France, automne 2010 : Le blocage de l’économie comme une évidence
Une fois n’est pas coutume ici, un texte du GCI sur le mouvement d’octobre
« Dans ce conflit, un des deux camps devra céder. La lutte s’annonce longue et dure. Nous n’avons pas d’autre choix que d’aller vers un blocage total du pays. Le vote prochain de la loi ne devra pas nous arrêter ! » (Extrait de l’édito du 1er numéro d’Info-Luttes – Caen, 19 octobre 2010).
Quand ça commence à grincer dans des bastions de la paix sociale
Depuis quelques années déjà, on assiste à une tendance du capital à accroître son
offensive contre les conditions de survie d’une part toujours plus grande de
l’humanité, provoquant en diverses partie du globe d’importants mouvements de lutte.
Citons ici[1] la vague de lutte mondiale de 2007-2008 connue (et caricaturée) sous
l’appellation d’« émeutes de la faim », mais aussi depuis lors, les luttes à
Madagascar, en Guadeloupe, au Kirghistan, en Chine, au Bengladesh, au Mexique, au
Pérou, en Thaïlande (voir dans cette revue), etc. [2]
Jusqu’ici, le fait que cette offensive s’est appliquée très inégalement
–géographiquement, chronologiquement– à travers la planète a entretenu parmi les
prolétaires des zones attaquées moins frontalement l’ultime illusion qu’en acceptant
d’énièmes sacrifices, qu’en renonçant au cours de leurs luttes à s’affronter
véritablement à leurs exploiteurs, qu’en se vendant en définitive au moindre mal,
ils sauveraient leur peau du pire.
Ce n’est pourtant pas qu’ils nourriraient une foi à toute épreuve dans le bénéfique
retour prochain des « fruits de la croissance » –incantation médiatique à usage des
masses dont économistes et capitalistes doivent ricaner au salon– ni qu’ils
conserveraient une confiance aveugle envers cette galère qui prend l’eau ou envers
ceux qui s’empiffrent aux étages en prétendant être à la barre de l’économie
mondiale, mais ils survivent en somme de plus en plus inconfortablement dans
l’angoisse sourde, idéologiquement distillée par toutes les voies possibles
(télévisuelle, culturelle, syndicale, neuroleptique, intraveineuse…), que toute
mutinerie un tant soit peu conséquente les emporteraient dans le naufrage de l’État.
C’est sur cette base relativement fragile que la paix sociale a été jusqu’à présent
globalement maintenue dans les pays d’Europe occidentale et aux Etats-Unis, en dépit
des mouvements de révolte des secteurs les plus défavorisés du prolétariat
(notamment dans les banlieues) qui y éclatent régulièrement.
Or, le maintien de ces « bastions de la paix sociale » constitue à nos yeux la clef
de la domination capitaliste mondiale : en s’assurant la docilité d’une partie du
prolétariat, le capital mondial s’assure également que ces prolétaires des pays
« stables » ne se reconnaissent pas dans la lutte de leurs frères de classe dans le
monde, il s’assure de pouvoir continuer à y coopter des troupes pour les armées
(centrales et satellitaires) de répression, de gendarmerie mondiale, et enfin y
trouve les moyens de financer ces armées, leurs bases et leurs opérations, sur la
plus-value réelle ou fictive que la paix sociale maintenue à cette fin lui garantit
sur le marché mondial[3]. C’est de la sorte, dans cette sinistre topographie
qu’imprime au monde la guerre permanente de chaque atome de capital contre tous les
autres, que se maintient la domination, que se maintient contre nous la dictature de
l’économie[4].
La mécanique est huilée, certes, mais elle n’a rien d’un perpetuum mobile qui
mettrait le capital à l’abri de sa contradiction fondamentale. La classe bourgeoise,
qui personnifie les intérêts du capital, n’a jamais eu et n’aura jamais, en dépit de
ses efforts politiques et militaires multiséculaires et permanents en ce sens, la
capacité de régler à sa guise le cours mondial des choses, et ce pour l’implacable
raison que les nécessités vampiriques et exponentielles de la valorisation du
capital ne laissent à ses défenseurs aucun « choix », aucune possibilité de freiner
sa course (n’en déplaise aux sinistres idéologues de la « décroissance »), aucun
moyen de remédier même partiellement à sa nature catastrophique, de suspendre le
cours de son attaque permanente contre nous. Celui-ci ne peut même que s’accélérer à
tous les niveaux, et tôt ou tard les zones relativement préservées devront également
faire
l’objet de brutales restructurations et mesures d’austérité, en somme d’attaques
des salaires et de nos conditions de survie qui ne pourront pas être absorbées sans
réaction, assimilées au cours « normal » et acceptable des choses, ce qui remettra
à chaque fois davantage en jeu la stabilité de l’ensemble.
Ainsi actuellement, la mise à l’ordre du jour de politiques d’austérité dans la
plupart des pays européens –dans certains cas, les plus rigoureuses depuis 1945– et
les réactions qu’elles suscitent créent les conditions objectives d’un possible
dépassement de ce statu quo international, indiquent la perspective qui est
rageusement nôtre d’un renversement de cette pseudo-fatalité que constitue
l’écrasement des luttes de nos frères de classe de par le monde. En cela, la période
actuelle marque incontestablement un tournant.
Après la Grèce[5], l’Espagne, le Portugal et la France, c’est en Angleterre que sont
à présent annoncés en masse diminutions de salaires, augmentation du temps de
travail (durée et intensité), mise au travail forcé des chômeurs, licenciements,…
Bien sûr, les réactions à ces mesures d’austérité prennent –et prendront encore– des
formes diverses selon les situations sociales, économiques et politiques
particulières des différents pays concernés. Mais cela n’enlève rien au fait
qu’elles expriment toutes fondamentalement un seul et même refus du sacrifice de nos
vies pour sauver l’économie en déroute !
***
La lutte contre la réforme des retraites en France : unification et radicalisation
d’un mécontentement profond et diffus
En France, la première grosse mesure d’austérité globale votée par la majorité
gouvernementale du président Nicolas Sarkozy consiste à porter l’âge minimum de
départ à la retraite de 60 à 62 ans. Ce genre de réformes montre clairement que
l’État n’a plus la marge de manœuvre pour enchaîner des attaques seulement
sectorielles, destinées à prévenir toute lutte globale. La réforme des retraites
votée à la hâte en France est directement applicable à l’ensemble des travailleurs
du territoire national, ce qui ne sera pas sans incidence sur la tournure de la
lutte. Elle s’ajoute évidemment à la liste de toutes celles que ce gouvernement et
les précédents ont fait adopter ces dernières années contre notre classe.
Sans grande surprise, les socialistes –actuellement dans l’opposition
gouvernementale– entendent mettre à profit l’impopularité de cette réforme pour
préparer leur retour au gouvernement et à l’Elysée. Derrière leurs condamnations
convenues de la droite « ultra-libérale », « ultra-sécuritaire », il est notoire
qu’il n’y a entre tous les partis politiques de divergences (comme au sein du PS
lui-même) que sur les modalités et le calendrier d’applications des mesures
d’austérité. Ce spectacle d’opposition est évidemment soutenu par les grandes
confédérations syndicales de gauche qui lancent un cycle de journées de
« mobilisation nationale » contre la politique des retraites du gouvernement de
Sarkozy.
