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L’allégeance au roi charbon mine les écologistes américains

Inspection dans la mine de Crandall Canyon dans l'Utah (Rick Bowmer/Reuters).

Depuis vingt ans, on décapite les montagnes dans l’est des Etats-Unis pour extraire plus facilement la houille. Combien rapportent aux compagnies minières les sommets des Appalaches qu’elles arasent pour accéder aux filons de charbon? En envisageant de s’attaquer aux dégâts écologiques d’un lobby charbonnier en pleine forme, l’équipe d’Obama marche sur des œufs.[print_link]

Avec 54% de leur électricité produite grâce au charbon, les Etats-Unis dépendent largement autant de ce minerai que du pétrole. Dans un contexte de lutte farouche pour l’indépendance énergétique, nombreux sont ceux qui trouvent gonflé -ou ridicule- de mettre en péril cette production phare nationale, au nom d’une lutte incertaine contre les changements climatiques.

En outre, en ces temps de crise économique aiguë, risquer de perdre des emplois industriels en accroissant les coûts environnementaux des conglomérats semble le comble de l’idiotie aux partisans du charbon.

Quand on traverse les trois Etats des Appalaches qui concentrent le gros des réserves minières de l’est américain -Virginie occidentale, Pennsylvanie et Kentucky-, les voitures arborent un fier autocollant: “Clean coal: yes we can” (charbon propre: oui nous pouvons). Le même slogan est décliné dans les salles de billard, sur les écrans télé des motels, les serviettes en papier des fast-food…

Il faut bien cette méthode Coué populaire, soigneusement entretenue par les exploitants [1], pour faire oublier les plaies béantes que l’industrie charbonnière a tracé depuis la fin du XIXe siècle sur les paysages et dans la chair des mineurs. Mais surtout les plaies qu’elle inflige encore, plus violemment que jamais.

203 000 hectares de forêts ont été détruits en moins d’une génération

Pour des raisons sans doute géologiques que je n’ai pas eu le temps de creuser, c’est la Virginie occidentale qui souffre le plus. Depuis quelques années, le reste de l’Amérique commence vaguement à entendre parler des montagnes décapitées et des conséquences funestes de ce type de “minage” en surface.

Avec le M.T.R. (“mountain top removal”), au lieu d’extraire le charbon du sol, on extrait la montagne du charbon (voir ces incroyables photos sur le site d’une association de West Virginia [2]:

Les monceaux de déblais balancés sur les pentes bouchent les ruisseaux, comblent les vallées, défigurent les paysages, stérilisent la nature et étouffent les habitants. En moins d’une génération, 203 000 hectares de forêts ont été détruits, plus de 1200 kilomètres de ruisseaux et rivières ont été comblés.

Les quantités pharaoniques de gravats mêlés de forêts hachées menu ont toujours échoué dans ces creux de montagne, mais, jusqu’au 12 janvier, un simulacre de procédure légale obligeait les compagnies à demander des autorisations de dépôts. Désormais, une loi passée in extremis par l’administration Bush les dispense de ce pensum.

J’ai trouvé cet argumentaire merveilleux dans un article technique publié par un ingénieur du gouvernement [3]:

“Ces méthodes (le M.T.R.) sont combattues par les environnementalistes, mais la création de nouvelles terres plates et fonctionnelles peut s’avérer très utile économiquement dans cet univers montagneux.”

Depuis 1890, l’exploitation du charbon n’a cessé d’augmenter aux Etats-Unis. Certes, l’activité a connu un creux dans les années 50 et 60, mais pour reprendre de plus belle à partir du choc pétrolier des années 70.

L’ouest du pays et les grandes plaines fournissent en gros les deux tiers de la production, via essentiellement des mines de surface (sans pulvérisation de sommets montagneux). Les Appalaches donnent le reste, et les mines souterraines, qui emploient davantage d’ouvriers, y sont plus nombreuses.

