“La théorie de la communisation n’est pas un long fleuve tranquille”
Commentaires critiques du livre de Léon de Mattis Crises [1]
Le livre fait justice d’un certain nombre de confusions habituelles dans les courants de l’extrême gauche…
1 – Il récuse la séparation faite par les milieux alternatifs et la pensée type Monde Diplomatique entre économie réelle et finance, une dualité commune aussi bien aux économistes libéraux qui opposent le réel et le nominal qu’aux économistes marxistes qui opposent valeur et prix. De Mattis rompt cette dualité en affirmant qu’aucun secteur économique ne peut exister sans crédit. C’est reconnaître implicitement le rôle dynamique du crédit comme étant le facteur qui introduit le temps dans la reproduction du rapport social capitaliste[2], mais il ne va pas jusqu’à aborder la question du capital fictif[3]. Il en reste à un crédit conçu comme une opération technique qui n’a pas d’influence sur la nature du capital. Cela me semble faux. Avec le développement du crédit le capital reconstruit une unité espace-temps que son procès de production dissocie[4].
Pourtant Marx semblait assez clair sur le rôle fondamental de ce type de capital dans le procès de capitalisation : « Constituer du capital fictif s’appelle capitaliser. On capitalise toute recette périodique, en la calculant selon le taux d’intérêt moyen, comme un revenu qui rapporterait un capital prêté à ce taux » (Marx, Le capital, Gallimard, vol. 2, p. 1755). Marx approche ici le fait que ce qui compte pour le capital c’est sa capitalisation (en d’autres termes la valeur de marché ou boursière d’une entreprise qui n’est que rarement égale à la valeur de son capital technique). Comprendre cela permet d’intégrer la financiarisation de l’économie à cette même capitalisation et ruine toute tentative de séparer une économie « réelle » et une économie « fictive » (sous-entendue financière).
2 – Il récuse aussi, mais de façon plus ambiguë, la séparation entre État et capital qui, dans le meilleur des cas, apparaît encore sous la formule « d’État du capital », sans parler de celles qui font référence à l’État au service du capital, au service des grands monopoles ou des multinationales, etc. Toutes ces affirmations relèvent, pour lui, de la « théorie de la dérivation ». L’État dériverait du capital, ce qui serait la vision dominante chez Marx puisqu’elle court de L’idéologie allemande au Capital.
Pour de Mattis, au contraire, il y a une sorte « d’implication réciproque » entre État et capital (p. 19) qui serait du même ordre que celle qu’on retrouve dans le rapport social entre capital et travail[5]. En fait, il semblerait que capital et État ne soient pas véritablement en symbiose, l’État de capital donc plutôt que l’État du capital[6] et que ce soit « la nécessité » qui fasse le lien : la souveraineté de l’État ne signalerait pas sa liberté de choix politique mais seulement la « soumission de l’État à sa propre nécessité au sens de ce qui lui est nécessaire pour exister et qui en même temps le rend nécessaire » (p. 21).
Mais de Mattis reste vague sur cette « nécessité » qui revient comme un leitmotiv caractéristique du déterminisme marxiste, alimenté aussi par des références à des contraintes structurelles qui sonnent leur pesant de structuralisme à la Althusser[7]. Nécessité du capital automate, de la valeur-sujet, de la puissance souveraine ? Ce n’est pas précisé, mais quand on lit plus loin que « la nécessité de l’État s’impose toujours à sa souveraineté ou pour le dire plus justement, la souveraineté étatique n’est rien d’autre que la forme que prend l’expression de sa nécessité » (p. 21), il est alors évident que la question du pouvoir et la question politique sont évacuées alors que Marx parlait pourtant d’un « régime politique du capital ». Cette dernière phrase de de Mattis frise d’ailleurs la tautologie et n’est guère convaincante comme critique de la conception d’une autonomie de l’État, une possibilité pourtant retenue par Marx dans ses écrits politiques sur les luttes de classes en France.
Ce qui est gênant dans tout cela c’est qu’on ne sait pas de quel État on parle ici : s’agit-il du concept d’État en général, de l’État dans sa forme État-nation, de l’État dans la « domination réelle du capital » ? Ce n’est pas précisé. En tous les cas, dans ce schéma déterministe, l’État n’est jamais analysé aussi comme une forme aliénée de l’universel ce qui explique pourtant qu’on s’y attache et pas simplement qu’on s’y soumette[8]. Il est vu unilatéralement comme une forme politique de la domination.
3 – Léon de Mattis reconnaît aussi que la valeur est une représentation (p. 65). Une représentation d’origine magique ou religieuse à ses débuts[9], mais une fois cette croyance sécularisée, la représentation se fait convention. C’est ce que disent d’ailleurs M. Aglietta et A. Orléan que notre auteur semble avoir lu, ce qui me paraît constituer un effort louable, mais presque moderniste et « révisionniste » par rapport à tous ceux qui restent fixés sur telle ou telle partie du livre I du Capital comme s’ils en attendaient la Révélation.
À la suite de M. Mauss, il concède que la monnaie peut avoir précédé l’échange (p. 73), mais c’est pour abandonner aussitôt cette affirmation embarrassante pour un marxiste, en disant que ce n’est pas ce qui le préoccupe car seule est importante la forme marchande de l’argent pour saisir ce qui est propre au développement capitaliste, en tout cas à sa forme prise au XIXe siècle quand la valeur se refonde sur la base de l’échange. Mais il ne peut tenir cette position comme spécifique au capitalisme puisque la forme argent-marchandise n’a aujourd’hui plus de pertinence. La valeur n’étant historiquement qu’un rapport dans l’échange, l’argent cesse progressivement d’être marchandise pour ne plus être que signe, valable uniquement dans la circulation[10]. Keynes qualifiait déjà cette tendance comme une préférence pour la liquidité. Depuis les années 2000 et a fortiori depuis 2008, nous sommes au cœur d’un processus qui s’est accéléré.
Or c’est la monnaie sous forme de capital fictif[11] qui s’affirme comme signe et non la « monnaie centrale » qui sert de réserve, qu’elle soit en or ou en devises. Toutefois cette monnaie signe est encore garantie par l’État, mais non plus par l’État dans sa forme État-nation qui lui donnait son cours légal sur le territoire dépendant de sa souveraineté, mais l’État restructuré dans sa forme réseau. Un État qui ne se contente pas du monopole de la violence légitime et ne se réduit pas à ses institutions politiques. Un État qui se redéploye au niveau 1, celui du capitalisme du sommet[12]. C’est par exemple, l’État en tant que prêteur en dernier ressort.
De Mattis est d’accord avec cela, par exemple quand il dit que « la monnaie de crédit est certes adossée à l’État, mais comme nous l’avons vu à l’État en tant qu’institution financière, émettrice de bons du Trésor et soutien ultime des banques centrales, et non à l’État en tant que puissance de légiférer » (p. 94).
Deux remarques à ce sujet :
– premièrement, il sépare les deux fonctions comme s’il ne s’agissait pas du même État, or c’est bien le même ;
– deuxièmement, il a l’air de penser que l’indépendance des banques centrales remet en question cette fonction d’institution financière. La crise actuelle et l’intervention de la FED américaine depuis 2008 comme de la Banque d’Angleterre plus récemment montre qu’il n’en est rien. C’est que l’État ne se conduit pas comme une institution financière ; il prend des décisions politiques car il a tiré des leçons des crises précédentes et particulièrement de celle des années 1930[13]. Le problème reste plus spécifique à l’Europe continentale du fait de l’absence d’une souveraineté européenne. Toutefois l’inversion timide de politique entamée par la BCE sous la direction de Draghi semble aller dans le même sens à la seule différence qu’elle se substitue à des institutions européennes encore inexistantes en la matière. Dans tous les cas, la différence de situation entre le monde anglo-saxon et l’Europe continentale du point de vue de la gestion de la crise, montre bien que la question de la souveraineté n’est pas soluble dans la structure qui se cacherait derrière la nécessité.
La politique allemande n’est pas guidée par la « nécessité » économique de l’inflation zéro, mais par le souvenir historique de l’hyperinflation des années 1920. Quant à la politique américaine de renflouement des banques, par l’utilisation de la planche à billets, elle est guidée par la « nécessité » de relancer l’inflation comme base de l’accumulation et de la capitalisation. Si chaque capital à sa « nécessité », c’est alors qu’il n’y a pas de « nécessité » !
4 – Le résultat de la circulation ce serait l’accroissement de la valeur (cf. p. 100), mais est-à dire que ce ne serait pas dans la production que se créerait la survaleur ? Que veut dire accroissement de la valeur ? Est-ce l’accroissement de la valeur d’origine, transmise dans le procès de production où celle créée en propre dans la circulation[14] ? Peut-on encore séparer production et circulation alors qu’il y a procès de totalisation du capital ? De Mattis parle d’ailleurs de tendance vers l’unité du capital.
Se range-t-il à notre formulation d’une « évanescence de la valeur[15] » ?
En fait, il distingue d’un côté la circulation qui crée la valeur parce qu’elle inclut l’usage de la marchandise force de travail et de l’autre les circuits financiers qui se répartissent la valeur créée. Pour finir sur une phrase toute en antinomie : « Il est bien vrai que seule “l’économie réelle” est productive et que la finance ne l’est pas. Mais depuis les dernières décennies du siècle précédent on ne peut plus distinguer l’une de l’autre » (p. 100) contrairement à l’époque du « mouvement autonome de la valeur » décrit par Marx sous formes de titres bancaires ou monétaires (note 9, p. 101).