A partir du 12 octobre, en marge de ces défilés inoffensifs, des mouvements de
blocages dans les raffineries[6], dans les dépôts de carburant et plus en amont,
dans les terminaux portuaires[7], s’en prennent directement à la sève même des flux
marchands et de la production. Outre la distribution proprement dite des produits
finis, c’est en effet la production elle-même qui dépend aujourd’hui entièrement du
transport puisqu’elle fonctionne quasi totalement à flux tendus (pour éviter au
maximum les frais liés à l’immobilisation de matières premières, de pièces
détachées, de produits finis, etc.), sans compter que le pétrole est aussi une des
matières premières essentielles dans plusieurs des industries clefs d’Europe
occidentale, comme par exemple l’industrie chimique. L’évolution générale de la
configuration industrielle a ainsi incontestablement démultiplié la puissance de
nuisance du blocage des raffineries.
De manière générale, les réactions des gouvernements au blocage des centres de la
production et de distribution énergétique –que ce soient les usines à gaz, les
centrales électriques, les dépôts ou raffineries pétrolières et depuis un
demi-siècle, les centrales nucléaires[8]– suffit à révéler leur importance
stratégique. Historiquement, lors de tous les mouvements sociaux d’une certaine
ampleur, les installations énergétiques ont toujours été l’objet d’une surveillance
et d’une attention particulière de la part de l’Etat, bien conscient que l’attaque
de ces secteurs par les prolétaires en lutte peut instaurer un rapport de force
largement favorable à ces derniers.
De source journalistique, les réserves pétrolières disponibles en France permettent
de satisfaire les besoins énergétiques de son économie durant dix jours à peine[9].
Certes, l’approvisionnement à l’étranger en produits pétroliers raffinés peut
permettre de contourner provisoirement les effets d’une grève dans les raffineries
–bien que ceci engendre de facto un coût plus élevé pour l’industrie qui s’en trouve
ainsi dans tous les cas attaquée– mais encore faut-il que les dépôts de stockage et
les infrastructures du transport pétrolier ne soient pas bloqués.
Blocage d’un dépôt de carburant à Dijon – 2 novembre
D’où l’importance que revêt l’extension des blocages, à travers toute la France, aux
infrastructures de transports et de stockage des produits pétroliers raffinés. Dans
ce contexte, alors que certaines compagnies de transport de carburant envoient leurs
camions s’approvisionner à l’étranger, et notamment dans les raffineries de Feluy et
de Tertre, en Belgique, le blocage de celles-ci par leurs travailleurs constitue
bien un acte fort de solidarité internationale.[10] Dans le même registre, le lundi
25 octobre, des grévistes du pays basque (Espagne) ont bloqué le poste frontière de
Biriatou et immobilisé tous les camions qui tentaient d’apporter du carburant en
France.
Un dernier élément a pu intervenir dans le fait que les blocages pour lutter contre
la réforme des retraites aient précisément démarré dans les raffineries, c’est le
souvenir encore vivace de la dernière grève dans ce secteur. Remontant seulement à
février 2010, elle avait rapidement entraîné une pénurie de carburant en France et
ainsi forcé le gouvernement à intercéder directement auprès du groupe Total pour
qu’il promette qu’aucune raffinerie ne serait fermée d’ici à 2015. Le fait que le
secteur pétrolier ait été explicitement désigné en automne comme le secteur
stratégique ‘par où commencer’ n’est certainement pas étranger à ce résultat qui fut
obtenu quelques mois plus tôt.
« Il faut bloquer l’économie, comment s’y prendre ? La réponse s’est imposée
d’elle-même autour de la question du pétrole. Même si personne ne sait au fond si
cela marchera, si c’est le bon bout par lequel attaquer ce problème, il y a cette
tentative : organiser la pénurie d’essence. Et voir ce qui se passera . » (Extrait
du bulletin « Premier Round », dernière semaine d’octobre 2010).
Au-delà du simple retrait de la réforme des retraites se joue incontestablement ici
l’instauration d’un rapport de force au sujet de toutes mesures d’austérité à venir,
ce qui explique que le gouvernement ne pouvait céder sur base du seul blocage du
secteur pétrolier, ce qui aurait constitué un véritable aveu de faiblesse de sa
part. Aussi, n’eut-il pas le choix de durcir le bras de fer avec les grévistes et
décida-t-il de réquisitionner purement et simplement les travailleurs en vertu de
lois d’exception territoriales (qui ont été renforcées ces dernières années),
faisant encourir aux réfractaires une peine de pas moins de cinq années de prison
assortie de dix milles euros d’amende !
Publicité du groupe Total
Cette mesure aura directement pour résultat d’attiser davantage encore la colère des
éléments les plus combatifs du mouvements qui, en réaction, étendront les blocages à
d’autres cibles, toutes explicitement liées à la circulation marchande. Des groupes
composés de travailleurs de professions diverses, de chômeurs, de lycéens, etc. se
mettent ainsi à bloquer des axes routiers, des entreprises de transports, des
plate-formes logistiques (distribution), des dépôts de bus, des services de la
poste, des centres commerciaux, des gares et voies de chemin de fer, des ports, des
aéroports, des incinérateurs et garages de camions de poubelles et engins de
nettoyage… Dans ce mouvement, les prolétaires jouent les « Bisons Futés »[11] à
rebrousse-poils et esquissent une cartographie originale, celle de la France des
meilleurs investissements en matière d’entrave aux affaires. Le 25 octobre, 200
prolétaires bloquent les ronds-points
d’accès à l’énorme complexe industriel de la Française de Mécanique (FM), filiale
des groupes Renault et Peugeot qui produit un vingtième des moteurs de la planète.
Site de la Française de Mécanique (FM)
Comme les piquets volants, il s’agit là d’une manière de contourner les sanctions,
intimidations et réquisitions dont les grévistes font l’objet de la part de l’État
et des employeurs mais aussi d’une rupture notable avec la stratégie syndicale du
cloisonnement (alliée de la répression ouverte), qui ne reconnaît de légitimité
qu’aux blocages menés par des grévistes dans leur propre entreprise et non à ceux
opérés de l’extérieur. La répression incite ainsi à des parades qui renforcent le
mouvement, poussant à la dépersonnalisation, au désenclavement, à la
désectorialisation, à la déprofessionnalisation,…[12]
Le coût des grèves de septembre et octobre se monterait à 4 milliards, selon le
patronat
«99% des besoins intérieurs de notre pays sont assurés par la route. Les entraves
que nous avons rencontrées dans notre travail ont évidemment eu des conséquences
catastrophiques. […] Nous avons évidemment eu des difficultés à nous ravitailler en
gasoil et donc à répondre aux demandes de nos clients. Avec à la clé un tissu
économique local qui souffre. Nous avons aussi beaucoup perdu en productivité, avec
des chauffeurs en attente mais toujours payés à 100%. Certaines PME du transport on
eu recours au chômage partiel.» (Jérôme Bessière pour la Fédération nationale des
transports routiers)
***
« Les mouvements sociaux ayant entraîné la fermeture des raffineries françaises et
le blocage des ports coûté au total entre 200 et 300 millions d’euros à l’industrie
pétrolière » (d’après les Échos).
***
Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières
(Ufip), explique que le premier poste de coût a été l’immobilisation des navires au
large des terminaux. «Un navire immobilisé représente un coût de 30.000 à 50.000
dollars par jour», précise-t-il.
Le deuxième poste de coûts est celui des raffineries dont l’arrêt coûte entre
500.000 et 1 million d’euros par jour.
Enfin, le troisième poste de charges est celui des surcoûts logistiques liés à
l’acheminement et au transport de carburant. « La France a dû importer jusqu’à
100.000 tonnes de carburant, fioul domestique ou gazole par jour », explique le
quotidien, contre « 25.000 tonnes en temps normal ».
