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Genre : « Il est inadmissible d’instrumentaliser la biologie »

Le discours scientifique a ses limites; il accompagne parfois bien le discours théorique….dndf

Les débats récents sur l’introduction de la notion de genre dans les manuels et les pratiques scolaires sont particulièrement vifs et passionnés. Si de nombreux représentants des sciences humaines et sociales ont fait entendre leur voix dans ces échanges, les biologistes ont, pour leur part, peu pris la parole. La biologie actuelle, souvent utilisée dans ce débat, nous dit-elle quelque chose de pertinent sur la notion de genre et est-elle susceptible de nous éclairer sur la polémique en cours ?

PRÉSENTATION NAÏVE VOIRE MALHONNÊTE ET DÉMAGOGIQUE
Les opposants au concept de genre prétendent souvent avancer des arguments relevant des sciences biologiques pour appuyer leurs propos. Ils construisent leur discours sur une supposée différence essentielle entre hommes et femmes, qui viendrait fonder un ordre décrit comme « naturel ». Les éléments de biologie sur lesquels ils s’appuient sont cependant, dans la plupart des cas, sortis de leur contexte et indûment généralisés.

Cette manière de présenter les résultats des sciences du vivant contemporaines est au mieux naïve, au pire malhonnête et démagogique. Nous tenons à affirmer avec la plus grande insistance que les connaissances scientifiques issues de la biologie actuelle ne nous permettent en aucun cas de dégager un quelconque « ordre naturel » en ce qui concerne les comportements hommes-femmes ou les orientations et les identités sexuelles.

Au contraire, la biologie, en particulier la biologie de l’évolution, suggère plutôt l’existence d’un « désordre naturel », résultant de l’action du hasard et de la sélection naturelle. Elle nous révèle une forte diversité des comportements, qu’ils soient ou non sexués : dans la nature, les orientations et pratiques sexuelles, les modes de reproduction et les stratégies parentales sont incroyablement variés.

Chez le crapaud accoucheur, par exemple, le mâle porte les oeufs sur son dos et s’en occupe jusqu’à éclosion, tandis que les mérous changent de sexe au cours de leur vie. Il est intéressant, et quelque peu amusant, de noter que ce ne sont jamais de tels exemples qui sont mis en avant dans les débats actuels, lorsqu’il est question d’affirmer que la « biologie » nous donnerait à voir le « modèle naturel » que devraient suivre les sociétés humaines.

Les organisations opposées à la notion de genre présentent aussi une version volontairement caricaturale des études de genre, dénonçant une hypothétique conspiration qui, sous les habits d’une prétendue « théorie du genre », aurait pour objectif de nier toute différence entre les individus et de détruire la famille.

Pourtant, le fait d’analyser les constructions sociales qui entourent les différences entre les sexes n’implique en aucun cas de nier la réalité biologique du sexe, même si cela peut tout de même conduire à s’interroger sur la manière dont s’élaborent les différences entre les sexes, notamment au cours du développement embryonnaire, ainsi que sur la manière dont les sexes biologiques ne sont parfois pas (ou pas encore) « différenciés ».

LES SOCIÉTÉS HUMAINES NE SE RÉDUISENT PAS À LA DIMENSION BIOLOGIQUE DE L’ÊTRE HUMAIN
En outre, s’il y a évidemment des différences biologiques entre les hommes et les femmes, les sociétés humaines ne se réduisent pas à la dimension biologique de l’être humain, et de nombreux travaux récents, notamment sur la plasticité phénotypique, l’épigénétique et les approches écologiques du développement, ont montré qu’il était souvent difficile, voire impossible, de faire la part entre la « nature » et la « culture ».

Les sociétés humaines sont le résultat d’interactions complexes entre des facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et culturels, si bien qu’aucune discipline, qu’il s’agisse de la biologie ou d’une autre, ne saurait confisquer le discours intellectuel sur les différences entre femmes et hommes. Cette diversité apparaît d’ailleurs dans les études sur le genre elles-mêmes, puisqu’elles relèvent de champs académiques extrêmement diversifiés.

Dénoncer la « théorie du genre » revient d’ailleurs à commettre une confusion classique et regrettable sur ce qu’est une théorie. Semblant prendre modèle sur les partisans du « dessein intelligent », qui dénoncent dans la biologie de l’évolution un discours qui ne serait, justement, « qu’une théorie », les opposants au concept de genre cherchent à dénigrer les études portant sur l’identité et l’orientation sexuelle ou sur les inégalités sociales entre les sexes. Ces études ont pourtant fait la preuve de leur intérêt et de leur capacité à mettre en lumière des aspects jusque-là impensés ou négligés de nos histoires ou de nos sociétés.

RÉINTERPRÉTATION DE LA SCIENCE À DES FINS POLITIQUES
Enfin, les opposants au concept de genre, en tentant insidieusement de déplacer le débat du champ de la politique à celui de la biologie, ont pour objectif d’imposer leur système de représentations. Cependant, ce système n’a rien de naturel ni d’universel. En le proposant, ses promoteurs usurpent les habits du sérieux scientifique, puisqu’ils réinterprètent des faits biologiques d’une manière profondément biaisée par leur vision particulière de ce que devrait être notre société.

La science s’efforce de déployer un discours aussi objectif et rigoureux que possible, et elle ne doit donc en aucun cas servir à conforter des préjugés. Le devoir des scientifiques est de lutter contre la désinformation et les utilisations inadéquates de leur discours. C’est pourquoi nous rappelons qu’aucune observation de la nature ne saurait avoir de prétention normative pour la société.

