Carbure : “réflexions sur la présidentielle 2017”
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Les élections présidentielles de 2017 en France ont été ce qu’on pourrait appeler une petite conjoncture : une structure sociale en crise s’effondre sous le poids de ses contradictions, et, dans le même moment et pour les mêmes raisons, parvient à se rétablir, non sur des bases nouvelles, mais en correspondant plus encore à ce qu’elle était auparavant. C’est une mise en adéquation à la situation telle qu’elle peut être appréhendée par cette structure : la crise formulée dans ses propres termes et résolue dans ses propres termes. Autrement dit, c’est un tour de vis et un retour à l’ordre, là où une « grande » conjoncture se caractériserait par l’impossibilité de le rétablir.
Comme un chat qui retombe sur ses pattes, la classe politique française, à travers l’éclatement des deux partis qui se partagent le pouvoir depuis quarante ans et font l’objet de critiques de plus en plus pressantes, est parvenue, face aux populismes de droite comme de gauche, à rester aux affaires. Parler de recomposition n’y change rien : ce qui s’est passé, sous les dehors d’un « grand chambardement », revient à entériner dans les faits et à accentuer ce qui faisait le fond de la crise de légitimité de la politique en France : le système de l’alternance en revient à un régime de parti unique, appliquant une politique unique.
L’Etat a un double aspect : un ensemble d’institutions d’une part, un rôle fonctionnel dans le capital d’autre part. Les institutions existent pour elles-mêmes, jouent leur propre jeu, et ne cherchent pas forcément à remplir ce rôle fonctionnel, dont elles ne sont pas toujours immédiatement conscientes. Elles ont besoin de médiations pour ajuster leur action. Un de leurs rapports au réel – leur réel – c’est la politique électorale, et ce qu’on appelle la « sanction des urnes » : la médiation entre le corps électoral (rebaptisé « peuple » ou « Nation ») et les élites gouvernantes. Mais ce rapport au réel est également une émanation de la structure étatique : les modes de scrutin comme les modalités pratiques de l’élection sont mis en place par l’Etat, et correspondent à des stratégies propres à des moments politiques et aux intérêts de certains acteurs. Le fonctionnement de la Ve république répond aux intérêts de de Gaulle en 1958, le mode de scrutin à la proportionnelle à ceux de Mitterrand, etc. Le « moment démocratique » n’est en rien extérieur au fonctionnement de l’institution, il n’est que très relativement le moment de mise en danger de l’institution par elle-même que représentent les idéologues de la démocratie. Cependant, en France, dans ces limites institutionnelles, les élections sont libres (aux conditions que l’on connaît : signatures de maires, etc.) et ne sont pas truquées : les choses ne sont pas non plus jouées d’avance.
Toute la campagne électorale 2017 a non seulement manifesté mais mis en scène la crise de légitimité des élites politiques. Les affaires de Fillon, l’élection de Hamon à la primaire du PS et la montée en puissance de Mélenchon, l’ancrage persistant du FN, le tout placé dans le contexte de la fin d’un mandat Hollande qui aura réussi à horripiler tout le monde : cette campagne aura été celle de l’insatisfaction populaire et de la remise en cause du système politique français.
Durant les quelques mois de cette campagne, tous les commentateurs se sont accordés à dire qu’un vent de révolte soufflait sur la politique française. La corruption des élites, leur déconnexion des attentes des gens, leur fixation en notabilités et rentes de situation, dans une société où le statut social est de plus en plus vécu comme devant se rejouer en permanence, tout cela avait décidément lassé « les Français ». Et cependant, de sondage en sondage, inexorablement, Emmanuel Macron était donné en tête, devant Marine Le Pen, et c’est bien ce qui s’est produit, comme si, sous l’agitation et les bouillonnements de la surface, au plus profond du corps électoral, les jeux étaient déjà faits.
Emmanuel Macron était bel et bien le candidat du fameux « système », dont l’inutilité de spécifier ce qu’il est démontre à elle seule l’universalité. Sa candidature s’est trouvée renforcée du tour politique qu’ont pris les autres, et de l’affirmation des positions de chacun dans l’agitation de la campagne.
