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Les victimes de Bhopal réclament toujours justice


(De Bhopal) Les routes en terre sont, de part et d’autre, bordées d’obscures échoppes branlantes. La retentissante cacophonie des klaxons écrase tout autre bruit. Les camions crachent de gros nuages de fumée noire dans un air que le soleil de midi et la poussière rendaient déjà irrespirable. Les quartiers nord de la ville de Bhopal (Madhya Pradesh) ne sont donc pas de ceux que l’on montre dans les brochures touristiques.[print_link]

Il y a 25 ans, à minuit cinq le 3 décembre 1984, l’usine chimique laisse échapper 27 tonnes de gaz mortel. Le bilan à ce jour se monte à plus de 20 000 victimes (3800 selon Union Carbide…) et les répercussions de cette catastrophe persistent toujours après toutes ces années. (voir la vidéo)

« Cette nuit-là la mort semblait être un répit pour tous »

Champa Devi écrit :

« Les gens couraient, toussant et hurlant, leurs cris remplissant l’air de la nuit : “ Oh Ram donne-moi la mort ! ”, “ Oh Allah tue-moi ! ”. Cette nuit-là, la mort semblait être un répit pour tous. […] Courant avec grande difficulté, il m’était impossible d’ouvrir les yeux. Je ne pouvais rien voir à part une vague brume blanche et une masse de gens devant nous. Ceux qui tombaient restaient sur le sol, personne pour les relever. »

Des suites de l’exposition au gaz, sa plus jeune fille se retrouvera paralysée six mois plus tard, un de ses fils finira par se suicider en 1992 pour mettre fin à la constante douleur dans sa poitrine et son mari mourra d’un cancer de la vessie en 1993.

25 ans après, on la retrouve assise derrière son bureau avec Rashida Bi, sa camarade de combat. Entre les deux femmes trône le Goldman Environmental Award, l’équivalent du prix Nobel pour l’environnement, obtenu en 2004.

Depuis cette fameuse nuit, les deux femmes se battent à la tête de leur organisation, le Chingari Trust, afin d’obtenir des compensations pour les victimes ainsi que des emplois gouvernementaux pour les femmes des familles affectées. Leur combat, « conduit par la colère et la frustration », elles le mènent contre le gouvernement indien et Dow Corporation (compagnie qui a racheté Union Carbide en 2001).

Une odyssée juridique

Malgré l’ampleur de la catastrophe, les dirigeants de Union Carbide ne sont jamais passés devant un tribunal. Un compromis à l’amiable, passé en 1989 entre la compagnie et le gouvernement indien, décide de l’abandon des poursuites contre une compensation de 470 millions de dollars, sans que les victimes ne soient consultées. Aujourd’hui, celles qui ont été indemnisées (entre 300 et 500 dollars) ne sont guère mieux loties que celles qui ne l’ont pas été.

En 1991, un tribunal local de Bhopal lance un mandat d’arrêt contre Warren Anderson, le PDG de Union Carbide à l’époque, pour homicide. Malgré un mandat d’arrêt international contre lui, il ne passe jamais en jugement. Il disparaît même de la circulation pendant plusieurs années.

L’ONG Greenpeace le retrouve finalement en 2002, vivant luxueusement dans les Hamptons. Les deux gouvernements concernés (américains et indiens) n’ont jamais montré aucune véritable volonté de l’extrader. « Le gouvernement indien est en leur faveur, il ne veut pas faire peur aux investisseurs et ne plus avoir d’usines » juge Rashida Bi, amère.

Photo : les restes de l’usine Union Carbide à Bhopal (jbhangoo/Flickr)

Une note du cabinet du Premier ministre indien, datée du 6 avril 2007, enjoint d’ailleurs ce dernier à adopter une ligne modérée sur le dossier au motif que « des signaux positifs soient envoyés à la communauté d’affaires américaine et à Dow Chemicals, qui prévoit de larges investissements en Inde ».

Malgré les nombreux jugements en faveur des victimes, ces derniers n’ont jamais été appliqués : injonction au gouvernement de payer les arriérés de salaires des travailleurs affectés par la Cour Industrielle en 2003, purification de l’eau ordonnée par la Cour Suprême en 2004…

Il est toujours minuit cinq à Bhopal

Aaquib Khan, un grand adolescent mince de 14 ans, a le regard perdu dans le vide. Ses lèvres sont bloquées dans un étrange sourire. Il erre sans but précis. Nés de parents exposés au gaz, lui et son frère jumeau sont tous deux retardés mentaux à plus de 80%. A l’instar de ces deux frères, l’école tenue par le Chingari Trust accueille les victimes de seconde génération. Ici handicaps mentaux, moteurs et malformations physiques se côtoient. Entre ces murs jaunes, toute une ribambelle d’enfants effectue des séances de rééducation, jouent ou regardent la télé. « 320 enfants affectés ont, jusqu’ici, été recensés dans les zones autour de l’usine », explique Tarun Thomas, l’un des responsables.

Dans les quartiers en face de l’usine, la Sambhavna Trust Clinic traite les victimes de la catastrophe en combinant méthodes de soins modernes et ayurvédiques. Satinath Sarangi est arrivé ici pour la première fois avec les secours au moment de la catastrophe. Il est maintenant le manager du trust :

« Union Carbide ayant toujours refusé de révéler la composition du gaz, il nous a fallu du temps pour trouver le traitement optimal. Dans les hôpitaux gouvernementaux, les gens sont soumis à une surmédicalisation qui fait plus de dommages que de bien »

Problèmes poumons, d’yeux, d’estomac, dommages cérébraux, tuberculoses, cancers… La liste des maux est longue. Selon les estimations des ONG, près de 120 000 personnes souffrent de maladies dues à l’accident ou ses suites.

Posée au milieu de grands terrains vagues, la carcasse de l’usine Union Carbide se détache sur le ciel. A l’intérieur, les substances toxiques qui ont causé tant de dommages sont toujours présentes. Dow Chemical, bien qu’ayant racheté Union Carbide, a toujours refusé de nettoyer l’usine. Reposant en plein air et à même le sol, ces substances continuent de contaminer les terrains et nappes phréatiques environnantes. Et la liste des victimes de continuer à s’allonger…

Les victimes de Bhopal réclament toujours justice

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