«Désormais on se lève et on se barre»
Une fois n’est pas coutume, notre service “Télérama de la communisation “ relaye ici une auteure qui n’a aucun besoin de notre publicité et qui publie cette tribune dans un journal mainstream.
La radicalité, la pertinence et la violence du propos suffisent largement à justifier notre coup de chapeau, même s’il nous manque, là, une bonne critique du monde du spectacle, de la création, des auteur.e.s….
Mais là n’était pas le propos. dndf
Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture, vous, les puissants, vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, les exactions de votre police, les césars, votre réforme des retraites. En prime, il vous faut le silence de victimes.
Je vais commencer comme ça : soyez rassurés, les puissants, les boss, les chefs, les gros bonnets : ça fait mal. On a beau le savoir, on a beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal. Tout ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on vous oblige à passer vos lois à coups de 49.3 et qu’on ne vous laisse pas célébrer Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas : on vous entend jouir de ce que vous êtes les vrais patrons, les gros caïds, et le message passe cinq sur cinq : cette notion de consentement, vous ne comptez pas la laisser passer. Où serait le fun d’appartenir au clan des puissants s’il fallait tenir compte du consentement des dominés ? Et je ne suis certainement pas la seule à avoir envie de chialer de rage et d’impuissance depuis votre belle démonstration de force, certainement pas la seule à me sentir salie par le spectacle de votre orgie d’impunité.
Il n’y a rien de surprenant à ce que l’académie des césars élise Roman Polanski meilleur réalisateur de l’année 2020. C’est grotesque, c’est insultant, c’est ignoble, mais ce n’est pas surprenant. Quand tu confies un budget de plus de 25 millions à un mec pour faire un téléfilm, le message est dans le budget. Si la lutte contre la montée de l’antisémitisme intéressait le cinéma français, ça se verrait. Par contre, la voix des opprimés qui prennent en charge le récit de leur calvaire, on a compris que ça vous soûlait. Alors quand vous avez entendu parler de cette subtile comparaison entre la problématique d’un cinéaste chahuté par une centaine de féministes devant trois salles de cinéma et Dreyfus, victime de l’antisémitisme français de la fin du siècle dernier, vous avez sauté sur l’occasion. Vingt-cinq millions pour ce parallèle. Superbe. On applaudit les investisseurs, puisque pour rassembler un tel budget il a fallu que tout le monde joue le jeu : Gaumont Distribution, les crédits d’impôts, France 2, France 3, OCS, Canal +, la RAI… la main à la poche, et généreux, pour une fois. Vous serrez les rangs, vous défendez l’un des vôtres. Les plus puissants entendent défendre leurs prérogatives : ça fait partie de votre élégance, le viol est même ce qui fonde votre style. La loi vous couvre, les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent. Et c’est exactement à cela que ça sert, la puissance de vos grosses fortunes : avoir le contrôle des corps déclarés subalternes. Les corps qui se taisent, qui ne racontent pas l’histoire de leur point de vue. Le temps est venu pour les plus riches de faire passer ce beau message : le respect qu’on leur doit s’étendra désormais jusqu’à leurs bites tachées du sang et de la merde des enfants qu’ils violent. Que ça soit à l’Assemblée nationale ou dans la culture – marre de se cacher, de simuler la gêne. Vous exigez le respect entier et constant. Ça vaut pour le viol, ça vaut pour les exactions de votre police, ça vaut pour les césars, ça vaut pour votre réforme des retraites. C’est votre politique : exiger le silence des victimes. Ça fait partie du territoire, et s’il faut nous transmettre le message par la terreur vous ne voyez pas où est le problème. Votre jouissance morbide, avant tout. Et vous ne tolérez autour de vous que les valets les plus dociles. Il n’y a rien de surprenant à ce que vous ayez couronné Polanski : c’est toujours l’argent qu’on célèbre, dans ces cérémonies, le cinéma on s’en fout. Le public on s’en fout. C’est votre propre puissance de frappe monétaire que vous venez aduler. C’est le gros budget que vous lui avez octroyé en signe de soutien que vous saluez – à travers lui c’est votre puissance qu’on doit respecter.