Blocages simultanés de plusieurs aéroports le 4 novembre
Bien sûr, alors que ces blocages expriment mieux que tout autre indice le
renforcement stratégique et le durcissement du mouvement, les arithméticiens
policiers, syndicaux et journalistiques nous bombardent de leurs sempiternels
comptages des participants aux défilés-kermesses, comptages dont la finalité
politique est de détourner l’attention des pratiques de classe et de préparer
l’indispensable démobilisation générale. Et Christophe Aguiton, « chercheur » –en
médiocrité réformiste– et militant d’ATTAC, de surenchérir dans ce sens : « Tout
mouvement a ses marqueurs, et pour celui-ci, c’est clairement la manifestation. La
grève qui a longtemps été le mode d’expression classique, en gros de 1936 à 1968, a
été supplantée depuis quelques années par le défilé. Auparavant la manif n’était pas
vraiment bien vue. C’était pour les casseurs, les ouvriers métallos. Aujourd’hui,
elle a atteint un degré de
légitimité supérieur à la grève. »
Sur le terrain, certains prolétaires en lutte semblent cependant bien conscients de
la radicalité de la lutte dans laquelle ils se sont impliqués et de la nécessité de
la mener jusqu’au bout : « quoi qu’en dise le gouvernement qui ment effrontément
(sur le nombre de manifes-tantEs, de grévistes, de stations services à sec,
d’incidents qui éclatent, d’actions de blocages…), le mouvement actuel prend une
ampleur historique par le nombre de gens impliqués, par la diversité des secteurs
mobilisés solidairement, par la détermination et la radicalisation des gens en
lutte. Le gouvernement a décidé de passer en force. La population est en train de
relever le défi. Dans ce conflit, un des deux camps devra céder. La lutte s’annonce
longue et dure. Nous n’avons pas d’autre choix que d’aller vers un blocage total du
pays. Le vote prochain de la loi ne devra pas nous arrêter ! » (Extrait de l’édito
du 1er numéro
d’Info-Luttes – Caen, 19 octobre 2010).
***
En jetant un petit coup d’œil dans le rétroviseur, il est aisé de voir que si ce
mouvement a pris rapidement cette tournure, c’est aussi que chaque catégorie de
participants avait déjà des comptes –anciens et récents– à régler avec les
gestionnaires de toute cette misère si admirablement civilisée, l’actuelle loi sur
la fin de carrière ayant été précédée d’innombrables restrictions, contraintes,
humiliations, mais aussi de luttes parfois dures dont le feu couvant n’a fait ici
que se raviver.
Ainsi le secteur portuaire était déjà chauffé à blanc par l’entrée en vigueur, en
janvier prochain, d’une réforme dictée au niveau européen (et mondial) impliquant
une brutale « libéralisation », c’est-à-dire une dévalorisation des statuts
professionnels, des licenciements, une exacerbation de la concurrence entre
travailleurs dans l’attribution des tâches et conséquemment une forte pression à la
baisse sur les salaires. Outre la compression des coûts de transport des
marchandises, l’adoption de cette réforme a également pour but de casser la
combativité historique des travailleurs de ce secteur stratégique.
Dans le secteur du carburant (raffineries et dépôts), la promesse de maintenir
l’activité de tous les sites de Total en France avancée pour mettre fin à la grève
de février 2010 s’est avérée non tenue, le site majeur de la Raffinerie des Flandres
ayant été quand même transformé en dépôt de carburant, tandis le dépôt de Reichstett
en Alsace pourrait être purement et simplement fermé.
Quant aux lycéens, qui entrent dans la lutte à partir du 12 octobre –et massivement
à partir du 14 octobre- apportant un souffle nouveau et intergénérationnel au
mouvement tout en l’élargissant, il est clair que leur protestation dépasse la seule
question de la retraite, qui les concerne encore assez lointainement (et de quelques
années plus lointainement à chaque réforme gouvernementale…). Ici aussi le malaise
est plus profond, comme l’a révélé leur lutte de 2006 « contre le CPE »… et au-delà.
***
Ainsi le patronat et l’État ont-il accumulé contre eux un mécontentement profond,
diffus, dont la « réforme des retraites » a été le révélateur, et le catalyseur
d’une certain niveau d’unification dans la lutte. Ce mécontentement ne s’est pas
nourri d’un tort particulier que constituerait telle ou telle réforme (que les
socialistes se proposent d’aménager), telle ou telle attaque, mais une rupture plus
ancrée, un refus du sort qui nous est réservé en général dans cette société,
indifféremment aux divers statuts et situations sociales.
Rennes, 20 octobre.
Siège du MEDEF (Narbonne), 22 octobre.
Paris, 16 octobre.
De l’évidence du blocage… à l’autonomisation et à la radicalisation de la lutte
Au cours de la seconde semaine d’octobre, face à l’inefficacité des défilés
syndicaux, le blocage de l’économie s’impose donc comme une évidence pour faire
plier le gouvernement. Ce choix stratégique a tout à la fois signifié et favorisé
l’autonomisation et la radicalisation du mouvement, et ce à plusieurs niveaux.
Le développement des pratiques du blocage exprime en effet objectivement un refus
accru de l’invitation bourgeoise permanente à se sacrifier pour sauver l’économie en
crise au nom de la sauvegarde de « notre compétitivité », de « l’emploi » et de
« notre système social » ou encore de « la stabilité de la zone euro ». Balayant
d’un même mouvement les lieux communs de la résignation, « c’est la crise et vous
voulez durcir la grève ? Ça va vous coûter cher… » , « c’est la crise et vous
voulez bloquer l’économie ? Faudra assumer les licenciements… »[13], les
prolétaires qui pratiquent le blocage se montrent insolemment résolus à sacrifier au
contraire le fonctionnement de l’économie nationale pour la satisfaction de leurs
besoins humains. Comme le souligne très clairement le bulletin de lutte « Premier
Round » :
« Assumer de ‘bloquer l’économie’, c’est aussi assumer qu’il n’y a pas d’ ‘intérêt
national’, qu’il n’y a pas à ‘être responsable et ne pas aggraver la crise’. Qu’il
n’y a pas ‘notre’ économie qu’il faudrait sauvegarder, mais qu’il y a l’économie
comme ennemi. »
Dès qu’ils entrent dans le mouvement, les lycéens rallient énergiquement la
dynamique des blocages mais entament également celle des saccages, pillages,
incendies, … comme ils l’ont montré pratiquement lors des manifestation du 19
octobre. A Lyon, l’agence Reuters évoque des « véritables scènes de guérilla
urbaine » tandis que les autorités parlent de pas moins de « 1300 casseurs, évoluant
par petit groupe et de façon très rapide dans les principales artères de la ville ».
Ce ne sont pas les banlieues mais bien le centre ville clinquant qui est le
principal théâtre des heurts : des dizaines de commerces ont leurs vitrines brisées,
neuf boutiques ont été pillées. Selon les hommes du GIPN[14] qui ont été dépêchés
sur place en véhicules blindés, « les attaques étaient plus violentes encore que
lors des émeutes de la Villeneuve à Grenoble ». En regard de ces données, les 75
interpellations annoncées ce
jour-là sont relativement « maigres ».
Affrontements Place Bellecour, le 19 octobre 2010
« On remarque une différence bien nette avec ce mouvement social en comparaison avec
les précédents les plus récents. L’entrée des lycéens ne se fait pas de manière
tranquille, c’est le moins que l’on puisse dire. La radicalisation n’est pas menée
par une minorité en fin de mouvement, mais s’est traduite directement en actes et ce
de manière diffuse. Lire les brèves d’une des dernières journées nous donne un
indicateur précis et non équivoque : on s’affronte avec les flics, on casse, on
brûle, on saccage, etc., que ce soit dans une grande ville ou dans un petit bled. La
contagion est là, la machine est lancée » (Extrait du texte « Le Front commun des
casseurs »[15]).
