Premier Round (le blocage, une idée qui circule) mardi, 26 octobre 2010
Ce dimanche 25 octobre, on pouvait trouver sur tous les piquets de Lyon ce 4 pages : « Premier Round ». Le blocage comme un mot d’ordre de ce premier round, en attendant le deuxième…
Bloquons tout
Octobre 2010. Face à un énième projet de réforme des retraites, les syndicats organisent un « mouvement social ». On renoue avec ses formes un peu usées au fil des « victoires » (mouvement de 1995, mouvement contre le CPE) ou des « défaites » (mouvement de 2003, mouvement contre la LRU, contre les régimes spéciaux). L’intersyndicale nationale, les manifestations du mardi, les réformistes, les radicaux, les négociations, les appels à la grève générale ou les appels au calme. Et puis, comme souvent ces dernières années, dans les manifs, sur les piquets de grève, sur les blocages de route ou de dépôt pétrolier, chacun sent qu’il se passe aussi autre chose. Qu’au moins se partage la même perception de ce qu’une lutte conséquente nécessite aujourd’hui.
Dans ce mouvement, sans avoir totalement remplacé l’horizon de la grève générale, une autre visée s’est immédiatement propagée : celle du blocage généralisé. C’est-à-dire non pas le désir que « tout s’arrête parce que tout le monde s’arrête », mais que plus rien ne circule parce que nous avons bloqué. La perception qu’être trois, quatre, ou mille millions dans la rue ne suffirait pas, mais qu’il serait possible de freiner le cours des choses (jusqu’à le dévier) à partir des forces actuelles. Le mouvement contre le CPE, dans ses dernières semaines, avait lui aussi proclamé ce mot d’ordre : « bloquons tout ». Un mot d’ordre qu’il ne pouvait lui-même réaliser effectivement mais qu’il avait au moins expérimenté : en occupant ponctuellement des gares, des périphériques, des centres de tri. Le mouvement actuel part aussi de là : « il faut bloquer l’économie, comment s’y prendre ? » La réponse s’est imposée d’elle-même autour de la question du pétrole. Même si personne ne sait au fond si cela marchera, si c’est le bon bout par lequel attaquer ce problème, il y a cette tentative : organiser la pénurie d’essence. Et voir ce qui se passera.
Un peu partout, dès la grève reconductible votée, il a suffi que quelques grévistes adoptent le blocage comme moyen d’action pour que d’un peu partout on vienne les rejoindre. Là où la grève et le sabotage ne suffisent plus, les grévistes s’opposent eux-mêmes à la circulation. C’est ainsi que l’on voit des cheminots, des étudiants, des postiers, des infirmiers, des enseignants, des dockers, des chômeurs, bloquer ensemble les dépôts de carburant – sans attendre les éternels appels à une abstraite « convergence des luttes ». De même à l’encontre des gares, des centres de tri, des dépôts de transports en commun, des aéroports, des autoroutes : là où quelques dizaines de personnes suffisent à bloquer. Il ne s’agit plus maintenant de perturber symboliquement la circulation, comme pour désigner ce qu’il faudrait réellement et de façon permanente arrêter, mais bien de réfléchir à comment stopper effectivement le pays.
Assumer pratiquement la nécessité du blocage, c’est assumer une vue stratégique de la situation. Que lorsque l’économie est si dépendante de la circulation des choses, des personnes et des informations, arrêter le travail signifie aussi arrêter cette circulation.
Assumer de « bloquer l’économie » c’est aussi assumer qu’il n’y pas d’ « intérêt national », qu’il n’y a pas à « être responsable et ne pas aggraver la crise ». Qu’il n’y a pas « notre » économie qu’il faudrait sauvegarder, mais qu’il y a l’économie comme ennemi. C’est aussi un peu de cela qui s’exprime dans ce qu’on a appelé « émeutes lycéennes » : quand il s’agit non seulement de répondre aux agressions policières (déblocage par la force de lycées et contrôles quotidiens), mais aussi de s’en prendre à ces centres villes – pour les paralyser eux aussi.
