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“Pendant ce temps là : notes à la marge du « moment espagnol »”

PIGS, then GIPSI

(C’est le charme, injustement méconnu, de « l’humour trader » : avec l’ajout de l’Italie, les PIGS – Portugal, Irlande, Grèce, Espagne- sont donc devenus GIPSI.)

On sait, qu’à part l’Irlande et l’Italie (qui a connu une forme d’état d’exception), ces Etats ont comme point commun d’être sortis de dictatures longues dans les années 70. Les transitions périlleuses (révolution des œillets, mouvement assembléiste espagnole, etc.) à la démocratie ont en quelque sorte constitué la seconde vague d’offensive prolétarienne de cette époque :« La crise des dictatures en Grèce, Espagne et Portugal semblait à beaucoup ( à moi icompris) être le commencement d’une nouvelle période de révolte internationale de la classe ouvrière ; de fait, ils furent des extensions locales spéciales  du ferment qui avait pris fin dans la plupart des pays en 73, avec des taches locales spéciales de liquidation à accomplir. » (Loren Goldner Ubu saved from drowning)[1]. Le retour à l’ordre (Symbolisé en Espagne par le pacte de la Moncloa en octobre 1977 qui normalise les relations sociales en échange de diverses mesures de modération salariale et d’austérité) n’a été que progressif et chahuté

(ainsi les mouvements durs des dockers de 81 à 85 puis 87), l’intégration européenne à partir de 86 jouant un rôle décisif de facilitation (« Ce n’est pas notre pays qui est entré dans la CEE, c’est la CEE qui est entré dans notre pays. » disait un émeutier espagnol de l’époque- cité dans Os Cangaceiros N°3).

Le maintien depuis, d’une certaine combativité (avec notamment un assentiment social assez large à l’usage de la violence[2]) explique en grande partie que ces pays ne soient pas devenus les « usines de l’Europe » (Ils sont de ce point de vue passés directement du pré au post-fordisme) et qu’ils aient été, au contraire, à contre-courant de la déflation salariale des années 90-2000. Or justement, la nouvelle rengaine à la mode chez les économistes, tend à expliquer le sort infligé aux GIPSI par le fait qu’ils auraient, depuis la création de la zone euro, « capté » pour financer leur train de vie, l’épargne des vertueux allemands, chez qui par contre la consommation ne progressait plus qu’à pas d’escargots. Ainsi on trouverait au sein de l’europe à peu près la même configuration que celle qui prédomine entre Chine et Etats-Unis, les uns produisent et épargnent pour que les autres consomment et s’adonnent aux joies de la spéculation immobilière…Certes l’intégration de ces turbulents n’a pas encore donné les « retours sur investissements » attendus, mais, qu’on sache, les tutelles sont là pour ça.

 

La question du logement[3]

Avec l’Irlande, l’Espagne est le seul pays de la zone Euro à connaître une véritable bulle immobilière. Rappelons que l’urbanisation tardive, entre 40 et 70, fut extrêmement rapide (un des plus rapide de l’histoire du capitalisme selon Goldner) et qu’elle s’est jalonnée de nombreuses luttes : « luchas de barrio » dans les années 70 auquel a succédé le mouvement okupa et son fameux slogan : «  desalojo = disturbio » (une expulsion = une émeute). On serait tenté de dire que l’Espagne est un des rares pays à avoir adopté et adapté le modèle carcero-pavillonnaire anglo-saxon, une modalité de « compromis social » couplant accession à la propriété et enfermement de masse (Avec sa « France de propriétaires » et sa « guerre aux voyous » Sarkozy voulait en imposer une variante légèrement francisée). Ainsi le pays compte 85% de propriétaires et a connu une des plus importantes inflation carcérale du continent (192% d’incarcération en plus entre les années 80 et 90). Certes on est bien loin des excès américains, mais là aussi, dans la crise, les « effets richesses » se renversent immédiatement en paupérisation et la logique patrimoniale en liquidation sociale.

 

La suite (Déboires de la régionalisation, Interdettependance nationale et saut fédéral) la semaine prochaine, ainsi que celle de notre (poussive) série de textes sur la paupérisation.


[1] Nous ne partageons pas le fatalisme de Goldner, et, sans entrer dans des considérations spécieuses, si 73 constitue effectivement le début de la contre-offensive du capital (fin du système de Bretton woods) on peut difficilement y dater la défaite (« On peut parfois dater cette défaite, comme avec la manifestation anti-gréviste de la Fiat en 80, ou la reprise en main patronale et syndicale dans l’automobile en France à la suite des grèves massives de 81-84 » Théorie Communiste N°22)

[2] Un exemple vécu : dans la débandade d’une fin de manif à Barcelone, une petite vieille chemine en rigolant, cabas à la main, au milieu d’émeutiers brisant des vitrines.