Ce développement de l’action directe s’accompagne de la constitution d’« assemblées
interpros » (pour « interprofessionnelles »), relativement mal nommées puisqu’en de
nombreux endroits, elles réunissent, outre les travailleurs sans distinction de
profession, des lycéens et des chômeurs. Ces assemblées sont les formes
d’organisation dont se dotent les prolétaires en lutte pour centraliser et
coordonner leurs actions et ainsi répondre aux besoins que pose la nouvelle
direction prise par le mouvement dès lors qu’il va au-delà des défilés pacifiques
préconisés par les grandes centrales syndicales.
Aussi, avec toutes leurs contradictions et hétérogénéités, nous considérons ces
« assemblées » comme des premières formalisations de la tendance de notre classe à :
– s’unifier dans la lutte et dépasser les divisions et les cloisonnements
imposés par la structuration professionnelle des grandes centrales syndicales ;
– développer son associationnisme et son autonomie contre les organisations
social-démocrates qui préconisent des « journées d’action nationale » réduites à de
simples défilés moutonniers.
L’AG interpro de Saint-Claude (dans le Jura) indique dans l’une de ses
déclarations :
« Le point très positif est la prise en main de ce mouvement par la base, par des
personnes non encartées, ni dans des partis, ni dans syndicats, en tout cas, qui ne
viennent qu’en leur nom. On y trouve aussi des ouvriers qui ne veulent pas en rester
là, quitte à la faire sans leur syndicat. On constate la présence des syndicats,
bien forcés de raccrocher les wagons d’une initiative qui n’émane pas d’eux… On ne
refuse personne quoi qu’il en soit et les syndicalistes qui ne veulent pas obéir
aveuglément à leurs centrales sont les bienvenus dans le cadre de l’Assemblée
générale que l’on essaie de faire vivre ».
Appel de la rencontre nationale de Tours du 6 novembre
Le 6 novembre à Tours se sont réuni-e-s les délégué-e-s mandaté-e-s ou
observateurs/trices de 25 Assemblées Générales (AG) interprofessionnelles, AG de
lutte, intersyndicales ouvertes à des non-syndiqué-e-s, collectifs, coordinations
intersecteurs, etc., de Laval, Le Havre, Angers, Béziers, Saint-Étienne, Roanne,
Chambéry, Nantes, Angoulême, Cognac, Bayonne, Chinon, Nîmes, Tours, Saint-Denis,
Rouen, Champigny, Paris-Est, Paris-Centre, Paris Ve/XIIIe, Paris XXe, Vannes, Lille,
Grenoble et Nancy (sont excusées les villes de Aubenas, Agen, Brest, Rennes,
Montpellier et Sarlat).
Les travailleur/se-s du public et du privé, les chômeur/se-s, les retraité-e-s, les
lycéen-ne-s et les étudiant-e-s se sont mobilisé-e-s massivement par la grève, la
manifestation et les actions de blocage pour le retrait de la réforme des retraites,
avec le soutien de la majorité de la population. Pourtant, le pouvoir n’a répondu
que par le mépris, la désinformation, la répression, l’atteinte au droit de grève,
et il décide de passer en force.
La lutte contre la réforme des retraites arrive à un moment charnière. Alors que le
gouvernement et la plupart des médias nous annoncent depuis des semaines la fin de
la mobilisation, des actions de blocage et de solidarité sont menées dans tout le
pays et les manifestations sont encore massives. Cette loi doit être abrogée. Nous
refusons l’enterrement du mouvement après le vote de la loi.
La stratégie de l’intersyndicale a été un échec pour les travailleur/se-s. Mais
l’heure n’est pas à la résignation : nous sommes résolu-e-s à continuer le combat.
Dans de nombreuses localités, celles et ceux qui luttent, syndiqué-e-s de diverses
organisations et non-syndiqué-e-s, se sont retrouvé-e-s dans des Assemblés générales
et des collectifs pour réfléchir et agir ensemble : informer, soutenir les secteurs
en lutte, étendre la grève reconductible, organiser des actions de blocage. Nous
voulons que cette dynamique de l’auto-organisation et de l’action commune se
pérennise, s’amplifie et se coordonne.
Ce mouvement s’inscrit dans une perspective plus large pour donner un coup d’arrêt à
la politique du gouvernement et du patronat, qui préparent de nouvelles attaques,
notamment sur l’assurance maladie. Nous restons convaincu-e-s que le seul moyen de
gagner contre le gouvernement est le blocage de l’économie et la grève générale.
Nous appelons à faire front contre la répression qui frappe de plus en plus
brutalement celles et ceux qui participent au mouvement social.
Nous avons tenu cette réunion nationale pour commencer à discuter entre nous, à nous
coordonner et à mener des actions communes.
Nous appelons celles et ceux qui luttent à se réunir en Assemblées générales s’il
n’y en a pas encore dans leur localité.
Nous appelons toutes les AG interprofessionnelles, AG de luttes, intersyndicales
étendues aux non-syndiqué-e-s, etc., à participer à la prochaine rencontre nationale
à Nantes le samedi 27 novembre 2010, en envoyant des délégué-e-s mandaté-e-s.
Nous invitons les organisations syndicales à envoyer des observateur/trice-s à cette
rencontre.
Nous appelons aux actions suivantes, venant renforcer les actions de toute nature
qui se déroulent quotidiennement :
– Une action symbolique le 11 novembre à 11h pour l’abrogation du projet de loi
et en hommage aux morts au travail avant la retraite ;
– Une journée d’action de blocage économique le 15 novembre, pour laquelle nous
appelons au soutien international ;
– Une action symbolique consistant à brûler le texte de loi le jour de sa
promulgation.
La lutte est anticapitaliste.
La guerre est sociale et totale.
Nous ne lâcherons rien, nous prendrons tout.
Osons l’offensive, par et pour la grève générale illimitée, par et pour le mouvement
des occupations, par et pour l’autonomisation émancipatrice de la base en lutte.
Au cœur de ce processus des assemblées, les initiatives n’ont cessé de se multiplier
afin de doter le mouvement de ressources matérielles et financières permettant sa
pérennisation et son extension. En d’innombrables endroits sont apparus des
« bulletins de lutte »[16], caisses de grèves autonomes (qui ne sont plus
constituées et gérées par les structures syndicales mais bien par les participants
au mouvement eux-mêmes), soupes populaires, etc.… A Rennes, le 27 octobre,
l’Assemblée interpro a même occupé l’ancien bâtiment de la CFDT et l’a transformé en
« maison de grève au service des luttes populaires »[17]
«Pas d’expulsion pour la Maison de la Grève !»
L’Assemblée Générale Interprofessionnelle de Rennes a occupé mercredi 27 octobre un
lieu appelé «maison de la grève» pour faire perdurer l’expérience antagoniste de
grève et de blocage économique visant à s’opposer à la réforme du régime des
retraites.
Pour permettre au plus grand nombre de participer à la lutte, pour tisser des
solidarités, conquérir de nouveaux droits, nous avons réquisitionné ce lieu et le
voulons au service des luttes populaires.
Ce lieu appartient à la municipalité rennaise, donc aux Rennais.
Nous pensons que dans une ville où la majorité municipale est préoccupée de livrer
la ville aux spéculateurs, aux hôteliers de luxe et autres adorateurs de centre des
congrès d’affaires, nous n’avons fait qu’équilibrer un peu le balancier.
Par le passé la municipalité a répondu par le mépris ou la répression aux
revendications d’attribution de lieux au service des luttes populaires.
Nous invitons les Rennais et les Rennaises, singulièrement ceux investis dans les
collectifs, partis, syndicats, associations prenant part aux luttes contre les
régressions sociales dont la réforme des retraites, à se positionner et à faire
savoir à la municipalité leur souhait de voir perdurer notre lieu et leur refus de
toute réponse répressive à notre initiative.