Face à ce penchant commun de s’en prendre à l’économie, le pouvoir (sous toutes ses formes, gouvernementales ou syndicales) fait jouer l’éternelle dissociation bon/mauvais manifestant, travailleur/ casseur. Une opération certes efficace mais qui s’écrase contre la réalité des pratiques illégales du mouvement dans son ensemble. Quand il s’agit de bloquer (l’approvisionnement de pétrole par exemple) il n’est plus question de droit – il y a un droit de grève, mais pas de droit de blocage, cette dernière pratique exposant immédiatement à des réponses judiciaires et policières. Le déblocage quotidien des dépôts de carburant, parfois à coups de gaz lacrymogènes et de matraques, ne cesse de le montrer.
Bloqueurs et casseurs sont dans un même bateau, comme le rappellent encore les déclarations belliqueuses du gouvernement. Et ça devient perceptible quand les cheminots viennent en nombre au tribunal manifester leur soutien aux lycéens arrêtés comme ce fut le cas à plusieurs reprises cette semaine à Lyon.
La communication gouvernementale dans son ensemble ne parvient pas à couvrir la réalité. Quelques pantins répètent, comme s’il s’agissait de formules magiques, « qu’il n’y aura pas de pénurie », puis « qu’il n’y a pas de pénurie », puis « que la pénurie ne durera pas »… Qu’il y aurait des « casseurs infiltrés », dont on pourrait établir le profil sociologique et la couleur de peau. Que les trains roulent. Que la police n’a pas utilisé de flashball, ni de grenades lacrymogènes. Raté. Il n’aura échappé à personne que la station-service du coin est régulièrement fermée, que le pouvoir, derrière ses discours rassurants, est suffisamment fébrile pour envoyer les gendarmes déloger les blocages. Que les trains ne circulent pas ou sont remplacés par des cars, que le trafic de marchandises est presque au point mort. Que mardi, place Bellecour il y avait du monde pour jeter des pierres, et qu’en face on répliquait avec des balles en caoutchouc.
Et maintenant ? Différents événements perturbent le scénario bien connu des « journées d’action nationale », toujours plus espacées dans le temps, de la lente décrue du nombre de grévistes, du nombre de manifestants, des bons scores dans les sondages : des grévistes, par exemple dans les raffineries, votent la grève illimitée. De nouvelles grèves se lancent, qui perturbent encore un peu plus le paysage quotidien. Les éboueurs, à Marseille, laissent l’armée ramasser les ordures. Des grévistes d’EDF promettent des coupures ciblées. Des caisses de grève recueillent plusieurs milliers d’euros pour permettre aux employés des raffineries ou de la SNCF de poursuivre la grève. Les blocages, sur plusieurs jours, de dépôts de carburant ou de plate-formes logistiques deviennent des lieux de rencontre et d’élaboration. C’est là que se pose la question de comment continuer, longtemps.
Jusqu’à la pénurie, et même après.
Vive la pénurie
La bataille du Pétrole : blocages et caisses de grève.
Le nerf de la bataille en cours, ce sont les blocages des raffineries et des dépôts pétroliers, des points névralgiques au nombre relativement réduits. Bloquer la production et l’acheminement de pétrole, c’est sortir des revendications symboliques, c’est attaquer là où ça fait mal. Depuis le 12 octobre, la plupart des raffineries françaises sont arrêtées. Vendredi, 8 étaient en arrêt total, celle de Fos fonctionnait encore à débit réduit mais était déjà sur le point de s’arrêter, Port-Jêrome et Petit Couronne étaient en cours d’arrêt. Arrêter puis remettre en marche une raffinerie, ça ne se fait pas comme ça, alors si les deux dernières ont été stoppées cette semaine, c’est qu’elles ne sont pas prêtes de repartir… Le 22, on apprenait que les sites de Dunkerque et Reichstett allaient être fermés, une raison de plus pour continuer, ne pas laisser passer cet affront supplémentaire. Les terminaux pétroliers de Fos Lavera, qui approvisionnent en pétrole brut six raffineries françaises, sont en grève depuis 27 jours, 54 pétroliers sont en rade à Fos et Marseille, une bonne dizaine au Havre. En plus du pétrole, les plus gros terminaux méthaniers français sont également arrêtés à Montoir-de-Bretagne et à Fos-Tonkin. L’expulsion dure de la raffinerie de Grand-Puits vendredi 22, et la trentaine de déblocages de dépôts dans la semaine n’ont pas entamé la détermination des grévistes.
