On a reçu ça : “Taupe, y es tu ?”
“nous publions avec l’accord de son auteur cet excellent texte, écrit pour une réunion qui s’est récemment tenue à Paris. Nous tenons à attirer l’attention sur un texte qui prouve qu’on peut écrire de façon claire et très abordable sans céder un pouce à la vulgarisation théorique…” dndf
TAUPE, Y ES TU ?
Le capital restructuré,
la lutte des classes et la perspective révolutionnaire
Les « révolutionnaires » et ceux qui cherchent à donner une formulation politique à leur révolte veulent généralement être les témoins du futur, et inscrire leur discours et leur activité dans le sens général d’antagonismes porteurs d’insurrections à venir. C’est somme toute normal : toute lecture du monde part forcément d’une position en son sein, et vouloir conformer le devenir de l’humanité à ses désirs est le point de départ de toute volonté révolutionnaire. Le texte qui suit cherche à faire un pas de côté. Il tente d’évoquer l’époque actuelle en questionnant l’articulation entre la critique du capital comme rapport social d’une part et la lecture de la lutte des classes de l’autre – mais sans chercher à tracer d’échéance révolutionnaire (ni forcément entrer dans de grandes polémiques théoriciennes). Il s’agit essentiellement de réaffirmer cette évidence : ce qui se dégagera de la guerre sociale présente et à venir ne sera jamais que le produit de l’interaction (et du choc éventuel) entre le mouvement général de la domination capitaliste et l’activité de ceux qui en son sein seront amenés à se bouger les fesses. De cette dynamique, personne n’a la clé – pas plus les capitalistes que leurs auto-proclamés ennemis.
TOUT A CHANGÉ, RIEN NE COMMENCE
Seuls les amis du Monde diplomatique croient que le capitalisme est un système économique basé sur le libre échange non-régulé – une perversion de l’ordre équitable du monde menée par une bande de salopards qui ne pensent qu’à s’enrichir en plaçant en Bourse les richesses produites par les pauvres au lieu d’accepter de les partager équitablement.
Le capitalisme, c’est ce qui structure actuellement la totalité de l’activité humaine sous la forme du travail, de l’extraction de cette abstraction concrète qu’est la valeur, à travers la production de marchandises (la fameuse « richesse » que les gauchistes voudraient « partager », mais qui n’existe que sous cette forme d’ « immense accumulation de marchandises »). Corollairement, le capital, c’est ce qui structure, de mille manières différentes, les rapports entre les hommes, leurs sociabilités, leur temps, leurs névroses, leurs rapports à la nécessité, à la nature, etc. Le capital est un rapport social totalisant. C’est là le cœur de la machine, qui demeure le même depuis que Marx l’a analysé il y a quelques décennies de ça.
Mais le capitalisme a aussi une histoire, qui est faite de crises. Ces crises ont jusqu’ici toutes été surmontées, ce qui a amené de très importantes modifications dans la manière dont le capitalisme modèle les rapports sociaux. Elles ont accouché de notre époque, où le capital est effectivement financiarisé, mondialisé, etc. : c’est là la forme actuelle prise par l’accumulation – qui succède à d’autres modèles, eux-mêmes absolument capitalistes (fordisme en Occident, socialisme dans d’autres contrées…). Mais si le règne du capital s’est effectivement approfondi aujourd’hui, ce n’est pas tant qu’il n’aurait plus de garde-fous le rendant plus humain. C’est non seulement qu’il ne connaît plus aucun en-dehors géographique, mais encore que l’ensemble des relations humaines sont désormais englobées dans le rapport capitaliste, cela de manière toujours plus diluée : l’approfondissement du règne du capital s’accompagne logiquement de sa naturalisation toujours accrue. L’histoire a fait son chemin : il n’existe plus de communauté matérielle autre que celle du capital et la valeur d’usage même des choses a disparu sous le mouvement général de la valeur.
Quant à la perspective d’un au-delà de ce monde, malgré une éventuelle généralisation de la crise, elle apparaît aujourd’hui plus abstraite que jamais.
Jusqu’à la fin des années 70, la perspective révolutionnaire était attachée à une montée en puissance de la classe prolétarienne (considérée comme classe des producteurs) qui serait venue arracher le pouvoir à la bourgeoisie en vue d’imposer son propre pouvoir sur la société. Cette perspective du « pouvoir aux travailleurs », qui, sous ses multiples déclinaisons (de la dictature du parti à l’anarcho-syndicalisme et à l’autogestion généralisée), ne contenait pas comme programme le dépassement du rapport social capitaliste (elle n’abolissait pas le travail, la valeur ou le caractère fétiche de la marchandise), était intrinsèquement liée à la persistance de multiples formes d’autonomie où s’élaboraient une appartenance commune à la classe prolétarienne. C’est ce qui a maintenant disparu.
Il n’y a ni à s’en lamenter ni à s’en réjouir : la dernière restructuration, en mondialisant le marché du travail, en multipliant les formes de sous-traitance, en diluant l’espace de l’exploitation, en rendant tendanciellement indistinctes les sphères de la production et de la reproduction a fait que, aujourd’hui, rien ne fait plus face au capital.
LE PROLÉTARIAT N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT
Qu’on ne s’y trompe pas pour autant : l’éclipse d’une perspective révolutionnaire socialement existante n’est pas synonyme de pacification des rapports de classe. Celle-ci demeure un fantasme des bourgeois : à l’échelle de la planète entière, les damnés de la terre continuent de remuer, et on peut parier qu’ils ne cesseront pas de sitôt de le faire : être pauvre est une chose violente qui pousse à se révolter, et il n’est pas à l’ordre du jour que les pauvres cessent de l’être, ni même qu’ils le soient un peu moins. Car encore une fois, ce n’est pas là la faute des riches, mais de l’économie.
Ce qui a changé avec la restructuration entamée dans les années 70, ce n’est pas le rôle central du travail dans la reproduction élargie du capital, mais bien la manière d’intégrer ceux qui le fournissent. A un niveau mondial, non seulement le prolétariat ne peut plus être défini sur la base du seul élément ouvrier, mais il ne peut plus non plus l’être à partir de son intégration à un salariat « stable ». Cela ne veut pas dire que la production s’est dématérialisée, ni qu’il n’y a « plus d’ouvriers » : sans doute n’ont ils jamais été aussi nombreux à l’échelle mondiale. Mais les travailleurs pour qui l’exploitation coïncide avec une appartenance sociale liée au travail ne constituent plus qu’une minorité de prolétaires, et la frontière qui les sépare des autres ne cesse de se faire plus ténue. Les autres : ceux pour qui les rapports d’exploitation salariale constituent une des modalités parmi d’autres de la subsistance, plus ou moins ponctuelle, souvent mêlée à d’autres types d’activité (de petit commerce par exemple) et partagée au sein des groupes primaires (une ou deux personnes dans la famille sont salariées en permanence, les autres « aident » comme ils peuvent), et surtout à laquelle aucune identité sociale n’est attachée. Ils peuplent les pays que l’on n’ose plus appeler sous développés ; ils peuplent aussi désormais les périphéries des métropoles occidentales – et forment également ceux que les sociologues appellent les travailleurs précaires. Ces prolétaires sans attaches salariales, à la fois membres d’une armée de réserve new look et main d’œuvre corvéable à merci, on aura désormais du mal à les considérer comme une masse informe et bizarre au sein des rapports capitalistes – à les ranger dans un coin en tant que lumpen marginaux au regard des « vrais » travailleurs qui ont un métier et pointent chaque matin dans une boite : l’extension de la condition prolétarienne à l’ensemble de la planète, c’est aujourd’hui selon ces modalités qu’elle s’effectue essentiellement. Et c’est également sur les ruines de cette appartenance sociale liée au travail que surgissent les luttes et révoltes actuelles.
