“Ces syndicalistes attirés par la radicalité du cortège de tête”
Ces syndicalistes attirés par la radicalité du cortège de tête
Article paru dans le journal Le Monde du 26 mai
Ces syndicalistes tentés par la radicalité Usés par le combat syndical traditionnel, certains militants délaissent les défilés officiels pour exprimer leur colère parmi les activistes du cortège de tête Au milieu des rangs serrés, tout de noir vêtus et arborant masques et cagoules, un groupe de blouses blanches est apparu ces dernières semaines lors des manifestations syndicales. Dans ce cortège de tête, qui réunit des militants radicaux se réclamant de l’antifascisme, de l’anarchisme ou de l’autonomie, ces personnels hospitaliers détonnent. Jean-Marc, aide-soignant, explique que c’est la manière qu’ils ont trouvée de faire entendre leur colère. Syndicalistes chevronnés, comme ce quinquagénaire aux allures de rugbyman, ou simples militants de base, ils sont nombreux à trouver dans cet espace non encadré et mouvant un moyen d’expression. Et à préférer cette alternative aux « manifestations mojito » de République à Nation.
Jusqu’alors constitué de quelques centaines d’activistes, se retrouvant selon les différentes sensibilités de cette mouvance autonome, le cortège de tête a changé de nature depuis le début de la mobilisation des cheminots et des fonctionnaires contre les réformes du gouvernement. Désormais, autour des black blocs, devant ou derrière les banderoles les plus radicales, on aperçoit des fanions siglés, des vestes ornées de macarons de toutes obédiences syndicales. Des profils nouveaux, plus statiques, ne participant pas, pour la plupart, aux dégradations matérielles, ni à la petite guérilla avec les forces de l’ordre. Mais restant malgré tout en soutien et revenant de plus en plus nombreux dans les cortèges de tête, de défilé en défilé. La démonstration la plus spectaculaire de l’attrait qu’exercent les éléments plus radicaux fut ce défilé parisien du 1er-Mai où la police a dénombré plus de 14 000 personnes défilant devant le cortège syndical « officiel ». « Les camarades s’ennuient » Eric, élu CGT dans une usine du groupe Safran, a d’abord voulu « aller voir », le 19 avril. « J’en ai un peu assez de ces manifestations où on marche gentiment, on boit un coup et puis on rentre chez soi. Ça ne répond plus du tout à cette violence sociale quotidienne qu’on subit. »
Arrivé au sein de ces premiers rangs d’activistes très énervés, il s’est soudain entendu leur crier : « Allez-y les gars, y a plus que ça à faire. » L’élu n’a rien d’un va-ten-guerre, mais il raconte l’usure du militant devant le mépris des directions d’entreprise pour les délégués du personnel, le nouveau management répressif, les mots d’ordre de grève en ordre dispersé… « Depuis les ordonnances Macron, on a beau manifester, c’est “cause toujours, tu m’intéresses”. On a l’impression que le syndicalisme ne pèse plus. Cette action directe a un côté catalyseur du ras le-bol qu’on ressent. » Cette rage désabusée est partagée par Mouloud, secrétaire syndical à Geodis. Dans cette entreprise de transport routier, filiale de la SNCF, le trentenaire vit la même impression de surdité à l’égard des partenaires sociaux. Il relate lui aussi les brimades, les qualificatifs peu élogieux pour dé- crédibiliser l’action syndicale, les mises à pied répétitives pour dé- courager. Avec ses camarades, il tente de s’allier à d’autres secteurs pour faire entendre leurs revendications, mais sans illusions. Pour lui, « il faut d’autres formes pour être entendus et considérés ». D’autres formes dans la lutte locale, mais également dans la rue. Lui aussi est « parti voir devant », dans le cortège de tête le 1er-Mai, sans prendre part, mais en sympathie évidente. « Leur colère, on la comprend. Elle vient en écho de celle qu’on sent monter dans la boîte. Nous, on est prêts à aller beaucoup plus loin », dit-il. Dans cette tête de manifestation informelle, on retrouve aussi de nombreux syndicalistes de Solidaires. Eux ne viennent pas seulement en spectateurs, mais défilent au milieu de ces rangs les plus déterminés. Jean-Marc en fait partie, sans être actif. Il raconte qu’il passe dire bonjour dans le cortège officiel et file devant. « On se retrouve avec des militants hospitaliers de tous bords, SUD, CGT, FO et même CFDT, et on y va. C’est notre manière de faire entendre notre ras-le-bol. Je ne désapprouve pas ceux qui cassent, ils ont au moins un message qui parle », expliquet-il. Camille, jeune salariée d’une association de solidarité, en est aussi : « Face à ce gouvernement, on a peu d’espoir de se faire entendre, il passe en force. Toutes les tactiques sont donc bonnes à prendre. Il faut continuer ces manifestations où l’on a les syndicats qui défilent et puis cette colère devant. Il ne faut pas que les syndicats passent à côté de cette radicalité », assure cette militante du syndicat Asso (Union syndicale solidaires). Cette cohabitation entre cortège « officiel » et cortège de tête est encore balbutiante, compliquée. Les états-majors syndicaux ne voient toujours pas d’un bon œil la radicalité de ces troupes incontrôlables et violentes. Mais la manifestation du 22 mai a montré une porosité grandissante entre les deux cortèges et ils sont plusieurs, parmi les syndicalistes rencontrés, à souhaiter un changement d’approche de leur direction. « Devant, on retrouve beaucoup de précaires, de chômeurs, atomisés dans leurs droits et leurs carrières, et on sent de plus en plus de camarades qui ont envie de cette solidarité de classe nouvelle. Il faut qu’on sorte de ce syndicalisme par secteur dans lequel les précaires ne se retrouvent pas », affirme Thomas, jeune syndiqué chez Solidaires, qui enchaîne les CDD. Richard, d’Info’Com-CGT, retraité et ancien du service d’ordre, pense aussi que les syndicats doivent être à l’écoute de cette nouvelle radicalité : « Les camarades s’ennuient dans les cortèges, et beaucoup se retrouvent devant les manifs. Même des mecs du service d’ordre. Cela doit interroger les appareils syndicaux. »
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