À Feyzin vendredi 22, l’AG s’est prononcée pour un arrêt du travail illimité, « jusqu’au retrait de la réforme ». Il n’est plus question de revoter la grève tous les jours, il est question de tenir, coûte que coûte, et c’est parti pour durer.
Il faut dire qu’à Feyzin, comme dans la plupart des raffineries, les grévistes se sont organisés pour ça : des actions ont été menées avec les autres salariés de la chimie (Arkhema, Bluestar, Rhodia, IFP), des profs, des cheminots et des étudiants (comme le péage gratuit de vendredi 22 à Vienne qui a permis de recueillir 5000€). À Dunkerque, Donges ou Grand-Puits, des chèques affluent également de partout. Cet argent, c’est une garantie que la lutte se poursuive effectivement.
Et puis, y a du monde pour bloquer s’il le faut. À Saint-Priest, les routiers ont bloqué la nuit pendant 2 heures les accès au dépôt de carburant après une opération escargot à la sortie du match de foot à Gerland. à Marseille, à Brest, à Caen, on a compté jusqu’à 500 personnes pour prêter main forte aux grévistes. à Donges, des grévistes dégonflent les pneus des camions pour les empêcher de s’approvisionner. À Caen, les pneus sont carrément crevés.
Des nouvelles solidarités informelles se mettent en place à la base et en dehors du contrôle des directions syndicales. On le sent bien, ces dernières sont un peu dépassées par les événements et ne savent pas trop quoi faire de tous ces « soutiens ». Ces solidarités là, et c’est bien leur force, ne sont pas vraiment encadrables…
Alors, de l’avis d’un des grévistes de Feyzin, « de toute façon, je ne vois pas comment aller contre la volonté des travailleurs qui ne voudront pas exécuter leurs tâches, mis à part leur mettre un flingue sur la tempe… »
Une chose est sûre, c’est que si le gouvernement veut tenter le coup de virer de force les blocages, tout le monde sera sur le pied de guerre.
Où se retrouver pour venir en soutien aux grévistes ? Où envoyer la thune ?
Raffinerie de Grandpuits : dons en liquide ou par chèques adressés à l’ordre de : Intersyndicale CFDT-CGT, à l’adresse suivante : Intersyndicale CFDT-CGT, Raffinerie Total de Grandpuits, boîte postale 13, 77 720 MORMANT, ou dons en ligne sur le site internet.
Raffinerie Total de Flandres : adresser vos dons a la caisse de grève gérée par SUD Chimie : chèques a l’ordre de SUD-Chimie RF à l’adresse suivante : Philippe Wullens SUD Chimie Raffinerie des Flandres 59140 DUNKERQUE.