Ce constat est valable pour les émeutes de cités en France, pour celles qui secouent régulièrement l’Algérie ou bien d’autres contrées. Il est aussi valable pour bien des luttes de salariés des zones périphériques, dans la mesure où les enjeux liés aux modalités d’exploitation englobent généralement des relations sociales plus larges que le seul rapport salarial – rapport aux bureaucraties, à l’accès aux services, au logement, aux relations clientélistes, à l’environnement, etc. Enfin, il est valable indirectement pour les luttes menées par les salariés « stables » en Occident, qui, comme résidus de la période fordiste, sont sans cesse confrontés à ce qui produit les autres prolétaires et attaque directement leurs propres conditions d’exploitation : leurs luttes, toujours défensives, visent essentiellement à résister à la pression sur le salaire – direct et indirect – induite par une restructuration qui semble ne jamais devoir prendre fin.
Eradication totale de tout en-dehors du capital d’une part ; désintégration du welfare fordiste de l’autre : ces deux processus conjoints définissent la phase actuelle de la domination réelle du capital sur le travail[1]. Corollairement, le centre de gravité des luttes s’est déplacé : elles ont désormais moins pour moteur les modalités de l’exploitation que celles de l’intégration des prolétaires au capital.
RAPPORT SOCIAL CAPITALISTE ET RAPPORTS SOCIAUX DE CLASSE
Ce changement d’époque, qui commence à dater mais qui a constitué un tel coup de massue qu’il est encore souvent difficile d’en saisir la portée, implique de grands bouleversements quant aux attentes révolutionnaires associées à la lutte des classes.
Par exemple : sans entrer dans les débats quant à sa mission historique d’auto-négation (la classe qui contient la dissolution de toutes les classes, etc.), le prolétariat, dans sa définition positive, était jusqu’à peu la classe de ceux dont l’exploitation de la force de travail permet la reproduction élargie du capital. Cette définition, qui pendant longtemps a entretenu la confusion prolétariat/classe ouvrière, pose aujourd’hui la question des masses de pauvres marginalement intégrés aux rapports d’exploitation salariée, qui n’en sont pas moins intégrés au monde de la circulation capitaliste. Quelle est leur place dans le rapport capital-travail ?
Il est ainsi devenu sensé de définir le prolétariat comme « la classe de ceux qui sont sans réserve face aux capitalistes ». « Le capital dans son ensemble comporte une partie variable qui achète la totalité des sans-réserve, même ceux qui, peut-être, ne travailleront jamais », écrit Bruno Astarian. « Dans cet ensemble, on trouve les travailleurs formels (ceux qui ont un contrat, une couverture maladie, retraite, etc..) et les travailleurs informels, les chômeurs formels (ceux qui bénéficient du welfare) et les chômeurs informels (ceux qui partagent la masse salariale globale sous une autre forme que l’assurance chômage – les solidarités familiales, le trafic, etc.), les travailleurs qui sont productifs de plus-value comme ceux qui sont improductifs. » Voici donnée une définition très large de ce qu’est le prolétariat dans la période actuelle : l’achat global de la force de travail inclut mais aussi dépasse le procès d’exploitation – au passage, cela permet de poser que toute activité de lutte s’inscrit dans la contradiction fondamentale capital-travail.
Cette définition est cohérente théoriquement ; elle n’en comporte pas moins une limite, qui est contenue dans sa difficulté à englober ce que pourrait bien constituer au sein des luttes une expérience prolétarienne dépassant l’expérience concrète du procès d’exploitation. De fait, si le capital a aujourd’hui unifié le monde, il a aussi démultiplié et fragmenté les expériences sociales liées à sa domination. Débordant largement l’espace de l’exploitation salariale, les rapports capitalistes ont perdu leur cœur bien identifié. Et un des dommages collatéraux de cette affaire, c’est bien la capacité de mise en forme téléologique par la critique à visée révolutionnaire d’une guerre sociale qui englobe des phénomènes sociaux multiples, produits eux-mêmes par la multiplicité des rapports dans lesquels s’inscrit la domination capitaliste. Quel que soit l’effort de redéfinition qu’on pourra produire, le prolétariat est aujourd’hui davantage une abstraction théorique qu’il y a cent cinquante ans.
On continuera certes à produire une lecture de la lutte des classes en termes de rapport capital-travail : le procès de valorisation ne s’est pas autonomisé du rapport d’exploitation, et de fait l’achat de la force de travail par le capital est aujourd’hui global. Mais c’est aussi un fait que ce qui se joue dans les rapports de classe et les luttes actuels en terme de subjectivité est terriblement éloigné des analyses structurales du capital produites par la théorie – contrairement à l’expérience et aux luttes ouvrières d’antan. Et ce n’est pas là quelque chose de complètement contingent : c’est toujours peu ou prou à partir de cette question de l’expérience prolétarienne que se sont élaborées, de Marx à l’opéraïsme en passant pas les gauches communistes et autres ultra-gauche, les critiques radicales du rapport social capitaliste et les théories de son abolition. Cette expérience est aujourd’hui éclatée, et c’est par cette force des choses que la théorie révolutionnaire n’entretient plus qu’un rapport lointain avec le vécu des affrontements de classe – c’est par la force des choses qu’elle se trouve amenée à mettre la charrue avant les bœufs dès lors qu’elle cherche coûte que coûte produire une théorie de la révolution alors que les luttes actuelles, elles, n’en produisent pas.
Les rapports sociaux de classe ont leurs propres dynamiques, et c’est une opération théorique réductrice que de les vouloir contenus dans leur objectivité cachée – le rapport social capitaliste considéré depuis le point de vue de sa contradiction centrale (et de son éclatement nécessaire). Ce qui définit structurellement une société de classe (qui n’est pas une invention capitaliste, non plus d’ailleurs que la lutte des classes), c’est l’accaparement par un groupe social d’une large partie de ce qui est produit par d’autres. Mais dans les rapports sociaux, ce qui constitue l’expérience vécue d’une telle société, c’est l’inégalité, socialement construite, entre les hommes. C’est l’exercice de rapports de pouvoir socialement institués, leur reproduction, les rapports à la nécessité, à l’abondance, et aussi à la liberté, qui en découlent. Aujourd’hui, ces rapports ont une médiation centrale, qui est celle de l’argent – seule médiation universelle entre les hommes dans un monde où la loi de la valeur s’est emparée de l’ensemble de la vie sociale. Et c’est d’abord en ce sens que l’ensemble des rapports de classe actuels sont, objectivement et subjectivement, des rapports de classe capitalistes – et non parce qu’ils englobent nécessairement en leur sein le rapport social capitaliste par excellence, le rapport capital-travail. La théorie ne saurait, par le biais de la mise en ordre du monde qu’elle permet, se substituer à ce monde lui-même et à la guerre quotidienne qui s’y joue.
CHANGER LE MONDE ?
Avec la fin du mouvement ouvrier, de son idéologie du « pouvoir aux travailleurs » et des formes d’autonomie sur lesquelles elle s’appuyait, la lutte des classes manifeste de manière brute ce qu’elle est : des combats menés contre les places assignées aux subalternes par les hiérarchies sociales, et contre les modalités d’accès aux marchandises qui en découlent. Les hommes, quand ils luttent, quand ils se révoltent, en masse ou dans leur coin, ne font pas face au rapport capital-travail. Ils font face à l’expérience concrète de l’inégalité sociale, à la condition qui leur est faite en tant que subalternes au sein des rapports sociaux dans lesquels ils sont pris.