« Le système », c’est celui de la gestion libérale et purement économique de la société par l’Etat. La victoire de Macron, c’est le regroupement de tous ceux qui sont favorables à cette gestion, par-delà les micro-cultures politiques qui font que certains, dans la population comme parmi les élites, se disent « de droite » et d’autres « de gauche ». La droite catholique, incarnée par Fillon, comme la gauche sociale-démocrate ou social-populiste qu’incarnaient Hamon et Mélenchon, ainsi que la droite populiste de Le Pen, prétendent se fonder sur des principes et des valeurs à proprement parler politiques, qui sont censés déterminer le gouvernement et la conduite des affaires. Macron, lui, n’a aucune autre valeur que celles de l’existant, aucune transcendance, que ce soit Dieu, le Peuple, la Nation ou l’Emancipation des hommes, ne guide sa conduite, il est purement immanent. Les choses sont ce qu’elles sont et il n’y a pas de miracle.
Depuis le « tournant de la rigueur » de 1983, tous les gouvernements se succédant en France ont mené des politiques essentiellement identiques dans le domaine économique. Les dernières divergences entre la droite et la gauche se limitent à des questions de méthode, mais les conceptions sont les mêmes. Tout le reste ne relève plus que des mœurs, de cultures politiques, d’habitus et de traditions que la société capitaliste est de toute façon en train de dissoudre. Il n’y a plus guère que la question du mariage gay qui permette à la droite et à la gauche de se distinguer l’une de l’autre.
Après la crise de 2008, cette gestion a pris un caractère d’urgence qui s’est manifesté dans nombre de pays européens par des politiques d’austérité qui ont plongé des populations entières dans la pauvreté. Ces mesures ont pour l’essentiel consisté à limiter au minimum les dépenses publiques, sabrant le salaire indirect et les allocations qui aujourd’hui constituent un complément indispensable du salaire pour une part croissante de la main-d’œuvre, et à flexibiliser le travail, en supprimant toute « difficulté » à l’embauche comme au licenciement, ce qui signifie à terme la disparition du contrat de travail. En France, la loi Travail, en Allemagne les lois Hartz (appliquées avant la crise de 2008, ce qui a limité l’impact sur l’investissement), en Italie le Jobs Act, les réformes structurelles du gouvernement Rajoy en Espagne : toutes ces politiques ont le même contenu.
Le corps électoral français se trouve donc face à une politique unique à la fois en France et en Europe. L’impression de « tous pareils » est fortement ancrée dans les mentalités, et se confirme facilement par les faits. L’annulation de fait du scrutin de 2005 sur la Constitution européenne, et le fait que ce soient les parlementaires « élus par le peuple » qui ratifient ce que ce même « peuple » avait rejeté, n’a fait que renforcer ce sentiment, exacerbé par la crise et l’idée que la France se trouve prise au piège des politiques européennes. Le « peuple » a le sentiment de plus en plus douloureux que ses voix lui sont confisquées par un personnel politique qui mène une action qui se décide ailleurs que dans les urnes.
Et pourtant, Emmanuel Macron a remporté la présidentielle. Il a beau avoir été largement soutenu, positivement ou par défaut (on peut légitimement se demander ce qu’aurait donné une candidature Juppé en remplacement de la catastrophique candidature Fillon ; et pourquoi elle n’a pas eu lieu), par une grande partie de la classe politique, ainsi que de par nombre de médias et de grandes entreprises, c’est bien le corps électoral français qui s’est majoritairement prononcé en sa faveur.
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La classe moyenne française, telle qu’elle existe aujourd’hui, s’ancre dans le mythe fondateur des Trente glorieuses. Du programme national de la Résistance à Mai 68, en passant par la figure du général de Gaulle, tout l’imaginaire politique français a cette période comme point de référence. A la sortie de la guerre, la nécessité de reconstruire le pays afin que l’économie puisse redémarrer impliquait des investissements massifs en infrastructures, logement, formation de main-d’œuvre, etc. Le redémarrage économique a permis à des masses de gens d’avoir un meilleur quotidien (eau et gaz à tous les étages) et leur a donné accès à la consommation de masse. L’ascenseur social fonctionnait, ce qu’il faut comprendre moins comme une « montée » des classes populaires que comme une redistribution, d’abord concertée et planifiée et ensuite automatique, vers le bas. Il y avait coïncidence entre la valorisation et la reproduction de la force de travail, la productivité et le niveau de vie avançaient main dans la main, tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes possible. Cette période est évidemment révolue, et depuis longtemps, mais le temps qui passe ne fait qu’ajouter de l’éclat aux mythes.