Les fonctionnaires qui tentent d’appliquer les lois sont mutés…

Entre 2000 et 2006, cent cinquante mineurs sont morts dans des accidents. Evidemment, leurs salaires sont plutôt élevés, ce qui explique la dévotion des populations locales au “King Coal” (roi charbon). Selon Michael Shnayerson, auteur de “Coal River” (lire la critique du livre dans le NY Times [4]), cette dépendance n’est nulle part aussi grande qu’en Virginie occidentale:

“Des destructions pareilles ne pourraient jamais advenir au Connecticut ou en Californie ni dans la plupart des autres Etats américains. (…) En Virginia occidentale, les juges qui tentent de s’opposer aux actions destructrices des compagnies ne sont pas réélus, et les fonctionnaires qui tentent d’appliquer les lois sont mutés. Démocrates et républicains, même combat! (…)

C’est l’histoire des forces suprêmes de l’Amérique qui détruisent cette même Amérique. Et comme la moitié de l’électricité de ce pays est produite grâce au charbon, peu importe ce que cela coûte en vies humaines et en terres, du moment qu’on a du carburant pour allumer son écran plasma.”

J’ai trouvé dans un vieux numéro du magazine O (juillet 2006, non disponible sur le net) un excellent reportage sur des femmes (épouses, filles et/ou mères) de mineurs, qui sont devenues des militantes et sillonnent désormais le pays pour témoigner des destructions infligées à leur pays. L’article concluait là-dessus:

“Après tout, ces femmes ne se battent pas seulement contre les sociétés minières riches et puissantes, bardées de juristes. Elles se battent contre une nation de consommateurs désespérément ignorants des origines de leur énergie, et de ce qu’elle coûte à produire.”

Revenons à l’actualité chaude. Le charbon est au cœur du débat sur l’énergie: Obama sera bien obligé de toucher au charbon s’il veut diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

Première piste: l’Arlésienne du “charbon propre”. Attention, on ne parle pas ici de l’extraction, mais de la combustion. Il s’agirait de construire des centrales thermiques n’émettant plus de CO2, lequel serait retenu dans la cheminée, puis stocké dans les profondeurs de la terre.

A cette fin, le gouvernement américain et les compagnies privées [5] ont dépensé des milliards au cours de la décennie écoulée. Sans grand succès. Voici ce qu’en disait Al Gore il y a un mois [6]:

“Il n’existe pas une seule usine de démonstration de ce type qui fonctionne sur le territoire. (…) Que les industriels du charbon se montrent optimistes, c’est un fait. Cela me fait penser aux constructeurs automobiles: chaque année, ils nous ont annoncé des futures voitures propres fonctionnant à l’hydrogène ou autre chose. Ces véhicules allaient être 100% propres… et ils n’ont jamais été construits. On ne peut pas permettre à une illusion d’être à la base d’une stratégie pour la survie de l’humanité.”

Deuxième piste, qui met le monde économique américain en ébullition: les réductions obligatoires d’émissions de CO2 des installations industrielles -et donc des centrales à charbon. Ces éventuelles mesures législatives ont encore été qualifiées en novembre dernier de “ruineuses, suicidaires, dévastatrices…” par la Chambre de commerce américaine [7].

Au sein de cette Chambre, pourtant, des voix s’élèvent pour réclamer ces réductions. Ces partisans d’une réglementation plus stricte, qui serait bien sûr tempérée par la possibilité d’échanger les droits d’émissions (“cap and trade system”), ne sont pas n’importe qui: ils dirigent notamment Duke Energy, Caterpilar, Alcoa, General Electric, BP America, Dow Chemical, Du Pont et Shell. Avec pareils alliés, Obama devrait arriver à ses fins.

Les Etats charbonniers embarrassés par les promesses d’Obama

On en est là. Il faudra attendre la future loi sur l’énergie, annoncée vers la fin du printemps, pour savoir si les industries émettrices de CO2 seront limitées, et/ou taxées, à quel niveau, et par quel moyen. Les lobbies s’agitent déjà comme des fous auprès des sénateurs, des représentants, et des fonctionnaires des différentes agences chargées de préparer la loi.

