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Ancien leader de Tiananmen, Li Lu bientôt au sommet de Wall Street

En 1989, Li Lu était l’un des leaders des mouvements étudiants de Tiananmen
Au sein du mouvement des étudiants qui occupaient la place Tiananmen, ce printemps 1989, Li Lu occupait une position-clé : il était le bras droit de Chai Ling, la « commandante en chef ».
Lorsque le moment de vérité approcha, début juin, il faisait partie de ceux qui refusaient tout compromis, accusant même d’être des « agents gouvernementaux » ceux des dirigeants qui voulaient éviter une épreuve de force.

Activement recherché après la répression sanglante du 4 juin, il réussit à se cacher, puis à quitter la Chine avec des complicités… françaises. Paris fut ainsi sa première étape d’exil, ce qui en fait le premier d’une longue série de dissidents à débarquer dans la capitale française, avant de poursuivre leur route vers les Etats-Unis qui les fascinaient et leur offraient une tribune plus ambitieuse.

L’un de ceux qui l’ont connu à l’époque à Paris le décrit à Rue89 comme « très dogmatique et péremptoire, prêt à dicter sa loi ». Il ajoute, à la lumière de son parcours dans la finance : « dicter sa loi aux foules, ou aux marchés »…
De fait, il y a une certaine cohérence dans ce parcours qui mène Li Lu d’un leadership à l’autre, celui de la révolution manquée de Tiananmen à celle de la finance mondiale.

Dans son livre « Bad Elements, Chinese Rebels from Los Angeles to Beijing » (éd. Vintage, 2001), consacré aux rescapés de la « génération Tiananmen », l’écrivain néerlandais Ian Buruma souligne que Li Lu et sa génération ont grandi dans un univers de langue de bois, dans lequel les mots n’avaient plus de sens : « Ce qui était blanc hier peut être noir aujourd’hui. […] Ça peut générer des facilités réthoriques, et un talent pour mentir afin de survivre. Ça génère du cynisme et l’idée que personne ne peut défendre une opinion sans avoir d’arrières pensées, généralement sinistres. »

Accusé d’avoir construit une carrière « dans le sang des victimes »

Et, après avoir rencontré pour son livre l’ensemble de la diaspora de la « génération Tiananmen », Ian Buruma ajoute :
« C’est peut-être une des raisons pour lesquelles Chai Ling et Li Lu sont détestés au sein de la diaspora chinoise.

Leur transformation de jeunes patriotes idéalistes en Américains décontractés est trop transparente, trop opportuniste. La reconnaissance internationale invite aussi la jalousie, qui est une autre cause de haine.

Un de mes amis chinois, qui n’a aucune sympathie pour le pouvoir communiste, qualifie Chai Ling et Li Lu d’“escrocs”. Un auteur chinois célèbre les décrit comme des “extrémistes”, les “meilleurs élèves de Mao Zedong”, signifiant par là qu’ils partageaient la même culture violente que les Gardes rouges.

Plusieurs personnes m’ont dit que les anciens leaders étudiants ont “construit leurs carrières sur le sang des victimes de Tiananmen”. »

Son histoire familiale est aussi de celles qui donnent des envies de revanche et de réussite. Li Lu est issu d’une famille d’intellectuels chinois, avec un grand père étudiant à l’Université américaine de Columbia en 1920, produisant une thèse comparant les idées de Confucius avec les thèses du penseur humaniste John Dewey.

En raison de sa « mauvaise origine de classe », le grand-père de Li Lu a trouvé la mort en prison pendant la Révolution culturelle.
Son père, lui, n’a pas étudié à Columbia mais à… Moscou, autre époque, autres destinations, ce qui ne l’a pas empêché, lui aussi pour « mauvaise origine de classe », de passer la Révolution culturelle en prison. Un pédigrée qui a assurément forgé le caractère du jeune Lu.

Une autobiographie titrée « Moving the mountain »

C’est avec ce bagage intellectuel et ce tempérament endurci que Li Lu débarque à Pékin dès le début de l’occupation de la place Tiananmen, en provenance de sa ville de Nankin où il était étudiant. Il forge très vite une aliance avec Chai Ling qui en fait un duo de choc dans le mouvement.

Li Lu a raconté cette épopée dans un livre autobiographique, « Moving the Mountain : My Life in China from the Cultural Revolution to Tiananmen Square » (éd. Macmillan, 1990), devenu en 1994 un film du même titre, dont la bande annonce résonne comme un réquisitoire contre le régime de Pékin.

Arrivé aux Etats-Unis, Li Lu a trouvé un autre terrain de conquête pour ses ambitions : la finance. Après des études à Columbia, 70 ans après son grand-père, il créa son propre fonds d’investissements, avant de rencontrer Charlie Munger, le vice-président de Barkshire, lui-aussi octogénaire comme Warren Buffet, qui en fit son poulain.

Paradoxalement, c’est en Chine que ce réfugié politique chinois a amené certaines affaires fructueuses au fonds de Warren Buffet, notamment le fabricant de batteries électriques pour voitures BYD dans lequel Berkshire a investi et qui lui a déjà rapporté plus d’un milliard de dollars selon le Wall Street Journal… En Chine, où Warren Buffet fait l’objet d’un véritable culte.

« Nous étions tous empreints du rêve américain »

Paradoxe seulement apparent, puisque, de fait, Li Lu et la Chine ont évolué dans le même sens depuis vingt ans, vers un capitalisme financier décomplexé, qui s’accomode parfaitement d’un autoritarisme politique qui ne semble plus autant géner le jeune banquier d’affaires.

Chai Ling, l’ancienne « commandante en chef » de la place Tiananmen, elle aussi installée aux Etats-Unis et elle aussi dans les affaires, a confié à Ian Buruma : « Nous étions tous empreints du rêve américain, (…) l’Amérique des films de cowboy, où les gens se défoncent au travail et réussissent. »

Nul mieux que Li Lu n’a réussi à transformer ce « rêve » en réalité, fut-ce au prix de certains reniements.

le 2/8/2010 à 16h01  par Pierre Haski (Rue 89)

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