Libye : l’insurrection gagne Tripoli, Kadhafi en sursis
Lundi, au cinquième jour de la révolte, des manifestants anti- Kadhafi se sont rassemblés dans les rues de la capitale Tripoli et pillent des bâtiments, des chefs de tribu rejoignent la contestation et une unité de l’armée a rallié les rangs de l’opposition à Benghazi – aujourd’hui aux mains des émeutiers –, dans l’Est du pays.
On dénombre au moins 332 mort selon Human Rights Watch ; 61 à Tripoli dans la nuit et la matinée, de source non confirmée. Dans la nuit, Seif el-Islam, un des fils du colonel Kadhafi – dont on ne sait où il se trouve – a prononcé à la télévision un discours apocalytique et menaçant.14h30. Selon le site (en arabe) du quotidien libyen Quryna, le port pétrolier de Ras Lanouf, à 600km à l’est de Tripoli, serait lui aussi secoué par des protestations. La Libye est le deuxième producteur de pétrole en Afrique, avec 1,7 million de barils par jour.
14h20. La résidence de Kadhafi à Tripoli est entourée de manifestants en colère. Un feu s’est déclaré, plusieurs dizaines de personnes seraient blessées.
14h10. Selon Salem Gnam, porte-parole du Front national pour la sauvegarde de la Libye (FNSL), et interrogé par The Guardian, la répression envers les protestataires a été renforcée ce matin, à Tripoli comme à Benghazi :
« Ils ont été bombardés à l’aide d’hélicoptère de combat et d’avions (…) Ils criaient “s’il-vous-plaît, s’il-vous-plaît, aidez-nous” car beaucoup de personnes sont mortes dans ces bombardements. La situation est terrible. »
14H05. Les journalistes de Benghazi, deuxième ville du pays où près 300 personnes seraient mortes, ont effectué une marche pour demander aux médias officiels de cesser de falsifier les événements et réclamer laliberté de la presse.
13h25. Un chantier de construction sud-coréen a été attaqué dimanche à 30 km de Tripoli. Selon l’agence de presse Yonhap, 500 émeutiers sont venus agresser les travailleurs sud-coréens travaillant sur le site. Certains auraient été gravement blessés. Deux Bengladais, employés sur le site, ont été poignardés.
12h56. Le quotidien italien La Repubblica annonce que la ville de Tarhouna, près de Trippoli, est contrôlée par les opposants à Kadhafi. Les forces de l’ordre auraient déserté la ville.
12h45. Al-Jazeera diffuse le témoignage audio d’un habitant de Tripoli joint dans la nuit de dimanche à lundi. Il confirme que de nombreux bâtiments publics ont été attaqués et pillés.
Des affrontements entre opposants et partisants de Kadhafi ont également eu lieu :
« Après que les manifestants ont brièvement occupé la place centrale de la ville, ils ont été chargés par des voitures et des land cruisers dont les passagers ont ouvert le feu sur eux “comme si c’était la guerre’.”
12h40. Selon Skynews, plusieurs banques et postes de police ont été pillés ce lundi à Tripoli. Al-Jazeera précise que des forces de sécurité pillent les bâtiments publics et les banques.
11h50. Le champ de pétrole Al-Nafoora, situé dans une des principales réserves du pays, s’est mis en grève. Suite à cette annonce, le prix du baril de pétrole a augmenté de deux dollars ce lundi.
Sur Al-Jazeera, un expert prédit une forte hausse des prix du pétrole :
“La plupart des puits de pétrole sont situés dans la région de Benghazi, où la révolte est très importante.”
Les conséquences risquent de se faire particulièrement sentir en Amérique du Nord et en Europe, vers qui la Libye exporte massivement son pétrole.
11h40. Historiquement nombreuses dans l’Est de la Libye, les émeutes ont gagné Tripoli depuis samedi 19 février.
11h20. Des photos des émeutes survenues dimanche 20 février à Benghazi sont diffusées sur Flickr. Certaines attestent de la fraternisation d’une partie de l’armée avec les manifestants.
11h15. Asharq-al Awsat, quotidien saoudien, annonce la démission du ministre de la Justice. Le Conseil de la révolution libyenne demande à Kadhafi de donner sa démission.
10h30. Guma el-Gamaty, un écrivain et activiste politique libyen craint “un massacre sans précédent en Afrique du Nord”. Dans The Telegraph, il exhorte les dirigeants occidentaux :
“Croyez-moi, Kadhafi va tomber, mais il tuera le plus de monde possible.”
