Retraites : “Il faut une grève insurrectionnelle !”
Manifestation contre la réforme des retraites, le 12 octobre, à Strasbourg.
Retraités, travailleurs et étudiants ont manifesté en musique et dans la bonne humeur, mardi 12 octobre, contre la réforme gouvernementale des retraites. C’est au rythme de sifflets, de vuvuzelas et même de cornemuses qu’entre 89 000 et 330 000 Franciliens ont défilé dans les rues de Paris entre collègues ou en famille. La musique des haut-parleurs des centrales syndicales et la chaleur d’un doux soleil d’octobre donnaient à la manifestation une allure festive. “C’est bon enfant, résume Claude Boutin, manifestant FSU, mais ce n’est pas une gentille promenade dans les rues de Paris qui fera reculer le gouvernement.”[print_link]
Une analyse partagée par nombre de manifestants qui ont, pour la plupart, été de tous les défilés contre le projet de loi depuis septembre. Sans avoir obtenu gain de cause jusqu’à présent. “Il faut qu’on passe à un autre stade, à un autre niveau d’action, estime Philippe Touzet, délégué syndical SUD-RATP. Les manifestations molles qui se terminent à la périphérie de Paris ne mènent à rien, nous sommes fatigués des gentilles promenades.” “Il faut une grève dure”, insiste pour sa part Claude Boutin.” Il faut durcir le mouvement quitte à se frotter un peu avec les CRS”, ajoute Philippe Touzet.
“IL FAUT UNE ÉTINCELLE !”
Une radicalisation qui passe par une grève illimitée et une “mobilisation du secteur privé et public”, selon Filémon Augiron, de la CGT. “La grève reconductible est le seul moyen de faire pression sur le gouvernement. Il faut le blocage des usines, des transports, des services publics…”, poursuit Christophe Gral, également de la CGT.
Après le blocage, “il faut une étincelle !”, estime Filémon Augiron. “Celle-ci peut venir de mouvements lycéens et étudiants, d’une entreprise en plein plan social ou d’un nouveau dérapage du gouvernement”, ajoute-t-il. “Le gouvernement a peur des jeunes”, note de son côté Rachel Gotmann, retraitée, sympathisante SUD et ancienne de la CGT. “Si le mouvement étudiant est suffisamment rentre-dedans, il peut apporter une dynamique à la contestation”, accorde Philippe Touzet.
Un mouvement étudiant pourrait servir de détonateur à quelque chose de plus fort : “Mais pour que le gouvernement recule, il faut une grève insurrectionnelle”, assure Rachel Gotmann. “C’est en bloquant l’approvisionnement en carburant qu’on immobilise l’économie du pays. Alors le gouvernement sera obligé d’ouvrir la table de négociation”, conclut-elle. “La voix que le gouvernement écoutera, c’est seulement celle des patrons, analyse de son côté Olivier Limpello, du Syndicat national des journalistes. Lorsque le pays sera économiquement immobilisé et qu’ils tireront la sonnette d’alarme, le gouvernement l’entendra.”
Malgré les chants et les sourires, de nombreux manifestants semblent prêts à un conflit dur, comme Louis Fontainier, retraité qui raconte ses batailles : “Une grève générale couplée à des affrontements sont les éléments nécessaires pour faire reculer le gouvernement. En mai 68, ce sont les pluies de pavés qui ont permis des avancées. Mais il n’y a plus de pavés dans les rues parisiennes.”
Eric Nunès
LEMONDE.FR | 12.10.10 | 19h11 • Mis à jour le 12.10.10 | 20h0
La meilleure retraite, c’est l’attaque !
Prenons nos luttes en main !
Voilà qu’on veut nous faire travailler deux ans de plus !
Le travail, le turbin auquel on veut nous obliger à consacrer la majeure partie de nos journées, est essentiellement une violence qui nous est faite, et la plupart d’entre nous le ressentent comme tel. Mais il a réussi à s’imposer comme quelque chose allant de soi, quelque chose de naturel (« il faut bien travailler pour vivre ! » et oui !), alors que c’est le produit d’un rapport de force qui nous contraint à nous activer pour permettre au capital, ce drôle de machin invisible qui détermine nos vies, de se reproduire et de s’accroître. On travaille pour gagner de l’argent, certes ; mais on travaille surtout pour faire gagner de l’argent – pour créer du capital. Quand on y réfléchit, rien de bien naturel là-dedans.