Concevoir le dépassement révolutionnaire de ce « cours normal » de la lutte des classes – autrement que comme pure nécessité inscrite dans la contradiction capitaliste – supposerait qu’au sein des luttes pour des intérêts sociaux et/ou matériels vienne s’insérer une perspective universelle de renversement. Or, cela est loin d’être évident : « changer le monde », c’est une perspective extérieure aux objets des luttes elles-mêmes, à ce qui amène les rapports de classe à se transformer en affrontement à un certain moment et à un certain endroit. En ce sens, « changer le monde », c’est une perspective finalement propre à la société civile bourgeoise. Celle-ci a reconquis le terrain perdu : l’universalisme, qui en est le produit (y compris dans sa dimension révolutionnaire), continue de lui en appartenir en propre[2].
Le mouvement ouvrier, en se présentant comme l’héritier des Lumières, en visant à émanciper le genre humain et à remettre le monde sur ses pieds, avait réussi une sorte de prouesse historique en parvenant à retourner l’universalisme propre à la société bourgeoise contre elle-même – en faisant parler son langage aux luttes menées par les pauvres pour leurs intérêts propres. Les révolutions bourgeoises n’avaient pas produit l’émancipation humaine ; cette tâche incombait désormais au prolétariat. Ce faisant, le mouvement ouvrier, adossé à des formes d’autonomie prolétariennes vivaces, créait un langage et un imaginaire communs dans la perception des antagonismes et d’une identité de classe appropriable par les pauvres – impliquant en cela un internationalisme qui n’était pas rien. Mais surtout, il donnait aux luttes une perspective universalisante de dépassement (qui, passée la période de la « formation de la classe ouvrière », s’était cristallisée sous la forme du « pouvoir au travailleurs »), où l’enjeu de « changer le monde » échappait à sa détermination bourgeoise.
En ce sens le vieux mouvement ouvrier était une lame à double tranchant : à la fois il était un mouvement d’intégration des prolétaires au capital et des pauvres à la société civile ; à la fois, par l’imaginaire et le langage communs qu’il créait, il mettait le renversement du monde à portée de soulèvement. C’est finalement de cette prouesse historique, aujourd’hui révolue, qu’il convient de s’étonner, et non du fait que les pauvres actuellement ne se transforment pas en révolutionnaires quand ils se bougent – qu’ils luttent pour leur pomme ici et maintenant sans s’investir d’une quelconque mission concernant le devenir de l’humanité[3].
A propos de l’insurrection qui a secoué l’Albanie en 1997[4], des révolutionnaires sans révolution (de la défunte Bibliothèque des Emeutes) notaient à l’époque : « Nous ne savons rien sur l’organisation éphémère que se sont donnée les insurgés avant de s’emparer des armes, et même dans quelle mesure ils étaient organisés. Nous ne savons pas s’il y avait un débat, et si oui, ce qui est probable, sur quoi il a porté. Nous ne savons pas comment les insurgés évaluaient leur insurrection, comment ils pensaient l’Albanie, l’Europe et le monde, ce qu’ils pensaient de la marchandise et de l’information occidentale, de la vie et de l’amour. »
Or il n’y a pas à s’étonner de ce silence politique des insurgés albanais : il a été finalement la marque de leur autonomie, non vis-à-vis du capital, évidemment, mais de ses médiations citoyennes – et il est aussi évident que les insurgés ne se posaient pas les questions quant à leur action dans les termes évoqués ci-dessus. Mais peut-on faire d’un tel événement une « tentative révolutionnaire », où serait en jeu la transformation de l’ordre du monde ? En vrai, si les insurgés albanais projetaient par leurs pratiques de renverser celui-ci, cela nous l’aurions su. Il faut donc s’en tenir là : cette révolte de pauvres balkaniques à l’intensité exceptionnelle appartient en propre à ceux qui l’ont menée – elle s’est inscrite entièrement et uniquement dans les conditions sociales qui lui ont donné naissance. Et aucune trame historique cachée ne la relie aux soulèvements révolutionnaires de 1848 ou 1871[5].
MASTICATION ET DIGESTION DE LA LUTTE DES CLASSES
La restructuration du marché du travail a produit un affaiblissement des médiations « représentatives » qui encadraient la lutte des classes. Avec la désintégration du mouvement ouvrier, les prolétaires ne luttent plus guère pour prendre le contrôle de la machine capitaliste. Ils ne luttent plus pour imposer leur pouvoir sur la société par le biais de leurs organisations (de manière générale d’ailleurs leurs révoltes posent peu la question de renversement du pouvoir de classe qui s’exerce sur eux). Conséquence conjointe de la fin du fordisme et de l’achèvement de la prolétarisation de l’ensemble de la planète, la plupart des luttes et révoltes actuelles surgissent dans des configurations sociales où les médiations syndicales et para-syndicales sont peu opérantes – ce qui leur donne un caractère en apparence plus sauvage.
Certains disent en substance : Ne serait-ce pas finalement qu’un verrou aurait sauté, ouvrant des perspectives nouvelles quant à un devenir ingérable et inintégrable des luttes menées par les pauvres ? Ne serait-ce pas là que la vieille taupe serait allée se nicher ? On aimerait pouvoir le penser, mais l’optimisme de cette hypothèse fait l’impasse sur les grandes capacités du capital à gérer digérer les luttes que les modalités de sa domination suscite.
Le capitalisme, en tant que rapport social, ne se réduit pas à la domination d’une classe d’individus sur les autres. Conséquemment, ce n’est pas parce qu’il mettrait en danger le pouvoir de ces individus qu’un mouvement de lutte, en tant que tel, remettrait en cause les rapports capitalistes. Tant qu’elle ne produit pas une subversion de ces rapports, tant qu’elle ne met pas en crise le travail salarié, l’argent, l’échange marchand, les rapports de propriété, etc., en produisant des rapports sociaux autres (ce qui, il faut bien le reconnaître, n’arrive pas très souvent), la lutte des classes constitue un moment de la reproduction capitaliste.
Plus encore, la lutte des classes est constitutive du capitalisme, comme mode de régulation du rapport capital-travail. Bien souvent, les luttes ont été, en conjonction avec les crises internes du procès de valorisation (crises que souvent les périodes de luttes intenses révèlent) l’aiguillon qui a forcé le capital à se restructurer. Les offensives menées par le mouvement ouvrier ont contribué à l’émergence du fordisme et de la consommation de masse[6] ; les luttes des années 60-70 ont poussé à la réorganisation du marché du travail à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, les formulations en termes de droit et de démocratie sont l’apanage de beaucoup de luttes de par le monde (ainsi des luttes ouvrières en Chine qui se découvrent des relais au sein de la contestation politique du régime ; ainsi des luttes menées par les pauvres dans le monde arabe qui se retrouvent partie prenante du mouvement pour la modernisation démocratique). Les revendications de ce type – qui passent par l’absorption des luttes sociales par la sphère de la société civile – renvoient essentiellement à une demande de meilleure intégration des travailleurs au capital, pour le coup sans en passer par la case autonomie de classe. La capacité du capital à s’appuyer sur de telles luttes pour renouveler et approfondir sa domination constituera un enjeu important pour les temps de crise à venir…
… ou pas. Car l’intégration des luttes au mouvement d’élargissement des rapports capitalistes n’est qu’une des formes possibles de neutralisation de la conflictualité de classe : du point de vue du capital, c’est la meilleure, la plus dynamique. Mais quand ils surgissent dans un contexte de crise du processus d’accumulation limitant les marges de manœuvre des capitalistes, les affrontements de classe se trouvent souvent plus prosaïquement absorbés par des affrontements inter-capitalistes. L’antagonisme peut alors nécessiter des solutions douloureuses pour une partie du personnel dirigeant allant jusqu’à son élimination sociale : la précédente crise économique mondiale a ainsi été résolue par une boucherie guerrière, qui, en plus de millions de prolétaires, a éradiqué des palanquées de bourgeoisies nationales. Plus près de nous, et à une échelle plus réduite, en 1988, des émeutes secouaient l’Algérie hors de tout cadre « représentatif », dans un contexte de crise de l’économie rentière : une guerre civile plus tard, et après le rapide avortement d’une solution démocratique, elles auront été l’aiguillon d’une réorganisation de cette même économie rentière et d’un renouvellement de ses clientèles.
