Scènes ordinaires de violences policières à Tunis
Ce vendredi 6 mai 2011, à Tunis, jour de la prière, on attendait vers quinze heures une nouvelle arrivée massive de fanatiques musulmans sur l’avenue Bourguiba. Des barbus enragés qui, depuis deux ou trois semaines, viennent occuper le terrain devant le théâtre municipal, haut lieu de l’impiété et de la luxure, afin de prier Allah la face contre terre et de proférer des messages de mort à tous ceux qui n’obéissent pas à leur délire. Théâtre, cinéma, musique, danse : pour eux tout est “haram”, c’est à dire péché mortel. Et pour mieux faire passer le message, ils menacent d’égorger ceux qui pratiquent ou admirent ces disciplines impies.
Manœuvres contre-révolutionnaires du Premier ministre
Mais à onze heures, ce même jour, c’est une autre manifestation qui est aussi annoncée. Celle de jeunes gens indignés par la vidéo circulant sur la toile et dévoilant les intrigues du Premier ministre par intérim : une vieille ganache largement compromise avec le régime de Ben Ali, dont la vidéo tend à prouver les manœuvres contre-révolutionnaires. Ils sont plusieurs centaines, ces jeunes gens, quelques filles, mais surtout des garçons, agglutinés, comme ils l’avaient été la veille, sur les marches du théâtre municipal, criant leur courroux, mais pacifiques, mais disciplinés, comme on n’imaginerait guère de le voir en France, lançant de larges sourires aux rares passants étrangers comme pour leur montrer leur contentement d’être soutenus par des regards amis.
De seize à trente ans
Vers treize heures, les voilà tout à coup qui traversent la chaussée pour se regrouper sur le terre-plein arboré de l’avenue, face aux forces policières qui en barrent le cours en direction du ministère de l’Intérieur.
Bloqués, les jeunes manifestants (ils ont entre seize et trente ans), continuent de crier en chœur, agitant les mains vers le ciel, toujours aussi pacifiques, plutôt joyeux, sans nulle agressivité, sans intention affichée de provocation gratuite.
Violente répression
Brusquement des détonations éclatent, des bombes lacrymogènes fusent, des hurlements se font entendre, cependant que la police charge subitement avec une fureur et une violence sidérantes. Dans la panique qui les a saisis, par centaines les jeunes gens refluent et s’éparpillent, courent se réfugier dans les rues adjacentes, dans les cafés dont déjà on a débarrassé les terrasses en retirant à la hâte tables, sièges et parasols. Certains s’engouffrent dans le hall de l’Hôtel International subitement noir de monde. Mais ils sont plusieurs, trop nombreux, à être immédiatement rattrapés par les flics en civil, cernés par ces hyènes qui surgissent de nulle part, les coincent, les frappent, les traînent vers leurs congénères en uniforme lesquels frappent à leur tour avec une violence épouvantable des jeunes gens qui n’ont fait, pour tout crime, que crier leur indignation.
Chasse à l’homme
La chasse est ouverte. A nouveau des hurlements fusent des rangs des policiers. On investit les cafés pour en déloger brutalement ceux qui s’y sont réfugiés, les lancer dans les fourgons de la police. Les matraques tapent avec frénésie ; une noria de petites motos envahit l’avenue, enfourchées chacune par deux mercenaires masqués, l’un conduisant alors que l’autre, une grande batte dans les mains, tape sur tout ce qui est à sa portée. C’est terrifiant, effroyable, insoutenable. Les coups pleuvent avec une rage qui déshonore totalement le gouvernement provisoire tunisien et blessent des citoyens qui ne font rien d’autre que d’exercer leur droit de citoyens.
Chiens de garde
L’impression est épouvantable. Les chiens de garde qui torturaient et tabassaient sous Ben Ali, toujours en service, après avoir fui ou s’être cachés, ont repris du poil de la bête. La plupart se masquent le visage pour mieux pratiquer leurs exactions et n’en paraissent que plus ignobles encore. Tout cela survient alors que les Tunisiens viennent de renverser un régime totalitaire. On n’ose imaginer comment se comportait la police du temps de Ben Ali quand on la voit se conduire avec tant d’ignominie à l’aube de la démocratie. Mais on pressent que la contre-révolution menace.
Char d’assaut
A quatre heures de l’après-midi, un char d’assaut muni d’une mitrailleuse, de ceux qu’on voit en permanence stationnés entre la cathédrale Saint-Vincent de Paul et l’ambassade de France, un char d’assaut prend position à l’intersection de l’avenue Bourguiba et de la rue de Paris. Les fanatiques musulmans n’ont pas osé pointer leur vilain museau pour occuper le terrain. L’atmosphère est encore tout empoisonnée par les gaz. L’avenue, un temps plongée dans un silence mortel, dans un climat de peur, peu à peu s’anime à nouveau. Certaines terrasses de café se remeublent et les premiers clients reviennent alors que tous les magasins maintiennent encore baissés leurs rideaux de fer. A l’Hôtel Intercontinental, des danseurs français effarés, à peine débarqués de l’avion qu’ils ont emprunté pour se produire au cours du festival de danse qui se déroule coûte que coûte, en plein cœur des affrontements, n’en reviennent pas d’avoir frôlé des événements qui les dépassent.
Raphaël de Gubernatis (depuis Tunis) – Le Nouvel Observateur
Même si ça paraît un peu éloigné des faits immédiats il me paraît évident que la question du genre est centrale dans la situation:
les islamistes, à l’évidence misogynes, servent de provocateurs et l’Etat intervient pour rétablir l’ordre “moderne” protecteur des droits des femmes.
Il est possible que la contre-révolution ( démocratique) prenne la forme d’un coup d’Etat si les islamistes gagnaient les élections;
Les femmes deviennant l’enjeu du pouvoir d’Etat, la lutte de classe est refoulée du devant de la scène, ce sera le cas tant que l’abolition des genres ne sera pas au coeur de la luttes de classe