Il serait inutile et déplacé, dans un commentaire sur cette cérémonie, de séparer les corps de cis mecs aux corps de cis meufs. Je ne vois aucune différence de comportements. Il est entendu que les grands prix continuent d’être exclusivement le domaine des hommes, puisque le message de fond est : rien ne doit changer. Les choses sont très bien telles qu’elles sont. Quand Foresti se permet de quitter la fête et de se déclarer «écœurée», elle ne le fait pas en tant que meuf – elle le fait en tant qu’individu qui prend le risque de se mettre la profession à dos. Elle le fait en tant qu’individu qui n’est pas entièrement assujetti à l’industrie cinématographique, parce qu’elle sait que votre pouvoir n’ira pas jusqu’à vider ses salles. Elle est la seule à oser faire une blague sur l’éléphant au milieu de la pièce, tous les autres botteront en touche. Pas un mot sur Polanski, pas un mot sur Adèle Haenel. On dîne tous ensemble, dans ce milieu, on connaît les mots d’ordre : ça fait des mois que vous vous agacez de ce qu’une partie du public se fasse entendre et ça fait des mois que vous souffrez de ce qu’Adèle Haenel ait pris la parole pour raconter son histoire d’enfant actrice, de son point de vue.
Alors tous les corps assis ce soir-là dans la salle sont convoqués dans un seul but : vérifier le pouvoir absolu des puissants. Et les puissants aiment les violeurs. Enfin, ceux qui leur ressemblent, ceux qui sont puissants. On ne les aime pas malgré le viol et parce qu’ils ont du talent. On leur trouve du talent et du style parce qu’ils sont des violeurs. On les aime pour ça. Pour le courage qu’ils ont de réclamer la morbidité de leur plaisir, leur pulsion débile et systématique de destruction de l’autre, de destruction de tout ce qu’ils touchent en vérité. Votre plaisir réside dans la prédation, c’est votre seule compréhension du style. Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski : vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance. C’est cette exigence qui fait que lors de la cérémonie tous les corps sont soumis à une même loi du silence. On accuse le politiquement correct et les réseaux sociaux, comme si cette omerta datait d’hier et que c’était la faute des féministes mais ça fait des décennies que ça se goupille comme ça : pendant les cérémonies de cinéma français, on ne blague jamais avec la susceptibilité des patrons. Alors tout le monde se tait, tout le monde sourit. Si le violeur d’enfant c’était l’homme de ménage alors là pas de quartier : police, prison, déclarations tonitruantes, défense de la victime et condamnation générale. Mais si le violeur est un puissant : respect et solidarité. Ne jamais parler en public de ce qui se passe pendant les castings ni pendant les prépas ni sur les tournages ni pendant les promos. Ça se raconte, ça se sait. Tout le monde sait. C’est toujours la loi du silence qui prévaut. C’est au respect de cette consigne qu’on sélectionne les employés.