Chèques adressés à l’ordre de : solidarité à l’adresse suivante : Section Syndicale CFDT Total Raffinage Marketing Raffinerie de Feyzin Boite Postale n°6 69551 Feyzin cedex où directement sur le piquet de grève :
« Nous, c’est simple, on a que des pierres » (banderole lycéenne)
Depuis le 14 octobre, partout en France, les lycées sont bloqués et les manifestations sauvages quotidiennes. À Lyon, mais aussi à Dijon, Chambéry, Nanterre, Sarcelles, Chartres, Argenteuil et dans toute une foule de petites villes, des affrontements avec la police ont lieu dès le premier jour. C’est parti vite et fort. À Rennes les lycéens ont bloqué un centre commercial puis la rocade. À Nantes, le 20 octobre c’est la gare et l’aéroport. À Mulhouse, c’est également un centre commercial qui est obligé de fermer à la suite d’une manif. On aura tout entendu sur ces manifs, plus qu’ailleurs encore à Lyon, où les rassemblements se sont vite transformés en émeutes de centre ville plusieurs jours de suite. Des « casseurs en marge de la manifestation », une « violence inouïe », des jeunes venus là « non pas pour manifester démocratiquement contre la réforme des retraites mais pour tout casser ». Comment parler de « casseurs en marge de manifestations » lorsqu’il n’y a pas de manifestation ? Des petits groupes, qui se forment devant le bahut, prennent le métro et se retrouvent le double à l’arrivée. Les mêmes groupes qui ensuite se retrouvent dans la rue, au gré de leurs déambulations et des lycées rencontrés. Un seul slogan, systématiquement repris en cœur : « Sarko ! Sarko ! On t’encule ! » Des agrégations de plusieurs centaines de jeunes, rejoints par des quidams au fil de leur route, qui ravagent les vitrines, les voitures et le mobilier urbain sur leur passage, s’affrontent à la police lorsque celle-ci tente de leur barrer la route, puis se dispersent pour se regrouper ailleurs. Un vrai casse-tête pour la police, une vraie intelligence tactique de la rue et une véritable capacité de nuisance. Car tout le monde s’étonne des cibles que choisissent les lycéens. La rue Victor-Hugo n’est-elle pas dédiée entièrement au commerce ? La Presqu’île toute entière n’est elle pas d’ailleurs dédiée à ça ? La marque « Only Lyon », chère à Collomb, est censée représenter le « rayonnement économique » de la ville. Elle en a pris un coup, ça c’est sûr. Comme d’ailleurs le projet de centre commercial luxueux à ciel ouvert « Up in Lyon », dans le quartier de Grolée, situé en plein milieu des émeutes : des destructions et des pillages en règle, pas vraiment de quoi séduire les investisseurs…
Pendant quatre jours, l’activité économique de la Presqu’île s’est trouvée quasiment arrêtée, sans parler de l’image que Lyon a donné d’elle-même : l’hélico qui quadrille le terrain, le GIPN et les groupes de BAC façon gangs de rues qui ont fait le tour du monde. Les lycéens ont bien participé au blocage de l’économie, comme les autres, mais avec leurs propres moyens : ils sont parvenus à rendre infréquentable ce que Collomb tente de vendre à marche forcée à Dubaï et en Chine : « l’ambiance lyonnaise »…
On nous dit que les jeunes se foutent des retraites, qu’ils sont dans la colère brute et irréfléchie, que c’est un prétexte à tout casser, quand jamais en réalité la haine du travail n’a été aussi forte : « putain je vais pas être maçon jusqu’à 67 ans » s’exclamait mardi un lycéen. Pas étonnant que les lycées professionnels se soient massivement mobilisés. Une maman confiait en ces termes son analyse de la situation : « ces pierres qu’ils lancent, c’est pour leurs parents qui ne peuvent plus en lancer ». Pour toutes ces années perdues à bosser, contre ce travail qui abîme les corps, les tord et les déchire.
Comme toujours, on nous fait aussi le coup des « casseurs ». Mais mardi dernier, fallait voir la gueule des casseurs sur la place Bellecour, en plein affrontement avec la police : des jeunes et des vieux, le camion de la CGT Vinatier au milieu des gaz, ses occupants qui restent là contre vents et marées, les cheminots qui démarrent un feu de palettes, comme aux piquets… Les lycéens, ce jour-là, ils étaient en tête du cortège, arrivés opportunément sur le cours Albert Thomas. La bataille qui a suivi, prise dans le désordre de la grande manifestation, a nécessairement appelé des gestes fous, des gestes qui font que la même personne qui tente quelques minutes plus tôt d’apaiser la situation se met tout à coup à jeter des pierres… Qui est casseur ? Qui le devient subitement ? Le 12 octobre aussi, bien malin celui qui pouvait dire qui étaient les « méchants casseurs » à St-Nazaire, lors des affrontements qui ont opposé les manifestants à la police, ou à Montélimar le même jour, lorsque le bureau du maire UMP a été saccagé. Au Havre, le 19 octobre ce sont les dockers qui se sont affrontés aux policiers…
Plus généralement, il est impossible de faire comme si les principaux modes d’actions utilisés massivement dans tous les secteurs depuis trois semaines n’étaient pas directement hérités de la lutte contre le CPE : blocage économique, blocage des moyens de production et des transports, manifestations sauvages en centre ville. Déjà pendant le CPE, la longueur de vue des jeunes était bien au-delà de l’entendement du pouvoir et des journalistes, les choses n’ont de ce côté-là pas beaucoup changé depuis.
