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Le soleil éternel de Londres, 26 mars 2011

“Son avion descendait lentement dans la mer de brouillard londonienne, elle s’attendait à trouver tout le reste aussi à sa place – les rues animées, les passants discrets… Mais non. Dès le début, il était clair que les choses allaient être très différentes cette fois. En entrant dans la rame de métro, elle a été frappée par une première révélation : disparues les rames silencieuses pleine de lecteurs muets, c’était maintenant un moment où les passagers se regardaient et pouvaient même, in extremis, se lancer dans une conversation décontractée.”

Sur le quai, elle n’a vu aucun endroit assigné aux arts de rue et elle a croisé des mendiants qui entraient et sortaient à la place. Dans les rues, et elle était sûre qu’il ne s’agissait pas seulement d’elle, les gens marchaient plus lentement. Elle a dépassé un passant. Puis un autre, et un autre. Mais qu’est-ce qui se passait ? C’était comme si les Londoniens n’étaient plus des Londoniens, comme si l’espace qu’ils habitaient s’était un peu déplacé sous leurs pieds vers un lieu au rythme plus lent et détendu – et de peur de perdre ce lieu, les Londoniens s’étaient déplacés avec lui. Les Londoniens n’étaient plus à Londres, et Londres non plus.

(Puis samedi est arrivé.)

Ça avait été surnommée la plus grande manifestation depuis des années, un spectacle à ne pas manquer – et bien sûr elle n’a pas pu résister à la tentation. Il est tôt le matin. À l’extérieur de la station Holborn, la folle procession quotidienne de pendulaires était invisible. Une étrange ambiance la remplaçait. Les gens étaient toujours là, plus encore – ils étaient là par milliers. Mais ils n’étaient pas pressé de se rendre où que ce soit, juste heureux d’être là, pour une fois. Par toute la colère exprimée contre les coupes budgétaires, le cortège était empli d’une atmosphère particulièrement joyeuse, le sentiment de la découverte d’une ville nouvelle, la relecture de sites déjà familiers, de bâtiments, de passages en même temps que tant d’autres personnes. Et la police ? Elle pouvait lire sur leurs visages qu’ils étaient trop nombreux, trop perdus. Il n’étaient pas à leur place dans ce nouveau lieu.

Pour des milliers et des milliers de personnes autour d’elle, c’était comme si le parcours officiel de la manifestation n’avait jamais existé. Elle s’est rapidement retrouvée à Oxford Street. La foule habituelle qui se pressait aux comptoirs de la myriade de magasins était toujours là, mais il y avait une autre foule qui se mêlait et co-existait avec elle. Une foule qu’on ne voit pas souvent ici, qui tourbillonnait alors d’une devanture de magasin à une autre. Des vitrines éclatées à côté de magasins accueillant encore des clients perplexes – les particularités de la crise du capitalisme.

(Samedi soir).

C’est la fin de soirée à Piccadilly. Elle a arpenté le centre de Londres toute la journée. Le petit bout de ville entre Fortnum & Mason (le grand magasin de luxe occupée par UK Uncut) et Piccadilly Square accueille des affrontements presque chorégraphiés entre la police et les corps des manifestants qui résistent à toute tentative de les contenir. Après quelques heures de face à face, des personnes à quelques mètres d’elle tirent d’un sac un cocktail Molotov maladroit, l’allument et le jettent sur la police, la gigantesque enseigne Coca-Cola continue de clignoter en arrière-plan. Cela la frappe, juste là : ces gens ne portent pas l’expérience de Londres par cette action. Il n’y a pas eu de cocktails Molotov lancés à Londres depuis des années.

Mais est-ce Londres ? Alors que la lumière baisse, la ville commence à se déplacer. Londres est maintenant à Turin, d’où viennent les touristes qui chantent Bella Ciao avec enthousiasme. Londres est à Athènes, montant des barricades dans une ruelle pour empêcher les policiers Delta à moto de passer. Londres est une ville après l’autre, elle devient une série d’images qui défilent devant ses yeux, une réalité cinématographique où elle attend à entendre quelqu’un crier “Coupez !” Mais non. Il n’y a pas des coupures ici. Elle regarde autour d’elle : le cocktail Molotov est passé inaperçu dans la frénésie de Piccadilly.

Bienvenue, elle se dit à elle-même, à la Londres du réel.

Source : Occupied London

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