Et bien qu’on sache tout ça depuis des années, la vérité c’est qu’on est toujours surpris par l’outrecuidance du pouvoir. C’est ça qui est beau, finalement, c’est que ça marche à tous les coups, vos saletés. Ça reste humiliant de voir les participants se succéder au pupitre, que ce soit pour annoncer ou pour recevoir un prix. On s’identifie forcément – pas seulement moi qui fais partie de ce sérail mais n’importe qui regardant la cérémonie, on s’identifie et on est humilié par procuration. Tant de silence, tant de soumission, tant d’empressement dans la servitude. On se reconnaît. On a envie de crever. Parce qu’à la fin de l’exercice, on sait qu’on est tous les employés de ce grand merdier. On est humilié par procuration quand on les regarde se taire alors qu’ils savent que si Portrait de la jeune fille en feu ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c’est uniquement parce qu’Adèle Haenel a parlé et qu’il s’agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu’elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence. Humilié par procuration que vous ayez osé convoquer deux réalisatrices qui n’ont jamais reçu et ne recevront probablement jamais le prix de la meilleure réalisation pour remettre le prix à Roman fucking Polanski. Himself. Dans nos gueules. Vous n’avez décidément honte de rien. Vingt-cinq millions, c’est-à-dire plus de quatorze fois le budget des Misérables, et le mec n’est même pas foutu de classer son film dans le box-office des cinq films les plus vus dans l’année. Et vous le récompensez. Et vous savez très bien ce que vous faites – que l’humiliation subie par toute une partie du public qui a très bien compris le message s’étendra jusqu’au prix d’après, celui des Misérables, quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent. Les réalisatrices qui décernent le prix de votre impunité, les réalisateurs dont le prix est taché par votre ignominie – même combat. Les uns les autres savent qu’en tant qu’employés de l’industrie du cinéma, s’ils veulent bosser demain, ils doivent se taire. Même pas une blague, même pas une vanne. Ça, c’est le spectacle des césars. Et les hasards du calendrier font que le message vaut sur tous les tableaux : trois mois de grève pour protester contre une réforme des retraites dont on ne veut pas et que vous allez faire passer en force. C’est le même message venu des mêmes milieux adressé au même peuple : «Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss.»
Alors quand Adèle Haenel s’est levée, c’était le sacrilège en marche. Une employée récidiviste, qui ne se force pas à sourire quand on l’éclabousse en public, qui ne se force pas à applaudir au spectacle de sa propre humiliation. Adèle se lève comme elle s’est déjà levée pour dire voilà comment je la vois votre histoire du réalisateur et son actrice adolescente, voilà comment je l’ai vécue, voilà comment je la porte, voilà comment ça me colle à la peau. Parce que vous pouvez nous la décliner sur tous les tons, votre imbécillité de séparation entre l’homme et l’artiste – toutes les victimes de viol d’artistes savent qu’il n’y a pas de division miraculeuse entre le corps violé et le corps créateur. On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons.
Adèle se lève et elle se casse. Ce soir du 28 février on n’a pas appris grand-chose qu’on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière. Comme on marche sur des talons hauts : comme si on allait démolir le bâtiment entier, comment on avance le dos droit et la nuque raidie de colère et les épaules ouvertes. La plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie – Adèle Haenel quand elle descend les escaliers pour sortir et qu’elle vous applaudit et désormais on sait comment ça marche, quelqu’un qui se casse et vous dit merde. Je donne 80% de ma bibliothèque féministe pour cette image-là. Cette leçon-là. Adèle je sais pas si je te male gaze ou si je te female gaze mais je te love gaze en boucle sur mon téléphone pour cette sortie-là. Ton corps, tes yeux, ton dos, ta voix, tes gestes tout disait : oui on est les connasses, on est les humiliées, oui on n’a qu’à fermer nos gueules et manger vos coups, vous êtes les boss, vous avez le pouvoir et l’arrogance qui va avec mais on ne restera pas assis sans rien dire. Vous n’aurez pas notre respect. On se casse. Faites vos conneries entre vous. Célébrez-vous, humiliez-vous les uns les autres tuez, violez, exploitez, défoncez tout ce qui vous passe sous la main. On se lève et on se casse. C’est probablement une image annonciatrice des jours à venir. La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant. C’est la seule réponse possible à vos politiques. Quand ça ne va pas, quand ça va trop loin ; on se lève on se casse et on gueule et on vous insulte et même si on est ceux d’en bas, même si on le prend pleine face votre pouvoir de merde, on vous méprise on vous dégueule. Nous n’avons aucun respect pour votre mascarade de respectabilité. Votre monde est dégueulasse. Votre amour du plus fort est morbide. Votre puissance est une puissance sinistre. Vous êtes une bande d’imbéciles funestes. Le monde que vous avez créé pour régner dessus comme des minables est irrespirable. On se lève et on se casse. C’est terminé. On se lève. On se casse. On gueule. On vous emmerde.