État d’urgence
À la mi-octobre, les blocages et les affrontements avec la police s’intensifient. Plus d’une soixantaine de flics blessés en quelques jours (14 à Lyon pour la seule journée du 19). Et surtout, plus de 2000 interpellations dans toute la France qui débouchent sur des condamnations pénales conséquentes.
Le 13 octobre, à Meaux, un lycéen de 18 ans écope de 2 mois de prison ferme pour avoir bousculé un flic lors d’un blocage de lycée. À Dijon, un jeune est écroué pour avoir jeté une bouteille sur des flics (un mois ferme et 11 avec sursis).
Le 19 à Nanterre, un jeune au casier vierge se prend 8 mois, dont 2 ferme, et part en prison directement après le procès (mandat de dépôt) : il est soupçonné d’avoir participé au pillage d’un centre commercial à la Défense.
Le 20, à Chambéry, un jeune prend 2 mois ferme avec mandat de dépôt pour jet de canettes sur les flics.
Le 21, en Seine-Saint-Denis, on comptabilise 300 interpellations et des condamnations : 2 mois de sursis pour « violences aggravées » sur policiers, 4 mois avec sursis et mise à l‘épreuve pour « vol de portière ».
À Montpellier, deux lycéens de 18 ans sont condamnés pour jet de projectiles à un mois de taule chacun, à un stage de « citoyenneté » à leurs frais et à 200 euros de dommages et intérêts pour chaque flic.
À Saint-Nazaire, toujours le 22, 4 comparutions immédiates : deux jeunes gens partent en taule(respectivement 2 et 1 mois). Un docker qui reconnaît des jets de canettes sur des flics se prend 4 mois de prison dont 2 avec sursis.
Et ce n’est là qu’un échantillon des différentes peines de prison ferme prononcées ces derniers jours. On ne compte plus les multiples condamnations à des peines d’emprisonnement avec sursis. À Lyon, le parquet a systématiquement fait appel des condamnations avec sursis. Toute la semaine, la salle G des comparutions immédiates n’a pas désempli.
« Voir des dizaines de personnes balancer des pierres et des pierres, on se dit : c’est la guerre ! C’est une scène archaïque dont on a perdu l’habitude dans nos civilisations. Ils saccagent la démocratie que d’autres ont mis du temps à conquérir. » C’est en ces termes que la procureur plante le décor à l’audience du mercredi 20 octobre. Face aux discours des médias, des juges et des procureurs qui parlent de « casseurs-nihilistes-violents-venus-des-banlieues-pour-en-découdre-avec-les-flics », on retrouve dans le box des accusés pleins de gens différents : beaucoup de lycéens, quelques chômeurs, des précaires, des étudiants, un fleuriste, un syndiqué à la CFDT, bref presque n’importe qui. Des gens qui se trouvaient dans la rue pendant ces journées débordantes. Pour un grand nombre, c’est leur premier passage devant un tribunal. Défendus par des avocats commis d’office inexpérimentés, ils sont désemparés. Ceux qui acceptent d’être jugés dans cette ambiance explosive – la grande majorité – se prennent des peines exemplaires : beaucoup de prison ferme, parfois avec mandat de dépôt. Ceux qui refusent, pour avoir le temps de préparer une défense solide, sont souvent placés en détention provisoire (comme cet étudiant incarcéré à la maison d’arrêt de Corbas jusqu’à son procès le 5 novembre). À ce jour, au moins dix personnes à Lyon ont été placées en détention à Corbas.