On ne peut mieux reconnaître l’impasse avec une citation dont la première partie contredit la seconde, première partie qui contredit aussi ce qui était dit au début du livre et que j’ai noté au point 1. Ne serait-il pas plus simple et honnête de reconnaître que la théorie de la valeur de Marx n’est valable, au mieux, que pour décrire la phase de domination formelle du capital (grosso modo avant 1914), mais qu’elle est inopérante dans la domination réelle dès les années 1930 et a fortiori depuis la « révolution du capital » durant laquelle le capital apparaît comme un mode de pouvoir[16] ? En tout cas, c’est ce que refuse de faire la revue communisatrice Théorie communiste en s’en tenant à la formule d’une « restructuration du capital dans la deuxième phase de la domination réelle » et qui continue à concevoir le capital comme une entité économique, comme un mode de production, même si elle prend toujours soin de signaler que c’est aussi un rapport social.
Le problème avec la théorie de la valeur et plus généralement d’ailleurs avec le marxisme, c’est que dès qu’on amorce la déconstruction d’un point de la théorie qui paraît tout-à-coup devoir être mis en cause, c’est tout l’écheveau théorique qui se déroule. Cela explique à la fois les nombreux retours en arrière et les « trahisons » définitives de nombre de marxistes. Prenons un exemple à partir de Marx puis nous reviendrons à de Mattis.
Marx s’est aperçu que les marchandises ne s’échangent pas à leur valeur d’échange (VE) telle qu’il définit cette dernière. Mais au lieu de rejeter sa définition il se réfugie dans la forme valeur et relègue la VE à une forme phénoménale d’une valeur qui est son contenu[17]. Seule la production est réalité, l’échange un simple phénomène. Marx sauve la valeur car il a besoin de la plus-value pour maintenir sa théorie de l’exploitation et la perspective de la révolution prolétarienne. Parti pour expliquer les prix, il n’explique plus rien[18], même pas le profit puisqu’après avoir buté sur la question de la transformation des valeurs en prix, il bute sur la question de l’égalisation des taux de profit qui est pourtant une négation de la valeur-travail (le niveau macro-économique, celui des dépenses totales et du profit se débarrasse sans frais apparent du niveau micro-économique, la plus-value).
Maintenant de Mattis. Ayant reconnu la difficulté actuelle à séparer production et circulation, il en vient logiquement (p. 113) à liquider la question de la détermination exacte du travail productif. En effet, elle deviendrait secondaire puisque « nous savons que la valeur n’existe que dans la circulation. Il suffit que quelque part dans ce circuit existe du travail productif en proportion suffisante pour que la circulation toute entière s’explique ». Il ne nous dit pas comment se détermine cette proportion et si finalement il ne suffirait pas qu’un seul ouvrier chinois ou indien soit présent pour amorcer la pompe puisque soi-disant le travail mort ne fait que transmettre sa valeur passée[19], mais on a quand même bien cette impression.
Après tous ses développements sur la monnaie qui n’est plus une marchandise, sur la valeur qui n’est plus que circulation, il en revient au capitalisme conçu comme un simple mode de production dans lequel le processus de production resterait le seul lieu qui résisterait encore à la tendance à l’unification du capital. Retour à la case départ qui est celle de la théorie de la valeur-travail qui s’appuie sur la prédominance du rapport des hommes à la nature extérieure dans le capitalisme et il faudrait l’avouer malgré tous les dénis de nombreux marxistes, sur la prédominance de la production matérielle. Pourtant, cette affirmation de Marx n’est aujourd’hui plus tenable : travail mort et travail vivant s’exercent au sein d’une combinatoire technique et sociale qui n’a plus beaucoup de relation avec le rapport homme-machine dans la domination formelle du capital.
Il y a travail mort et travail mort. La machine correspond à du travail mort (ou passé), mais elle redevient vivante dans la combinatoire des facteurs de production contemporains. Par exemple le logiciel contenu dans l’ordinateur ne fait pas que transmettre sa valeur, il virtualise la valeur. Il en est de même pour les machines numériques. Il ne faut donc pas confondre ce travail mort de la machine et le travail mort des matières premières, des produits finis, ce que fait pourtant de Mattis à la p. 114. Dans la vision marxiste orthodoxe, le travail mort ne fait que transmettre sa valeur au produit et c’est le travail vivant qui crée la survaleur à partir de la plus-value produite ; aujourd’hui, on pourrait dire — si l’on accepte encore ce cadre — que c’est le travail passé (les négristes diront le general intellect) qui créerait, pour la plus grande part, cette survaleur, le travail vivant ne constituant qu’un facteur actionnel à la fois nécessaire et inessentiel.
Toutefois cela reste insuffisant. Cette survaleur dépend aujourd’hui de tout le processus aussi bien en amont qu’en aval de la production et donc de la production aussi. En ce sens aujourd’hui tout travail est productif pour un capital qui tend vers la totalité. Prenons deux exemples simples :
– Le premier en partant de l’industrie : dans l’industrie automobile américaine, les dépenses de publicité et d’habillage des modèles représentaient déjà 25% du coût total de production en 1962[20]. Quel montant ont-ils atteint aujourd’hui ? Et surtout comment distinguer l’amont et l’aval de la production proprement dite quand on a affaire à une chaîne de valeur et non pas à la valeur. À quel segment peut-on imputer la création de valeur nouvelle, etc. ? Et alors comment déterminer qui est productif et ce qui ne l’est pas[21] ?
– Le second en partant du capital fictif : comment mesurer l’impact de la financiarisation du secteur Recherche-Développement dans le secteur des NTIC sur la « valeur » des micro-processeurs ? Comment déterminer et calculer le rôle actif joué par le crédit (par exemple ici le rôle des sociétés de capital-risque dans l’allocation optimale des ressources) dans le procès de valorisation ?
Mais face à un tel questionnement, de Mattis a des fourmis dans les jambes ; il va et vient sans cesse… Et s’il ne dit pas que la valeur est évanescente, il laisse quand même entendre qu’elle se fait mouvement autonome parce qu’elle se détache de la monnaie-marchandise.
De Mattis reconnaît le problème quand il dit : « À présent l’argent lui-même est lié à la circulation financière en tant que telle. La valeur et la valeur spéculée tendent à se confondre[22] » (p. 101). Nous préférons alors parler en termes de capital fictif car il permet, dans sa globalité, d’inclure toutes les formes de monnaie-non marchandise sans permettre de hiérarchiser l’une ou l’autre de ses formes particulières. Cela limite les possibilités de développement de théories du complot ou l’expression d’un antisémitisme toujours latent quand on s’attaque à la finance ou aux banques[23].
Dans cette tendance à l’unification du capital de Mattis reconnaît bien (p. 103) que la rente est intégrée au capital et non plus une forme qui se retire purement et simplement de la circulation dans la thésaurisation. De plus en plus de placements sont d’ailleurs semi-liquides pour pouvoir glaner au maximum l’épargne des ménages — y compris des moins solvables — tout en permettant leur usage productif. On en a encore un exemple récent aujourd’hui avec le projet de hausse des plafonds des livrets d’épargne en France alors que banques et assurances s’y opposent car ils ne peuvent rémunérer les dépôts et sont obligés de proposer des produits illiquides comme les assurances-vie, donc moins mobilisables à tout moment.
5 – La crise est grippage du procès de circulation comme on a pu le voir avec l’arrêt du marché interbancaire ces derniers mois. Mais de Mattis n’y voit qu’une description du mécanisme sans contenu explicatif. Il faut donc qu’il retourne à des facteurs extérieurs, ceux liés à la production, au taux de profit, nécessaires pour comprendre la crise. Mais ce n’est pas chez lui une position assurée. Il reconnaît que la crise est une forme de fonctionnement ordinaire du capitalisme[24] et que si le marasme financier de 2008 marque la fragilité d’un système basé sur la circulation ininterrompue de la valeur, il n’en reste pas moins que ce système fait preuve d’une sacrée solidité puisque l’assèchement des canaux de refinancement bancaire a été compensé par l’ouverture des vannes de création monétaire par les banques centrales (p. 120).
Parfois il semble effrayé de sa propre audace. En effet, si comme il le dit la crise participe au fonctionnement normal du capital dans sa phase actuelle et même à sa dynamique par les restructurations, que devient alors le lien entre crise et communisation, surtout si cette dernière est finalement conçue comme une « nécessité » et non comme le fruit de luttes et de révoltes ? De Mattis ne nous donne pas de réponse, mais agile et rusé, il fait un saut de côté en nous parlant tout à coup de la marche vers la guerre qui serait « la forme la plus achevée de la crise capitaliste » (p. 125). Pourquoi « achevée » alors qu’on attendrait à la limite « exacerbée » ou encore paroxystique ? Dans tous les cas cela ne résout pas le problème du lien avec la communisation puisque de la guerre n’est jamais rien sorti de communisateur… à part « le communisme de guerre » (traduire « de caserne ») de Trotsky dans la jeune république soviétique et quelques expériences de collectivités agricoles en Espagne 1937, expériences justement « bouffées » par les « nécessités » de la guerre.
La situation politique des années 1930 est-elle comparable à celle d’aujourd’hui ? La Chine et le Japon menacent-ils l’Europe et les États-Unis comme l’Allemagne le faisait à l’époque ? La signature d’un pacte de stabilité européen peut-elle être considérée comme un nouveau Munich ? Est-on passé de la crise financière à une grave crise monétaire[25] ? La globalisation/mondialisation est-elle réversible à court terme pour laisser place au protectionnisme et à des zones séparées et cloisonnées ?
Force est de constater que la course actuelle à la compétitivité et à la conquête des marchés ne prend pas la forme impérialiste de la guerre, mais celle d’une combinaison guerre-paix au sein d’un ordre mondial nullement parachevé. Cet ordre mondial tend non pas à une domination nationale ou nationaliste-impérialiste avec appropriation des territoires, mais au simple contrôle des ressources rares ou essentielles afin d’assurer la fluidité de la circulation. C’est comme cela qu’il faut lire les interventions occidentales en Irak et non en termes d’impérialisme américain[26]. S’il est bien évident que le complexe militaro-industriel et les intérêts des compagnies pétrolières pèsent toujours d’un certain poids dans les prises de décisions économiques et politiques, la complexité des relations au sein du niveau I et leur complémentarité au moins à moyen terme jouent dans un tout autre sens qu’une marche à la guerre.