Aux plus motivés d’entre eux nous souhaitons redire que la lutte, les grèves et les
actions de blocage continuent et que notre porte est grande ouverte.
Maison de la grève, rue de la Barbotière, arrêt de bus Paul Bert, lignes 4, 6 et 11
à Rennes – Tél. : 07.86.14.88.22. Et n’oubliez pas les rendez-vous : Coordination
régionale dimanche à partir de 10h30 ; AG interprofessionnelle tous les mardis et
jeudis à partir de 18h plus les cantines, discussions, et commissions etc.
VIVE LA GRÈVE !!!
Un bulletin de lutte parmi d’autres… celui de l’AG de Caen :
En ce qui concerne les caisses de grève, il faut souligner l’émergence de pratiques
d’autofinancement non séparées de l’action conflictuelle : des opérations « péages
gratuits » –consistant à lever les barrières des péages tout en invitant les
automobilistes à cotiser pour soutenir les grévistes– sont ainsi organisées afin de
faire payer les coûts de la grève non plus aux seuls travailleurs et sympathisants
mais bien à l’État, l’argent donné aux grévistes par les automobilistes ayant
normalement dû aboutir dans les caisses des gestionnaires du réseau autoroutier !
Ces opérations de « gratuité » ont en outre l’avantage d’accroître la sympathie des
usagers des autoroutes –pour une fois non soumis au racket du péage– vis-à-vis du
mouvement. D’ailleurs, aucun média n’a osé entonner à propos de ces opérations
l’antienne médiatique de la « prise en otage de la population »… Dans le même
ordre d’idée, le vendredi 29 octobre, une cinquantaine de personnes a interrompu le
bon fonctionnement du restaurant universitaire de la rue de Tolbiac (Paris, 13e
arrondissement) pour distribuer les repas gratuitement et faire tourner une caisse
de grève.
Tract distribué aux automobilistes lors de l’opération « péage gratuit » à Dozulé
(Calvados) – 1er novembre 2010.
Info-luttes, n°1, Caen, 19 octobre 2010.
Bulletin Rebetiko, 18 octobre 2010.
Dans ses faits et gestes, comme dans son organisation, le mouvement a ainsi pris un
caractère progressivement plus territorial et plus autonome, les travailleurs de
secteurs divers s’organisant directement eux-mêmes, décidant de leurs actions, non
plus dans chaque entreprise isolément mais collectivement, avec les chômeurs et les
lycéens, et se donnant pour objectif clair d’empêcher la bonne marche des affaires.
L’agilité et la mobilité montrent clairement leur supériorité sur l’abnégation à
soutenir le siège de telle entreprise, tel bâtiment, tel nœud des flux : on fuira
l’affrontement direct et les infrastructures, rendues à leur normalité productive
par l’intervention brutale des forces de l’ordre, sont rebloquées dès leur départ.
Enfin, et cela n’est pas de moindre importance en terme de processus
d’autonomisation du mouvement, ces pratiques se sont accompagnées d’une
multiplication impressionnante d’expressions écrites (tracts, banderoles, tags,
bulletins de lutte, textes d’analyse, etc.) qui expriment à différents niveaux la
nature profonde de ce mouvement, à savoir d’être le mouvement de négation,
d’abolition de l’ordre social existant, d’être porteur de la destruction de ce qui
nous détruit.
Parmi ces écrits, citons « Du mouvementisme à l’autonomisation des luttes : une
ébauche de réflexion pratique » (texte en deux parties au moment ou nous clôturons
cette revue) qui affirme ainsi très clairement « que, non, nous ne sommes pas là
pour négocier, que nous ne sommes pas là pour les médias, mais que lorsqu’on va en
manif, l’on va tenir des piquets, faire des actions, c’est un acte de guerre. De
guerre contre l’Etat. De guerre contre le capital. De guerre contre les centrales
syndicales. […] Le mot tourne, se réapproprie, s’exprime avec de moins en moins de
retenue : l’Etat, la police, les centrales syndicales, le salariat, le capitalisme,
sont fondamentalement des ENNEMIS. Avec tout ce que cela implique ». Plus loin, on
peut encore lire : « la réforme des retraites appelle déjà la réforme de la sécu et
le programme d’austérité, donc nous n’avons plus à combattre des réformes partielles
mais la
logique et le système mêmes qui permettent ces réformes ».
Dans la perspective pratique de briser le « mouvementisme » syndical qui mène la
lutte à l’impuissance, à l’essoufflement et à l’épuisement, ce texte a ceci de fort
qu’il pose également la question du comment continuer ?, comment aller plus loin ?,
évoquant entre autres la nécessité :
–d’imposer une temporalité de lutte propre au mouvement (et non plus décidée par les
centrales syndicales) ;
–de développer toujours plus avant l’action offensive, organisée et coordonnée de
manière autonome : les auteurs du textes soulignent ainsi l’initiative de la
constitution d’une « Coordination nationale et autonome pour contourner les mots
d’ordre des centrales syndicales, dont la première réunion a eu lieu à Tours le 6
novembre » et dont nous reproduisons l’appel dans l’encadré ci-contre.
–de « passer par un nécessaire mouvement des occupations », faisant en cela
directement référence aux « éléments du grand mouvement social des instituteurs à
Oaxaca au Mexique qui a débouché sur la grande insurrection populaire de tout le
Sud-Mexique : occupation permanente d’une place de la ville, occupation et création
de plusieurs antennes radios de lutte, réappropriation des chaînes de télé locales
et nationales ; grève générale par blocage économique local total ; paralysie des
moyens de communication d’État et des forces de répression par
occupation-réappropriation ; etc. »
Ces expressions sont certes encore minoritaires, portées par les éléments les plus
avancés du mouvement, qui étaient pour la plupart déjà politisés auparavant, mais
elles ne sont nullement séparées du mouvement, elles se développent organiquement
avec la radicalisation du mouvement lui-même.
Des couches de paix sociale et la confiscation par le marxisme-léninisme (et ses
multiples avatars) des termes mêmes dans lesquels nous percevons notre propre
réalité sociale privent encore aujourd’hui beaucoup de prolétaires en lutte de se
reconnaître comme une classe en lutte pour l’abolition de toute société de classe,
se voyant souvent comme des agrégats d’individus –naturalisés dans cette condition
d’individus libres, produit historique– qui dans leur « libre-arbitre » se lient en
réseaux sur une base circonstancielle et « affinitaire »[18]. Sans que cette limite
idéologique se voie déjà notablement dépassée, nous considérons que par maints
aspects, le mouvement actuel réaffirme dans ses pratiques (plus que dans ses mots,
jusqu’à présent) l’existence d’une communauté de lutte contre l’État et toutes ses
fractions, d’un intérêt commun de classe viscéralement opposé à cette condition même
de
classe, réunissant travailleurs, chômeurs, lycéens, etc. par-delà leurs statuts et
situations particulières sous la férule du travail et de l’exploitation. Nous
insistons sur le fait qu’au-delà des termes utilisés, c’est le développement du
mouvement lui-même qui impose d’y prendre toujours plus nettement parti, pour le
parti de l’ordre et de l’économie ou pour le parti de l’affirmation intransigeante
et non négociable de nos besoins[19].
La gauche contre la violence prolétarienne… et inversement !
En 2006, lycéens et étudiants avaient déjà pratiqué certains blocages en plus de la
grève et de l’occupation de leurs écoles et facultés, mais dans les manifestations,
le pacifisme dominant avait permis à l’État d’isoler –comme représentation
idéologique– un sujet « casseur » et de l’assimiler au sujet « jeune des cités » ou
des banlieues. A l’époque, la hantise des récentes émeutes de 2005 et d’une possible
jonction avec le mouvement « anti-CPE » (et au-delà) avaient explicitement été
évoquée par l’ex-ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, élu président depuis peu.
