[Re]lecture de circonstance
« Avec quarante années d’annuité, il faut avoir un emploi protégé, une carrière commencée tôt, pour que la perspective de la retraite ait un sens. Une situation qui s’apparente de plus en plus à celle de dinosaures au sein des travailleurs. Si le mouvement a continué, dépassant le cycle convenu des manifestations-défilés, c’est parce que cette défense d’un statu quo s’est elle-même muée en une critique plus profonde. Les quarante annuités, c’est une condamnation au travail à perpétuité.
La lutte contre la réforme des retraites n’est pas le révélateur d’autre chose mais de tout ce qui est inscrit dans cette réforme. La question c’est l’organisation du marché du travail dans le mode de production capitaliste issu de la restructuration des années 1970 : la précarisation ; les jeunes de moins de 25 ans qui sont au chômage ; les plus de 55 ans qui sont poussés vers la sortie (en 2010, il y a eu 350 000 licenciements conventionnels).
Dans les nouvelles modalités de l’exploitation de la force de travail totale comme une seule force de travail sociale disponible face au capital et segmentable à l’infini, cette segmentation est tout autant division, création de catégories, que continuum de positions qui coexistent dans un même ensemble et se contaminent les unes les autres.
Au travers d’un grand nombre de dispositifs nouveaux, la classe capitaliste cherche désormais à soutenir l’offre de travail alors que l’objectif poursuivi jusqu’à la fin des années 1980 par l’action publique était plutôt d’encourager les retraits d’activité. La cible n’est plus de diminuer le taux de chômage, mais d’accroître le taux d’emploi. On peut compter actuellement en France plus de dix millions de salariés concernés par les exonérations sur les bas salaires, on peut dénombrer également 8,5 millions de bénéficiaires de la prime pour l’emploi. Le changement d’échelle est très net (2,8 millions de bénéficiaires de la politique de l’emploi en 2000).
La lutte contre la réforme des retraites a intégré tout naturellement, parce que là était son contenu vrai, le refus et la lutte contre l’organisation du marché du travail. C’est en cela qu’elle est devenue un mouvement général.
Mais, si la réforme des retraites engage l’ensemble des salariés parce que c’est du marché du travail dont il est question, pour la même raison, elle les engage de façon diverse.
Comme les mouvements des indignés et les mouvements « occupy », comme les révoltes arabes (dans un tout autre contexte et avec d’autres enjeux), cette lutte contre la réforme des retraites a posé la question de la définition aujourd’hui de la classe ouvrière dans sa segmentation. »
— R.S., ‘Le mouvement contre la réforme des retraites en France – automne 2010’, SIC #2, 2014.
«La tension sociale est plus forte aujourd’hui qu’en 2010»
« Celui qui a incarné la réforme des retraites décidée par Nicolas Sarkozy il y a plus de dix ans doit bien savoir de quoi il parle : Éric Woerth estime que la tension sociale, aujourd’hui, est «probablement plus forte qu’elle ne l’était en 2010»…
Pendant 14 jours, des manifestations ont eu lieu et plus d’un million de Français étaient dans la rue. »
https://www.lefigaro.fr/politique/retraites-la-tension-sociale-est-plus-forte-aujourd-hui-qu-en-2010-estime-eric-woerth-20230125