Mais c’est ainsi qu’on nous gouverne : par l’acceptation de fausses évidences. Ainsi de cette réforme des retraites : travailler plus, ben oui, ça ne fait pas plaisir, mais il n’y a pas le choix, c’est l’économie qui veut ça – l’allongement de la durée de vie, le vieillissement de la population, tout ça.
La gauche et les syndicats refusent cette reforme en l’état, tout en reconnaissant qu’il y a un problème, voire pour certains qu’il va falloir se serrer la ceinture. Refuser cette réforme supposerait d’avoir une réforme alternative en tête. Est-il si fou de se dire que ce n’est pas à nous de gérer cette affaire ? Lorsque une boite se restructure, comme ils disent, elle a toujours recours au même chantage : c’est soit les licenciements, une intensification du travail sans contrepartie, etc., soit la boîte va couler car elle ne dégage plus assez de profits, et les salariés couleront avec elle. Il faudrait accepter d’en chier toujours d’avantage sous le prétexte de sauvegarder un système basé sur notre exploitation.
On n’a pas à adhérer à des raisonnements qui visent à nous solidariser avec les logiques de cette exploitation. Sur la question des retraites, il est possible d’affirmer simplement : « bordel, je ne veux pas travailler deux ans de plus car je suis déjà assez exploité comme ça. Point barre. » Mais, évidemment, le dire ne suffit pas : il faudra l’imposer. C’est un rapport de force. L’économie, on ne fait pas que la subir : on la fait tourner. Qu’on s’arrête un peu de le faire, ça ne fera pas du bien au capital, mais ce n’est pas sûr qu’on s’en portera plus mal.
Etre isolé contribue beaucoup à la résignation. Peut-être sommes nous nous quelques uns ici à attendre d’un mouvement social davantage qu’un recul du gouvernement sur la question des retraites… Peut-être sommes nous même plus que quelques-uns à voir aussi la chose comme une occasion : un mouvement social un tant soit peu énervé, en ces temps où la combativité sociale n’est pas à son plus haut, c’est la possibilité de se rappeler qu’une force collective, venant briser le train-train de l’exploitation, de l’isolement et de la déprime généralisée, permet d’entrevoir des horizons où la réappropriation du monde n’est plus hors de portée. Sans doute sommes nous un certain nombre à d’ores et déjà envisager qu’au cours de la lutte puissent s’élaborer des pratiques qui posent des questions allant au-delà du nombre d’années de cotisations. A espérer qu’un mouvement à venir remette en cause ce qui est quotidiennement accepté et se foute des solutions alternatives proposées par ceux qui gèrent nos vies…
Nous n’en sommes pas là : encore faut-il que ce mouvement ait lieu. Il est évident qu’une journée d’action isolée par-ci, par là, appelée par les syndicats en vue de négociations où l’essentiel est déjà négocié, n’aboutira à rien, sinon à accroître le sentiment d’impuissance. Ces syndicats, qui ces dernières années ont déjà fait avorter des mouvements avant même qu’ils puissent avoir lieu (déjà sur les retraites, en 2002, puis en 2007), se préparent à faire de même ce coup-ci, de manière encore plus assumée. A croire qu’ils préfèrent encore subir une « défaite » plutôt que de voir un mouvement leur échapper…
Dès lors voilà : pour que cette lutte puisse avoir réellement lieu, il faudra nécessairement que cela se passe par-dessus les têtes des directions syndicales. Il faudra notamment leur imposer la grève, sans quoi rien ne sera possible. Ce n’est pas tâche aisée : pour cela il faut d’ores et déjà commencer à s’organiser ; à transformer la colère latente en action collective.
Mais, « les syndicats perdent brusquement le contrôle de leurs bases » : voilà qui ne serait pas forcement m^che.
Grève générale !
Grève illimitée !
Grève offensive !
Bloquons l’économie !