Le capital n’a pas la nécessité d’intégrer toujours les prolétaires aux médiations de la société civile, ce n’est là qu’une des modalités à travers lesquelles il peut réguler sa domination. Pour autant, les luttes menées par les pauvres qui ne sont pas prises dans des médiations citoyennes, aux formes en apparence radicales (généralement émeutières), n’impliquent pas l’absence de toute forme de médiation. Que ce soit par le biais de l’économie informelle (« mafias » et autres) ou de structures clientélistes – claniques, communautaires, religieuses etc. – qui sont autant de relais auprès d’un Etat qui n’est que rarement une froide machine impersonnelle, elles se trouvent intégrées à des configurations sociales où la frontalité de classe est généralement inopérante. De même que quand on s’intéresse à un « mouvement social » en France ou en Italie, il convient d’interroger d’éventuelles dynamiques de lutte autonome en rapport avec la fonction intégratrice des syndicats, de la gauche, etc., des enjeux similaires se posent dans le contexte de révoltes aux formes plus sauvages, dans le rapport avec les médiations sus-mentionnées. Car aujourd’hui, celles-ci participent de la réorganisation mondiale du marché du travail marquée par l’indistinction entre production et reproduction, et de la gestion des prolétaires nouvelle manière. A distance des mythologies de la société civile et de l’universalisme politique, ces médiations-là ancrent parallèlement les luttes et les révoltes dans des dynamiques fragmentées qui reflètent les rapports sociaux au sein desquels elles surgissent.
Et à nouveau, ce constat est valable pour les luttes menées par les prolétaires surnuméraires, mais aussi pour beaucoup de luttes qui se jouent sur le terrain de l’exploitation. On compare souvent la mise au travail de millions de paysans en Chine à la révolution industrielle du 19e siècle en Europe. Pourtant, cette opération s’effectue dans un contexte capitaliste qui n’est pas le même, et l’une des forces du capital dans ses opérations de prolétarisation, c’est bien de remodeler les configurations sociales qui lui préexistent sans jamais en faire table rase. A ce stade, l’intégration syndicale et citoyenne des luttes en Asie demeure limitée, d’où leur caractère fragmentaire, leurs formes essentiellement émeutières et apparemment inorganisées ; d’où aussi une gestion qui pour l’instant parvient à faire l’économie d’une solution capitaliste globale. Cette gestion-là est rendue possible par les contextes sociaux où se déroulent les luttes, contextes au sein desquels prolétaires et capitalistes ne se font pas face, et où opèrent de multiples médiations que l’on connaît généralement bien mal à distance.
CRISE
Le capitalisme est aujourd’hui officiellement en crise. On n’essaiera pas ici d’analyser celle-ci ni de prévoir ses développements futurs. Que la crise vienne à s’approfondir violemment dans les années à venir, que les mécanismes de régulation capitaliste à l’échelle mondiale s’avèrent impuissants à anticiper et circonscrire le développement d’une crise mondiale de surproduction, avec toutes les conséquences sociales que cela impliquerait, cela n’est clairement pas à exclure. L’affaire peut néanmoins prendre des formes multiples et variées, et surtout il est aujourd’hui impossible de prévoir ce que serait une hypothétique « sortie de crise ». L’existence de cycles au sein du procès d’accumulation n’est pas contestable, mais leur dépassement – le fait qu’une crise débouche sur une restructuration du mode de production et/ou sur une crise révolutionnaire – est intrinsèquement lié aux tensions qui se manifestent au sein du rapport capital-travail, et aux modalités d’intégration des prolétaires au capital. Et ces enjeux-là ne sont pas contenus dans les lois objectives de l’accumulation : ils se nouent dans des rapports de force.
On peut néanmoins poser la question : quel serait l’effet d’une crise générale de la valorisation sur le développement futur des affrontements de classe ?
La configuration qui semble se dessiner depuis maintenant quelque temps est dichotomique – et la crise pourrait bien l’approfondir. D’un côté, des luttes parlant un langage politique généralement réformiste (plus rarement « radical »), qu’on pourrait considérer comme étant essentiellement menées par des « classes moyennes » bloquées dans leur reproduction – ce qui ne renvoie pas à une composition de classe précise, mais essentiellement au fait que les populations concernées interviennent politiquement, comme agrégats d’individus, et que pour elles, il y a nécessité d’une réappropriation de la société. De l’autre côté, il y a les émeutes des pauvres hors la société civile, dont la seule perspective de réappropriation est celle de stocks de marchandises auxquels ils n’ont pas accès du fait de leur condition. Ces deux dynamiques d’affrontement peuvent coexister dans un même moment : en Grèce en décembre 2008, par exemple, il y avait d’une part les émeutiers et manifestants au langage politique, de l’autre les populations « périphériques » qui pillaient et s’affrontaient de leur côté. Les seconds ne se rendaient pas aux assemblées des premiers. Ledit « printemps arabe » a vu à ses débuts se développer grosso modo la même conjonction entre revendications politiques et surgissement émeutiers[7].
L’approfondissement d’une crise sociale à l’échelle mondiale mettrait-elle fin à la dichotomie entre Tottenham d’un côté et les Indignés de l’autre ? En l’absence de perspective révolutionnaire socialement existante, une paupérisation accrue peut-elle déboucher sur autre chose que sur une guerre des gangs généralisée à l’échelle mondiale, qui serait alors, dans un contexte général de désaccumulation, la trame de la domination capitaliste des temps de crise à venir ? Les luttes futures aideront-elles à terme le capital à accoucher de nouveaux rapports de production et de domination ? Tatataaa, c’est ce que nous saurons aux prochains épisodes.
Une certitude : le capital n’est jamais dos au mur du fait de lois objectives de l’économie, et le prolétariat ne sera jamais mécaniquement amené à faire la révolution du fait de contradictions internes au capitalisme. Des réponses capitalistes aux crises existent toujours. Ce qui fera qu’une dynamique d’affrontement ne pourra être intégrée et digérée par une reconfiguration capitaliste des rapports sociaux ne sera jamais l’impossibilité objective qu’elle le soit, mais bien sa capacité à refuser de l’être, car autre chose est en vue. D’un tel processus, on n’a vu dans l’histoire que des prémisses. S’il dépasse un jour celles-ci, il devra pour triompher être capable de neutraliser tout ce que le capital peut déployer en terme de réorganisation des rapports de production et de domination pour y répondre – c’est à dire qu’il devra saper l’ensemble des rapports sociaux capitalistes dans la pratique même de l’insurrection.
Le vieux mouvement ouvrier, qui était intrinsèquement lié à un modèle de domination capitaliste aujourd’hui dépassé, ne renaîtra jamais de ses cendres. Mais si ré-émergence d’une lutte des classes à portée révolutionnaire il y a un jour, elle ne pourra s’inscrire que dans la production de dynamiques (et d’un langage) créant une perspective commune de dépassement aux luttes menées par les pauvres pour leurs intérêts propres – dynamiques qui en même temps passeraient outre l’universalisme de classe propre aux médiations de la société civile et de la politique.