Virginie DESPENTES romancière
« Parce que vous pouvez nous la décliner sur tous les tons, votre imbécillité de séparation entre l’homme et l’artiste – toutes les victimes de viol d’artistes savent qu’il n’y a pas de division miraculeuse entre le corps violé et le corps créateur. On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire, bande de bouffons. »
Bien dit !
« Désormais on se lève et on se barre » Virginie Despentes
Encore faut-il être entré.e, s’être assis.e, avoir pu, avoir voulu. Un.e dissident.e, toujours et encore là, ne peut jamais partir, quitter, fuir… el.le ne peut que dénoncer son monde, qui l’a fait.e.
J’apprécie le bémol de dndf : « même s’il nous manque, là, une bonne critique du monde du spectacle, de la création, des auteur.e.s… Mais là n’était pas le propos. »
Un propos qui serait radical, selon moi, le voilà :
“Séparer l’homme de l’artiste” n’a effectivement pas grand sens, ou plutôt n’en a un que dans le contexte où l’œuvre, l’œuvre-sujet comme disait Meschonnic, est passée à la trappe, se voit attribuée un prix au double sens de celui de sa production et de sa distribution, donc la réduit à une marchandise ; et d’un prix de concours dans une compétition entre artistes autant qu’entre capitalistes de l’art-marchandise. Je laisse là de côté les fouille-merde de la critique qui cherchent les liens entre la vie de l’auteur et les événements de l’œuvre, roman, poème, film… car il y a bien évidemment un rapport complexe mais insécable entre l’homme et l’auteur, et je ne serais pas loin d’affirmer que le roman moderne, la “littérature”, sont un produit du capitalisme en tant qu’il a produit l’individu d’exception qu”est “l’artiste”. Alors, pensez-vous tout ce “cinéma” (sic), et ses “auteurs-réalisateurs”, “acteurs”, “critiques”…
La puissance ou l’impuissance performatrice d’une œuvre d’art ne s’apprécie pas dans une compétition de type sportif ou la distribution des prix aux premiers de la classe, par la classe des assassins de l’art comme tel, artistes compris. Qu’ils brûlent tous ensemble dans leur enfer, celui du capital.
Roboratif, et dans une langue politique à la portée du commun ( bien qu’avec ses limites stratégiques, déjà citées ). Tout est dit dans ce passage : “La différence ne se situe pas entre les hommes et les femmes, mais entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant.” oui, il faut gueuler contre celles et ceux qui entendent confisquer la narration ( et qui le font, comme la chose la plus naturelle du monde, la plus banale ), qui sont-ils-elles ? C’est là que commence la lutte, la vraie.
@Anonyme
(l’anonymat n’étant pas une claire identité, je signe anonime)
« entre dominés et dominants, entre ceux qui entendent confisquer la narration et imposer leurs décisions et ceux qui vont se lever et se casser en gueulant.” […] C’est là que commence la lutte, la vraie.»
ce serait nouveau, dans le milieu partant de la lutte des classes, et plus spécifiquement de l’exploitation capitaliste, et davantage un éloge de la fuite qu’un appel à la lutte là où elle se pose et s’impose, d’abord comme résistance, aux dominations, à l’exploitation
mais force est de constater que ce n’est pas ce que dit Despentes, ou si elle le dit, c’est au nom d’autres dont elle n’est pas – ceux et celles d’en-bas sur le plan justement de la parole, de la “narration”. Car elle ne s’est pas “cassée”, elle est entrée, ou reste depuis toujours, en dissidence, ce qui est tout à son honneur mais fait une différence : elle se casse à l’intérieur du ‘Spectacle’ et c’est sur sa scène qu’elle le fait savoir. Les “dominés” on ne les entend pas, et même moins qu’en pleine action des Gilets Jaunes
plusieurs l’ont relevé. Claude Askolovitch dans Slate.fr : “Virginie Despentes et la saleté des riches” 3 mars
« Il est une autre étrangeté chez Virginie Despentes, qui la sépare des révolutionnaires de nos enfances. Elle tient dans son titre, «Désormais on se lève et on se barre», et dans la démarche qu’elle célèbre : le retrait désormais iconique d’Adèle Haenel de la fête des César, quand Roman Polanski fut couronné.