Ce qui domine aujourd’hui c’est bien plus une exacerbation de la tendance à la « destruction créatrice » théorisée par J. Schumpeter[27] ; ou pour parler comme les japonais, « le capitalisme peut être considéré comme un grand cimetière sous la lune ». De Mattis reste dans l’idée unilatérale de la destruction sans voir les transformations créatrices. De même, il néglige l’aspect perfusion produit sur l’ensemble du capital par la croissance des pays émergents, une perfusion non seulement financière dans laquelle les excédents équilibrent les déficits, mais une perfusion productive par un équilibrage mondial de l’offre et de la demande. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y a pas des dysfonctionnements ou des crises, mais c’est reconnaître qu’il n’y a pas que les entreprises qui se sont restructurées, mais tout un ensemble de grandes firmes, d’institutions internationales et d’États formant ce que certains appellent l’hyper-capitalisme et que nous avons regroupé comme constituant le niveau I de la société capitalisée.
On oublie trop facilement — du fait de la libéralisation des échanges (la « déréglementation ») et d’une tendance générale à la flexibilité et à la fluidité — que la révolution du capital pose sans cesse de nouvelles règles, même si, comme dans n’importe quelle révolution, elle a du mal à immédiatement stabiliser et consolider le nouvel ensemble qui se met en place.
Il me semble aussi très difficile de parler des crises sans qualifier ces transformations du capital et par exemple celle qui fait que malgré l’emploi constant du terme de crise, le « système » perdure, mais sous d’autres formes[28]. À la reproduction élargie et à la recherche du profit maximum et de la croissance de la production pour la production a succédé depuis maintenant plus de trente ans, une « reproduction rétrécie[29]» reposant sur une capitalisation différentielle entre le niveau I des grandes firmes en réseau liées aux États et qui fonctionnent sur le modèle oligopolistique du pouvoir, des ententes et de la fixation des prix et les entreprises du niveau II, PME ou autres qui subissent les prix de marché et raisonnent encore en termes de concurrence faussée.
Les premières font jouer leur pouvoir pour combiner innovations technologiques et contrôle de la fuite en avant par une stratégie de croissance externe qui favorise la concentration par le biais des fusions-acquisitions plutôt que la croissance interne par des investissements nouveaux[30]. C’est un frein à la tendance à la surproduction, mais, contrairement à la formule de l’ancien cycle, ce qui est bon pour General Motors n’est plus forcément bon pour l’Amérique et par extension, ce qui est bon pour les entreprises du CAC 40 ne l’est plus forcément pour la croissance française.
Le rapport entre ces deux grandeurs (fusions-acquisitions d’un côté et investissements nouveaux de l’autre) est aujourd’hui de deux-tiers/un-tiers alors pourtant que tous les experts disent que le résultat de ces fusions est décevant. Décevant du point de vue économique (la fameuse synergie du 1+1= + de 2 est rarement au rendez-vous) et du point de vue de l’emploi (les doublons foisonnent et conduisent à des dégraissages). L’explication se trouve ailleurs, c’est-à-dire au niveau de la domination sociale supérieure qui en résulte et des flux de revenus qu’elles génèrent. Cette stratégie autorise notamment les grandes firmes multinationales à fixer des prix élevés qui permettent de limiter les tendances à la surproduction tout en assurant des bénéfices sans avoir besoin de tourner à pleine capacité.
Une fois de plus je ne récuse pas le terme de restructuration, mais il me paraît trop faible pour désigner ce qui est à l’œuvre. Faute de percevoir la totalité de la dynamique du capital, on en arrive alors à guetter les signes de « La Crise », que l’on habille des vieux oripeaux : surproduction et suraccumulation pour les uns, surproduction et sous-consommation pour ceux qui font preuve de plus de hardiesse parce qu’ils s’aperçoivent qu’il y a quelque chose qui ne colle pas[31].
6 – La monnaie a à voir avec la puissance
L’auteur attribue à la monnaie une fonction politique qui n’est pas courante dans le marxisme : « On en oublie un peu trop facilement la dimension symbolique, pourtant peut être pas la plus négligeable. Ce qui se joue avec la généralisation de la monnaie c’est aussi l’essor de l’image de la puissance » (p. 147). Il reprend ici sans le dire les développements anciens de M. Aglietta et A. Orléan sur la monnaie-puissance et la monnaie-violence[32].
Ces références n’ont pourtant pas de caractère honteux, même si la perspective d’Aglietta et Orléan est démocratique comme le signale de Mattis à la note 12 de la p. 56. Ce qui est plus problématique, c’est que cette note 12 me semble marquer une incompréhension de la notion de monnaie-puissance chez ces deux économistes. En effet, pour de Mattis l’État ne serait que le garant de la valeur, mais il n’expliquerait pas ce qu’est la valeur. En disant cela il oublie ce qu’il a dit p. 147. Chassez le naturel, il revient au galop ! Et il en revient à la théorie de la valeur de Marx alors que la théorie de la monnaie-puissance évacue toute problématique en termes de valeur comme relevant d’une position métaphysique (la forme-valeur[33]) ou quantitativiste (la valeur-travail).
Il est donc assez logique que de Mattis reprenne l’idée que la valeur est d’abord la marque de l’exploitation (p. 148)…y compris dans l’Antiquité et le monde féodal précise-t-il. Mais alors dans ce cas il n’y a plus de rapports sociaux spécifiques au capitalisme[34] ! Pour s’en sortir il faux sacrifier l’exploitation comme concept explicatif car concept central du rapport de classe du capitalisme au profit de la domination comme concept descriptif central des rapports de pouvoir au sein des sociétés jusqu’à y compris la société du capital.
Si de Mattis restait ferme sur la définition des concepts ce serait mission impossible, mais ce n’est pas le cas. De Mattis n’est pas très à cheval sur la précision des notions qu’il utilise et ici, par exemple, la notion d’exploitation subit un élargissement de sens qui mériterait d’être explicité puisqu’elle est assimilée à l’inégalité de la répartition de l’argent. L’auteur est aussi peu exigeant avec la définition des classes. Les « sociétés de classes » remonteraient d’après lui, jusqu’au néolithique et elles se seraient divisées en castes-fonctions comme au Moyen Âge et aujourd’hui le prolétariat et les classes moyennes seraient des catégories encore opérantes ici et maintenant. Pourtant, d’après ses propres termes, leurs membres ne semblent plus être que des individus du capital, (p. 155) et le prolétariat a perdu de sa visibilité (ibid.). Il n’y a plus d’affirmation possible d’une identité ouvrière et finalement Théorie communiste a fini par reconnaître que le prolétariat n’existe plus que par et dans la communisation. Je suis d’ailleurs d’accord avec tout cela… sauf avec la dernière phrase qui fait resurgir un prolétariat d’on ne sait où (il n’y a plus de lien classe ouvrière-prolétariat comme à l’époque du « programme prolétarien »). C’est un véritable tour de passe-passe pour se sortir de l’impasse théorique que représentait l’idée d’auto-négation du prolétariat[35].
7 – État et capital fictif
Nous l’avons déjà mentionné, dans cet écrit, de Mattis ne donne pas les caractéristiques des formes actuelles de l’État. On ne sait toujours pas s’il s’agit de l’État dans sa forme d’État-nation ou s’il s’agit d’un État restructuré dans une forme réseau ; une forme connexionniste qui lui permet d’intervenir aussi bien, en interne, dans « la gestion sociale » des conflits qu’en externe dans le redéploiement du capitalisme mondialisé du sommet.
La position de de Mattis ne me semble pas tenable : d’un côté, p. 18, il dit que malgré la crise de l’État-providence le rôle de l’État reste central en tant qu’instrument de la domination capitaliste (toujours la théorie de la dérivation), mais d’un autre, p. 19, il énonce que l’État n’est pas qu’un simple régulateur du capitalisme. Il est un de ses agents de par sa puissance de mobilisation de moyens.
Pourtant, le contrôle sur le crédit par les banques centrales, par les politiques de taux ainsi que la capacité d’emprunts ont justement toujours été une marque de cette puissance centrale de l’État. L’emprunt d’État a même constitué la première forme de capitalisation, dès les XVIème-XVIIème siècles. Le développement de la monnaie-crédit a donc une longue histoire comme le reconnaissait déjà Marx quand il disait que la dette publique actionne l’accumulation et se trouve au fondement de la finance moderne[36]. Elle participe de la dynamique du capital car non seulement elle introduit le temps comme une donnée fondamentale du procès de valorisation, mais elle propose une « solution ».
Le développement actuel de la monnaie-crédit n’est donc pas qu’une réponse à la crise et aux nécessités de la restructuration. La tendance à la dématérialisation de la monnaie est un phénomène séculaire. De Mattis ne nie d’ailleurs pas cela, mais il ne l’exprime qu’à travers le biais du discours critique de la valeur qui occulte l’existence et le rôle du capital fictif dans la valorisation globale. Il ne voit pas que cela correspond à la domination progressive du capital sur la valeur. C’est toutefois plus satisfaisant que ce que disent la plupart des marxistes qui soit ignorent ce capital fictif soit le voient comme le signe, au contraire, d’une dévalorisation.
Le capital ne vise pas une accumulation de moyens de production ou une accumulation de marchandises (Marx), mais la capitalisation qui est le reflet nominal, exact ou déformé, de la production et de la consommation. Cette capitalisation précède chronologiquement l’industrialisation et la prédominance de la production matérielle parce qu’elle est un processus beaucoup plus global qui dépasse les différentes fractions de capital qui chacune à leur tour semblent prédominer et s’autonomiser à un certain stade du développement historique alors que l’État, lui, assure synthèse et continuité.