Un premier problème a déjà émergé: les clivages politiques traditionnels ne fonctionnent plus. Notamment à cause du charbon. Les Etats charbonniers -donc ouvriers- ont souvent des élus démocrates, qui sont bien embarrassés avec les promesses d’Obama de réduire les nuisances du charbon. Ce n’est pas en racontant à leurs électeurs qu’il faut de l’acier pour produire des éoliennes qu’ils réussiront à leur faire avaler la pilule des énergies propres.

Cela dit, est-ce que la réduction et/ou taxation des émissions des centrales à charbon aura un impact automatique sur les conditions d’extraction de ce dernier ? Bien sûr que non. Simplement, les électriciens et les aciéristes auront moins recours au charbon. Et des mines fermeront. Et des ouvriers perdront évidemment leur emploi. Et cetera. Ça s’appelle une mutation industrielle. Il aurait mieux valu qu’elle intervienne avant la crise actuelle.

A lire aussi sur Rue89
? Les articles sur le charbon [8] et sur les énergies en général [9]

Ailleurs sur le Web
? Des photos d’extraction de charbon sur le site d’une association de West Virginia [10]
? L’argumentaire pro-charbon publié par un ingénieur du gouvernement américain [11]
? La critique du livre “Coal River”, de Michael Shnayerson, dans le NY Times [12]

Photo: inspection dans la mine de Crandall Canyon dans l’Utah (Rick Bowmer/Reuters).


URL source: http://www.rue89.com/american-ecolo/2009/02/06/lallegeance-au-roi-charbon-mine-les-ecologistes-americains Liens:
[1] http://www.americaspower.org/
[2] http://images.google.com/imgres?imgurl=http://www.ohvec.org/galleries/mountaintop_removal/007/04_tn.jpg&imgrefurl=http://www.ohvec.org/galleries/mountaintop_removal/007/&usg=__BMLICrPv6LWGpKHri5xmHt7j7Rc=&h=394&w=525&sz=28&hl=en&start=1&sig2=DfBvfg3ZI0ICblNT52pL-A&tbnid=p9hG4-yNaElk_M:&tbnh=99&tbnw=132&ei=D4iASaicGdKwmQe584ioDQ&prev=/images?q=coal+mountaintop+westvirginia&gbv=2&hl=en&safe=off&sa=G
[3] http://www.eia.doe.gov/cneaf/coal/page/coal_production_review.pdf
[4] http://www.nytimes.com/2008/01/20/books/review/Egan-t.html?_r=1
[5] http://www.futuregenalliance.org/
[6] http://www.newsweek.com/id/171252
[7] http://www.energyxxi.org/articles/111708__General_Jones_USMC_Ret__Transition_Plan_for_Securing_Americas_Energy_Future.aspx
[8] http://www.rue89.com/tag/charbon
[9] http://www.rue89.com/tag/energies
[10] http://images.google.com/imgres?imgurl=http://www.ohvec.org/galleries/mountaintop_removal/007/04_tn.jpg&imgrefurl=http://www.ohvec.org/galleries/mountaintop_removal/007/&usg=__BMLICrPv6LWGpKHri5xmHt7j7Rc=&h=394&w=525&sz=28&hl=en&start=1&sig2=DfBvfg3ZI0ICblNT52pL-A&tbnid=p9hG4-yNaElk_M:&tbnh=99&tbnw=132&ei=D4iASaicGdKwmQe584ioDQ&prev=/images?q=coal+mountaintop+westvirginia&gbv=2&hl=en&safe=off&sa=G
[11] http://www.eia.doe.gov/cneaf/coal/page/coal_production_review.pdf
[12] http://www.nytimes.com/2008/01/20/books/review/Egan-t.html?_r=1

Rue89  Par Hélène Crié-Wiesner Créé 02/06/2009 – 12:58

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