Un tel processus ne pourra surgir indépendamment de la dynamique du capital, car en dernière instance c’est entièrement cette dynamique qui modèle les conditions d’existence des hommes. Pour autant, il n’en sera jamais le produit mécanique non plus.
À BASE DE POPOPOPOP
On n’en est pas là. Dans la période qui est la nôtre, il convient moins que jamais de se laisser happer par le caractère messianique de la perspective d’une abolition de la société de classe (souvent véhiculée par une théorie révolutionnaire attirée comme un aimant par l’au-delà conceptuel des rapports capitalistes qu’elle cherche à saisir). Car ce qui se joue concrètement dans les luttes, ce n’est jamais la quête d’un point de bascule entre la reproduction capitaliste et la rupture « communiste » : c’est avant tout l’ici et maintenant des rapports capitalistes. Et c’est bien parce que le capital n’est pas une machine autonome, qu’il est un rapport social et vit de l’activité des hommes, que la compréhension du phénomène ne peut être figée, acquise une fois pour toutes dans les manuels de critique de l’économie politique.
Les luttes, quand bien même elles se révèlent intégrées, quand bien mêmes elles se limitent à des revendications quant au partage du gâteau, ou encore développent une violence de classe dénuée de perspective de dépassement, nous parlent constamment de l’état de ce rapport problématique, de son incapacité intrinsèque à transformer les hommes en machines. Pas plus qu’hier ou aujourd’hui, la dichotomie lutte comme moment de la reproduction du capital/lutte comme brèche au sein des rapports capitalistes ne se posera de manière tranchée demain. Au cours des moments où l’ordre social est en crise (et c’est en puissance ce qui se joue dans tout affrontement de classe) s’élaborent toujours des choses : il ne s’agit pas de chercher à y projeter les fantasmes ou les constructions théoriques propres aux révolutionnaires sans révolution, mais de les écouter, de chercher à en saisir le langage, et de les lire au regard de la dynamique générale du capitalisme avec laquelle elles sont nécessairement en interaction.
En venant briser le cours quotidien des choses, les luttes créent toujours la possibilité d’un espace de subversion. La subversion, c’est ce qui, au sein des rapports capitalistes, laisse entrevoir qu’ils ne sont pas que cela. C’est l’organisation concrète qui se met en place dans un moment de lutte, les rapports de solidarités qui s’y déploient, la reconnaissance d’une condition commune et son refus, le renversement de la violence au sein des rapports hiérarchiques, l’imaginaire qui est produit sur ces bases, aussi. En ce sens, ce qui a bien pu se tramer en Albanie quand la population expulsait l’Etat des villes, il y aurait un enjeu énorme à le comprendre.
Depuis notre époque qui se prête bien peu à l’eschatologie communiste, à défaut d’analyser des frémissements révolutionnaires dans les luttes (et à l’occasion de les vivre), de pointer la contre-révolution qui lui ferait face (et à l’occasion de la combattre), il faut bien s’intéresser au cours conflictuel du capitalisme, aux crises portées par sa reproduction, et aussi aux révoltes qu’il suscite et continuera de susciter. Car si les révoltes et les luttes actuelles ne produiront jamais mécaniquement une perspective révolutionnaire, c’est seulement au sein de ces moments-là et sur la base des pratiques qui s’y déploient que cette perspective pourra – peut-être – à nouveau émerger.
\
POST-SCRIPTUM À PROPOS DES RÉVOLUTIONNAIRES SANS RÉVOLUTION
Reflet de l’époque qui les produit, les activistes révolutionnaires d’aujourd’hui se réduisent à des poignées de « radicaux » produits par la crise de reproduction des classes moyennes occidentales[8]. Ils sont en permanence guettés par la spécialisation politique de leurs vies et n’ont bien sûr aucune activité révolutionnaire : à moins de s’élaborer eux-mêmes en sujets révolutionnaires universels, ils sont incessamment confrontés aux enjeux réels portés par les luttes, qui sont celles de la négociation des conditions existantes – non de leur suppression. En posant constamment la question de « l’intervention », on ne fait qu’entériner une extériorité – qui est celle de la problématique révolutionnaire, et au delà, des individus auto-proclamés révolutionnaires – à ce qui se joue dans les luttes.
Il n’y a pas à faire la morale aux activistes et militants d’un point de vue existentiel : dans l’absolu, il n’y a pas à critiquer le désir/besoin qu’on peut avoir de chercher à s’inscrire dans des dynamiques de lutte, des antagonismes, des machins, sur les bases qu’on trouvera autour de soi, et avec d’autres, en se donnant les moyens que l’on peut. Il s’agit simplement de ne pas s’imaginer que l’extension de ces modalités existentielles amèneront la révolution, ni que ce sont les auto-proclamés révolutionnaires qui feront la révolution sur leurs bases. Ce n’est pas là une erreur de méthode quant à la manière d’intervenir, se positionner, etc. C’est simplement que « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est leur existence sociale qui détermine leur conscience » : se regroupant entre eux et se reconnaissant comme semblables, les petits groupes d’auto-proclamés révolutionnaires produisent nécessairement une « radicalité » (de discours et d’action) propre à la place qu’ils occupent eux-mêmes au sein des rapports sociaux capitalistes actuels et à l’identité qu’ils s’y sont aménagée. Cette radicalité-là n’est extensible que sous la forme de l’accroissement numérique d’un milieu toujours socialement déterminé, qui sera logiquement amené à « faire de la politique », c’est à dire à recruter, à produire des rapports de hiérarchie propres à la spécialisation politique, et à faire des luttes un enjeu d’auto-reproduction. La politique, même « radicale », a toujours une soupe à refourguer, et elle n’est jamais complètement exempte du racket.
(Il n’y a pour autant aucune authenticité prolétarienne à opposer à la révolte « petite-bourgeoise ». En tant que telles, ces catégories n’ont d’ailleurs guère de sens : qui, de l’immigré qui bosse dans le bâtiment et gagne correctement sa vie, ou du post-étudiant fils de prof qui se « débrouille » à droite à gauche est au-dessus de l’autre d’un point de vue de classe ? Difficile à dire. Pour autant les rapports qui les lient demeurent des rapports de classe, en tant qu’ils demeurent médiés par la société de classe, mettant en jeu les modalités d’accès à l’argent, mais aussi le capital social, le rapport aux « choix de vie », la proximité culturelle avec les classes dominantes, la capacité à s’approprier le savoir bourgeois, le rapport au langage, etc. – sans parler de toutes les formes sociales prises par la domination masculine, qui toujours viennent s’insérer là-dedans. Tous ces rapports, qui tissent la trame de l’inégalité entre les hommes, forment aussi l’objectivité de la société de classe, à laquelle il n’est pas possible d’échapper, même avec le volontarisme le plus acharné.)
Le drame intime des révolutionnaires sans révolution du début du 21e siècle est de constamment vivre de projections. On se trouve amené à bâtir des hypothèses et (forcément) des fantasmes à partir des échos de la violence de classe qui parviennent à nos oreilles, sans jamais saisir complètement ce que produisent ceux qui se révoltent. Même si on aimerait très fort qu’il en aille ainsi, les problématiques d’un hittiste[9] de Bab el-Oued quand il caillasse les flics ne sont pas les mêmes que celles des révolutionnaires auto-proclamés des métropoles occidentales, et l’un n’a pas raison et l’autre tort. Seulement le hittiste ne cherche pas à intégrer ce que fabriquent les radicaux à une conception générale des antagonismes qui lui est propre – car il s’en fout. Les radicaux s’y essayent, et pour peu qu’ils s’y frottent, il est difficile de longtemps repousser ce terrible constat : les pauvres ne se comportent généralement pas comme on aimerait qu’ils le fassent.