[3] Dans le texte qui porte ce nom, Engels constate : « la solution bourgeoise de la question du logement a fait faillite : elle s’est heurtée à l’opposition entre la ville et la campagne. » Ce qui ne manque pas, après coup, de prendre une teinte ironique quand on pense par exemple aux océans de serre de la région d’Almeria qui fournit toute l’Europe en légumes pesticidés.

 

Notes à la marge du « moment espagnol » (2)

« C’est tenable avec davantage de sauvageries sociales » (dixit le keynésien Fitoussi)

La réforme du marché du travail d’ores et déjà mise en place par le gouvernement Rajoy est un modèle de no-deal institutionnalisé : « les entreprises peuvent imposer des baisses unilatérales de salaire après deux trimestres de baisse des ventes pour des questions de compétitivité, de productivité ou d’organisation technique du travail de l’entreprise. Si le travailleur refuse de s’y soumettre dans les 15 jours, il perdra son emploi. » Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Le patronat souhaite aussi la création d’un « contrat indéfini de crise » (coûts de licenciements très réduits et période d’essai plus longue) et la mise en place de mini-jobs à l’allemande. Sachant que selon certains il faudra attendre 2020 pour que le pays récupère 2 millions d’emplois sur les 3 millions emportés par la crise,  d’ici là le champ « d’indéfinition » des normes d’achat de la force de travail va s’étendre vers des profondeurs encore inconnues (on sait déjà l’importance de l’économie souterraine qui emploie 4 millions de personnes et représente 25% du PIB).

Et pour faciliter le mouvement, il y a l’autre volet des mesures d’austérité, résumé par Rajoy lui-même : « moins de revenus, plus d’impôts ». Hausse de la TVA, modification de la fiscalité en vue de la faire peser plus sur la consommation, attaques tout azimut contre le fonctionnariat et si on ajoute à cela que les retards de paiements de l’Etat qui seraient d’ores et déjà responsables de la destruction de 700 000 emplois depuis trois ans (la faillite par la demande publique !) : on a là tous les éléments de ce qu’on pourrait grossièrement définir comme une forme de rétro-keynésianisme. Même si tout ne se résout pas de Dr Jekyll en Mr Hyde, on ne peut s’empêcher de penser ici à la définition de John Holloway : « Le keynésianisme a rendu explicite sous une forme institutionnelle la dépendance du capital vis à vis du travail, la puissance du travail dans et contre le capital. »[1]…

L’attaque à venir contre les retraites, alors que les pensions sont par le biais de la solidarité familiale, un des piliers de la paix sociale, devrait toutefois fortement bousculer la propension jusqu’ici relative à laisser faire, laisser passer (a moins bien sûr qu’on considère que le mouvement des « indignés » ait en quoi que ce soit changé la donne).

& 

 

Déboires de la régionalisation

L’éclatement de la bulle immobilière, et l’évaporation de la manne fiscale qu’elle supposait, entraîne de surcroît la faillite rampante des régions, couplée à celle des caisses d’épargnes (Bankia et alii) qu’elles contrôlent. La mise progressive sous tutelle de huit régions, vient en quelque sorte doubler celle à venir du pays. Là aussi l’Etat refuse de mutualiser les dettes (Cf. le projet avorté d’ « hispanobondos ») et se contente d’ouvrir une ligne de crédit en échange d’un droit de regard sur l’assainissement des comptes et de la possibilité d’une intervention, bref « un mécanisme sévère qui ressemble à celui que Bruxelles applique aux pays qui ont fait appel à un plan de sauvetage européen. » (Le Monde 25 /07). Certes, tout comme Rajoy fait le rétif au niveau européen,  certaines régions refusent d’obtempérer et jouent de la menace indépendantiste (ainsi le président du gouvernement régional de Catalogne Artur Mas : « La Catalogne pourrait parfaitement être un Etat dans l’UE. La Hollande du sud disent certains. » In Le Monde 17/03) mais il semble difficile de prendre des initiatives unilatérales quand on est en cessation de paiement…

Au-delà de la décentralisation de la restructuration par la multiplication des impayés (écoles sans chauffage, hôpitaux « à l’agonie » qui ont certainement besoin d’un de ces fameux « sauvetage qui tue », etc.), la crise de « l’Etat des autonomies », avec certes ses lourdes spécificités historiques, participe du douloureux enfantement d’une nouvelle étape (continentale et infranationale) de régionalisation. Le mouvement bousculé de recomposition (En Italie on divise par deux le nombre de régions, en Alsace on fusionne les départements en une seule entité), n’en sera pas moins un des résultats les plus importants du nouveau seuil d’intégration européenne, puisque la segmentation régionale donne la cohérence de l’unification continentale.

 

A suivre : interdettependance nationale et saut fédéral


[1] in Global Capital, National State and the Politics of Money

 

La source: http://restructuration-sans-fin.eklablog.com/

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