« le problème majeur auquel nous sommes confronté, c’est nous. »
Actes d’insubordination contre l’ordre confédéral d’usine. Une position politique.
traduction de Stive
15 avril 2015
Posted by http://coordinamentomigranti.org/
La Fonderie d’ATTI/Atla de Bentivoglio a une longue histoire d’exploitation, machines dangereuses, licenciements injustifiés. Nous avons manifesté devant ses bureaux en 2004 en défense d’un travailleur qui avait refusé de travailler dans des conditions dangereuses pour sa santé. Aujourd’hui l’histoire se répète. Abdelkader, de retour d’un accident de travail, a légitimement refusé de retourner sur un poste de travail non adapté à ses conditions de santé et, pour cela, a été licencié. Les deux jours de grève ont bloqué l’entrée et la sortie des marchandises : actes d’insubordination contre l’ordre confédéral de l’entreprise, patron blême de rage qui expérimente ce qu’est la colère, camionnettes de la police guettant les affrontements des classes, divisions évidentes et coups échangés entre travailleurs. Tout cela s’est produit la semaine dernière à la fonderie de Bentivoglio.
Les actes d’insubordination des ouvriers migrants ont provoqué une riposte brutale qui n’est pas seulement l’exemple de la politique patronale d’exploitation, mais la mise en route d’une précarisation des conditions de travail en usine et en lien avec la politique en cours des Jobs Act. Il est question de détruire définitivement toute possibilité de lutte, tout pouvoir contractuel, et surtout maintenant que SiCobas a rompu le front de l’immobilisme mis en place par les syndicats Confédéraux. La caisse de chômage, l’immobilité de niveau, la discrimination envers les femmes, les hiérarchies internes – pour laquelle les ouvriers italiens ou les ouvriers les plus dociles ne veulent accomplir les mêmes tâches que celles des travailleurs migrants ou ceux qui refusent de baisser la tête – sont les expédients mis en œuvre pour faire de l’usine une « caserne », comme disent carrément les travailleurs.
Ce qu’ont fait les travailleurs avec leur grève et leur blocage de circulation des marchandises n’est pas seulement un acte de solidarité et de courage, mais le refus net d’une politique de soumission au patron, mais aussi aux syndicats confédéraux complices, et aux institutions. Lors de la négociation le syndicat a prétendu régler le conflit dans la matinée. Et l’on a vu comment il l’a résolu, en envoyant deux véhicules de la police dès 9 heure du matin. Cette politique de soumission passe par l’exigence de monter les ouvriers les contre les autres, les italiens contre les migrants, et même les migrants contre les migrants. Un effort qui trouve aujourd’hui un terrain fertile à cause des années de silences syndicaux face à l’institutionnalisation des hiérarchies non seulement entre migrants et italiens, mais aussi entre les migrants eux-mêmes ; imposés sur les lieux de travail.
On comprend alors qu’à la fin de la seconde matinée de grève, pour escorter un camion qui devait livrer des produits finis, un groupe de travailleurs ( en majorité issus du bureau du personnel, employés, contremaîtres, testeurs etc.) en grande partie composé d’Italiens, est sorti en cortège de entreprise avec à sa tête les délégués de la CISL et CGIL, sur demande du patron qui a menacé d’éteindre les fours, d’envoyer tout le monde au chômage ou en mobilité de poste, à cause du blocage qui rend impossible le maintien des rythmes de production. En 2004, la FIOM expulsée de la Coordination de Migrants s’est mise à défendre des ouvriers espérant ainsi décrocher quelques mandats de délégués dans une usine dont la majorité est détenue par la CISL. Cette fois, la FIOM n’a pas réagi face au comportement patronal et s’est alignée sur la position des autres syndicats confédéraux. Il faut se demander avec qui ils feront la coalition sociale, si au nom du travail ils confondent les intérêts des patrons avec ceux des ouvriers, et au nom de la légalité on équivaut les luttes contre l’exploitation avec les pratiques mafieuses, comme cela s’est fait à Bologne avec Arci et la CGIL ? Ils le feront avec ceux qui veulent toujours défendre le travail, même au prix de la défense de l’usine ?
