USA: Grand exode de Latinos en perspective
LaLa nouvelle loi sur l’immigration votée par l’Arizona est non seulement inhumaine mais totalement contre-productive, comme le démontre le chroniqueur hispanique Andrés Oppenheimer.
Une loi entrée en vigueur dans l’Arizona le 23 avril impose aux policiers de l’Etat de vérifier la légalité de la présence dans le pays de tout citoyen au sujet duquel ils auraient un “soupçon raisonnable”, ce qui selon les détracteurs du texte va provoquer de multiples contrôles au faciès. La communauté hispanique des Etats-Unis redoute particulièrement ce texte adopté par un Etat frontalier du Mexique. Le quotidien rapporte notamment les propos de l’ambassadeur du Mexique aux Etats-Unis, Arturo Sarukhán, qui reproche à la gouverneure de l’Arizona d’encourager la discrimination raciale.[print_link]
Maintenant que l’Arizona a adopté la loi anti-immigration la plus xénophobe de tous les Etats-Unis, préparez-vous au grand exode hispanique. Cet exode ne sera pas un mouvement de retour au Mexique ou en Amérique centrale, comme l’espèrent les tenants de ce texte, mais une ruée vers Miami, Los Angeles, Chicago et autres grandes villes à forte population hispanique. Les Latinos iront dans des villes où ils pourront vivre sans craindre de se faire arrêter par la police en raison de la couleur de leur peau ou parce qu’ils parlent en espagnol.
L’actuelle hystérie anti-immigrés en Arizona a été en partie déclenchée par le meurtre [fin mars] d’un propriétaire de ranch, dont beaucoup soupçonnent qu’il aurait pu être commis par un sans-papiers. En vertu de la loi adoptée le 19 avril par le Parlement de l’Etat de l’Arizona, la police pourra arrêter tout individu qu’elle soupçonnera d’être un immigré clandestin. N’importe quel citoyen pourra également porter plainte contre les forces de l’ordre si elles n’assurent pas cette mission.
La nouvelle loi, ratifiée par la gouverneure républicaine Jan Brewer, pourrait déclencher une véritable chasse aux sans-papiers. De nombreux citoyens américains à la peau légèrement foncée, ou qui préfèrent parler en espagnol, se transformeront désormais en suspects.
Mais de l’avis de l’Association des chefs de police de l’Arizona (AACOP) et d’autres institutions, la nouvelle loi sera contre-productive. Il y a effectivement cinq grandes raisons pour lesquelles cette mesure ne tient pas debout.
1. Elle n’empêchera pas les immigrés sans-papiers de continuer à affluer aux Etats-Unis. Tant que le revenu par habitant aux Etats-Unis sera plus de trois fois supérieur à ce qu’il est au Mexique – 46 000 dollars par an contre 13 500, pour être précis –, les Mexicains et autres Latino-Américains continueront à franchir la frontière par tous les moyens.
2. Cette loi n’améliorera pas la sécurité en Arizona. Au contraire, elle ne fera que détourner des moyens policiers qui seraient plus utiles pour combattre la criminalité. De plus, les sans-papiers et les Américains d’origine hispanique qui ne voudront pas avoir d’ennuis avec la police s’abstiendront de signaler les délits aux autorités. On se souvient qu’en 2007 un immigré clandestin nommé Manuel Jesús Córdova avait été décoré par les autorités de l’Arizona pour avoir sauvé un enfant américain de 9 ans dont la mère était morte dans un accident. On peut se demander si Córdova ferait la même chose aujourd’hui.
3. L’économie de l’Arizona pâtira de cette mesure. Il est très probable que la loi soit déclarée anticonstitutionnelle, mais seulement au terme de longues et coûteuses batailles juridiques. D’autre part, le départ de bon nombre des 470 000 sans-papiers latinos et la fermeture de plus de 35 000 entreprises dirigées par des Latinos porteraient un coup très dur aux finances de l’Etat. Si les Latinos s’en vont, “ils emporteront avec eux les dollars de leurs impôts, leurs entreprises et leur pouvoir d’achat”, souligne le Migration Policy Center (MPC), une organisation de défense des droits des immigrés.
4. Si d’autres Etats emboîtent ainsi le pas à l’Arizona, il pourrait en résulter un recul du tourisme latino-américain. Beaucoup des 13 millions de Mexicains, 2,5 millions de Sud-Américains et 860 000 Centre-Américains qui visitent les Etats-Unis tous les ans pourraient y réfléchir à deux fois avant de se rendre dans des endroits où ils risquent d’être interpellés en raison de la couleur de leur peau ou de la langue qu’ils parlent.
5. Cette nouvelle loi est contraire à la diversité qui caractérise les Etats-Unis. Même si l’image du pays s’était dégradée à la suite de la guerre en Irak, les Etats-Unis sont à nouveau perçus positivement dans la plupart des pays du monde, selon un récent sondage de la BBC. Une loi anti-immigration fondée sur le profilage racial ne manquera pas d’écorner à nouveau l’image du pays.
A mon sens, donc, cette loi de l’Arizona est juridiquement contestable, économiquement contre-productive et moralement répugnante, et ne contribuera en rien à résoudre les problèmes d’immigration des Etats-Unis.
La solution, pour éviter que ces mesures ne soient copiées par d’autres Etats, serait que le président Obama lance la réforme de l’immigration, maintes fois promise, qui améliorerait la sécurité aux frontières et permettrait de régulariser bon nombre des plus 10 millions de sans-papiers. Sinon, des élus locaux en mal de notoriété continueront à combler le vide juridique avec des lois xénophobes qui auront pour effet de provoquer un exode massif de Latinos, mais à l’intérieur du pays.
Courrier International
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