Aujourd’hui la redistribution automatique reste bloquée en haut de l’échelle sociale, là où « ça va encore ». Au niveau des salaires, la plus-value n’est plus « lissée » tout au long de la chaîne productive, mais se porte essentiellement sur l’encadrement. Dès lors qu’il n’y a plus d’ascension sociale automatique, c’est d’abord l’héritage qui décide du statut social, et la compétition fait le reste. Le statut social est donné par le milieu d’origine, mais il faut travailler pour le maintenir, et travailler plus encore pour l’améliorer. Dès lors, le statut social prend la forme d’un privilège (l’héritage) qui doit être défendu (le travail). L’ascension sociale, quand elle existe, est une compétition individuelle pour se rapprocher des zones de richesse, qui se double de stratégies sociales collectives pour maintenir les distinctions et les privilèges.
On voit bien en quoi Macron, dans sa personne comme dans son « projet », répond parfaitement à cet état de fait : il incarne exactement le récit de vie du jeune diplômé de la classe moyenne supérieure qui, par son travail acharné, et malgré la concurrence, réussit à s’élever au-dessus de sa situation de départ. Pour lui, le chômage est moins un accident de parcours qu’une occasion de se reconvertir et de faire de nouvelles expériences : c’est un élément de carrière, qui prend place dans une stratégie sociale plus large. Et c’est en toute bonne foi qu’il pourra encourager les ouvriers de Whirlpool à faire preuve d’initiative et de saisir l’opportunité que doit représenter pour eux leur licenciement prochain : c’est comme ça, pour lui, que ça marche.
Cette situation ne va pas sans difficultés. Pour les jeunes, catégorie déterminante en ce qu’elle indique de quoi demain sera fait, l’allongement de la durée des études, la dévalorisation des diplômes les plus courants, le fait qu’à la sortie de longues études on ne soit pas automatiquement gratifié d’un emploi à la hauteur de cet investissement, crée beaucoup d’amertume dans les couches inférieures de la classe moyenne. Dans ce domaine également, les couches supérieures ont su recloisonner vers le haut et se reconstituer des privilèges : le recrutement au sein des grandes écoles, le réseau relationnel, etc., garantissent de ne pas se retrouver dans la jungle commune de la recherche d’emploi. Il n’en reste pas moins que 80% des jeunes diplômés trouvent un travail à la sortie de leurs études, ce qui est loin d’être le cas dans une même tranche d’âge chez les non-diplômés, c’est-à-dire chez les jeunes prolétaires.
Car les difficultés bien réelles qui découlent du fait que les privilèges doivent désormais être défendus bec et ongles font oublier que certains sont purement et simplement exclus de la compétition. Pour les jeunes de la classe ouvrière, le parcours professionnel ne fait l’objet d’aucune stratégie sociale, il est le plus souvent subi : orientation dans des filières dévalorisées ou absence de qualification et sortie précoce du système scolaire, précarité et chômage endémiques (ce chômage-là : celui qui n’est pas un élément de carrière, mais qui vous met à la rue), avec le passage de plus en plus courant par la case « débrouille » et séjour culturel en prison sont le lot des jeunes prolétaires, qui n’ont guère de privilèges à défendre. Cette mise hors-jeu de la compétition sociale s’accompagne très logiquement d’une mise hors-jeu électorale : la classe ouvrière ne va pas voter. Ceux qui savent n’avoir rien à attendre de la politique ne lui demandent logiquement rien.
La classe moyenne française souffre d’un biais cognitif dans la représentation qu’elle se fait d’elle-même : elle se voit plus pauvre qu’elle n’est. Le discours de Mélenchon la touche au cœur : les bourgeois, ce sont les autres, et elle est en effet révoltée par la richesse de ces grands patrons du CAC 40 et leurs parachutes dorés, quand elle peine à boucler son budget, une fois payées les traites de la maison et celles de la voiture, et part cette année encore un peu moins loin pour les vacances. Mais une fois la colère passée, on hésite encore face à des mesures trop radicales qui pourraient effrayer les employeurs. Certes, les patrons exagèrent, mais comment ferions-nous s’ils n’étaient pas là ? Il vaudrait peut-être mieux chercher un compromis.