Aujourd’hui, sans atteindre le niveau d’embrasement des banlieues en 2005, il est à
souligner que des modes d’action radicaux (manifs sauvages, saccages, pillages,
incendies, actions directes menées par de petits groupes très mobiles…) ont
également été adoptés par les lycéens au cours des manifestations :
« Dans l’écrasante majorité des cas, les vandales ne sont pas extérieurs au
mouvement protestataire, explique un haut fonctionnaire. Il s’agit d’abord de
lycéens eux-mêmes, voire de collégiens âgés de 12 ans à peine ». « Dans les
manifestations, déclare également un commissaire de police de l’Essonne
(Ile-de-France), lycéens et collégiens issus des quartiers difficiles se
transforment en casseurs. Ils mettent leur capuche et commencent à nous caillasser
ou à incendier des poubelles, voire des voitures, puis reviennent se fondre dans la
masse des cortèges, certains échangeant leurs vêtements pour ne pas être reconnus
sur les vidéos prises par nos services » [20].
Le flic-en-chef Sarkozy n’ignore évidemment rien de tout cela quand il déclare au
même moment, à de pures fins de caricature propagandiste, que les auteurs des
violences « n’ont rien à voir avec ceux qui protestent de bonne foi ». En dépit de
pareils refrains, usés, il devient sans cesse plus difficile pour l’État de soutenir
sans incohérence flagrante que toute pratique violente serait le fait d’éléments
extérieurs au mouvement, pour ne pas avoir à reconnaître cette violence pour ce
qu’elle est, le produit direct de l’oppression et des contradictions sociales[21].
« Comme toujours, on nous fait aussi le coup des “casseurs”. Mais, mardi dernier,
fallait voir la gueule des casseurs sur la place Bellecour [à Lyon], en plein
affrontement avec la police : des jeunes et des vieux, le camion de la CGT
Vinatier, au milieu des gaz, ses occupants qui restent là contre vents et marées,
les cheminots qui démarrent un feu de palettes, comme aux piquets… Les lycéens ce
jour-là, ils étaient en tête du cortège, arrivés opportunément sur le cours Albert
Thomas. La bataille qui a suivi, prise dans le désordre de la grande manifestation,
a nécessairement appelé des gestes fous, des gestes qui font que la même personne
qui tente quelques minutes plus tôt d’apaiser la situation se met tout à coup à
jeter des pierres… qui est casseur ? Qui le devient subitement ? »
Extrait du bulletin « Premier Round », dernière semaine d’octobre 2010.
Répression & solidarité…
Le 22 octobre, on comptait déjà 2 257 d’interpellations, dont 1 677 gardes à vue,
depuis le 12 octobre. Et 72 keufs blessés ! La solidarité avec les inculpés s’impose
: on peut aller devant le comico puis au tribunal soutenir les copains et aider
l’avocat dans son travail, on peut également s’organiser pour trouver de l’argent
pour payer les amendes ou les mandats pour ceux qui resteront quelques mois derrière
les barreaux… À Paris existe, par exemple, la caisse de solidarité Kaliméro pour
payer les mandats : kalimeroparis@riseup.net
Or, à mesure que tombent dans la lutte les cloisonnements sectoriels dont l’État use
pour nous diviser, il s’avère d’autant plus vital pour lui de maintenir un ferme
cordon sanitaire autour de tous les prolétaires plus conséquents qui pratiquent
l’action directe, cordon sanitaire qui ne s’incarne pas que dans les rangs de
CRS[22] ou de juges à la main particulièrement lourde[23], mais aussi dans une
guerre idéologique dont l’enjeu consiste à semer la confusion et faire de la
violence une question séparée de la lutte[24]. C’est là qu’interviennent de manière
déterminante les forces social-démocrates (partis, syndicats,…), distillant leurs
appels à se dissocier de ces pratiques, à dénoncer sur le terrain ceux qui y
prennent part.
Cependant, faire la police dans les manifestations, ostraciser les prolétaires plus
radicaux pour ce qu’ils sont –parfois en les livrant directement aux flics– peut
toujours se retourner contre les services d’ordre syndicaux en raison de la
sympathie que ces prolétaires gagnent au sein du mouvement.
Civils & Service d’Ordre…
Si les centrales syndicales sont les ennemies politiques de la lutte (négociation et
cogestion avec le patronat, revendications minimalistes, structure pyramidale et
ultra-hiérarchisée), leurs Services d’Ordre (SO) sont les ennemis directs des
manifestants. À coups de tonfas, de gazeuse, de gants plombés, les SO attaquent
physiquement tous ceux qui ne manifestent pas docilement comme le souhaitent les
syndicats : coordonnés avec les flics, ils tabassent et arrêtent les lycéens trop
turbulents, ils encadrent et empêchent ceux qui préfèreraient partir en
manifestation sauvage, etc.
Les flics en civils pullulent également : ils se déplacent souvent par groupe de
10-15, silencieusement, le tonfa caché dans leur dos. Ils ne sont ni manifestants ni
émeutiers. Ils sont de plus en plus présents dans les cortèges pour que chacun ne
sache plus qui est le flic, qui est le camarade : une sorte d’encadrement et de
pression psychologique sur la manif’… Civils comme SO n’ont rien à faire dans nos
manifestations, il faudrait s’organiser pour les virer…
(Extrait de « En grève jusqu’à la retraite ! », journal francilien de lutte contre
le capital et contre l’État, 5 novembre 2010)
NB : « tonfa » = matraque.
A cette panoplie s’ajoute un amalgame très vicieux, qui mérite ici quelque
attention, celui qui assimile action violente et « provocation policière ». Face à
l’actuel mouvement en France, la gauche a ainsi promu avec un zèle tout particulier
la figure du « policier-casseur ». Cette figure se base sur la réalité d’une
présence effectivement renforcée des flics en civil dans les manifestations[25],
présence que la gauche peut faire mine de désapprouver tout en continuant bien sûr à
collaborer à ses côtés.
La manœuvre est plus habile qu’il n’y peut paraître à première vue : il s’agit ici
de feindre de prendre parti pour l’ensemble des participants au mouvement, contre la
police. En faisant de la police l’incarnation même de l’agent inoculant la violence
de l’extérieur, la tendance effective parmi les prolétaires en lutte au recours
croissant à l’action directe, violente, à la casse, se trouve intégralement
discréditée comme étant elle-même une manœuvre policière. Moins s’avère opérante sur
le terrain la division policière entre « manifestants de bonne foi » et
« casseurs », au plus la gauche s’emploie à restaurer cette figure du « casseur »
par la négative, en l’assimilant à celle effectivement honnie du flic, a fortiori en
civil. Beau tour de passe-passe, beau travail policier qu’une fois encore la gauche
assume là, diffusant un climat de confusion, de désorientation, de paranoïa, de
paralysie
pour empêcher le nécessaire passage à des niveaux d’action plus violents contre
l’Etat.
« La CGT appelle les salariés, les grévistes à la vigilance du fait de la présence
de provocateurs dans les initiatives syndicales. Ils incitent à des actes violents
susceptibles en retour d’alimenter la répression policière et le discrédit de la
lutte. »
Communiqué national de la CGT, le 22 octobre.
« C’est notre responsabilité de faire un appel au calme. Ne cédons pas à la
provocation. La jeunesse dans la rue, ce n’est pas la violence ».
François Chérèque, Secrétaire général du syndicat CFDT.