« L’exubérance de l’argent » n’est pas rattachée par l’auteur à la passion du pouvoir et de la puissance, mais soit à la spéculation improductive parce que nous nous trouverions dans une crise traditionnelle de surproduction ou de suraccumulation ou encore de réalisation et que le profit serait plus facilement accessible par des placements financiers ; soit à une sorte d’essence de la valeur qui « s’objective dans la circulation infinie des valeurs » (p. 82). Or, comme je viens de le dire, c’est plutôt l’essence du capital qui se manifeste à cette occasion et non une essence de la valeur.
Ici, de Mattis va loin dans l’hétérodoxie, mais il se complique la tâche en voulant trouver une synthèse entre les théories subjectivistes et les théories objectivistes de la valeur comme si on pouvait déterminer une valeur moyenne objective en agrégeant les différentes valeurs qui s’échangent et qui contiennent aussi des déterminations subjectives.
Toutes ces théories butent sur le même problème. Elles reposent sur des pseudo-quantum d’utilité pour les premières ou de travail abstrait pour les secondes, qui ne sont pas mesurables.
8 – Il faut avoir le courage d’abandonner les théories de la valeur pour une théorie des prix
Les économistes classiques et Marx à leur suite avaient peu d’éléments statistiques à leur disposition et peu de connaissances micro-économiques. Leur argumentation restait largement spéculative…tout en voulant à toute force déboucher sur du concret, sur des schémas comme ceux de l’accumulation, etc. C’est pour cela qu’ils se sont rattachés à des conceptions quantitativistes qui leur permettaient de se rassurer par des chiffres même si ce qu’ils comptabilisaient n’étaient pas comptabilisable. Peu importe alors, par exemple pour les marxistes, que cela ne puisse se faire qu’en rabattant les valeurs spéculatives (le travail abstrait) sur les valeurs « réelles » (les prix). Le rôle prépondérant accordé à l’analyse macro-économique du capital permet de se débarrasser de tout calcul micro-économique au niveau de l’entreprise. Ainsi, même si les prix et les profits diffèrent des valeurs et de la plus-value, au niveau des agrégats de la comptabilité nationale on aurait une correspondance. L’honneur est sauf[37].
Or, il n’y a qu’une seule objectivation de la valeur, c’est le prix[38].
En effet, contrairement à ce qui est dit p. 61, note 16, Aglietta et Orléan ne disent pas que la valeur des choses dépend de la valeur de la monnaie, mais qu’il n’y a pas d’autre valeur que celle des prix. Certes ces prix peuvent dépendre de la politique monétaire des États, de leur politique sociale et stratégique avec les prix administrés, mais la plupart des prix sont fonction de rapports de force entre entreprises, entre patrons et salariés, entre offreurs et demandeurs. Contrairement à ce que sous-entendent toutes les théories de la valeur, la loi de la valeur ne fonctionne pas dans le capitalisme de concurrence oligopolistique dans lequel les grandes firmes, les États et aussi les travailleurs sont en partie des « faiseurs de prix » et non pas des « preneurs de prix ».
Ainsi, d’un côté, Les grandes firmes, de par la structure oligopolistique de la plupart des marchés, fixent des prix plus ou moins élevés et souvent sur la base d’ententes ou de cartels alors que les théories de la valeur disent que la concurrence[39] fait que les firmes ne peuvent maîtriser le niveau de prix. De l’autre, les travailleurs salariés, selon la loi de la valeur, ne sont que preneurs de prix en fonction de la loi de l’offre et de la demande sur un marché du travail qui, pour les libéraux, fonctionne comme n’importe quel marché ; du fait qu’ils sont sans réserves et obligés de vendre leur force de travail pour les marxistes. Mais dans les faits, en domination réelle du capital et surtout dans des pays comme la France, l’Allemagne, les pays scandinaves, les syndicats et les mécanismes de l’État-providence transforment un tant soit peu cette donnée. Le SMIC, les conventions collectives, les grilles de qualification, les luttes sociales font que les salariés sont en partie faiseurs de prix. Les libéraux en sont d’ailleurs conscients quand il s’agit de défendre leurs intérêts concrets puisque cela les a amenés à théoriser la notion de « chômage volontaire » et celle de « préférence pour le chômage ». C’est aussi aujourd’hui tout l’enjeu d’une flexibilité accrue du marché du travail, d’une transformation des contrats de travail, même si le capital recrée sans cesse de nouvelles rigidités ou en conserve d’anciennes (cf. les débats autour de la « flexisécurité »).
Pour ne prendre qu’un autre exemple, pendant que les acquis de sécurité sociale ont tendance à être rognés, on crée parallèlement la CMU en France, un système de santé qui n’existait pas aux États-Unis se met progressivement en place et le discours du capital prône son extension en Chine.
Tant qu’on ne prend pas en considération ces implications politiques de l’objectivation de la valeur, les origines du profit et de la capitalisation deviennent alors mystérieuses, sans parler de l’opacité des modes de calcul.
Sa tentative de résoudre la question insoluble (jusqu’à maintenant, mais peut être en 2050 en sera-t-il autrement quand deux nouvelles générations de marxistes se seront épuisés sur le problème) de la transformation des valeurs en prix de production conduit de Mattis à dire que « la valeur représente désormais une moyenne commune à toutes les transactions concernant des produits identiques, tandis que le prix exprime la particularité des conditions de l’échange ». On n’est plus alors dans une perspective de critique de l’économie politique puisqu’on affirme rien d’autre que ce qu’énonçait l’économie classique de Smith avec son « prix naturel » qui correspond à « la moyenne commune » et à ses oscillations autour du prix naturel qui déterminent le prix de marché (en fonction « des particularités des conditions de l’échange »).
Exit le caractère politique et inégalitaire des échanges. Cela ne sert à rien d’affirmer que le discours critique de la valeur dit « la vérité de ce monde » — ce dont serait incapable la science économique — si c’est pour reprendre à cette dernière la théorie néo-classique de l’équilibre !
En fait de Mattis pense classiquement (libéraux et marxistes main dans la main) que la concurrence est négligeable en période de croissance car elle fonctionne à la marge et qu’elle est « contenue » par la loi de l’égalisation des taux de profit (de l’offre et de la demande pour les libéraux). Les firmes ne sont dès lors que des atomes de capital. Il n’a pas entendu parler de la concurrence monopolistique. La concurrence n’interviendrait que comme contradiction dans la crise (p. 139).
Les notes 2 p. 109 et 124 montrent que de Mattis ne tient pas compte du fonctionnement concret de la concurrence. Cela à une certaine logique si on en reste à la seule lecture du Livre I du Capital. Pourtant, dans l’optique libérale, tout investisseur tient compte des oscillations de prix car dans la mesure où il est un « preneur de prix » il ne peut influer ce dernier suivant le principe de la concurrence parfaite. Ce prix fonctionne alors comme un signal en provenance du marché qui rend compte des préférences subjectives qui entraînent elles-mêmes des décisions d’opportunité d’investissement. Ainsi un prix élevé indique une insuffisance de concurrence entre capitaux et donc la présence de surprofits dans le secteur ; un prix bas une trop grande abondance de capitaux dont certains vont se retirer du marché.
Cette situation « idéale » ne rend de toute façon pas compte du fonctionnement réel du capital dans son niveau I qui se distingue clairement d’un fonctionnement d’économie de marché. Au sein de ce niveau I, les grandes firmes ne sont pas des preneuses de prix mais des faiseuses de prix à travers, entre autres, la structure oligopolistique des marchés et l’intégration verticale des firmes qui transforme les fournisseurs en filiales de sous-traitance de l’entreprise-mère. Une réalité inacceptable pour ceux qui pensent que les prix sont des transcriptions plus ou moins déformées des valeurs et non pas le signe de la puissance et de rapports de force, pour ceux qui pensent que nous n’avons affaire qu’à un « capital automate » et à des règles impersonnelles. Cette pourtant cette structuration globale et unifiée que cherche à rendre l’expression de « gouvernance » au niveau du discours du capital. Malgré son caractère idéologique, elle a au moins le mérite d’introduire la notion de pouvoir dans la construction idéologique de la société capitalisée.
Les prix de monopoles, les prix d’oligopoles ou de cartels, les prix administrés représentent aujourd’hui la majorité des prix. Les prix sont des créations politiques et juridiques comme le disaient déjà Aristote et plus récemment Castoriadis. Il n’y a pas d’équivalence intrinsèque à l’échange. L’équivalence est extrinsèque et fonction de rapports de forces et de règles institutionnelles. Aujourd’hui, les prix sont d’autant plus ainsi établis que la société capitalisée tend à attribuer un prix à tout, même à ce qui n’en avait pas. Dans ce cas, le prix crée la valeur et non l’inverse ! Et je le répète, dans cette mesure aussi, on peut dire que le capital domine la valeur.
En fait, il semble que la note de de Mattis n’est juste là que pour ce qui concerne le marché boursier et que ce qu’il appelle la valeur est en fait ce qui dans le langage boursier s’appelle la « valeur fondamentale ». On n’en saura pas plus, de Mattis ne semblant pas vouloir s’aventurer dans la polémique boursière et financière entre fondamentalistes et chartistes[40].
À ne pas vouloir reconnaître que le prix est la seule objectivation de la valeur, de Mattis fait alors resurgir la valeur-travail (p. 84) qui, comme d’habitude, est à la fois source de la valeur (le travail abstrait) et mesure de la valeur (le temps de travail). Et le rôle de l’économie de marché serait de représenter les déterminations subjectives de la valorisation. Place est donc faite au désir du consommateur. Pour l’auteur, le désir ne semble exister que dans l’économie de marché, mais pas dans le capitalisme dont on suppose qu’il n’est régi que par les besoins de l’accumulation et du profit. C’est cohérent avec sa reprise des thèses de Krisis sur le capital automate : « Ce n’est pas le capitaliste qui crée la valorisation, mais la valorisation qui crée le capitaliste » (p. 144).