Ce biais cognitif n’est pas une simple aberration mentale ou le résultat d’une tendance à se plaindre exagérément : il s’inscrit dans le cadre d’une stratégie sociale qui a pour effet de faire des préoccupations de la classe moyenne le pivot exclusif de la vie politique, et de rendre invisibles les segments de classe les plus défavorisés. Le discours des « 99% », celui du « peuple » face aux élites où à l’oligarchie, qui est aujourd’hui celui de tout ce qui s’oppose au discours libéral, est une construction idéologique qui a pour conséquence – pas du tout accidentelle – d’invisibiliser la pauvreté croissante du prolétariat. Ce discours sur les privilèges, la coupure et l’entre-soi, dont le couple de sociologues Pinçon-Charlot est le représentant emblématique, masque d’autres privilèges, une autre coupure, et un autre entre-soi, beaucoup plus effectifs dans la vie des « classes populaires » : celui entre les centre-villes et les banlieues, entre les bonnes et les mauvaises écoles, entre les bonnes et les mauvaises filières éducatives, entre le travail manuel et le travail intellectuel, entre propriétaires et locataires, entre ceux qui hériteront de quelque chose et ceux qui n’auront rien. Le véritable fossé qui est au cœur de la société française ne se situe pas entre les multimilliardaires et « tout le monde », mais entre ceux qui ont réserves et propriétés et ceux qui n’ont que leur travail pour vivre. Face à cette division, la classe moyenne n’a rien d’autre à proposer que l’impossible généralisation de sa propre condition, et pour cela elle doit faire oublier que cette condition n’existe que parce que d’autres sont exploités. En présentant le capital comme une masse d’argent indifférenciée, on confond revenu du capital et salaires dans un même ensemble qui devrait être redistribué équitablement, et pour quelque raison mystérieuse, ne l’est jamais. Toute la critique sociale se limite alors à une dénonciation de l’injustice et à un appel à l’égalité. Au passage, c’est l’exploitation qui disparaît, et avec elle, ceux qui la subissent au premier chef. Ce discours de « justice sociale » est en réalité une arme dans la lutte de classe que mènent les catégories moyennes et supérieures menacées pour conserver leur statut, lequel dépend entièrement de la plus-value déjà produite, sur le dos du prolétariat qui la produit.
Si le prolétariat, lui, n’a pas son mot à dire dans cette affaire, c’est qu’avec la fin de l’ancien mouvement ouvrier, il a perdu toute capacité de le faire. Pour le prolétariat de l’ancien cycle de lutte, il y avait une continuité entre sa représentation politique et ses luttes, entre le parti et le syndicat : ce mouvement historique a été celui de l’intégration du mouvement ouvrier avant d’être celui de sa dissolution. Aujourd’hui, cette catégorie sociale (la classe ouvrière), qui s’unifiait dans un rôle historique révolutionnaire (le prolétariat), n’existe plus dans le capital que comme une masse de main-d’œuvre à exploiter, dont l’unité ne se trouve plus nulle part : le prolétariat est devenu « les classes populaires ».
Ce sont ces « classes populaires » que le populisme de gauche entend électoralement disputer au FN. On peut toujours faire le constat purement sociologique de l’atomisation de la classe et de la disparition de l’identité ouvrière, ce constat objectivise les rapports de classe qui ont conduit à cette situation en les noyant sous un flot descriptif qui va de la transformation de l’habitat urbain à celle des procès de travail, en y ajoutant pêle-mêle le rôle des nouveaux médias ou la transformation des rapports familiaux. Une fois ces phénomènes « sociaux » dûment constatés, on en tire la conclusion que le FN serait le principal bénéficiaire de cette atomisation, en ce qu’il proposerait une identité nationale de substitution à la « vraie » identité de classe. Il faudrait donc reconstituer cette identité, on ne sait trop comment : certains proposent d’organiser des « apéros populaires ». Mais on n’invente pas une identité de classe pour les simples besoins de la cause électorale, et lorsque Mélenchon parvient à se faire entendre du corps électoral, ce n’est pas au nom d’une identité de classe ancrée dans les luttes, mais, lui aussi, en parlant au nom de la Patrie et de la Nation, en parlant non pas à des prolétaires ni même à la classe ouvrière, mais à des Français. Là encore, au nom du « peuple », c’est le prolétariat qui disparaît.
