte de photographies et d’informations personnelles concernant de nombreux manifestants dans les bases de données de la police.

La police affirme qu’elle ne fait que surveiller la minorité turbulente des manifestants qui peuvent causer des dégâts ou pénétrer dans des zones interdites au public et ainsi perturber le bon fonctionnement d’activités autorisées.

Les militants, eux, répondent qu’il ne s’agit que d’un prétexte pour surveiller l’ensemble des manifestants alors qu’ils exercent un droit légitime, en conformité avec les processus démocratiques.

Les manifestants mettent également en garde contre une catégorisation des groupes sociaux qui leur rappelle dangereusement l’époque de la guerre froide, quand les services de sécurité surveillaient les campagnes pour le désarmement nucléaire et le mouvement anti-apartheid, sous prétexte que certains éléments subversifs ou communistes se cachaient dans ces organisations légales.

L’expression “extrémisme domestique” a été forgée par les services de police chargés de lutter contre les comportements criminels de certains groupes de défense des droits des animaux, actifs entre 2001 et 2004. Bon nombre de ces militants étaient en effet prêts à recourir à la violence pour faire avancer leur cause.

La police a réussi à incarcérer bon nombre de militants des droits des animaux qui avaient commis des infractions. Toutefois, certains craignent aujourd’hui que l’appareil répressif créé pour lutter contre l'”extrémisme domestique” (mais qui a d’ores et déjà servi à combattre des criminels violents) ne se cherche à présent de nouvelles cibles pour justifier son budget et son existence.

Au cœur de ce dispositif se trouvent trois organisations peu connues du public. Toutes collaborent ensemble sous la direction d’Anton Setchell, coordinateur national de l’extrémisme domestique pour l’Association of Chief Police Officers (ACPO).

La colonne vertébrale de cette structure est la National Public Order Intelligence Unit (NPOIU), sorte de gigantesque base de données des associations et membres de groupes militants au Royaume-Uni.

Installée dans des bureaux tenus secrets, à Londres, cette unité a pour mission de “rassembler, évaluer, analyser et diffuser des renseignements sur les activités criminelles menées au Royaume-Uni, susceptibles de constituer une infraction ou une menace à l’ordre public en lien avec l’extrémisme domestique ou toute activité militante”.

Les forces de police d’Angleterre et du pays de Galles rassemblent des informations sur des individus et les transmettent à la NPOIU, qui est ensuite en mesure, à en croire Setchell, d’en “faire une lecture transversale” et de dresser des profils “cohérents”.

Setchell reconnaît qu’une “bonne partie” de ces informations proviennent des officiers spéciaux chargés de surveiller les manifestations et de prendre des photos.

La base de données de la NPOIU contient la description physique de certains individus ainsi que leurs surnoms et pseudonymes.

Setchell affirme qu’il existe de solides garde-fous pour protéger les droits des individus listés dans cette base de données. Il ajoute que, si certaines personnes présentant un casier judiciaire vierge peuvent se retrouver dans cette base de données, la police aurait toutefois à justifier de leur présence.

“Ce n’est pas parce que vous avez un casier judiciaire vierge que vous n’intéressez pas la police”, explique-t-il. “Tous les délinquants ont eu un casier judiciaire vierge avant d’être inscrits dans les fichiers de la police.”

Le deuxième partenaire du triumvirat de l’ACPO est la National Extremism Tactical Coordination Unit (NETCU), chargée d’assister les forces de police, les entreprises, les universités ou toute autre institution visée par une action militante.

La mission de la NETCU est de “jouer un rôle de conseil en matière de sécurité, évaluer les risques et informer afin de réduire au maximum les risques de perturbation et de garantir la sécurité des employés”. Le directeur, Steve Pearl, explique que ses seize unités travaillent en collaboration avec la police dans tout le pays, tiennent des fichiers détaillés sur les groupes militants (plutôt que sur les individus) et entretiennent des contacts avec des milliers d’entreprises du secteur aéronautique, de l’énergie, de la recherche, de l’agriculture et du commerce.

La NETCU a été fondée à Huntingdon, dans le Cambridgeshire, en 2004, par le ministère de l’Intérieur suite aux “nombreuses doléances présentées par de grands groupes – notamment pharmaceutiques et bancaires – qui se plaignaient de ne pouvoir poursuivre leurs activités normales en raison de comportements extrémistes et criminels de certains défenseurs des droits des animaux”.

Pearl dément toute extension de son mandat, mais reconnaît que les militants écologistes sont davantage “dans la ligne de mire” du fait que certains “ont provoqué la fermeture d’aéroports et de centrales électriques au charbon, ont récemment bloqué des trains de transport de charbon et ont détourné des livraison de charbon par train ou par bateau sur la rivière Medway”.

Enfin, dernier membre de ce trio policier, la National Domestic Extremism Team a été créée en 2005 et emploie des détectives chargés de prêter main-forte à la police sur tout le territoire britannique.

Originellement, cette unité se concentrait sur les militants des droits des animaux, mais aujourd’hui ses activités concernent toute infraction “liée à des actions ou campagnes à objectif ciblé”, explique Setchell.

courrierinternational.com

  1. Patlotch
    14/11/2009 à 01:55 | #1

    En quoi une manifestation qui se conçoit, se vit, se pratique comme “écologiste” relève-t-elle, explicitement ou pas, de la lutte de classes ? Comment pourrait-elle devenir autre chose, aujourd’hui, qu’une remise en cause de ce que produit le capital dans le rapport vital des êtres humains à la nature ? Sur quoi peut aujourd’hui déboucher une lutte “écologique”, d’autre qu’un capitalisme propre, des marchandises propres, des poubelles propres et triées gratos à la source par les célibataires mêmes du déchet collectif recyclé au prix fort, pour échanges propres dans des centres commerciaux propres sur fond de musique propre (au supermarché, ils vous refourguent même Billie Holiday en fond incitatif à l’achat, ces salopards, elle qui ne touchait pas un kopek sur les ventes de ses disques ! On imagine le préposé à l’ambiance d’Auchan âmâteur de djâzz…). Marchandises propres sauf pour ceux qui les fabriquent là où ils les fabriquent, à l’âge où ils les fabriquent, quand ils ne sont pas asservis à la jouissance des ministres de la culture, qui nous chient des romans nullicîmes, ni de gauche ni de droite, puisque, dit-on, depuis la mort éthylique de Jdanov, la culture n’est ni bourgeoise ni prolétarienne. La nature et l’être humain non plus.

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