Par la suite nous avons assisté à un catalogue d’idiotie et de racisme. Un délégué de la CISL a engueulé un migrant qui discutait avec ses camarades : « parle italien, je ne te comprend pas ». Inévitablement la peur de la crise a pris le dessus avec des interventions de ce type : « tu fais la grève, alors si je perds demain mon travail, mon fils viendra manger chez toi » ou bien « si ça ne vous plaît pas, allez ailleurs ». D’autres, plus calmes, s’appelant par leur nom, ont heureusement repris les discussions qui par ailleurs avaient commencé en usine. Tous ont cependant entendu le délégué CISL crier aux travailleurs en grève qu’ « il n’y a pas de droit sans devoir », comme le devoir de travailler qui plaît tant aux patrons. Plusieurs ont vu quatre travailleurs italiens jeter à terre un migrant qui s’était posté devant un camion pour bloquer sa sortie. A la fin, le camion est parvenu à sortir, escorté par la peur et la soumission, par ceux qui croient, argumentant avec des trésors de rhétorique syndicale, qu’il est nécessaire de ‘défendre d’abord le travail, avant les travailleurs ».
Tout cela, ce n’est pas seulement une photographie de ce conflit interne à l’usine, mais l’instantané d’une usine 2.0 au temps du Jobs Act. L’ATTI/Atla est un clair exemple de la façon dont les entreprises peuvent profiter du Job Act, transformant la caisse de chômage en profit indirect, garantissant le travail just in time, et les emplois jetables, puis en utilisant les réductions d’impôt à volonté et les travailleurs comme des pions. Avec les protections qui couvrent les entreprises, les patrons peuvent même baisser les salaires.
Les divisions que nous avons vues à Bentivoglio sont le fruit de la politique de soumission poursuivie par le gouvernement et les syndicats de gouvernement. Nous voulons partir des actes d’insubordination de celui qui, comme les migrants, a décidé de dire non, pour avoir beaucoup à perdre, car le salaire ne permet pas seulement les moyens de subsistance des familles, mais aussi le permis de séjour, et le droit de rester à l’endroit dans lequel ils vivent depuis des années. Ces migrants décident de lutter comme ouvriers contre l’exploitation et les abus du patron, ils ne demandent pas la permission de revendiquer leurs droits parce qu’ils savent que le patron ne connaît pas de devoirs et ne se font pas d’illusions. Mais nous savons que la politique de soumission est le problème de tous, de celui qui lutte et de celui qui a peur, des précaires et d’illusoires garanties, des migrants et des italiens. Chaque jours, dans les luttes contre la précarité, nous trouvons en réduit le scénario surréaliste auquel nous avons assisté à Bentivoglio : la peur, le racisme, la résignation, la politique patronale, la connivence syndicale.
La politique de la soumission produit ou invente les divisions : le chantage sur le salaire, mais aussi la conviction diffuse que de participer au jeu du chantage est l’unique chance de sauver sa peau, de finir les fins de mois et pour ne pas finir dans le labyrinthe de la précarité. La politique de la soumission est le problème de tous parce qu’elle dit une vérité dérangeante avec laquelle nous devons commencer à régler les comptes politiquement, qui est que toujours plus de travailleurs ne savent comment se défendre des attaques tout azimut qu’ils subissent, pendant qu’aux entreprise on accorde toujours plus de marge de manœuvre. Contre la politique de la soumission, contre la politisation syndicale de la crise, contre collaboration avec les patrons, il faut produire un discours politique qui sache affronter les subtiles divisions sans hésitation et sans recourir à des mythes hors de la réalité. Il y a de profondes divisions dans les usines et les autres lieux de travail. Il faut sortir de cela si l’on veut démanteler le château de cartes de la résignation qui produit des organisations en dehors et à l’intérieur des usines et des autres postes de travail à partir des différences. L’unité politique des travailleurs n’est pas, et ne peut être une question d’identité.
Dans cette situation les proclamations ne servent pas beaucoup. Les actes d’insubordination des travailleurs migrants à Bentivglio montre une vérité dérangeante de laquelle nous devons nécessairement partir : le problème majeur auquel nous sommes confronté, c’est nous.
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