Les luttes et révoltes ne sortent pas d’un chaudron magique. Leur matière n’est pas faite de rêves ou d’idées générales, mais des rapports sociaux qui ont cours là où elles surgissent, et c’est forcément de cela qu’elles se saisissent – le choix d’une « radicalité » est une projection fantasmatique et nécessairement extérieure à ce qui se joue dans les luttes.
Pour les révolutionnaires auto-proclamés, c’est toujours un enjeu compliqué que de confronter l’affirmation révolutionnaire à la réalité des rapports et des affrontements de classe actuels. Cette difficulté ne se limite d’ailleurs pas à la sphère de l’activisme : on peut aussi la voir se manifester (différemment) au sein de la théorie à visée révolutionnaire. Le point de rupture de la théorie réside dans le fait qu’elle est une activité visant à comprendre la dynamique de ce qui produit l’ensemble de la vie humaine aujourd’hui (le capital), tout en projetant un renversement de l’ordre du monde de la part de ceux qui s’y trouvent dominés socialement (nos amis les prolétaires). Or la capacité de la théorie à interagir avec ce que produisent ces derniers se trouve socialement limitée : en demeurant une affaire d’intellectuels, la théorie s’inscrit dans les rapports de classe existants (où ce ne sont pas ceux qui sont dominés socialement qui se livrent à ce type d’activité). Et cela demeure indépassable tant que la théorie ne se trouve pas en interaction directe avec des expériences de luttes elles-mêmes révolutionnaires. Autour de 1848, 1917, 1968, etc., la révolution était un processus en cours, et sa théorisation était tributaire de ce qui se produisait en terme de rupture au sein de l’affrontement – la théorisation en était alors partie prenante. Hors de ces périodes d’agitation révolutionnaire, la théorie prend son sens comme théorie du capital, mais les perspectives qu’elle cherche à tracer quant à l’abolition de celui-ci demeurent elles théoriques : elles sont des projections intellectuelles hors des rapports sociaux existants, et elles n’ont pas la capacité à s’extraire hors des déterminations de classe qui produisent la théorie comme activité séparée.
Dans la période actuelle, la prospective révolutionnaire est un jeu amusant, elle n’est rien de plus. Dès lors qu’elle se constitue en systématisation téléologique cherchant à faire pénétrer les faits à grands coups de pied dans ses conceptualisations préalables, la théorie révolutionnaire devient une activité close sur elle-même, dont l’enjeu principal est la confrontation de points de vue entre intellectuels plus ou moins spécialisés.
Tout ça n’est pas une raison pour cesser de lire le monde dans lequel on se trimballe en y trouvant une logique, une cohérence en dernière instance – et d’en faire une critique totale. Au contraire, il faut le faire avec sérieux, car c’est là affaire sérieuse. Mais il faut aussi savoir le faire sans trop se prendre au sérieux, car l’enjeu n’est pas le même que lorsque cette critique posait des questions pratiques à un mouvement révolutionnaire socialement existant. Nous autres « révolutionnaires », nous n’avons guère les moyens de l’être, et, de fait, dans la société de classe où nous vivons, nous sommes tous essentiellement autre chose.
Bob
teuz@riseup.net
[1] La distinction établie par la théorie marxienne entre domination formelle et domination réelle du capital sur le travail renvoie avant tout aux modalités d’extraction de la plus-value : la plus-value absolue est produite par le biais de l’accroissement du temps de surtravail, tandis que la plus-value relative l’est par un surcroît de productivité de la force de travail. La domination réelle marque une prédominance de la plus-value relative, qui s’accompagne de l’englobement dans le rapport capitaliste de la reproduction de la main d’œuvre. Ces deux formes d’exploitation capitaliste peuvent co-exister, et s’alterner. Mais à travers le prisme des modes de subsomption, on peut aussi lire l’histoire du capital, qui est l’histoire de ses crises et de ses restructurations. Ce qui est en jeu est alors moins les modalités d’extraction de la plus-value que celles de l’intégration des prolétaires aux rapports capitalistes. La période fordiste, qui correspond grosso modo aux Trente Glorieuses en Europe, marque le moment où la domination réelle du capital s’étend, par le biais du développement de la consommation de masse, mais aussi du triomphe de la démocratie, dans l’Etat comme dans l’entreprise. La restructuration débutée dans les années 70 a vu se poursuivre et s’approfondir l’extension du rapport social capitaliste à l’ensemble de l’activité humaine, production et reproduction mêlées, tout en revenant parfois à des formes de plus-value absolue dans le rapport d’exploitation dans les zones périphériques. Si la domination réelle du capital s’est approfondie au cours de cette dernière période, ce n’est donc pas du fait du mode d’extraction de la plus-value, mais de l’intégration accrue de la sphère de la reproduction aux rapports capitalistes.
[2] La société civile est cette abstraction effective qui s’est développée en même temps que le mode de production capitaliste et qui pose l’existence de « la société » comme un ensemble de liens produits par les hommes pour eux mêmes, médiatisés par le droit et ses instances. En s’appuyant sur la fiction d’un contrat social, elle confère une affiliation des individus à cette société par-delà les rapports sociaux existants. La société civile veut transformer les hommes en citoyens, intégrer les luttes à la politique, leur faire parler la langue du droit et de l’intérêt général, et leur donner un horizon qui dépasse le seul rejet des rapports sociaux de classe tels qu’ils sont concrètement vécus.
[3] Certes, bien des luttes menées au cours de la période qu’a duré le mouvement ouvrier parlaient un langage qui leur était propre ; bien d’autres aussi n’empruntaient sa syntaxe révolutionnaire que superficiellement, comme discours servant à légitimer des combats menés pour des intérêts propres à certains groupes sociaux. On ne fera jamais de sondage sur la question, mais il n’est pas sûr que tant de prolétaires, même en lutte, se soient alors projetés dans une perspective révolutionnaire. Mais quand même.
[4] En février 1997, l’écroulement de sociétés de placement pyramidales auxquelles était liée la quasi-totalité de la classe politique entraîne la ruine de nombreux Albanais. Des manifestations se transforment en émeutes, puis en soulèvement armé suite au pillage des casernes. Une large partie du pays (essentiellement le sud) échappe alors au contrôle de l’Etat, cela sans qu’aucune forme de direction politique de l’insurrection n’émerge. L’ordre est finalement restauré en avril par une intervention militaire européenne.