Beaucoup de questions intéressantes, de quoi relancer une discussion sur la nature de ces grèves et manifestations, du point de vue de l’observation “communisatrice”.
Elles me paraissent, pour reprendre une problématique antérieure, entre revendications et non-revendications, explicitement entre retrait et… quoi ? Propositions d’autres solutions à négocier pour les syndicats, autre réforme à mettre en oeuvre par la gauche si… (élections). La question de l’âge semble dominer, c’est le cheval sur lequel monte les grèves, mais tout le monde sait que le problème (subjectif) est celui des moyens de surmonter la misère qui s’annonce dans le cadre mondial imposé, donc la question des salaires dans la crise – la survie avec du travail, pour une retraite suffisante pour continuer après, pas trop tard… bref, l’argent, la tune ! C’est bien que nous restons dans la revendication, quelles qu’en soient les formes, y compris le fantasme de satisfaction comme choix politique.
Grosso-modo, pour l’heure, rien ne semble donc en apparence déborder une revendication sur le salaire, direct ou indirect (du boulot, “bien” payé, la retraite, la sécu…), mais au fond, qui croit vraiment à une autre politique salariale, sur fond de mondialisation, d’entre deux crises ou moments de crises ? A la marge, le style Sarkozy, certes impayable, ne fait-il pas écran, en entretenant l’illusion qu’il en serait autrement avec un autre de droite ou de préférence de gauche ?
En résumé, cela m’apparaît comme un mouvement complémentaire et en miroir inverse du CPE (de la précarité pour la jeunesse à la précarité de la vieillesse), mais de même, il porte manifestement et objectivement, sous le label “retraites”, beaucoup plus de déterminations sociales : jusqu’où peuvent-elles s’exprimer et donner aux luttes une caractère plus global de confrontation aux limites du capital ? Il est remarquable, depuis quelques jours, que la mobilisation tende à être aussi forte que contre le CPE (sauf erreur, le mot d’ordre de pur et simple retrait était toutefois devenu massif de façon plus rapide et plus large, peut-être parce que la flexisécurité apparaissait comme une menace plus partielle que la question des retraites ?). En tout cas, avec la “jonction” des problèmes de tout l’avant-pendant-après salariat, personne n’est dupe que la question des retraites se déborde elle-même. C’est jusque-là le plus intéressant.
Ce qui est sûr, c’est qu’exprimé par une “base” auto-organisée, non manipulée par les “caciques” syndicaux, par le syndicalisme officiel et toutes ses formes organisées, ou par des espoirs d’alternative politique, on ne sort pas d’une lutte sur le curseur de la plus-value, une “meilleure répartition des richesses”, idée amplifiée dans le contexte des “affaires” qui, presque personne ne soutient le contraire, ne font que salir l’ordre économico-démocratique des choses (toute la critique politique, médiatique et démocratique, à propos des affaires, les présente peu ou prou comme un cancer sur la bonne santé potentielle d’un système, et non comme la partie visible d’un iceberg systémique structuré mondialement : il faudrait moraliser le capital, un ‘président français pas des riches’… Ou lu la ! ça pisse pas loin…
” Peut-être sommes nous nous quelques uns ici à attendre d’un mouvement social davantage qu’un recul du gouvernement sur la question des retraites…” J’en suis évidemment, de ces quelques-uns, mais je m’interroge : attendre quoi, d’un “mouvement social”, qui, paradoxalement (?), s’il avait le niveau qualitatif et quantitatif pour faire plier l’économie politique sur les retraites, s’avèrerait de fait contenir une dynamique permettant de viser au-delà, pusique c’est le coeur même de la logique du capitalisme en restructuration permanente qui est en cause. Alors pour l’heure, je vois surtout la maladie démocratique et revendicatrice ligotant le prolétariat à son essence.
Voilà un beau paradoxe, mais il me semble que c’est confusément dans toutes les têtes : s’il ne s’agissait que des retraites, ça ne pourrait que s’enliser. Alors, en attendant plus loin, on est invité à la valse quotidienne de Monsieur le capital avec Madame la lutte des classes. Hé bien, dansons, maintenant !