10 heures. Le bâtiment de la télévision publique à Tripoli serait en proie au pillage et en flammes selon l’AFP et Al-Arabiya. L’équivalent du Parlement était aussi en feu, selon un reporter de Reuters.
Minuit. Seif el-Islam, le fils du colonel Kadhafi, s’est adressé en libyen, et non en arabe littéraire, à la population :
“Si nous ne nous entendons pas maintenant pour réformer la Libye, des rivières de sang couleront au travers du pays.”
Affirmant que le pays était au bord de la guerre civile, il a prévenu que l’armée irait “jusqu’au bout”.
Il a reconnu que les militaires avait fait des “erreurs” mais que les victimes étaient moins nombreuses que ce qu’annonçaient les médias étrangers – 83 selon lui, et non plusieurs centaines.
Seif el-Islam a promis des réformes. Au milieu de menaces et prophéties catastrophistes, il a déclaré que “même le commandant Kadhafi voulait une nouvelle Constitution avec des pouvoirs réduits pour le gouvernement”.
“La Libye n’est pas la Tunisie ni l’Egypte. S’il y a des problèmes, nous allons nous diviser en trois pays. Il y a soixante ans, nous étions trois pays. Nous sommes un pays de tribus, nous ne sommes pas un pays de partis politiques. […]
Nous allons avoir une guerre civile comme en 1936. Et qui va récupérer l’argent du pétrole ? Comment allons-nous nous partager cet argent ? Qui va payer nos hôpitaux ? Nos enfants ne pourront plus étudier, ça sera le chaos, nous devrons quitter notre pays si nous ne pouvons pas partager le pétrole.
Nous avons 200 milliards de dollars de projets devant nous. Plutôt que de pleurer 200 morts, nous allons en pleurer 100 000.
L’Occident n’acceptera pas le chaos, l’islamisme et la drogue chez nous, à une heure de la Crète. Il nous occuperont. Le pays sera séparé en deux, entre le Nord et le Sud, comme la Corée, et nous ne pourrons plus nous parler, il faudra un visa pour aller de Benghazi à Tripoli.”
Seif el-Islam a reconnu qu’il y avait eu des morts à Benghazi.
“Parce que l’armée était stressée, elle n’a pas l’habitude de gérer des foules. Certains manifestants étaient ivres, d’autres sous l’emprise d’hallucinogènes.”
Puis il a évoqué la situation à Bayda, d’où sa mère est originaire, accusant les insurgés de vouloir y instaurer un émirat islamique, et les médias arabes de déformer la réalité. Il a assuré que le colonel Kadhafi lui-même mènerait la bataille à Tripoli.
“Nous nous battrons jusqu’au dernier homme.”
Seif el-Islam a conclu ce discours par un “nous voulons vivre et mourir en Libye” et “nous ne laisserons pas Al-Jazeera, Al-Arabiya et la BBC nous piéger”.
Pour Luis Martinez, directeur de recherches à Sciences-Po, “de 2003 à 2009 Seif el-Islam a essayé de réformer le régime. Il s’est confronté aux ‘staliniens’ et a finalement été marginalisé par les proches de son père, les vieux”.
Est-ce parce qu’il donne une image moderne, qu’il a osé parfois critiquer le régime, qu’il a été propulsé sur le devant de la scène ?
“Allié de l’Occident” selon le New York Times.Agé de 38 ans, il était décrit l’an dernier par le New York Times “comme l’allié de l’Occident”, mais n’exerçait plus, dernièrement, qu’un rôle honorifique.
En février 2009, le fils préféré du colonel avait évoqué la possibilité de s’exiler. Interrogé par Rue89, Hasni Abidi (directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe) expliquait alors que Saif al-Islam s’était mis à dos les comités révolutionnaires, qui n’avaient pas apprécié ses discours pour ouvrir le régime aux droits de l’homme en instituant une Constitution moderne :
“Personne n’a osé faire ça avant lui. Imaginez : il a critiqué le régime en le traitant d’arbitraire.”
A l’époque, on parlait de rivalités sans merci avec certains de ses frères, dont Saadi, qui dirige la répression. Ses ennuis avec l’aile conservatrice se seraient aggravés au cours des dernières semaines.
Reuters rapporte que vingt journalistes travaillant pour Ghad, son groupe de presse, ont été brièvement arrêtés. Ledirecteur a démissionné et le quotidien a cessé de paraître.
Source rue89
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