Le Xinjiang manifeste son ras-le-bol
La marginalisation économique et culturelle des Ouïgours pourrait être à l’origine des heurts qui ont fait officiellement 156 morts et plus de 1 000 blessés.
Massives et urbaines, les émeutes meurtrières qui ont éclaté à Urumqi, la capitale de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, dans la nuit du 5 au 6 juillet, se distinguent des précédents épisodes de violences qui ont secoué cette région du nord-ouest de la Chine, expliquent les spécialistes. Ces derniers avancent l’accroissement des difficultés économiques plutôt que la tentation séparatiste pour expliquer l’éruption de ces violences ethniques, les plus graves enregistrées dans cette région à dominante musulmane depuis des décennies [et les violences les plus meurtrières en Chine depuis Tian’anmen, en 1989].[print_link]
Les autorités chinoises, qui auraient repris le contrôle de la situation [près de 1 500 personnes ont officiellement été arrêtées, et des affrontements se poursuivaient le 7 juillet à Urumqi], ont aussitôt mis en cause des “forces extérieures”, ainsi qu’elles l’avaient fait après les grandes manifestations au Tibet en mars 2008. A présent, Pékin accuse la dirigeante exilée ouïgoure, Rebiya Kadeer, d’avoir “fomenté” cette révolte. Certains experts doutent toutefois de l’implication de la diaspora ouïgoure, qui proteste depuis longtemps contre le non-respect des droits de l’homme dans la province du Xinjiang. “Ces événements semblent surtout liés à la situation économique, qui était déjà difficile en période de croissance et n’a fait que s’aggraver avec la crise”, estime Dru Gladney, spécialiste du Xinjiang à l’université Pomona de Californie.
A l’instar des Tibétains, les Ouïgours – qui représentent plus de 8 millions d’habitants sur les 21 que compte la région – se sentent depuis longtemps économiquement marginalisés sur leur propre territoire. Moins éduqués, moins bien formés et concentrés dans les zones rurales, ils ont du mal à rivaliser avec les Hans [majorité ethnique chinoise] qui représentent désormais 40 % de la population. “Les Ouïgours en veulent aux Chinois de l’intérieur qui s’installent dans la région et prennent tous les emplois, les bons comme les mauvais”, explique Dru Gladney. Constatant que la Chine signale une hausse des “incidents de masse” depuis quelques années, l’anthropologue ajoute que “la situation économique est devenue suffisamment difficile pour que les gens descendent dans la rue sans qu’il faille d’incitations extérieures”. Les précédentes manifestations survenues dans cette région instable avaient eu lieu principalement dans le sud rural, où la population ouïgoure est plus nombreuse.
Urumqi, où les gratte-ciel se dressent au-dessus des bazars traditionnels et où les Ouïgours représentent quelque 10 % de la population, voire moins, n’avait connu aucune manifestation depuis le début des années 1990. Autant dire que cet épisode est “inhabituel”, estime Dru Gladney. “En outre, les nouveaux troubles ne cadrent apparemment pas avec l’idée selon laquelle les Ouïgours seraient inspirés par l’islamisme ou le séparatisme”, ajoute-t-il. Un autre observateur du Xinjiang, le professeur Barry Sautman, de l’université des sciences et de la technologie de Hong Kong, émet l’hypothèse que des groupes séparatistes pourraient avoir quelque chose à voir avec les récentes émeutes. Mais il ajoute que de tels efforts de mobilisation auraient joué sur le mécontentement suscité par la marginalisation économique et les entraves à la liberté religieuse. “Comme en 2008, quand Pékin a organisé les Jeux olympiques, cette année est une grande année pour la Chine, note Barry Sautman. C’est le soixantième anniversaire de la république populaire de Chine [fondée le 1er octobre 1949]. Ceux qui veulent attirer l’attention du reste du monde sur leur cause pensent peut-être que le moment est bien choisi.” Dépourvus de figure charismatique comme le dalaï-lama, les Ouïgours n’ont pas vu leur cause relayée par les médias internationaux. Mais les derniers troubles vont peut-être changer la situation à cet égard, estime Dr Li Mingjiang, spécialiste des relations internationales à l’Ecole d’études internationales S. Rajaratnam, à Singapour. “Cela pourrait retourner l’opinion internationale contre les autorités chinoises, explique-t-il. Mais, en dernière analyse, cela ne devrait pas peser sur les relations qu’entretiennent Pékin et les pays occidentaux et musulmans.” Les autorités chinoises ont d’ailleurs réagi très rapidement, invitant les médias étrangers à se rendre sur place dès le 6 juillet, au lieu d’imposer un black-out de l’information comme cela avait été le cas au printemps 2008, au lendemain des émeutes du Tibet. “Pékin en a tiré les leçons et maintenant il sait qu’une plus grande ouverture vaut mieux pour son image internationale.”
07.07.2009 | Sim Chi Yin | The Straits Times
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