« Soyez vigilants, ne cassez rien » (Fidl).
« Nous ne cautionnons aucun des actes commis aujourd’hui [dans un lycée de
Carcassonne]. Les dégradations sont l’œuvre de personnes extérieures aux
établissements et de casseurs que nous n’avions jamais vus dans nos manifestations.
Suite aux événements d’aujourd’hui, nous avons décidé de coopérer avec la police
pour que nos manifestations et nos blocages restent pacifiques ».
Victor Chabert, représentant de l’UNL
(Union Nationale Lycéenne), lundi 8 novembre.
« Ceux qui jettent des pierres, incendient, cassent des vitrines sont des
sarkozystes militants, ils n’ont peut-être pas leur carte […] mais la seule et
unique personne à qui ils rendent service, c’est le président Sarkozy. Nous les
regardons avec dégoût. »
Jean-Luc Mélenchon, président du Parti de gauche,
le 21 octobre.
Voilà bel et bien le Parti de l’Ordre à l’œuvre, en une admirable division du
travail qui mobilise très clairement toutes ses tendances, tous ses « frères
ennemis » de « l’échiquier politique ». Ceci présente l’incontestable mérite de nous
épargner d’y faire le tri…
Nous voudrions rappeler ici que nous avions déjà dénoncé cette manœuvre typique de
la gauche dans notre article[26] concernant les luttes en Grèce de fin 2008. Tandis
que l’ex-président italien Cossiga avait préconisé par voie de presse d’« infiltrer
le mouvement avec des agents provocateurs prêts à tout », le gauchiste de service
Besancenot (actuellement porte parole du NPA, nouveau parti « anticapitaliste »),
s’était emparé de cette déclaration pour entériner sa condamnation de la violence
dans les manifestations comme étant le fait des flics.
« La falsification est évidente, commentions-nous, Cossiga ne dit absolument pas que
la violence minoritaire et radicale est un produit de l’État mais il expose la
tactique pour l’affronter. […] Ne nous trompons pas au sujet de ceux qui lancent des
pierres ou des cocktails Molotov contre les centres de pouvoir et de répression,
ceux qui pillent les grands centres de distribution, ceux qui paralysent la
production et la distribution de marchandises dans leur lutte contre le pouvoir, CE
NE SONT PAS DES PROVOCATEURS, bien au contraire, ce sont nos frères de classe, nos
camarades. Les provocateurs (en général des flics déguisés en manifestants) sont au
contraire ceux qui dans nos manifestations tentent de freiner la violence contre la
bourgeoisie, ceux qui tentent de la réprimer. Ils infiltrent les manifestations pour
les désorganiser et les désorienter, ils les poussent à attaquer des objectifs
totalement liquidateurs de la force de
classe, en particulier les minorités immigrées ou considérées ethniquement
différentes, ou encore à détruire les biens d’autres prolétaires », comme « le
petit magasin du quartier, le bistrot du coin… ».
Sur la même question, le texte « Le Front commun des casseurs »[27] répond de
manière très directe : « Appel aux démocrates théoriciens du complot : camarades,
pour ne plus avoir de doute sur le fait que ce soient ou pas des flics provocateurs
qui pètent des vitrines et commettent les divers actes de violence, notamment lors
des cortèges noirs parisiens, procure toi la prochaine fois une barre de fer et
pètes-en une en premier. C’est la seule thérapie de choc qui te reste à disposition.
Sinon tu as encore la possibilité de rejoindre le rang des SO et ou encore celui des
milices stalinennes en formation. Mais attention, tu en prendras plein la gueule,
car même si on sait que les SO n’ont pas de flics infiltrés dans les rangs (ah
merde, si, il y a les branches sectorielles de flics et de matons dans bon nombre de
syndicats), on sait aussi que ces derniers ont bien infiltré leurs têtes. Ils seront
donc traités comme tels. Des
porcs à saigner. »
***
Un spectre hante le monde…
Dans ses pratiques même de blocage, le mouvement de l’automne 2010 en France renvoie
de fait à la face de l’économie ses prêches moralistes et, refusant de se sacrifier
pour elle, entend justement l’attaquer dans ses nœuds vitaux pour renverser le
rapport de force en faveur de la lutte, pour faire valoir les besoins humains contre
ceux du capital. Le mouvement actuel se distingue en termes de dépassement des
cloisonnements sectoriels, d’auto-organisation et de contamination de pratiques
ciblées contre l’économie et l’État (quantitativement dommageable pour ceux-ci, à
raison de quatre milliards d’euros selon les chiffres patronaux).
En termes de limites du mouvement, évitons d’emblée la pseudo-distinction entre les
limites « internes » au mouvement, les limites qu’il « se serait imposées » de par
ses « faiblesses propres », et les limites « externes », qui lui « auraient été
imposées » par la force tant physique qu’idéologique.
Le mouvement de négation des conditions existantes est un produit de celles-ci. Même
s’il est précisément ce qui leur est irréductible, non-intégrable, non-assimilable,
il naît sur le sol même de ces conditions, dans un rapport de force mondial donné,
et reproduit encore des traits et idéologies de cette société.
Il n’est donc jamais pur, exempt de contradictions, d’oppositions, d’illusions, etc.
Celles-ci le traversent en permanence et il devra forcément, au cours de son
développement, faire des choix (programmatiques, stratégiques, techniques,
matériels, etc…) qui ne sont pas forcément partagés par tous. Parfois ces décisions
s’imposeront d’elles-mêmes, parfois elles donneront lieu à des luttes internes
importantes.
Les limites d’un mouvement indiquent aussi les perspectives de développement futur
de tout ce qui y est contenu en puissance et qui y a été diversement exprimé,
explicitement et implicitement.
Considérant le mouvement actuel, en France et d’autres pays d’Europe, se pose la
nécessité de plus de contagion, d’ancrage et de reconnaissance mutuelle qui dépasse
la sympathie passive, y compris par-delà les frontières, pour que les travailleurs
des secteurs stratégiques ne se retrouvent pas seuls exposés à la sanction
salariale, au chantage aux ressources, à la répression, la nécessité aussi d’une
plus nette autonomisation vis-à-vis des syndicats et partis (qu’ils soient
d’alternance molle ou d’alternative pseudo-radicale), d’une plus forte coordination,
d’une plus grande agilité opérationnelle.
Ce que l’État a fondamentalement le plus à craindre, le spectre qui hante toutes ses
réformes présentes et à venir en dépit du triomphalisme de façade des chefaillons
qui les imposent, c’est que les mouvements qui viennent dépassent les limites ici
évoquées, que se développent alors des attaques de plus en plus frontales de la
valorisation capitaliste, conjointes à la réappropriation à la source, de la
production (notamment par des occupations dirigées par les besoins de la lutte,
contre toute impasse d’« autogestion ouvrière » livrée à la merci du marché), par un
nombre de plus en plus grand de prolétaires qui, pour ce faire, ne peuvent que
s’organiser en force en-dehors et contre toutes les organisations social-démocrates,
y compris celles d’entre elles (présentes et à venir) qui s’autoproclament
« anticapitalistes », « révolutionnaires », et dont toute la pratique dément les
infatuées prétentions.
Au-delà de sa durée propre, chaque mouvement qui rompt tangiblement avec le temps de
la valorisation capitaliste nous rend à notre contemporanéité fondamentale avec
toutes les luttes passées et à venir, nous lie chaque fois plus intimement les uns
aux autres dans notre communauté de lutte, dans notre étrangeté radicale à ces
relatifs « retours à la normale » auxquels nos ennemis aspirent pour différer la
chute de leur monde putride.
***
[1] « Catastrophe capitaliste et luttes prolétariennes », Communisme
n°60, novembre 2008.