Pour leur écrire, pour leur envoyer des sous, contacter la Caisse de solidarité au 06.43.08.50.32 (caissedesolidarite (at) riseup.net).
Pour les autorités, il faut rétablir l’ordre et le maintenir coûte que coûte. à la suite de la journée du 19 – journée pendant laquelle des cortèges lycéens se sont formés aux quatre coins de la ville et ont défilé en ravageant une partie du centre-ville – la préfecture a mis le paquet sur le maintien de l’ordre. Aux lignes de CRS, censées contenir et disperser les émeutiers, et aux équipages de la BAC, dont la mission est d’interpeller directement les individus repérés, se sont ajoutés d’autres dispositifs de maintien de l’ordre. Des dispositifs semblables à ceux utilisés pour la gestion des émeutes urbaines dans les quartiers. Un hélicoptère qui survole les groupes de manifestants mobiles et transmet leur position aux troupes au sol, prend des photos, filme et donne des signalements très précis aux flics. Au coin de la rue, le GIPN : un fourgon blindé et ses flics cagoulés, qui sautent sur un gamin, l’arrêtent, fusil à pompe à la main, et redécollent aussi sec.
À tout cela, s’ajoute l’occupation du territoire : les flics sont partout et en nombre (500 mardi, 300 de plus le lendemain), ils saturent le terrain : l’enjeu de ce surdéploiement policier est de reprendre le territoire – comme à la Villeneuve pendant les émeutes de cet été – au risque de faire peur aux touristes-consommateurs de la Presqu’île.
Il y a aussi ces techniques policières issues de la gestion des contre-sommets internationaux : des gens arrêtés se retrouvent parqués des heures durant, et se font contrôler, photographier et fouiller avant de pouvoir sortir. Le mercredi 20 octobre, c’est le pont de la Guill’ qui est bloqué pour parquer environ 200 personnes. Un jeune se met en caleçon et saute dans le Rhône pour échapper aux flics ; il est repêché par les pompiers qui le livrent à la police. Le lendemain, la place Bellecour est encerclée : 300-400 personnes sont prises au piège. à partir de midi, et pendant plusieurs heures, Bellecour devient un centre de rétention en plein air, et terrain de jeux pour les flics : ils gazent, matraquent et chargent en rigolant devant les malaises, crises d’épilepsie, de tétanie, d’asthme des détenus. Un tri s’opère entre blancs et non-blancs, les premiers (dans un premier temps en tout cas) pouvant déguerpir plus facilement, souvent sans contrôle. Ce qui se joue là, c’est du maintien de l’ordre par la terreur : tout faire pour que personne n’ose revenir dans les jours qui viennent. Car certes, le dispositif policier mis en place dès mardi soir n’empêche pas de nouveaux incidents de se produire – le camion du GIPN est caillassé, de nouveaux affrontements éclatent en centre-ville, des voitures sont retournées et incendiées – mais ils semblent irrémédiablement sous contrôle. Voire mis en scène. Il n’y a qu’à voir comment, dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler « la prison Bellecour », les flics attendaient que leurs prisonniers les caillassent sous l’objectif de leurs photographes pour mieux les gazer, tabasser, arroser, flashballer, arrêter.
Mais cette saturation du terrain, cette surprotection (avec canons à eau) des boutiques bourgeoises de la rue Herriot, laisse apparaître au moins deux failles dans la stratégie policière. Premièrement, tous ceux qui continuent de s’amuser ailleurs dans la ville (que ce soit en banlieue, ou sur les piquets de grève) peuvent confirmer que la police, depuis quelques jours, n’est plus là pour les emmerder. Deuxièmement, si ce mouvement a pour principal mot d’ordre « bloquons tout » il faut bien admettre que la police l’a appliqué, sans le vouloir, dans tout le centre-ville de Lyon. Tramway, bus, métro bloqués. Commerces fermés. Acheteurs dissuadés d’arpenter la rue de la Ré. En prétendant protéger la marchandise, le dispositif policier en a empêché la libre circulation. Mais il dévoile en même temps sa fragilité : comment empêcher plus de quelques jours l’activité sur la Presqu’île ?
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