Mais il y a un temps pour râler, et un temps pour se remettre au travail. La présidentielle 2017 aura largement laissé s’exprimer les mécontents. L’affaire Fillon aura permis de crever l’abcès et de faire éclater le ras-le-bol. Elle aura du même coup permis l’émergence simultanée de Macron et d’un ensemble populiste, et de remettre ainsi à jour le paysage politique français. Cette recomposition est adéquate au niveau actuel de la crise en France : des préoccupations s’expriment, mais pas au point de prendre des mesures draconiennes, dont l’efficacité serait de plus extrêmement douteuse. Il y a fort à parier que si Le Pen ou Mélenchon arrivaient au pouvoir, ce serait dans une situation où les choses ne seraient déjà plus gouvernables, comme c’est aujourd’hui le cas en Grèce.
L’ensemble populiste Le Pen-Mélenchon, qui représente de facto l’opposition au parti libéral gestionnaire de Macron, est l’existence idéologique de ce « peuple » de la classe moyenne, qui brandit comme un étendard les haillons de « classes populaires » absentes d’un jeu où elles n’ont rien à gagner. Mais pour l’heure, la politique réelle ne peut être que celle de Macron, et, quelque part, tout le monde le sait. Tout le monde sait aujourd’hui que les mesures protectionnistes et l’intervention permanente de l’Etat que réclament les populistes ne conduiraient qu’à exclure la France du marché mondial. Tous les salariés, et particulièrement les franges les plus stables du salariat, celles qui dépendent le moins du salaire indirect, c’est-à-dire la classe moyenne, savent que leur travail et les carnets de commandes du patron sont liés, et qu’ils dépendent de l’intégration de la France au marché mondial, c’est-à-dire au capitalisme tel qu’il existe actuellement. Au bout du compte, c’est toujours Macron qui a raison.
Le « grand chambardement » de la présidentielle aura conduit à un retour à l’ordre, en permettant l’expression des diverses options politiques qui parcourent la classe qui représente l’ensemble de la société comme société capitaliste : la classe moyenne. La redistribution par le salaire ayant pour pendant l’extraction de plus-value, toutes les nécessités de l’exploitation sont reconnues, en ce qu’elles fondent l’existence même de cette classe. La « justice sociale » est sa justice, la politique sa politique, la société sa société : la société capitaliste. La politique électorale est son lieu et son moment. Mais il est difficile de concilier les intérêts de ceux dont toutes les luttes consistent à limiter l’extraction de plus-value et de ceux dont l’existence sociale découle de la plus-value déjà produite.
Il n’y a pas aujourd’hui d’autre politique, car toute politique implique une reconnaissance, même critique, des catégories du capital comme étant l’indépassable du social : le capital, c’est la société elle-même. Le prolétariat, dès lors qu’il se trouve embarqué en politique avec tous les autres segments de classe, finit toujours par travailler contre lui-même, non pas parce que son seul intérêt serait la Révolution, mais bien parce que la résolution des « problèmes sociaux » tels qu’ils sont posés par l’Etat dans le capital passe nécessairement par l’aggravation des conditions de vie des prolétaires. Tout Etat, en ce qu’il représente la société, est celui d’une bourgeoisie, et même un Etat ouvrier – à supposer qu’une telle chose ait jamais existé – n’a jamais rien pu être d’autre qu’un Etat-contremaître. L’autre absolu de toute politique, aujourd’hui, reste le prolétariat, absolument nécessaire à la production de valeur, et pour cette raison même absolument nié dans son existence. Cette négation, qui s’origine dans le procès productif, se poursuit dans son existence sociale comme classe. L’autre absolu, c’est celui qui n’a rien à dire et une révolution à faire, qui est absolument subalterne et se confond avec toutes les figures subalternes : le Noir, l’Arabe, la femme, le chômeur, l’ouvrier, le pauvre. Il n’y a aucune positivité à en tirer, sauf pour les ventriloques qui parlent au nom des autres. Les luttes de ces catégories ne sont pas vouées à converger en un grand mouvement émancipateur, avec ses leaders, ses porte-paroles et ses idéologues : elles ne sont que le cours quotidien d’un mouvement qui est celui de la contradiction qui mènera – ou pas – à une révolution communiste.
AC
Pour information, le texte a encore été revu plusieurs fois dans la semaine. Cette fois-ci ça devrait être terminé. Du coup, pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, le mieux est d’aller voir la version définitive directement sur le blog.