La question politique de la valeur-prix est ainsi évacuée. Pourtant, ailleurs (p. 161), on lit bien que « la crise économique est une crise de la domination » ! N’est-ce pas ce qui se passe aujourd’hui avec l’écroulement des prix dans certains secteurs et le développement de tendances déflationnistes ? La crise de la domination apparaît justement dans l’absence de confiance envers la vérité des prix, non pas parce qu’ils s’écarteraient des sacro-saintes valeurs, mais parce qu’ils ne fonctionnent plus comme signaux d’ordre alors que le capitalisme tenait sa force et son organisation de cet ordonnancement par les prix. On en a de multiples exemples que ce soient sur le marché boursier, sur celui de l’immobilier, ou dans la croissance des inégalités de revenus et le fameux « ruissellement de la richesse » (Stiglitz) vers les 1% les plus riches. « Ils sont les 1%, nous sommes les 99% » disaient les indignés et les insurgés du mouvement Occupy Wall Street.
De Mattis va seulement essayer de sauver sa critique de la valeur de ses connotations économicistes (la valeur-sujet) et philosophiques (la valeur-essence) en faisant intervenir l’élément « humain » de la révolte (p. 159). Ainsi, la conception de la valeur-sujet automate ne serait pas incompatible avec la thèse du capital comme rapport social dans la mesure où celui-ci est « contraint par la structure sociale » (p. 145). Si cela veut dire qu’il n’y a pas de décisionnisme pur, c’est une banalité ; si c’est pour dire que la structure décide… en dernier ressort on s’en remet alors à une entourloupe à la Althusser, lequel est à nouveau mis implicitement à contribution… « en dernière instance ».
Le retour à la valeur-travail conduit aussi de Mattis à voir dans toutes les réformes des retraites et de la santé, le signe d’une attaque contre la valeur de la force de travail, comme si le capital se livrait à une nouvelle guerre de classes. Or comme nous l’avons déjà fait remarquer pour ce qui est de la guerre en général, mais c’est valable pour les guerres particulières et donc pour la guerre de classes, pour faire la guerre il faut être deux. Je pose la question explicitement : qui est le deuxième puisque je ne pense pas que de Mattis adhère à la vision de la revue Échanges et mouvement pour qui il y a toujours une classe en lutte (voir le titre de leur bulletin « Dans le monde une classe en lutte ») ? Qu’il y ait des luttes, certes, des résistances oui, mais une guerre de classes ? On croirait entendre les insurrectionnalistes.
Il me paraît plus raisonnable de considérer ces réformes comme une tentative d’endiguer le coût croissant de cette force de travail premièrement par rapport à son rôle de plus en plus inessentiel dans la valorisation en tant que travail vivant et secondairement parce que ce coût progresse mécaniquement par le poids des évolutions démographiques… et des progrès du capitalisme qui ont conduit à l’accroissement de l’espérance de vie. La durée de versement des retraites est désormais plus longue, il y a une prise en charge d’un nombre de plus en plus élevé de personnes âgées pendant un temps de plus en plus indéterminé, alors que la viabilité des systèmes de sécurité sociale reposait à l’origine sur l’hypothèse d’une forte proportionnalité entre vie active et vie totale, proportionnalité dont on s’éloigne de plus en plus[41]. Vouloir faire travailler plus longtemps les « seniors » quand les « juniors » n’ont plus de travail est certes une absurdité sociale et politique, mais elle est aussi une tentative pour retrouver cette proportionnalité comme si nous étions toujours dans une société du travail.
Cela pourrait être comique, comme en Italie où le gouvernement Monti vient de faire passer l’âge de la retraite à 66 ans dans un pays où à peu près l’équivalent de 40% du PIB est fourni par l’activité souterraine, si ce n’était désespérant pour ce pays qui a connu les plus fortes luttes prolétariennes des années 1960-1970.
S’il s’agissait de mesures liées à une guerre de classes généralisée on ne comprendrait pas pourquoi les prélèvements obligatoires (plus de 55% du PIB) et les prestations sociales (une part très importante du revenu des salariés) restent à un niveau si élevé en France et dans les pays scandinaves. D’autant que les États-Unis cherchent à rattraper leur retard en ce domaine (projet d’H. Clinton repris par Obama) et que la Chine va bientôt devoir s’y mettre.
De la même façon, pour de Mattis, le délire sécuritaire des États ne serviraient qu’à augmenter le temps de surtravail (p. 141) alors qu’il s’agit plutôt d’une politique d’endiguement des nouvelles classes dangereuses dans une perspective qui n’est plus celle de sa mise au travail forcé comme à la fin du XIXe siècle, mais celle d’une tentative de contrôle de l’inemployabilté et de l’irreproductibilité d’une partie de la population supposée active. Or, pour reconnaître cela il faudrait ranger au magasin des accessoires la théorie de Marx sur « l’armée industrielle de réserve ». C’est pourtant quelque chose qui me paraissait acquis pour Théorie Communiste depuis le no 22 où il est dit que c’est la fin de l’armée industrielle de réserve. Il n’y a plus de force de travail en attente, mais cela pèse quand même sur le niveau de salaire. Je ne peux que souscrire à cette formulation, à condition de s’y tenir.
9 – L’individu du capital
De Mattis nous parle d’un « individu du capital », mais il ne lève pas le voile sur ses caractéristiques. Est-ce l’individu dans la société du capital dont il s’agit ou bien d’un individu du capital comme il y aurait un État du capital ? Pas de réponse. Tout juste peut-on lire (p. 152 et note 9) que « Dans les premiers temps du capitalisme industriel, l’individu du capital était essentiellement l’individu bourgeois : il était alors comme il est toujours aujourd’hui […] ». C’est là qu’on s’aperçoit que de Mattis parle en fait du bourgeois concret possesseur des moyens de production comme si c’était toujours une figure actuelle à notre époque de sociétés par actions où se côtoient sans se connaître des centaines de millions de petits actionnaires qui n’ont que peu de rapport avec le bourgeois d’origine et aucune conscience de classe. On aurait pourtant pu penser qu’il parlerait non pas du bourgeois, mais du modèle de l’individu bourgeois-sujet, un modèle entré en crise avant même que la domination réelle du capital soit effective sous l’effet d’un procès d’individualisation qui va progressivement toucher tous les individus de la société du capital[42] (qui n’est plus une société bourgeoise). Un individu à la fois atomisé par le rapport social capitaliste et particularisé au sein de nouvelles subjectivités sans sujet.
C’est pour cela que je préfère utiliser le terme « d’individu-démocratique » car il me semble mieux synthétiser les caractères de l’individualisation dans la société capitalisée[43], mieux représenter les caractéristiques d’un rapport social qui n’est plus centré sur le travail et l’antagonisme entre deux classes, mais sur la capitalisation de toutes les activités humaines. Cette capitalisation n’est néanmoins pas pure domination puisqu’elle implique participation active ou passive de ce même individu (c’est ce qui fait son caractère démocratique) à la reproduction des rapports sociaux. Le rapport social n’est donc pas basé que sur des rapports de force qui opposeraient la grande masse des dominés aux dominants ou au « système ». Un large consensus prévaut autour de ces valeurs démocratiques, qu’elles soient ancrées dans des croyances politiques traditionnelles ou qu’elles prennent des formes libérales/libertaires alimentées par les nouvelles technologies de l’information créatrices d’intersubjectivités.
Il n’y a pas d’extériorité au processus, mais une dépendance réciproque qui reproduit l’ancienne dépendance réciproque dans le rapport capital/travail. À la différence près qu’on ne voit pas immédiatement ni théoriquement quels sont les éléments d’antagonisme ou de pratiques critiques d’un niveau tel qu’ils pourraient susciter autre chose qu’une simple révolte ou une résistance défensive ou encore une indignation passagère. Le prolétariat n’a pas de successeur et nous refusons de croire à sa résurrection par la simple prise de mesures communisatrices. « Le procès d’individuation » ne continue donc pas son œuvre « dans une partie du prolétariat contemporain » contrairement à ce qu’affirme de Mattis (p. 154) qui refuse de choisir.
Notre auteur doit bien avoir quelques doutes sur la nature de cet individu du capital puisqu’il a rédigé un Mort à la démocratie qui ne s’en tient pas au discours habituel sur la communisation, mais pose la question de l’État et des formes politiques. Les rapports de force et leur mise en forme prennent tout-à-coup leur importance et ainsi l’idée que la domination ne s’oppose pas à l’exploitation, contrairement à ce que pose depuis longtemps Théorie Communiste. Il s’agirait d’un même processus. Mais de Mattis reste dans l’entre-deux, ce qui lui permet de contenter à la fois les révoltés et les théoriciens du prolétariat.
Il serait pourtant plus simple pour de Mattis de préciser et expliciter clairement le rôle historique de l’État dans le procès d’apparition et de développement de la valeur. Cela lui donnerait plus d’arguments pour critiquer la théorie de la dérivation qu’il réfute pourtant, mais sans jamais en tirer de conséquences (cf. p. 154). Cela permettrait aussi plus facilement d’amorcer une critique de la séparation marxienne entre infrastructure et superstructure, entre économie et politique. Mais déjà, telle quelle, la position de de Mattis lui permet d’affirmer que la valorisation du capital constitue un processus étendu à l’ensemble de la reproduction sociale (nous ne disons pas autre chose), ce qui lui est fortement reproché par Théorie Communiste[44]. Reproche logique puisque Théorie communiste no 24, par la plume de Roland Simon, en reste au Marx de L’idéologie allemande et à des « conditions réelles » qui ne sont pas crées par l’État, mais au contraire le créent pour les préserver (p. 154).
