Chine: payer plus pour produire plus
Le retour de la croissance se traduit par des difficultés de recrutement. Les entreprises doivent augmenter les salaires. Une perspective qui ne les enchante guère, mais qui pourrait contribuer à soutenir la consommation.
L’industrie face à la raréfaction de la main-d’œuvre
Depuis les années 1990, les écarts de revenus entre régions, entre domaines d’activité, entre villes et campagnes et entre groupes sociaux n’ont pas cessé d’augmenter, constate le site économique Caixin. Le revenu du travail représente aujourd’hui 11 % du PNB, contre environ 17 % dans les années 1980. Selon des chiffres officiels, les revenus des résidents urbains étaient en 2008 environ 3,4 fois supérieurs à ceux des ruraux, et même 5 à 6 fois si l’on prend en compte les compléments sociaux. [print_link]
Selon l’économiste Song Xiaowu, directeur de la Société de recherche sur la réforme économique, il faut autoriser les paysans migrants qui travaillent comme ouvriers à former des syndicats. Selon lui, les 150 millions d’ouvriers d’origine paysanne devraient bénéficier des mêmes conditions qu’un ouvrier urbain – c’est-à-dire obtenir un salaire égal pour un travail égal fourni, ce qui n’est actuellement pas le cas et constitue une véritable discrimination.
Si la rumeur d’une prochaine hausse du salaire minimum a couru récemment dans les différentes régions de Chine, ce n’est sans doute pas un hasard. En ce début d’année, les gouvernements locaux ont par ce biais lancé un message politique en faveur d’une augmentation des revenus des ouvriers. Chacun a encore en mémoire la série de mesures prises, en novembre 2008, par les services gouvernementaux, alors que l’économie chinoise connaissait des difficultés [les carnets de commandes avaient commencé à se vider dès l’été 2008]. Un gel du relèvement du salaire minimum en vigueur dans les entreprises avait été décidé afin de réduire les charges pesant sur celles-ci et éviter les licenciements. D’une manière générale, cela avait été le premier coup d’arrêt à l’évolution du salaire minimum, après plusieurs années de hausse. Le sous-entendu était très clair : le maintien de la croissance économique passait par le développement des entreprises. Il était donc dans l’ordre des choses que les entreprises et les salariés se serrent les coudes en ces temps difficiles pour surmonter ensemble les difficultés.
Or, en l’espace d’à peine une année, la conjoncture économique en Chine a connu de grands changements. Tout d’abord, l’objectif de maintien de la croissance aux alentours de 8 % a été atteint, et les chiffres attestent d’une nette reprise du point de vue macroéconomique. D’autre part, les ménages se montrent plus confiants dans l’économie. Ils font désormais preuve de davantage de sang-froid et de bon sens. La reprise au niveau macroéconomique se concrétise au niveau microéconomique. A l’issue d’une enquête dans les grandes villes exportatrices du delta de la rivière des Perles, les journalistes du quotidien cantonais Guangzhou Ribao ont pu constater un envol des commandes, certaines entreprises ayant enregistré en un mois l’équivalent des commandes d’une année, ce qui s’est accompagné de tensions sur le marché de l’emploi.
La situation dans le delta de la rivière des Perles est en fait révélatrice de celle de l’ensemble de la Chine. Et l’embellie économique a incité les autorités locales à prendre des mesures en faveur d’un relèvement du salaire minimum. D’une certaine manière, les difficultés de recrutement que connaissent certaines régions poussent à une telle mesure. Que les gouvernements locaux prennent l’initiative d’une hausse du salaire minimum, ou qu’ils le fassent contraints par différents facteurs, cela revient au même. Même si les autorités ne prennent pas cette initiative, on constate de facto une hausse des salaires. Le relèvement des salaires constitue pour les entreprises une contrainte dans leur mode de rémunération de leurs ouvriers [tous les deux ans]. Mais un autre élément n’est pas à négliger : le relèvement du salaire minimum entraîne une hausse des revenus, ce qui favorise directement l’élargissement de la demande intérieure, stratégie prônée par les pouvoirs publics [comme alternative à l’économie d’exportation].
Les minima salariaux sont actuellement trop bas
Nous savons que l’instauration d’un salaire minimum est une manière d’exposer la situation des salaires au grand jour, c’est aussi le résultat de l’encadrement du coût de la main-d’œuvre par les autorités. Parfois, un contrôle artificiel peut fausser la fonction de répartition des ressources par le marché. Cependant, toute société cherchant à faire des choix en fonction de principes moraux, la plupart des gouvernements nationaux ont adopté un tel système afin de garantir aux ouvriers aux revenus faibles ou irréguliers des conditions de vie décentes, et assurer ainsi la sécurité et la stabilité de la société.
Les minima salariaux dans les différentes régions de Chine sont actuellement plutôt bas dans l’ensemble [selon les provinces, le salaire minimum légal relevé en 2008 tournait autour de 600 à 700 yuans par mois, soit de 60 à 70 euros ; il est de 960 yuans à Shanghai et atteint un maximum de 1 000 yuans à Shenzhen]. Dans de telles circonstances, prôner leur maintien en l’état peut paraître bon pour les entreprises, mais, en réalité, c’est mauvais pour l’élargissement du marché de la consommation, et par conséquent pour la production.
Aussi pouvons-nous affirmer que ce n’est pas un hasard si des appels en faveur du relèvement des minima salariaux se sont fait entendre au moment où les différents Parlements locaux se sont réunis à la fin du mois de janvier. Il est tout à fait naturel que les demandes des pouvoirs publics, comme l’effet des lois économiques, aillent dans le sens d’un partage des fruits de la reprise et du développement économique au profit des travailleurs à faibles ou moyens revenus en Chine. Par ailleurs, augmenter les revenus tirés du travail, en particulier ceux des travailleurs à faibles ou moyens revenus, constitue également une des clés de l’ajustement du schéma de répartition des revenus.
Certes, ces dernières années, le relèvement des minima salariaux est un sujet qui déclenche facilement des polémiques. Cependant, les multiples batailles théoriques ont permis à de nombreuses personnes de réaliser que la hausse du salaire minimum, en tant que mesure politique, pouvait avoir les effets escomptés à la fois pour garantir le respect des intérêts des travailleurs et pour élargir la demande intérieure. Naturellement, il est assez compliqué de fixer sur le plan technique le niveau de ce salaire minimum. C’est pourquoi les autorités locales doivent agir en fonction de la réalité du terrain. L’ajustement plus ou moins prononcé du salaire minimum est une question qui ne peut être tranchée à l’emporte-pièce. Selon certains observateurs, faire abstraction de l’environnement dans lequel évoluent les petites et moyennes entreprises fausse le débat sur la hausse du salaire minimum. Cette remarque est très pertinente, car on ne peut pas sortir les choses de leur contexte. Et la question du salaire minimum concerne surtout les petites et moyennes entreprises. Du point de vue des pouvoirs publics, améliorer autant que possible le cadre de vie des petites et moyennes entreprises est pour eux l’assurance que le relèvement des minima salariaux produira à terme des effets réels.
Courrier International
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