[2] Voir à ce propos notre revue Communisme n°61 (juin 2009), et en
espagnol, Comunismo n°60 (juillet 2010).
[3] Pour exemple incontournable que ce caractère de plus en plus fictif
fait partie intégrante de la machine : l’armée du principal État-gendarme au monde,
fort de son quadrillage militaire des continents et océans, est financée par le plus
abyssal et notoire déficit public au monde. La foi dans le dollar ne porte plus
depuis longtemps sur sa valeur réelle mais sur la capacité de l’État qui l’émet à
assurer la paix sociale dans et hors de ses frontières.
[4] Peut-être est-il utile de rappeler ici la barricade de classe qui
nous sépare de l’eurocentrisme, de l’euroracisme promotionnés encore aujourd’hui par
toute l’idéologie marxiste-léniniste et dont le modèle demeure l’ouvrier blanc
d’usine dûment syndiqué et discipliné. D’innombrables luttes de notre classe dans le
monde (y compris, en Europe, celles des immigrés, des banlieues…) sont ainsi
disqualifiées par cette idéologie qui les considère comme non-prolétariennes, non
porteuses d’un antagonisme au capital, simples émeutes de sous-classes exotiques et
violentes desquelles le « vrai » prolétariat doit se détourner.
[5] Voir notre revue Communisme n°61 (juin 2009), « Catastrophe
capitaliste et luttes prolétariennes. Ça continue : Grèce, Madagascar,
Guadeloupe… ».
[6] Le 22 octobre, Total doit reconnaître que toutes ses raffineries
sont bloquées.
[7] Le terminal portuaire de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) a lancé le
mouvement début octobre, ont suivi ceux du Havre (Seine-Maritime) et de Donges
(Loire-Atlantique). A Fos et Marseille, de nombreux navires (60 rien qu’à Fos le 22
octobre), parmi lesquels plusieurs dizaines de pétroliers restent en rade dans
l’attente d’un déchargement. Certains seront détournés vers le port d’Anvers, ce qui
fera dire à Nicolas Sarkozy, non sans amertume : « Je suis désolé qu’Anvers soit
devenu le deuxième port français ». Il sera encore plus désolé le jour où le
mouvement gagnera Anvers en même temps…
[8] Sujet tabou, nous n’avons vu évoquer nulle part, au faîte des
perturbations de l’approvisionnement en carburant fossile, ces sanctuaires
énergétiques préservés que sont les centrales nucléaires…
[9] Il y aurait en fait trois niveaux de réserves de carburants, le
premier servant de tampon pour la consommation globale en situation normale, les
deux autres niveaux pouvant être entamés pour pallier une crise d’approvisionnement,
selon son ampleur et sa durée. Le passage d’un niveau à l’autre s’accompagne bien
sûr de restrictions de consommation en fonction des priorités économiques et
stratégiques de l’État, qui possède certainement aussi, en bon père de famille, des
stocks militaires pour approvisionner les forces de répression.
[10] Et ce même si les syndicats, qui n’ont pu désavouer l’action, se
sont arrangés pour qu’elle ne se prolonge guère au-delà d’une seule journée.
[11] « Bison futé », service public français de prévision et de gestion
des engorgements du réseau routier.
[12] « On ne peut que se réjouir de ces moments de lutte » déclarait
en novembre 2007 un tract signé « les preneurs et preneuses d’otages du campus
universitaire de Grenoble » (reproduit dans notre revue Communisme n°60), à propos
des luttes menées en France en 2007 par les cheminots, lycéens, étudiants,
travailleurs d’EDF, marins-pêcheurs, dans les banlieues,… non sans s’en montrer
critique : « on parle de convergence des luttes, mais en réalité chacun-e lutte dans
son coin », et d’ajouter que « quand la détermination prend le pas sur la
résignation, le mot d’ordre démago de Sarkozy peut devenir le nôtre: ensemble, tout
devient possible ». C’est bien cette tendance qui s’affirme aujourd’hui, quelques
années plus tard, sous la pression de réformes plus globales.
[13] Extrait d’un tract intitulé « Contre l’exploitation, bloquons
l’économie ! » publié sur le net le 10 octobre et reproduit en annexe.
[14] GIPN : Groupe d’Intervention de la Police Nationale.
[15] Texte publié sur le net le 20 octobre et que nous reproduisons en
annexe.
[16] Bulletins de lutte qui ont été pour nous une source importante
d’informations. Citons, à l’échelle du pays, , « Premier round », « Les mauvais
jours finiront », « G.A.V. » et à l’échelle locale, « Info luttes » de Caen, « Chabé
en lutte » à Chambéry, « Inter luttants » à Paris, « Havre de grève » au Havre, « La
Riposte » au Nord-Pas-de-Calais…Sur le net, signalons le dynamisme du blog
http//juralibertaire.over-blog.com.
[17] La mairie s’est bien sûr empressée de préciser que l’ancien
bâtiment de la CFDT devait être réaménagé « pour y héberger l’association de
Sauvegarde de l’enfant à l’adulte [et] le Puzzle, l’accueil de jour des sans
domicile fixe », grand classique de l’alibi caritatif envers « de plus
nécessiteux ». Les occupants de la Maison de la grève ne s’y trompent pas, déclarant
que « ce projet sort du chapeau, pour légitimer notre expulsion ».
[18] Voir dans cette même revue, notre texte « Prolétaire, moi ? ».
[19] Voir dans cette même revue, notre texte « Revendication et
réforme ».
[20] Cités dans Le Figaro du 20 octobre 2010.
[21] La même méthode idéologique prévaut dans la campagne antiterroriste
permanente de l’État : selon son discours officiel, le terrorisme serait le mal, le
germe qui s’en prend de l’extérieur à un corps social sain et qu’il conviendrait
d’éradiquer comme prétend le faire la médecine pasteurienne avec « les maladies ».
L’État est en réalité plus subtil et sait qu’en matière de contre-insurrection, on
ne fait rien s’y on ne s’en prend pas au terrain.
[22] Compagnie Républicaine de Sécurité. L’attirail de protection
corporelle des brigades anti-émeutes, apparaissant il n’y a pas si longtemps comme
un prototype futuriste (le « Robocop »), est aujourd’hui la norme guerrière déployée
à la moindre menace de trouble à l’ordre public, auquel viennent s’ajouter tous les
perfectionnements les plus vicieux des armes de contrôle des foules (gaz diversement
agressifs, irritants, vomitifs, invalidants, grenades assourdissantes, flash-balls,
teasers, fusils à pompe…) qu’un usage systématiquement irrespectueux des hypocrites
« normes légales » (tirs tendus et de proximité, etc.) rend régulièrement mutilants.
[23] Citons à titre emblématique le cas d’un mineur de 16 ans condamné à
un an de prison ferme sous l’accusation de jet de pierres contre des policiers.
[24] « Et voilà la vraie différence, mentionnions-nous dans une
précédente revue : le cordon sanitaire que la bourgeoisie essaye d’imposer partout
pour diviser le prolétariat, entre d’un côté les protestations bien citoyennes, les
arrêts légaux de travail, les marches moutonnières et autres pseudo-protestations,
et de l’autre les “émeutes” des incontrôlés ». (« Catastrophe capitaliste et luttes
prolétariennes », Communisme n°60, novembre 2008, p.13)
[25] En France, le corps de police n’intervenant qu’en civil se nomme
les BAC (Brigades Anti-Criminelles), qui infiltrent les manifestations, encadrent
ses abords et patrouillent également quotidiennement dans les quartiers
« difficiles ».
[26] « Catastrophe capitaliste et luttes prolétariennes. Ça continue :
Grèce… », dans Communisme n°61 (juin 2009).
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