De Mattis me semble par ailleurs commettre une inversion quand il dit que le procès d’individuation est proprement capitaliste (p. 153) alors que c’est une tendance millénaire. C’est bien plutôt l’individualisation qui est le propre de la société capitalisée réalisant par là une véritable révolution anthropologique qui bouscule aussi bien la notion « d’individu social » — notion centrale pour un marxisme dont l’un des buts est l’avènement de l’individu immédiatement social — que l’opposition traditionnelle entre individu et société.
À Temps critiques, nous avons essayé d’échapper à cette antinomie en introduisant la notion de tension entre l’individu et la communauté avec la perspective de la révolution à titre humain, mais elle ne lève pas toutes les apories. Elle permet simplement de tracer une continuité entre les communautés primitives, les millénarismes et utopies communautaires du passé avec une perspective de communauté humaine future qui ne tienne pas pour nulle ou non avenue, ou comme une errance de l’humanité, le procès d’individualisation millénaire. Au delà de l’individu sujet bourgeois et de l’individu particularisé du capital, l’individu singulier dans sa communauté.
Nous n’avons pas de kit théorique tout prêt pour l’emploi et d’ailleurs nous pensons infondé et vaine la reformulation d’une Théorie révolutionnaire avec un grand T.
10 – Pour conclure, un aggiornamento théorique mal assumé
Nous pouvons dire que nous avons affaire à un petit aggiornamento théorique dans la mesure où le discours s’éloigne passablement de celui de la revue Théorie Communiste[45]. Nous en avons pour preuve l’utilisation laudative de notions qui ne font pas partie du corpus d’origine. Il en est ainsi de l’emploi de la notion de domination. Mais son emploi reste flou. Tantôt elle semble n’être qu’un sous-élément de l’exploitation comme à la page 163 : « Les dispositifs particuliers de domination ne peuvent exister sans ce qui fait leur force : l’exploitation », tantôt elle semble englober l’exploitation même si, à un endroit, il est précisé que les deux termes ne sont pas antagoniques.
Les mêmes hésitations se retrouvent quand de Mattis oscille entre la théorie de la valeur-travail et la théorie de la forme-valeur ; entre la valeur essence et la valeur substance. Cette même irrésolution apparaît encore entre la domination qui préexiste au capitalisme — dans la mesure où la valeur existe dès les premières formes d’échange — et l’exploitation comme forme spécifique du « mode de production » capitaliste.
De Mattis manie un éclectisme fait de références explicites (Débord et l’IS, Théorie Communiste) ou bien sans références précises lorsqu’il reprend le discours critique de la valeur — à part une note sur Postone — ou encore sans référence du tout quand il semble avoir lu Braudel (note 7, p. 99) sans le citer… ou Temps critiques sans le dire. Cet éclectisme n’est pas une tare… à partir du moment où il est pleinement assumé. Il est même indispensable à partir du moment où il ne s’agit pas de refonder la théorie communiste avec un grand T et un grand C. De Mattis parle d’ailleurs de « théorie critique » et non pas de théorie communiste. Dont acte.
Malheureusement dans la nouvelle revue SIC, appelée pompeusement « Revue internationale pour la communisation », nous retombons dès la première phrase de son texte, sur une assurance théorique sans faille qui s’exprime par l’affirmation : « Une chose est à présent certaine : dans le monde capitaliste, notre situation ne pourra aller qu’en empirant[46]» ; une phrase particulièrement intemporelle propre à tout un courant marxiste séculaire qui croît que plus ça va mal plus ça ira mieux. On trouve dans son article d’autres affirmations toutes aussi convenues : « le capitalisme devait donc liquider… » (p. 17) et guidées par l’éternel déterminisme historique : « […] et c’est post festum l’histoire qui saura qui a eu raison ». Ce qui fait que l’idée de communisation n’est pas amenée comme une possibilité, comme une autre pour sortir des apories de la révolution ou de l’insurrection ou des alternatives, mais par « C’est qu’il n’y a pas d’autre manière de créer un monde » (p. 29). Un peu court, non ?
Jacques Wajnsztejn, septembre 2012.
[1] – Éditions Entremonde, 2012.
[2] – C’est un aspect qui échappe au courant proche des Groupes Krisis et Exit, ainsi qu’à Anselm Jappe dans son livre Crédit à mort.
[3] – Pour une tentative plus générale de traitement de la question : cf. J. Guigou et J. Wajnsztejn, Crise financière et capital fictif, L’Harmattan, 2008.
[4] – Il faudrait aussi distinguer le crédit à son origine où il semble exister à l’extérieur du capital avec le seul rôle de combler le hiatus entre espace et temps, d’avec le capital fictif sorte de nouvel équivalent général du capital moderne, dans lequel le crédit sert à dominer le futur et non plus seulement à assurer une continuité. L’endettement devient un mécanisme interne au fonctionnement d’ensemble.
[5] – Toutefois, cette affirmation est contredite par ce qui est affirmé à la page précédente : « L’État demeure l’instrument de la domination capitaliste ».
[6] – J. Nitzan et S. Bichler dans Le capital comme pouvoir, Max Milo, 2012, avancent une idée intéressante qui est que le capital serait devenu une forme émergente de l’État.
[7] – C’est d’ailleurs un point commun entre le courant autour de Théorie Communiste et celui autour de Krisis que de faire resurgir cette figure du marxisme-léninisme que l’on croyait définitivement délégitimée par Mai 1968, puis par la chute du grand timonier. Si cela n’a rien d’étonnant pour ce qui concerne un individu nourri au lait du marxisme-léninisme (Kurz), cela est plus étonnant en provenance d’anciens communistes des conseils (Théorie communiste).
[8] – Je n’insiste pas là-dessus ici car il faudrait reprendre beaucoup de choses à partir de Hegel, Rousseau, Marx, etc. Simplement et dans la mesure où de Mattis a aussi écrit Mort à la démocratie (L’Altiplano, 2007), je dirai qu’il y aurait intérêt à se pencher à nouveau et sans préjugés « prolétariens » sur la Révolution française car une fois admise les critiques de de Mattis sur la démocratie, certains de ses développements sur la République me paraissent critiquables justement en ce qu’ils ne tiennent pas compte de cette composante (l’État comme forme aliénée de l’universel) et réduisent la forme politique étatique à ses actions fonctionnalistes. La forme politique, plus généralement, est réduite à une mise en forme de la domination par l’État (p. 99). On retrouve là une donnée de base de la nouvelle idéologie communisatrice : la communisation c’est l’administration des choses (Marx reprenant Saint Simon) sans médiation (l’individu immédiatement social des groupes théoriques communistes radicaux des années 1970 auxquels j’ai d’ailleurs participé).
[9] – Cf. l’article de B. Pasobrola dans le no 15 de la revue Temps critiques. Disponible en ligne :
http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article209
[10] – Il fait remonter le phénomène aux années 1930-1940 : « Ainsi donc, voici enfin révolu le long règne de la monnaie-marchandise » (Keynes, exergue de la p. 27). Il aurait d’ailleurs pu signaler que cela ne s’est pas fait en un jour et que Keynes défendait encore paradoxalement une monnaie-marchandise supranationale comme équivalent général en 1945, en proposant un bancor. Le projet sera finalement rejeté par la puissance américaine qui impose son dollar dans le cadre du Gold Exchange Standard. Ce n’est qu’en 1971 que les monnaies s’autonomisent d’une contrepartie matérielle : elles flottent et l’or est démonétisé même s’il continue à jouer un rôle de réserve au même titre que les devises.
[11] – De Mattis comme Théorie communiste ignore quasiment le terme sauf parfois pour l’associer à la monnaie-dette ce qui est une acception bien trop étroite pour décrire le phénomène.
[12] – Sur cette question des niveaux dans la dynamique actuelle du capital, cf. l’article « Capitalisme, capital et société capitalisée » dans le no 15 de Temps critiques : http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article206 et pour une vue plus globale : J. Wajnsztejn, Après la révolution du capital, Paris, L’Harmattan, 2007. Théorie Communiste utilise aussi parfois cette hiérarchisation comme dans son no 22 où sont distingués un « surmonde » avec disjonction valorisation du capital/reproduction de la force de travail, un « monde d’en bas », celui de la force de travail collective à bas coût et « sous-monde » de la misère, de l’économie parallèle et des camps de réfugiés ; mais nos trois niveaux ne recoupent pas exactement ceux-là.
[13] – Le patron actuel de la Fed, B. Bernancke est d’ailleurs un universitaire keynésien spécialiste de l’étude des crises et particulièrement de la crise des années 1930. De la même façon que l’État allemand et la Bundesbank sont obsédés par l’hyperinflation de 1923, Bernancke est obsédé par l’hyperdéflation des années 1930-1932. Ces interventions depuis 2008 visent donc à éviter une situation de ce genre et elles sont évidemment facilitées par la présence au pouvoir politique de l’administration Obama.
[14] – Marx trouve chez Smith et sa valeur d’échange qu’une valeur dans la production qui ne trouve pas sa place dans la circulation, c.-à-d. qui ne s’échange pas, n’a pas de valeur, n’est donc pas encore valeur. Ce n’est pas tenable pour une théorie de la valeur-travail. Marx va trouver la « solution ». Il va faire progressivement disparaître la valeur d’échange dans le concept général de valeur et forcément il en découle qu’il va séparer valeurs et prix, cf. infra, point 8.
[15] – Cf. J. Guigou et J. Wajnsztejn, L’évanescence de la valeur, Paris, L’Harmattan, 2004.
