Les “magasins sociaux” se multiplient en Allemagne
Cela ressemble à n’importe quelle brocante : des canapés usés alignés devant des buffets massifs, des vitrines remplies de verres et d’objets en tout genre, des livres à perte de vue et plusieurs lampadaires années 1950. Sauf que, au Sozialkaufhaus, un magasin social implanté dans un quartier populaire de Neukölln, à Berlin, les tarifs pratiqués s’adressent d’abord à une population particulière : chômeurs de longue durée, retraités, mais aussi des salariés aux revenus modestes, peuvent acquérir ici un lit complet avec matelas et sommier pour 50 euros, un verre pour 20 centimes d’euro, un buffet pour 50 euros, un livre pour 1 euro. [print_link]
Les vêtements peuvent même être gratuitement emportés dans la limite de cinq pièces. Ce matin froid d’automne, il n’y a pas foule dans le magasin. Cette image est trompeuse. Car, depuis que Michael Maskolus a créé l’association Die Teller Gottes (“les assiettes de Dieu”) et ouvert son premier centre en 2004, la demande ne cesse de croître. Jusqu’à 150 personnes par jour, vivant parfois très loin, viennent se procurer des objets ou des meubles à des prix défiant toute concurrence. “De plus en plus de gens ont besoin de ce type d’offre” en Allemagne, raconte cet ancien chômeur de 47 ans. La preuve : il a ouvert deux autres magasins et une petite cantine où sont servis, chaque midi, des repas chauds au tarif unique de 1 euro.
Son concept est simple : il récupère tout ce que les gens veulent jeter, répare si nécessaire et revend le tout à des prix très bas. “C’est incroyable tout ce qui peut atterrir dans la poubelle”, s’exclame-t-il en montrant des radiocassettes et chaînes hi-fi encore en bon état.
Le bouche-à-oreille a bien fonctionné et, aujourd’hui, il reçoit plus de dons qu’il ne lui en faut. Ainsi, faute de place, les vêtements s’entassent dans des sacs-poubelle bleus. Les gains de la vente servent à payer le loyer et les salaires des dix employés. “Nous ne faisons aucun profit et s’il devait à l’avenir rester de l’argent en trop, je le reverserai à une association”, assure M. Maskolus, qui se targue, à la différence d’autres associations, de ne percevoir aucune subvention publique.
Dans tout le pays, ces commerces caritatifs connaissent un véritable essor. On estime leur nombre à 350 et, chaque mois, de nouveaux magasins ouvrent leurs portes. Les experts des grandes organisations caritatives mettent cette évolution sur le compte d’Hartz IV, une réforme très controversée entrée en application en 2005 et qui a durci les conditions d’indemnisation des chômeurs de longue durée. La nouvelle majorité de centre droit, sortie victorieuse des élections législatives du 27 septembre, a d’ailleurs annoncé qu’elle souhaitait corriger certains aspects de cette loi.
En même temps, plusieurs études attestent d’une stagnation des salaires depuis plusieurs années et d’une montée des inégalités outre-Rhin. Depuis le début des années 1990, le salaire net a très peu progressé et la proportion de la population qui n’a pas ou très peu de patrimoine a vu sa contribution à la richesse nationale baisser de 1,5 % entre 2002 et 2007.
PENSION TROP BASSE
La clientèle du Sozialkaufhaus donne un aperçu du mode de vie des plus démunis. Ainsi Elizabeth Filipovici, une mère célibataire de 35 ans, enceinte de son quatrième enfant, se rend régulièrement dans ce centre. “Avec 600 à 800 euros par mois, mon salaire de femme de ménage est loin de pouvoir couvrir toutes les dépenses”, raconte cette petite brune tout en cherchant un pantalon pour son fils de 7 ans. A côté d’elle, deux retraitées fouillent dans un carton rempli de draps. “Ma pension est bien trop basse”, se plaint l’une d’elles.
Les employés du Sozialkaufhaus sont tous des chômeurs de longue durée. Ce travail rémunéré 1,50 euro de l’heure, leur permet de rehausser leurs indemnités mensuelles. Prévus par la réforme Hartz IV, les emplois à un 1,50 euro constituent l’un des autres points très controversés de la loi. Dieter Rüdiger, un maçon de 52 ans au chômage depuis 2001, semble pourtant satisfait de pouvoir travailler dans ce magasin à ces conditions : “C’est bien mieux que de rester chez soi et cela va peut-être me permettre d’obtenir un emploi stable.” “Le problème n’est pas Hartz IV, mais plutôt la façon dont les aides publiques pour soutenir l’emploi sont investies”, ajoute M. Maskolus.
Contrairement à beaucoup d’autres magasins sociaux, l’antenne de Neukölln accepte tous les types de clients. Comme ce producteur de musique très stylé qui cherche des plaques de cuisson pour ses musiciens en déplacement. “Je ne vois pas pourquoi j’exclurai des gens qui ne sont certes pas dans le besoin, mais qui soutiennent mon association en venant acheter quelque chose”, se défend le fondateur de Die Teller Gottes.
LE MONDE | • Mis à jour le 19.12.09 | 13h42
Berlin Correspondante
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