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Réactions à la mort de Jaime Semprun

22/08/2010

“Le réfractaire Jaime Semprun n’est plus…
Jaime Semprun a poursuivi toute sa vie une activité révolutionnaire lucide et radicale. À la suite de l’Internationale Situationniste (IS) Semprun fût certes celui (avec ses camarades de l’EDN) qui a continué et approfondi la critique situationniste avec le plus de pertinence sans jamais verser dans cette idéologie froide : le situationnisme.[print_link]
Dès 1976, dans son Précis de récupération, le subversif Semprun met à nu la pauvreté de la pensée molle qui tient lieu de réflexion aux intellectuels de cette époque, il n’aura pas eu besoin de refaire cette opération de salubrité publique tant la situation de la pensée moderne s’est détériorée…
Il faut relire ses Dialogues sur l’achèvement des Temps modernes de 1993 qui sont toujours d’une brûlante actualité pour ceux et celles qui veulent changer la vie. Par ses interventions et ses analyses, l’opposition au nucléaire, à la société industrielle et à bien d’autres « nuisances » avait trouvé son meilleur théoricien et son critique le plus radical. ”
Salud Jaime !
Des camarades, montréal.

Communiqué des éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 9 août 2010 :
Jaime Semprun, né le 26 juillet 1947, est mort le 3 août 2010. Il avait soixante-trois ans.
Ses premiers ouvrages – La Guerre sociale au Portugal (1975), Précis de récupération (1976), La Nucléarisation du monde (L’Assommoir, 1980, rééd. 1986) – parurent aux éditions Champ Libre. Il collabora épisodiquement à la revue L’Assommoir (1977-1985). En 1984, il prend l’initiative de fonder l’Encyclopédie des Nuisances, qui paraît en quinze fascicules jusqu’en 1992. En 1993, il lance les Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances (EdN), où il publie notamment des ouvrages de Baudouin de Bodinat, Theodore Kaczynski, Jean-Marc Mandosio et René Riesel, ainsi que des textes d’auteurs plus anciens, allant de Tchouang Tseu à George Orwell et Günther Anders (en coédition avec les éditions Ivrea pour ces deux derniers). Il y fait également paraître ses propres ouvrages : Dialogues sur l’achèvement des Temps modernes (1993), L’Abîme se repeuple (1997), Apologie pour l’insurrection algérienne (2001), Défense et illustration de la novlangue française (2005), Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable (2008, en collaboration avec René Riesel).
«Nous n’attendons rien d’une prétendue “volonté générale” […], ni d’une “conscience collective des intérêts universels de l’humanité” qui n’a à l’heure actuelle aucun moyen de se former, sans parler de se mettre en pratique. Nous nous adressons donc à des individus d’ores et déjà réfractaires au collectivisme croissant de la société de masse, et qui n’excluraient pas par principe de s’associer pour lutter contre cette sursocialisation. Beaucoup mieux selon nous que si nous en perpétuions ostensiblement la rhétorique ou la mécanique conceptuelle, nous pensons par là être fidèles à ce qu’il y eut de plus véridique dans la critique sociale qui nous a pour notre part formés, il y a déjà quarante ans.» (Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, p. 11.)
«Ainsi ne s’est-il jamais cru meilleur que les combats de son temps, et a-t-il su y participer pour les rendre meilleurs : il est donc forcément très mal vu des impuissants, des moralistes et des esthètes.» (L’Abîme se repeuple, p. 17.)

Quand un ami s’en va
Par Jean-Luc Porquet
(Le Canard enchaîné, 11 août 2010)
PARFOIS, il fait très froid en plein été. C’est qu’un ami est parti. Jaime Semprun était tout sauf un pipole. Quand les « news » dressaient la liste des intellectuels qui comptent, il n’en était jamais. Et s’en fichait bien. Jamais il n’acceptait d’aller sur les plateaux télé, ni même à la radio, pour parler de ses livres, ce qu’il écrivait, ce qu’il éditait. Jamais de pub. Jamais de compromis. La maison d’édition qu’il animait, L’Encyclopédie des nuisances, ne publiait que deux ou trois ouvrages par an. Du trié sur le volet. Du longuement mûri, travaillé. Texte au cordeau, maquette impeccable, couverture d’une parfaite sobriété, le tout imprimé dans l’une des dernières imprimeries en France utilisant encore linotype et caractères en plomb. De la belle ouvrage.
Jaime Semprun était de ceux qui disent non. Qui sont contre. Pour qui la critique sociale est une nécessité vitale. De l’aventure situationniste menée dans les années 60 par Guy Debord et sa bande, et dont on sait qu’elle fut alors la seule à conduire une pensée radicale, novatrice, tranchante, « L’Encyclopédie », d’abord revue plus maison d’édition, fût le seul surgeon vivace : là s’entêtèrent quelques esprits libres à mener une critique foudroyante de la société industrielle et de ses mécanismes, et de ses pseudo-évidences. On n’arrête pas le « progrès » ? Jaime et ses amis l’analysaient, perçaient son bluff, s’inscrivaient contre le nucléarisme, contre le TGV et son despotisme de la vitesse, contre la Très Grande Bibliothèque, contre les éoliennes, etc. Et argumentaient. Dans le camp d’en face, rien d’autre qu’une pensée magique (« Le progrès, c’est forcément bien ») et l’increvable mystique de la croissance. Chez eux, l’exercice de la raison, le déboulonnage des idoles, la volonté d’en finir avec la fausse conscience généralisée.
En une vingtaine d’années, quel catalogue ! Les quatre tomes magnifiques des essais, articles et lettres de George Orwell, aujourd’hui encore indépassables et indispensables. L’obsolescence de l’homme, l’œuvre majeure du philosophe Günther Anders, auteur que tous les éditeurs s’arrachent aujourd’hui. « La vie sur terre », de Baudoin de Baudinat, qu tous les éditeurs s’arracheront demain. Les ouvrages lumineux de Mandosio décortiquant Foucault ou le situationnisme. La réédition du prophétique Jardin de Babylone  de Bernard Charbonneau, alter ego de Jacques Ellul. Les livres écrits par René Riesel, complice de longue date de Jaime, sur le transgénique ou la « domestication de l’espèce humaine ». Celui qu’ils avaient écrit ensemble, au titre éloquent « Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable ». Son étude affairée de la novlangue contemporaine. Ses Dialogues sur l’achèvement des temps modernes. Et on en oublie.
Semprun avait l’exécration généreuse. Et BHL, Sollers, les insurrectionnistes-qui-viennent, les citoyennistes, tous des jean-foutre à ses yeux. Sur une affichette récente, il s’était amusé à dresser la liste des auteurs à la mode que L’Encyclopédie des nuisances s’honorait de ne pas publier: Alain Badiou, Gorgio Agamben, Slavoj Zizek, Judith Butler, etc. En dehors, secret mais doué pour l’amitié, polémiste sans être sectaire, il était la rectitude même: irréductible.

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