[16] – Sur ce point, cf. J. Nitzan et S. Bichler Le capital comme pouvoir, Max Milo, 2012. Le livre s’attaque aux conceptions quantitativistes de la valeur et il réunit en une même critique les libéraux qui analysent le capital sans le pouvoir (l’État ne doit pas intervenir) et les marxistes qui analysent le capital avec le pouvoir (l’État au service du capital) au profit d’une vision du capital comme pouvoir.
[17] – Cf. Marx, Œuvres I, Paris, Gallimard, p. 1531-1544. La VE n’apparaît en fait que dans la Critique de 1859, Prix, salaires et capital et dans le chapitre 1 du Capital. Sur ce point, on peut se reporter à Louis Dumont, Homo aequalis : Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 1985, p. 123-127 et note 8 p. 245.
[18] – Par exemple, Marx dit que la force de travail est une marchandise qui n’a pas de prix de production (laissant entendre par là, ce que nous pensons, à savoir que ce n’est pas une marchandise), mais seulement une valeur et qu’elle s’échange à cette valeur. On n’est pas plus avancé, mais c’est ce que répètent des générations de marxistes.
[19] – Cette idée semble remonter aux physiocrates qui ne considéraient comme constitutifs du capital que la terre et le travail (des paysans), des facteurs de production naturels seuls source de richesse et qui par conséquent négligeaient les premiers biens d’équipement de l’époque.
[20] – D’après le Journal of Political Economy d’octobre 1970, cité par Nitzan et Bichler (op. cit., note 2, p. 197).
[21] – Là encore l’origine de la distinction semble physiocratique et précapitaliste quand les « valeurs d’usages » semblaient être objectives.
[22] – Reconnaître cela c’est déjà prendre un risque théorique énorme par rapport à la doxa communisatrice; un risque que ne prend pas A. Jappe dans son Crédit à mort, Lignes, 2011. Pourtant, en fouillant bien, on pourrait même trouver chez Marx (une vraie auberge espagnole que cette œuvre !) quelques éléments pour débroussailler les difficultés : « Le temps de la circulation est le temps du capital qui peut être considéré comme le temps de son mouvement spécifique en tant que capital, à la différence du temps de production en lequel il se reproduit » (Grundrisse, Anthropos, vol. 2, p. 172). C’est dire que le capital trouve sa vérité dans son mouvement autonome. Nous sommes aujourd’hui en plein là-dedans. Cette vérité, c’est la fictivisation, mouvement par laquelle le capital aujourd’hui domine la valeur. Quelque chose que la revue Invariance avait déjà approché dans ses séries II et III du début des années 1970 !
[23] – Voir aujourd’hui tout le tapage qui se fait autour du documentaire d’Arte présentant la banque Goldman Sachs comme le maître du monde !
[24] – Il cite les chiffres d’Orléan qui dans une tribune du Monde du 2 avril 2012 parle de 124 crises bancaires, 208 crises de change et 63 crises de dette souveraine dans le monde entre 1970 et 2007.
[25] – Le yen, le dollar et la livre anglaise se portent bien, l’euro baisse, mais il était surestimé par rapport au dollar et il va probablement baisser jusqu’à sa valeur relative réelle. La crise de l’euro est une crise politique de la zone euro et une crise des dettes souveraines pour certains pays, mais cette crise tire justement son originalité de l’absence de crise proprement monétaire dans la zone, ce qui n’était pas le cas à l’époque de la flottaison des monnaies, ni même dans le cadre du système des parités contrôlées du « serpent monétaire européen ».
[26] – Sur ces points, on peut se reporter au vol. III de l’anthologie de Temps critiques, Violence et globalisation, L’Harmattan, 2003 et particulièrement à l’introduction : « L’unité guerre-paix dans le processus de totalisation du capital » (p. 9-50).
[27] – Schumpeter est apparemment un auteur méconnu par de Mattis qui le qualifie d’économiste marginalisé comme toute « l’école autrichienne ». Que cette dernière ait été marginalisée au sein du courant néo-classique parce qu’hétérodoxe par certains côtés, n’est que partiellement vrai car Hayek qui en est un des représentants est encore très cité parmi les économistes actuels ; mais surtout, Schumpeter — qui est effectivement autrichien et a fréquenté jeune l’École de Vienne — n’a jamais fait parti de cette école ni d’aucune autre. Il va suivre son propre cheminement et devenir le théoricien de la dynamique du capitalisme, des cycles (il adapte la théorie des cycles longs de Kondratiev aux rythmes des innovations et du progrès technique). Il est avant tout un syncrétique qui utilise Weber et Walras aussi bien que Marx (il est de tendance socialiste modérée et il dénonce le capitalisme de monopoles et l’impérialisme).
[28] – Le plus souvent dans les écrits de groupes comme Théorie Communiste ou le courant autour de Krisis (Postone, Jappe), on reste dans l’abstraction pure de la Crise en général, en négligeant complètement les transformations « économiques » du capital. On en arrive au paradoxe de textes qui disent que le lieu de production reste central dans la détermination des contradictions alors que ce niveau de la production et particulièrement de l’entreprise reste une boîte noire de la théorie (voir par exemple la question des prix). Quelques exceptions toutefois comme dans le no 22 de Théorie Communiste où est abordée la question des formes de concentration, le mécanisme des fusions-acquisitions… mais c’est pour en conclure qu’à cause de l’accroissement de la concurrence les entreprises auraient perdu le contrôle des prix. Or c’est justement le choix stratégique de ce mécanisme qui permet le contrôle !
[29] – Cf. Après la révolution du capital et Temps critiques no 15 (note 30, p. 98 et note 38, p. 105). Pour faire cours disons que cette reproduction rétrécie privilégie les processus de capitalisation au processus de l’accumulation contrairement à ce qui se passe dans « l’accumulation élargie ». Mais cela ne signifie pas que nous soyons retournés à la « reproduction simple » (je reste ici dans les termes de Marx) ou à « l’état stationnaire » de Ricardo.
[30] – Alors que la voiture électrique moderne et efficace a été inventée par General Motors il y a plus de vingt ans pour répondre à une réglementation anti-pollution du gouvernement californien, ses propriétaires l’ont ensuite mise au rencart sous la pression des autres compagnies automobiles et bien sûr des compagnies pétrolières. Aujourd’hui, la voiture électrique réapparaît comme une solution plausible et d’avenir et plusieurs compagnies s’y intéressent. Même problème pour les énergies alternatives. Le progrès scientifique n’est pas neutre. Ce qui compte c’est la gestion active des prix comme le montre le différent Allemagne-Chine sur les éoliennes. Ces exemples nous montrent aussi les conflits de pouvoir au sein du niveau I et les difficultés (ou l’impossibilité) à aboutir à une vision stratégique unifiée. Il n’y a pas de parachèvement de l’ordre capitaliste.
[31] – Cf. la polémique B. Astarian-R. Simon sur la théorie des crises. Le texte de Simon se trouve sur le site Des nouvelles du front http://dndf.org/?p=4970 et celui d’Astarian sur le site Hic salta : URL : http://www.hicsalta-communisation.com/discussion/theorie-communiste-et-la-theorie-des-crises.
[32] – Cette dernière représente une transcription des thèses anthropologiques de René Girard dans le domaine de la science économique.
[33] – M. Aglietta reprend la formule de Keynes selon laquelle discuter des théories de la valeur c’est comme discuter du sexe des anges. Quant à A. Orléan, dans son dernier livre L’empire de la valeur. Seuil, 2011, il fait non seulement une référence explicite à Castoriadis et à sa critique de la métaphysique de la valeur, mais il inscrit la valeur dans le schéma castoriadien de « l’institution sociale-historique » (p. 45 et suivantes).
[34] – Cette extension du domaine historique de la valeur est refusée par le courant de la Wertkritik (la critique radicale de la valeur) qui s’est développé autour de la revue Krisis. La valeur serait strictement contemporaine de la naissance du travail abstrait. Une position également intenable mais à l’opposé de celle qui fait de la valeur (et du travail) des invariants de l’Histoire. Pour échapper à ces méprises, il faut au minimum distinguer valeur et capital.
[35] – Je ne développe pas ici ce point que je reprendrais peut être plus tard et ailleurs dans des notes critiques sur la notion de communisation. Pour l’instant, il suffit de savoir que la notion d’auto-négation du prolétariat était avancée dans les années 1970 par la revue Négation puis la revue Crise communiste à laquelle participa B. Astarian entre autres. Cette auto-négation devait provenir essentiellement du développement des pratiques anti-travail. Nous connaissons maintenant son échec et je l’ai d’ailleurs expérimenté moi-même aussi bien du point de vue théorique que pratique. L’auto-négation d’aujourd’hui à la sauce communisatrice semble s’appuyer non plus sur la subjectivité des pratiques de révolte, mais sur les conditions objectives de ce que j’appelle l’inessentialisation de la force de travail dans le procès de production et de valorisation. Là encore je peux donc être d’accord sur la description, mais pas sur la conclusion car comment une classe qui ne trouve plus rien à affirmer parce qu’elle n’a plus d’identité, pourrait-elle se nier elle-même ? Parler de pratiques d’écart (alors qu’auparavant nous parlions de « pratiques critiques ») est possible et nous reprenons d’ailleurs le terme dans l’éditorial du no 16 de Temps critiques, mais cet écart est celui des individus atomisés et recomposés par le capital au sein d’un mouvement qui n’est plus un mouvement de classe puisque les dimensions objectives (désindustrialisation, démantèlement des grandes entreprises et des collectifs de travail) et subjectives (plus d’identité ouvrière) de sa définition viennent à manquer.
[36] – Marx, Le Capital, Paris, Gallimard, vol. I, p. 761 et aussi p. 764-5.