[5] Ce qu’on entend ici par « pauvre » ne doit pas être lu dans un sens misérabiliste. On y entend à la fois l’expérience de la confrontation permanente à l’argent comme nécessité, et celle des hiérarchies entre les hommes telle que la société de classe les modèle – qui englobe et dépasse la question de l’accès à l’argent. On y entend donc aussi l’extériorité vis-à-vis de la société civile : les pauvres sont ceux (de l’ouvrier bangladi au sans-papiers malien à Paris, en passant par le hittiste d’Alger ou de Clichy-sous-Bois) qui ne sont pas pris dans les modalités de production de « la société » et de ses fictions quant aux liens unissant abstraitement les hommes devenus citoyens. La catégorie des pauvres ne recouvre ni ne s’oppose à celle des prolétaires. La différence réside simplement dans le niveau de lecture : les prolétaires sont définis dans leur rapport au capital (rapport qui ne recoupe aucune expérience directement vécue) quand les pauvres le sont dans leur rapport à leur condition sociale immédiate de subalterne (rapport directement vécu). Tous les prolétaires ne sont pas forcément des pauvres (d’aucuns peuvent être intégrés aux médiations de la société civile, particulièrement en Occident) ; en revanche, si on retient la définition « sans réserve », tous les pauvres sont des prolétaires. Mais quand les pauvres produisent une mobilisation collective, le lien qui les unit n’est jamais politique : il est le fruit du partage immédiat d’une condition sociale, qui s’inscrit à la fois dans des rapports d’antagonisme et de reconnaissance, produits et reproduits localement. Quand les pauvres se bougent contre les conditions qui leur sont faites, potentiellement ils affrontent la coercition qui les maintient dans leur condition (la police sous toutes ses formes) ; potentiellement ils affrontent les rapports sociaux immédiats dans lesquels s’inscrit leur pauvreté (ceux qui, face à eux, les exploitent, disposent des marchandises, etc.) ; potentiellement aussi ils affrontent les pauvres qui leur font face. Ils ne le font pas parce qu’ils sont cons, mais bien pour des intérêts sociaux (matériels ou non) liés à leur condition présente, et ces rapports-là sont aussi des rapports sociaux de classe produits par le capital – ils ne sont pas distincts dans ce qui les produit de la révolte « contre les oppresseurs ». Moins que jamais, le capitalisme ne crée d’unité entre les pauvres – moins que jamais il n’en fait un « sujet révolutionnaire » qui s’investirait de s’emparer de la société pour la renverser.
[6] Ce qui avait abouti à la dynamique capitaliste des Trente Glorieuses était essentiellement une meilleure intégration des prolétaires au rapports capitalistes, et l’extension de la domination réelle du capital sur le travail : en 1936, lâcher les congés payés est douloureux pour le patronat français, à terme la chose est à lire au regard de l’émergence de la production/consommation de masse et à l’ouverture de nouveaux marchés. De manière générale, tous les « acquis sociaux » de la période fordiste, certes « arrachés de haute lutte » participaient de ce processus.
[7] Depuis quelques décennies, des mouvements émeutiers et assembléistes à forte coloration politique traversent de loin en loin la jeunesse occidentale et semblent parfois approcher un certain point de rupture. On peut faire remonter le phénomène au Mouvement de 77 en Italie, et le relier au mouvement contre le CPE en 2006 en France ou aux émeutes de décembre 2008 en Grèce (avec tout ce qu’impliquent les trente années qui les séparent). Dans ces mouvements, qui sont autant de révoltes, le déterminisme de classe est subordonné à la dimension juvénile et au brassage social qu’il induit. On les lira comme autant de mouvements de refus des mécanismes de reproduction sociale, refus exprimé à partir des diverses formes de vie sociale propres à une jeunesse qui n’a pas encore été projetée dans la nécessité de reproduire individuellement sa carcasse, qui se manifeste alors comme « désaffiliée » et aspire collectivement à « autre chose ». On pourra aussi lire ces mouvements, d’un point de vue plus objectiviste, comme les symptômes d’une crise d’intégration des prolétaires au capital, propres à la période post-fordiste. Leur force de rupture est souvent grande, et l’affrontement avec la police, associée à la palabre généralisée et à la joie d’une puissance collective soudainement constituée, semblent parfois dessiner le visage de lendemains révolutionnaires en gestation. Pour autant, ces mouvements buttent toujours sur la même limite : leur incapacité à produire un rapport de force s’exprimant au sein du rapport capitaliste lui-même, au sein du rapport capital-travail. Cela n’a rien de contingent : conséquence de la restructuration et de la fin de l’appartenance sociale liée au travail, la vie est désormais hors de l’usine, et c’est également hors d’elle que s’exprime collectivement le refus de l’ordre social – cela alors que c’est encore essentiellement au sein de l’usine restructurée que se produit ce monde. C’est l’actuel mode de production capitaliste qui produit la « désaffiliation » de sa jeunesse (catégorie qu’il a lui-même créé dans l’euphorie productiviste des Trente Glorieuses), et il a jusqu’ici réussi à circonscrire la subversion qui peut s’y exprimer à une affaire de discipline sociale qui, loin d’être insignifiants, n’a rien à voir avec ce que serait une crise généralisée de la reproduction du capital variable. Dans ce qui s’y exprime en terme de refus du monde capitaliste, le Mouvement de 77 en Italie surgit comme le moment à plus forte potentialité révolutionnaire de la décennie 70. Mais si la lutte envahit à ce moment-là la rue, les quartiers, les facs, etc., c’est aussi qu’elle est en train de quitter le terrain des usines – et que quelque part une défaite a été consommée : le prolétariat italien a en 1977 perdu la capacité de gripper le cœur de la machine, et le mouvement de subversion qui s’empare alors de la société ne freine en rien l’offensive capitaliste qui se déploie parallèlement pour restructurer les rapports d’exploitation.
[8] Le discours des militants révolutionnaires de la périphérie a lui progressivement glissé du « socialisme » vers des revendications démocratiques du type « droits de l’homme et justice sociale », où il n’est plus guère question de renverser l’ordre social.
[9] Un hittiste, en arabe maghrébin, est un « teneur de mur », c’est-à-dire un jeune chômeur qui traîne.
Salut,
Je ne commente pas le texte, mais son appréciation par DNDF, je cite:
“un texte qui prouve qu’on peut écrire de façon claire et très abordable sans céder un pouce à la vulgarisation théorique”
Qu’est ce que ça veux dire? Quelle différence établissez vous, camarades, entre écrire de façons claire et abordable, et vulgariser?
Pour aller un peu plus loin, et sans révérence non plus pour les “saintes écritures”, citons Marx, dans une lettre a Kugelman du 28 décembre 1862:
[il parle du capital] “Dans le premier fascicule, le mode d’exposition était, il est vrai, très peu populaire. Cela tenait en partie à la nature abstraite du sujet, au peu de place qui m’était imparti et au but de ce travail. Cette partie‑ci est plus facilement intelligible, parce qu’elle traite de rapports plus concrets.
Des essais scientifiques écrits en vue de révolutionner une science ne peuvent être jamais vraiment populaires. mais une fois la base scientifique posée, la vulgarisation est facile. Si les temps devaient devenir plus agités, on pourrait aussi choisir les couleurs et les encres qu’un exposé populaire de ces sujets‑ci requerrait alors.” (fin de citation)
Pour aller plus loin, disons que même ce travail, celui visant a faire de la théorie, peut a mon sens être vulgarisé. Il s’agit surtout d’un travail sur les termes. Aussi sur le style, bien sûr ( les couleurs et les encres) mais d’abord sur les termes, et leur définition.
Je rajoute que vulgariser, mettre à portée, c’est aussi risquer de rendre accessible, et donc critiquable des positions: c’est toujours risqué.
Pour ma part, j’utilise sans vergogne les textes “peu accessibles” des camarades, et de ce côté là, dans notre petit courant ( si l’on peut dire) on est servi. Alors je ne vais pas jeter la pierre.
Mais de grâce, cédons, et plus qu’un pouce, a la vulgarisation théorique! Faisons lui même une bonne place!
