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E/D/C, Réponse de F.D. à R.S.

Exploitation / Domination / Communisation

Réponse de F.D. à R.S.

Oui, bien sûr, la question de la relation entre reproduction de l’exploitation et reproduction de la domination s’inscrit aussi pour moi dans une théorie de la révolution communiste comme communisation. Oui, bien sûr, le concept de communisation implique aussi pour moi les notions de conjoncture et de vie quotidienne, telles que les a définies TC, contre l’économie et la sociologie fétichistes qui se contentent d’enregistrer et mesurer des phénomènes. Mais en cette fin de cycle de la globalisation de l’exploitation, en raison même de la déconnexion globale entre la valorisation du capital et la reproduction du prolétariat, une conjoncture peut se produire qui, tout en bousculant pour un temps la hiérarchie déterminative des instances du mode de production capitaliste (comme l’a fait durant deux ans la gestion sécuritaire de la Covid), ne soit pas immédiatement rupture communisatrice dans sa reproduction. Et la vie quotidienne, comme monde vécu où la reproduction hors travail de ses conditions d’existence apparaît comme aussi naturelle que la contrainte au travail qui produit et fait circuler la survaleur, cette misérable vie peut elle-même encore se reproduire sans être mise en cause avec tous les rapports sociaux qui la fondent : exploitation du prolétariat par la classe capitaliste, division de genre entre hommes et femmes, racisation de toute l’humanité, en commençant par le prolétariat.

Est-ce que je me contente d’additionner exploitation et domination, au lieu de les articuler ? Oui, si – comme tu l’expliques – articuler signifie construire, à travers toutes les médiations nécessaires, une parfaite continuité de la reproduction de l’exploitation à celle de la domination. Non, si – comme je l’ai montré – cette continuité postulée n’est que le moyen de boucler la théorie de TC sur la communisation visée, en faisant comme si elle ne s’était pas constamment éloignée dans le préviseur depuis les mouvements prometteurs qui ont suivi, entre 2009 et 2011, la crise financière. (L’expression de « marasme des luttes » n’a d’ailleurs pas été employée d’abord par moi mais d’abord par TC, je ne sais plus dans quel texte.)  En définissant la domination comme production de consensus, càd comme activité spécifique de la classe capitaliste, au même titre que son activité d’organisation de l’exploitation, je la définis dans sa connexion à l’exploitation. Il n’y a pas pour moi de reproduction double du système capitaliste, et surtout pas de pureté des rapports de production comme garante de celle du prolétariat. Je rejette la prémisse de leur pureté économique avec la conclusion de la pureté révolutionnaire du prolétariat, car les deux sont également programmatiques. Autrement dit, je considère comme toi « la métamorphose des rapports de production comme un processus nécessaire des rapports de production eux-mêmes », mais cette métamorphose nécessaire n’exclut pas pour moi la fabrication du consensus.

Soutenir au contraire qu’il n’y a pas de fabrication du consensus, c’est donner aux appareils idéologiques immergés dans la société civile, comme les partis et syndicats, les médias et l’Internet, la santé publique, l’école, ou la culture un rôle purement décoratif. Or d’une part ces appareils immergés dans la société civile ne sont ni la simple « expression de la société civile comme transformation pratique des rapports de production dans les termes de l’État » ni le simple « retour de l’État sur les rapports de production qui le génèrent ». D’autre part, si « la dépendance engrendrée par le mécanisme même de la production » n’est efficace que par « l’éducation, la tradition, l’habitude », cette « éducation » n’est jamais terminée et la tradition ou l’habitude jamais consolidée une fois pour toutes. Parce que si l’État au sens strict, comme pouvoir coercitif-répressif, façonne toujours la société civile en fonction de ses besoins actuels, celle-ci ne se résorbe jamais totalement en lui. Et parce que la classe « éducatrice » capitaliste est elle-même « éduquée » par les moments révolutionnaires où le consensus est fragilisé et donc alors amenée à reconstruire son dispositif de domination.

Ceci dit, pour recadrer un peu le débat dans les termes que j’ai employés, exploitation et domination, je ne vois pas en quoi j’aurais mécompris l’exploitation comme « phénomène comptable » ou simple « retenue d’un surplus de valeur ». J’ai dit, au tout début de ma 2° partie (§ 9) que l’exploitation est une contradiction entre classes en tant que la diminution continue du travail socia­lement nécessaire à la valorisation d’une masse donnée de capital (que Marx désigne comme « capital en fonction ») s’oppose à la valorisation continue de ce capital en fonction, càd à la production continue de survaleur. Et j’ai posé cette définition générale de l’exploitation après avoir d’abord précisé que la continuité du processus d’ensemble de la production capitaliste ne devient pas problématique seulement lors des crises économiques périodiques, mais aussi bien à travers des cycles de luttes successifs entre les classes prolétaire et capitaliste correspondant plus ou moins aux cycles d’accumulation du capital social et aboutissant chaque fois à des résultats spécifiques déterminés qui sont à la fin seulement, dans la communisation, théoriquement et pratiquement totalisés comme produc­tion historique de la rupture communisa­trice. (§ 7). Ce qui est donc reproduit, dans chaque restructuration supérieure de l’économie, c’est avec une croissance à chaque fois empiriquement déterminée du produit-valeur annuel total, la contradiction de l’exploitation, avec toutes ses formes et conditions, dont l’autonomisation relative, jamais achevée mais toujours entravée par la reproduction même de l’exploitation, d’une fonction de domination.

Je n’ai donc pas fait de cette autonomisation relative de la domination une séparation achevée, mais il est vrai que mon analyse finale (§ 37 à 43) des conditions d’une sortie du marasme des luttes, telle que tu la sollicites de façon polémique, peut passer pour une analyse normative de ce qui manquerait aux luttes pour devenir communisatrices. Certes, je n’ai pas examiné l’ensemble des luttes particulières dans toutes leurs particularités, mais tu ne l’as pas fait non plus quand tu as proposé récemment une typologie des luttes. De plus, il n’y a dans l’emploi répété de la formule « il nous faudra » ni injonction ni indéfinition. L’expression d’une nécessité objective, inhérente aux limites inhérentes des luttes dans lesquelles peuvent se définir leurs dynamiques, n’est pas une injonction, par nature extérieure au mouvement qu’elle prétend dynamiser. Et le « nous » qui parle n’a rien d’indéfini, puisque c’est, du début à la fin du texte, nous prolétaires et communistes : nous prolétaires qui, organisés ou pas, ne voulons pas le rester et nous, partisans de la communisation, qui ne sommes pas de purs théoriciens mais intervenons parfois dans les luttes. Quant aux dynamiques possibles, si je suis d’accord avec toi pour dire qu’il y a des failles dans le langage populiste ou citoyen dans lequel se formulent et désignent les luttes, je ne crois pas que la mise au pas démocratique du printemps 2024 ait beaucoup surpris ni même gêné la classe capitaliste française et européenne. Par contre, je pense comme toi que le capital a investi la liberté formelle du travailleur et donc que le travail salarié apparaît toujours plus visiblement comme ce qu’il est : une forme spécifiquement capitaliste d’esclavage. De même, je pense comme toi que l’interclassisme actuel des luttes est un bouillon de culture dans lequel mûrit la contradiction entre la classe qui peut abolir toutes les classes et les classes dominées mais non encore prolétarisées qui voudraient encore se reproduire avec leurs petits privilèges dans un développement soutenable du capitalisme. Enfin, je

En résumé, il n’y aura sans doute pas de transition entre les luttes actuelles et le moment où la structure vacille.

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