Quelles que soient les conclusions scientifiques relatives aux origines des différences entre les hommes et les femmes, celles-ci ne doivent pas servir à légitimer l’inégalité entre les sexes dans nos sociétés, et les inégalités ne doivent pas non plus être présentées comme des faits de nature. La notion même d’identité sexuelle est structurellement humaine, et ne saurait donc être appréhendée par une approche seulement biologique.

Il est donc inadmissible et vain d’instrumentaliser la biologie dans un débat concernant l’égalité sociale entre les individus, quels que soient leur sexe, leur identité ou leur orientation sexuelle. L’apprentissage de l’égalité ne peut se faire que par l’éducation, et ce qui se passe dans la nature ne nous renseigne en aucun cas sur les décisions politiques que nous devons prendre.

En bannissant le mot « genre » des manuels scolaires, le gouvernement semble avoir choisi de satisfaire les revendications arbitraires d’un groupe de manifestants, balayant d’un revers de main les études sur le genre, un champ d’étude riche de plusieurs décennies de travaux.

Nous, enseignants et chercheurs en biologie et philosophie de la biologie, condamnons ce marchandage du savoir avec des groupes de pression, au mépris des connaissances scientifiques actuelles. En tant que scientifiques et citoyens, nous dénonçons fermement l’usurpation du discours scientifique pour imposer abusivement une idéologie inégalitaire.

Les auteur.e.s du texte sont les suivants

Arnaud Becheler, master recherche, écologie évolutive, Montpellier

Nicolas Bredèche, enseignant-chercheur, bio-informatique, Paris

Juliane Casquet, chercheuse, écologie évolutive, Toulouse

Anne Charmantier, chercheuse, écologie évolutive, Montpellier

Victor Colomina, master recherche, écologie évolutive, Toulouse

Sophie Delerue, chercheuse, biologie évolutive, Belgique

Frédéric Ducarme, enseignant-chercheur, philosophie des sciences, Paris

Sophie Gerber, chercheuse, génétique des populations et philosophie de la biologie, Bordeaux

Patricia Gibert, chercheuse, écologie évolutive, Villeurbanne

Frédéric Hospital, chercheur, génétique, Jouy en Josas

Léa Lejeune, étudiante, biologie évolutive, Cachan

François Maricourt, enseignant SVT, Cestas

Thomas Pradeu, enseignant-chercheur, philosophie de la biologie, Paris

Christophe Robaglia, enseignant-chercheur, génétique, Marseille

Laure Villate, chercheuse, écologie évolutive, Bordeaux

Caroline Zanchi, chercheuse, écologie évolutive, Berlin

la source: http://genreetbiologie.wordpress.com/

Categories: Nouvelles du monde Tags:
  1. Whatever
    23/04/2014 à 11:09 | #1

    «s’il y a évidemment des différences biologiques entre les hommes et les femmes»
    Même ceci est loin d’être évident. Les théories que l’on m’a enseigné au collège me disent que l’on a par exemple les chromosomes XX et XY qui déterminent homme et femme, et qui produisent en vrac seins, vagin… d’un côté et penis et muscle… d’un autre. Ces théories sont inexacts puisqu’elles ne prennent pas en compte l’ensemble des individu_e_s, dont une grande portion est alors marqué_e… déviant_e, malade.

    Par exemple, il est intéressant de voir l’évolution des tests de féminité dans les évènements sportifs :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_f%C3%A9minit%C3%A9
    http://home.nordnet.fr/scharlet/linterse.htm (attention, le site utilise un autre mot pour parler d’intersexualité)

    La réalité, c’est que même biologiquement, il est très difficile de dire qu’une personne est masculine ou féminine si on prends la peine de s’intéresser à l’ensemble des personnes.

    Et c’est pour ça qu’en toute honnêteté intellectuel, il serait bon que vous commenciez à considérer qu’il n’y a aucun corps masculin ou féminin, et que par conséquent le climat politique actuel choisissant de lutter pour que toutes personnes puissent se définir ignorant les normes, vous fassiez de même et considériez dans votre écriture que des gens se définissent autrement que “homme” ou “femme”.

    Je sais que ce texte n’est pas de vous mais vous vous en faites le relai. Il est pourtant erroné, et n’est même pas un tant soit peu progressiste.

    «Les organisations opposées à la notion de genre présentent aussi une version volontairement caricaturale des études de genre, dénonçant une hypothétique conspiration qui, sous les habits d’une prétendue « théorie du genre », aurait pour objectif de nier toute différence entre les individus et de détruire la famille.»

    Se faire le relai comme vous le faites d’un discours mou et sans conviction, c’est rester sur la défensive alors qu’il parait nécessaire de s’impliquer si l’on veut que les personnes ne se sentant pas à l’aise avec ces catégorisations se sentent soutenu_e_s.
    Plusieurs mouvements politiques essayent de s’impliquer (mouvement_s_ queer_s_ etc), mettez-y du votre !

  2. Whatever
    23/04/2014 à 11:11 | #2

    @Whatever
    il est très difficile de dire qu’une personne est masculine ou féminine

    Je voulais dire «il est impossible de dire qu’une personne est masculine ou féminine»

  3. Bernard lyon
    24/04/2014 à 12:24 | #3

    “Les organisations opposées à la notion de genre présentent aussi une version volontairement caricaturale des études de genre, dénonçant une hypothétique conspiration qui, sous les habits d’une prétendue « théorie du genre », aurait pour objectif de nier toute différence entre les individus et de détruire la famille.”

    La théorie du genre serait donc un complot (“américano-sioniste” sans doute), bien sûr puisque d”après des intégristes catho elle a été créée par des “lesbiennes juives américaines” CQFD!

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