Moi non plus je ne vais pas commenter, c’est un prétexte pour ceci :
http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20130213.REU7297/un-chomeur-s-immole-devant-une-agence-pole-emploi-a-nantes.html
On se souvient qu’en Tunisie, à Sidi Bouzid, un jeune chômeur diplômé s’est tué de la même façon, harassé par la police qui le verbalisait et l’empêchait de survivre en vendant quelques légumes. Les Tunisien-nes ont réagit comme l’on sait à cet énième injustice et atrocité. Les Français-es, et généralement les habitant-e-s des nations plus prospères n’en sont pas là, non assurément : il faut plus pour s’émouvoir, ici on a déjà tout vu, la xénophobie, le racisme, la haine des pauvres et des assisté-e-s, l’apologie des grands hommes pourvoyeurs d’emplois et de pourboire. Ici, c’est trop grave, on sait, -peut-être-, du moins on subodore où la moindre rebiffade pourrait mener; où le moindre accroc ne pourrait que filer. Car tout est vermoulu et corrompu, non accidentellement et aléatoirement, mais comme essentiellement et intrinsèquement, c’est une grosse combine dans laquelle on ne crache pas dans la soupe au risque de devoir tout virer : bébé & eau du bain. C’est pourquoi les Français-es, par exemple, misent beaucoup…sur les jeux de hasard pour se la couler douce ; iront-ils loin ? ou bien profond : comme l’imbécilité, en latin.
@A.D.
malheureusement, la france n’a pas le monopole de tel acte
l’auto-immolation comme une forme de protestation contre la paupérisation économique
L’homme se met le feu à l’extérieur Birmingham jobcentre
Depuis le the guardian Vendredi 29 Juin 2012
Citation:
Un homme a lui-même mis le feu à l’extérieur d’un jobcentre Birmingham après ce qui était rapports suggèrent une dispute au sujet des paiements de prestations.
L’homme de 48 ans nommé est compris s’être aspergé d’un liquide inflammable et s’est attaché à garde-corps après une dispute à l’intérieur du Jobcentre Plus dans la zone de Selly Oak jeudi.
La police est arrivée sur les lieux et ont éteint le feu après le Jobcentre a été évacué.
L’homme a ensuite été transporté à l’hôpital avec des brûlures aux jambes.
Une source ayant des liens avec le personnel du centre a déclaré au Guardian que l’homme avait été reconnu par le personnel comme étant vulnérables aux problèmes de santé en suspens, mais avait récemment été reconnus aptes à travailler précipitant le passage d’un avantage à l’autre.Cela a entraîné des retards de paiement.
Un témoin anonyme qui a parlé au Birmingham Mail a déclaré: «Le gars est venu dans le Jobcentre avec de l’essence et des menaces, alors ils ont évacué le bâtiment ensemble, je pense que c’était quelque chose à voir avec un paiement qu’il n’avait pas reçu..
“Il s’est attaché à la grille et déchira le bas de son pantalon. On sentait l’odeur des fumées provenant du liquide qu’il a utilisé, mais les policiers sont arrivés au moment où il s’était fixé descendre et ils ont réussi à le mettre hors assez rapidement.
“Il faut avoir été très désespéré d’avoir fait quelque chose comme ça. C’est choquant que quelqu’un aurait pu être amené à ces profondeurs.”
West Midlands la police, dit l’homme a été l’objet d’une évaluation de la santé mentale.
Un porte-parole du syndicat PCS, qui représente le personnel au centre, a déclaré: «Bien que nous ne savons toujours pas les circonstances exactes, c’est tragique et très triste que n’importe qui pourrait être poussé à un tel acte désespéré.”
L’incident fait suite à une tentative de suicide dans un bureau avantages Liverpool plus tôt cette année.
04/01/2013 – Two Spaniards self-immolate due to financial problems
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/02/15/un-homme-se-disant-chomeur-en-fin-de-droits-tente-de-se-suicider-par-le-feu_1833499_3224.html
Oui, la France n’a pas le monopole (emploi?), d’ailleurs 100 thibétains sont immolés, rien à voir avec la crise dans leur cas.
@Rataxes
Dans ce chapeau, il est bien évident qu’il est dit qu’un texte accessible, lisible, critiquable est bienvenu et même ici signalé comme remarquable.
“Vulgariser” a diverses acceptions. Cela veut souvent dire simplifier, eviter la complexité, arrondir les angles, sous le prétexte d’être compris.
Il est vrai que dans le milieu de la communisation, les textes sont souvent abscons. Mais on trouve aussi “la théorie expliquée à ma fille”, ce qui n’est pas le cas de ce texte……et ça fait plaisir. c’est tout…
Quelques remarques rapides.
Cela ressemble à une grosse synthèse de tout ce qui se dit dans le milieu révolutionnaire. Il y a des points intéressants, mais cela reste très vague car ça ne va pas au bout de ce qui est dit, par manque de prise de risque peut être puisque cela s’adresse à tout le milieu qui est à la fois critiqué, mais à qui on s’adresse aussi comme milieu justement. Ainsi, affleure par exemple une critique de la communisation sans que le mot soit employé. Et si on rentre plus dans les détails le nouveau continue à côtoyer l’ancien sans que cela pose problème semble-t-il. Trois exemples, d’abord le plus précis avec une définition de DF/DR qui commence par s’appuyer sur l’orthodoxie de la distinction plv absolue/plv relative puis l’abandonne pour dire que finalement ce qui compte c’est la plus ou moins grande intégration de la classe supposée révolutionnaire ; le second sur la question des classes qui n’est traitée que de façon circulaire avec critique de la conception strictement prolétarienne des classes, élargissement aux surnuméraires et pauvres puis reconduction des classes à partir de la perpétuation des inégalités. Rien n’est dit sur le concept de classe lui-même qui n’est finalement critiqué que parce qu’il a été utilisé dans un sens déterminisme ou au contraire messianique. Que cela ne soit qu’une construction de la théorie révolutionnaire prolétarienne, certes à valeur heuristique et politique, n’est même pas envisagé. À Temps critiques nous l’avons pourtant soulevé la question et dans plusieurs articles nous avons énoncé, qu’au sens strict de sujet révolutionnaire (celui de la classe “en soi” et du “pour soi” du Marx hegelien), s’il y a eu une classe révolutionnaire , ce fut la bourgeoisie ; enfin troisième exemple sur la crise où après avoir dit que vous ne vous risqueriez pas sur l’analyse de la crise économique de 2008, vous placez tout cela tranquillement dans le cadre des crises de surproduction. Nous n’aurons pas d’explication, mais je suppose qu’il faut là encore se référer au texte d’Astarian en critique de celui de Roland Simon paru il y a deux ou trois ans et où nous avions eu droit à une leçon d’orthodoxie (cela dit sans vouloir venir au secours de RS dont la théorie mixte d’une crise de surproduction et de sous-consommation ne m’avait pas paru plus convaincante, ces deux auteurs n’ayant aucune considération pour le rôle du capital fictif dans la dynamique du capital et donc aussi dans l’alimentation de ses crises).
Pourquoi ne pas dire que, pour toi, la valeur n’est plus que pure représentation et que par conséquent il n’y a plus d’exploitation ni bien sûr de classes?
Ce serait plus clair et les lecteurs pourraient mieux comprendre ce que tu dis sur le capital fictif à savoir que le capital tout entier est fictif!
Comment se fait-il d’ailleurs qu’il y ait des crises puisque il n’y a plus de valeur-travail et que donc il ne peut y avoir de baisse du taux de profit ni bien sûr de suraccumulation ni de surproduction!
Ta tentative de sortir de ta nasse en attaquant les “orthodoxes” tout en dissimulant l’essentiel de ce que tu penses est triste à voir , il faudrait assumer ton raillement à la thèse de l’anthropomorphose du capital qui dit que le capital devenu être humain ne laisse comme alternative que de le quitter et ne pas chercher à te rattraper aux branches en faisant étalage d’érudition
Traduction allemande: http://www.kommunisierung.net/spip.php?article15