Autrefois, on ne se barrait pas. On luttait, on s’asseyait, on séquestrait, on bousculait, le mandarin, le notable, le patron, on occupait le terrain. Beate Klarsfeld, qui était une badass avant que le mot ne soit inventé, giflait le chancelier allemand, l’ancien nazi Kiesinger. On avait les gestes graves et brutaux que la gravité des faits exigeait. C’était une époque où l’on payait de sa personne. »
il y a tout de même quelque chose qui n’est pas acceptable, du point de vue du milieu radical partisan de l’autonomie et/ou de l’autoorganisation, dans l’expression de vedettes de cette autonomie/autoorganisation, qu’ils soient des leaders politiques (Mélenchon, Ruffin, la candidate LFI à Paris… prétendent l’organiser), ou du “monde des arts et de la culture” comme ici. C’est déjà bien assez lourd d’assumer cette petite contradiction en tant que comme forte voix du courant autonomiste ou communisationniste
comme par ailleurs il ne manque pas de monde pour se réjouir avec “nous”, mais pas forcément pour les mêmes raisons, de cette sortie de Despentes, ceci bien au-delà de personnes partageant a minima cette analyse du capitalisme, je pense que l’exigence de débat ici commence à partir de cette réserve du chapeau : « même s’il nous manque, là, une bonne critique du monde du spectacle, de la création, des auteur.e.s…», et l’on pourrait surtout ajouter “du capital”, comme préciser que le Spectacle selon Debord, c’était aussi le Capital, avec toutes les limites de sa critique réduite à celle de la marchandise, y compris de la marchandise culturelle et artistique, celle que vends Virginie Despentes comme lutte des dominé.e.s contre les dominants
LES MISÉRABLES DE LA CRITIQUE, du cinéma comme du capital
ou la gestion “enragée” de l’art comme marchandise
sans insister lourdement, car pas d’intérêt ici d’asséner ma vérité sans en débattre, il me semble que la véritable distinction, en matière d’art, est celle entre l’artiste-homme/femme et l’œuvre. Corollaire, c’est ce qui distingue une critique radicale, c’est-à-dire incluant voire partant de celle de l’économie politique de la culture et de “l’art”, d’une critique réformiste, qui veut l’art et la culture dans un capitalisme propre
force est de constater que les articles et réactions, même les plus critiques, se focalisent sur la distinction entre “l’homme et l’artiste”, ce pont-aux-ânes de la “résistance-artiste”
c’est encore le cas, hier dans lundimatin#233, de LES MISÉRABLES DU CINÉMA par Un collectif de régisseurs enragés [sic, régisseur : Personne qui administre, qui gère (une propriété)]
https://lundi.am/Les-miserables-du-cinema
ce collectif peut bien écrire : « Les temps sont donc obscurs pour ceux qui ont un désir de cinéma loin des sentiers balisés de l’économie et qui y voient encore un lieu de résistance et de politique », il n’y a pas dans le capitalisme de cinéma, d’art, ou de culture “loin de l’économie”, tout simplement parce que l’art, en tant que produit par des artistes, EST une marchandise, et que c’est seulement ça qui lui permet d’exister, d’être reconnu, en tant qu’œuvre. Ce qui ne se vend pas ou n’est pas acheté, c’est-à-dire échangé, n’a par définition pas de valeur d’échange, pas de valeur marchande, et sa valeur, “humaine”, “artistique”… est niée. C’est d’ailleurs pourquoi tout est focalisé sur la personne-artiste, elle doit être une vedette ou rien. Même Rimbaud fut et demeure vedestarisé, alors pensez donc, quand l’œuvre est reproductible* et reproduite en masse, de Polanski à Banksy, que l’artiste soit ou non un violeur n’y change rien
* “L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique” de Walter Benjamin est de 1935 !
il n’y a pas à en sortir, ou plutôt si, alors comment ? on ne sait pas, mais sûrement pas en l’ignorant