[37] – Certains marxistes se défendent de cela en disant qu’ils ne veulent pas expliquer les prix en eux-mêmes (il n’y a pas de théorie marxiste des prix puisque le marxisme se veut une critique de l’économie politique et non pas une nouvelle approche économique), mais leur essence sociale. Fort bien, mais alors pourquoi cela nécessite-t-il l’analyse en termes de temps de travail ? Une analyse de toute façon rendue obsolète par la complexification de la division du travail et l’impossible imputation du produit à un quelconque segment du procès de travail (cf. aussi la discussion vaine autour du travail productif ou non productif).
[38] – Au sein du courant marxiste, les auteurs américains Baran et Sweezy avaient eu conscience de cela dans leur étude d’un capitalisme monopolistique et ils avaient cherché à remplacer une plus-value de plus en plus indéterminable en un « excédent économique » comptabilisé en prix et affecté aussi bien par l’offre que par la demande ce qui levait en partie la tendance à la baisse du taux de profit. En 1991, Sweezy va un peu plus loin en reconnaissant qu’on a trop négligé le fait que l’accumulation du capital comprend indissociablement des aspects « réels » et financiers. Il aurait encore pu aller plus loin, mais il reste prisonnier du marxisme basique qui sépare deux domaines qui, désormais, n’en font plus qu’un comme on peut le voir avec l’organisation des firmes en holdings dans lesquels elles ne « produisent » plus, mais contrôlent la production en tant que maillon de la chaîne de profit et parfois comme son maillon faible. Cette approche nouvelle, quelles que soient ses limites, réintroduisait la question du pouvoir et des rapports de force dans la dynamique du capital, mais elle fut assez mal perçue en Europe et en France surtout parce que reprise et développée par les économistes staliniens (P. Boccara) dans le cadre d’une stratégie politique d’alliance entre couches sociales antimonopolistes. Mais face à ces questionnements les marxistes « purs et durs » n’en appelèrent souvent qu’à un retour à Marx (cf. par exemple P. Mattick) tandis que les autres « révolutionnaires » — sous l’influence de l’École de Francfort — abandonnaient la question économique dans la théorie.
[39] – Les principes de la concurrence parfaite énoncés par les néo-classiques sont clairs : aucune entreprise, même la plus grande ne peut peser sur les prix car elle ne représente pas un poids suffisant par rapport au marché. Que la concurrence parfaite n’existe nulle part dans la réalité ne leur pose pas problème. Quant aux marxistes, pas de problème non plus puisque comme il est dit dans le no 22 de Théorie Communiste, la concurrence fait que les entreprises ont perdu le pouvoir sur les prix. Pour le coup, c’est confondre ce qui se passe dans le niveau II, celui des PME et des entreprises strictement nationales ou locales qui subissent effectivement les prix avec ce qui se passe au niveau I des FMN.
[40] – Les « chartistes » sont les investisseurs qui interviennent en se basant sur la dynamique observée sur les marchés financiers, c’est-à-dire qu’ils jouent sur la volatilité des valeurs et interviennent en temps réels sur le mouvement des cours, sans se soucier des valeurs fondamentales déterminées par les indicateurs macro-économiques de plus longue durée. Les « fondamentalistes » interviennent eux en fonction de la régularité des valeurs fondamentales, sachant que les écarts à la moyenne ne sont que de courte durée. Le problème, c’est que les deux comportements sont rationnels, mais pas dans le même cadre, micro-économique et financier pour les premiers, plus macro-économique pour les seconds.
[41] – Pour une intervention critique sur ces points, cf. le supplément à Temps critiques no 13 : « Retraites à vau-l’eau et vies par défaut, contre le capital assaut » (2003) dont une partie est reprise et actualisée dans la première partie de « Sur les luttes d’octobre-novembre 2010 », disponible sur notre site à l’article http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article287
[42] – Ce procès d’individualisation touchait donc aussi les prolétaires. Certains d’entre nous s’en étaient rendu compte en parlant, au début des années 1980, du passage du prolétaire-individu à l’individu-prolétaire. Mais de la même façon qu’Invariance avait essayé de dépasser la référence à la classe prolétarienne avec celle de classe universelle, cette tentative de poser l’individu en rapport avec sa classe en en changeant la prédominance de pôle, ne pouvait que constituer une étape vers d’autres évolutions qui d’ailleurs, il faut le reconnaître, ne surent pas toujours rester respectables (cf. le devenir de certains individus ayant participé à la revue L’Unique et son ombre).
[43] – L’ex-leader opéraïste Mario Tronti a mis l’accent sur le rôle joué par l’idéologie et les institutions démocratiques dans la défaite du prolétariat au cours des luttes des années 1968-1973 (cf. La politique au crépuscule, Éditions de l’Éclat).
[44] – Cf. Numéro 23, p. 153.
[45] – À moins qu’il ne s’agisse d’une opération politique d’envergure comme le suggère A. Dréan dans son texte critique sur la communisation. Mais étant trop éloigné de Paris et de Montreuil je ne peux mener une enquête pour laquelle j’ai de toute façon peu de goût. Je préfère croire quand même à un petit quelque chose de théorique et de critique derrière tout ça.
[46] – Léon de Mattis : « Qu’est ce que la communisation », SIC, no 1, 2011, p. 11.
La théorie de la communisation n’est pas un long fleuve tranquille-2012-09-27-2.doc
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“Que des gens aient des difficultés à trouver du travail, d’accord, mais quand je raconte aux jeunes que je n’ai pas connu de WC intérieurs avant d’être adulte, ils me regardent comme si j’étais un martien. Des jeunes espagnols sont certes bien malheureux aujourd’hui, mais ils voulaient être propriétaires de leur logement – même si en réalité c’est la banque qui en est propriétaire…avant même d’avoir travaillé ! Quand on dit que le capital est un rapport social, c’est bien parce qu’on le reproduit aussi. On ne fait pas que le subir.” J.W. Sur le blog Temps Critiques.
Je trouve intéressant les commentaires de J.W. concernant valeur/prix (à ce sujet : Paul Jorion- voir sur son blog- défend l’hypothèse d’une inexistence de la valeur en se référant également à Aristote : la philia, etc… et affirme que seul le prix existe, il a écrit un livre sur le sujet). D’autres critiques sur domination/exploitation, et conséquemment sur le rôle et la place de l’idéologie dans la société actuelle sont à examiner sérieusement.
J’ai piqué cette citation en haut parce que justement j’y vois, disons comme un écart qualitatif avec la critique du texte de LDM.
JW dit que les jeunes espagnol/es choisissent de devenir proprios, et qu’ils en sont maintenant bien marris, mais bon “on ne fait pas que subir”, “on reproduit aussi” -est-ce contradictoire ?
De plus J.W. ignore la réalité de l’immobilier en Espagne, et que le parc locatif ne répond pas aux besoins de la population et qu’il n’existe pas là-bas,ni politique du logement, ni rien de semblable aux HLM, ni d’allocations logement, etc…Son discours sonne comme moral, effet accentué par la remarque préliminaire sur “De mon temps, les chiottes étaient sur le palier”etc…Mais à l’époque c’était comme ça, c’était la norme, il doit bien se trouver quelques espagnols pour approuver, oui c’est vrai chez nous aussi, voyez le progrès, quand même…D’ailleurs “que les gens aient de la difficulté à trouver un travail, d’accord…”, là je me demande si JW prend la mesure et de la légèreté de ses dires et à quelle hauteur de planage, il est très loin de ce, de ceux, de celles dont il cause. D’autre part JW considère logiquement que la pauvreté ne s’accroît qu’à la marge, ce qui est à la fois comique et époustouflant : bien sûr, la marge des plus pauvres est en forte expansion ( http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/04/02/13-4-de-la-population-francaise-vit-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete_1327609_3234.html ) et donc c’est une paupérisation de la marge, etc…Pour JW “la paupérisation absolue” ne peut être qu’une vue de stalinien, mais au vu de la teneur de ces dires, j’ai un doute sur l’auteur et la hauteur.
La discussion en question : http://blog.tempscritiques.net/archives/320#footnote_0_320
” mais cet écart est celui des individus atomisés et recomposés par le capital au sein d’un mouvement qui n’est plus un mouvement de classe puisque les dimensions objectives (désindustrialisation, démantèlement des grandes entreprises et des collectifs de travail) et subjectives (plus d’identité ouvrière) de sa définition viennent à manquer.”JW: note 35
JW dit ce n’est pas un mouvement de classe comme avant : ces individus atomisés-recomposés d’où sortent-ils donc ? Le problème ici est de considérer l’ancien mouvement ouvrier et le programme comme référence ultime et donc, ce n’est pas un mouvement de classe puisque ça n’est pas comme avant, dans le mouvement ouvrier. Par ailleurs, JW écrit que l’on a jamais vu de révolutions émerger de crise économique, ça ne c’est pas vu, et cela prouve quoi ? La crise actuelle, l’avait-on vu avant de l’avoir ? Encore une fois JW regarde à travers le prisme du mouvement ouvrier d’avant la restructuration et la fin et de l’identité ouvrière et du programmatisme, c’est-à-dire du programme ouvrier et de l’impossible affirmation et libération du travail sur la base du travail, jusqu’à ses ultimes avatars de l’auto-négation et de l’anti-travail. Je ne comprends pas ce qui pousse JW à écrire “idéologie communisatrice”, pas plus que “pompeusement nommée” pour la revue SIC, dans le premier cas par rapport à l’immédiateté sociale, personnellement ça ne m’intéresse pas de définir l’individu d’après, je trouve qu’il y là un déchet de programme, un but ou idéal à atteindre, je suis pas orthodoxe non plus. En ce qui concerne SIC, c’est une revue à laquelle participent des camarades de plusieurs nationalités, Suédois/es, Anglais/es, Grec/ques…c’est international donc, bientôt des Italien/es, et des Tchèques, alors qu’est-ce qu’il vous faut JW ?