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“La lutte à la croisée des chemins”, suite….

Compte-rendu de la réunion publique du collectif Lieux Communs tenue le mercredi 9 février 2011
A propos du texte « La lutte à la croisée des chemins – Notes sur le mouvement social d’octobre 2010

Le très petit nombre de personnes présentes et le fait que tous avaient lu le texte a orienté la soirée vers des discussions informelles, et provoqué l’annulation des exposées prévus (Rappel des principales thèses du texte mis en débat et Activités, critiques et auto-critiques du collectif).
Le milieu « radical »
La discussion a aussitôt porté sur la lecture faite de la « mouvance radicale » dans le texte, jugée un peu « dure », même si sur le fond aucun grand désaccord n’est apparu. Les échanges ont permis de débattre d’un certain nombre de points que le texte pouvait laisser vagues :

La catégorie« petite-bourgeoise » est ainsi utilisée dans un sens sociologique, notamment en rapport avec le « capital culturel », et nullement péjorative en soi : elle ne peut l’être que pour ceux qui, tout en lui appartenant en plein, ne cessent de se revendiquer du « prolétariat ». Ainsi, les membres du collectif n’ont aucun mal à se reconnaître eux-mêmes comme d’origine « petite-bourgeoise ».

Le milieu « radical » n’est bien entendu pas un ensemble homogène : il existe en son sein des individualités, voire des tendances moins caricaturales et plus ouvertes au dialogue. Reste que l’appréciation est aussi subjective et dépend des relations affectives que chacun a pu, ou peut encore, avoir avec certains de ses membres. Pour le collectif, le critère est celui de la capacité à porter des interrogations vis-à-vis de la réalité, et souvent d’une réalité vécue de près et non fantasmée ou idéologisée (pauvreté, banlieue, immigration, etc.). Les gens ordinaires, tellement méprisés, sont souvent bien plus « communistes » qu’eux, dans leur comportement quotidien ou même dans le bon sens qui ponctue leur discours… De ce point de vue-là, la rupture peut s’imposer tout naturellement, et sans drame.

Au début du mouvement d’octobre, leur appel à l’assemblée de Gare de l’Est a pu jouer un rôle de « déclencheur » pour certains, le signal « qu’il se passe quelque chose » : leur posture d’avant-garde pourrait leur permettre en certaine circonstance de jouer le rôle de l’étincelle, à la façon du mouvement du 22 mars en Mai 68 ou de Bouazizi, qui s’est immolé en Tunisie, déclenchant le soulèvement. L’approche du collectif est plus pragmatique : l’accent doit être plutôt mis sur les conditions sociales et politiques qui permettent à certaines personnes, ou groupe, de jouer ce rôle. En Mai 68, ce qui se fait jour est tout un imaginaire tissé par des millions d’anonymes depuis des années, voire des décennies, en musique, en littérature, en politique, etc. Idem pour la Tunisie. Faire abstraction de telles réalités fondamentales conduit à une simple posture provocatrice largement contre-productive lorsque la situation n’y est pas favorable (Cf. la confusion toto-flic pendant le mouvement, avec l’épisode du « ninja » qui a frappé un type qui lui-même tentait d’empêcher un casseur d’agir). Par ailleurs, les débordements des étudiants anglais, italiens cet automne ou grecs en décembre 2008 ne leur doivent strictement rien. Actuellement, le rôle de ce milieu est celui d’un repoussoir pur et simple qui propage une confusion intellectuelle délétère.

Le milieu radical semble également jouer un rôle de dérivatif auprès de personnes intéressées par les idées « d’ultra-gauche » : plutôt que de discuter de la réalité sociale et de la manière dont elle est vécue par les gens, les coteries du milieu occupent toutes les discussions. Le même mécanisme fonctionne en banlieue dont l’image se résume souvent à celle des « racailles », escamotant par là le quotidien vécu par l’écrasante majorité de la population.

L’évolution du milieu « radical » a été évoquée, des « totos » des années 1970-1980 aux « titis », la génération actuelle, moins intransigeante, plus disparate, un peu plus ouverte aux points de vue divergents, même si cela ne va pas plus loin : il reste un fond anti-démocratique assumé, d’inspiration bordiguiste, qui ne permet pas de remettre en cause un hyper-activisme et un fonctionnement foncièrement hétéronome (cercle interne de décision).

Le mouvement social

La discussion s’est ensuite orientée sur le mouvement social proprement dit.
Parallèlement à la mainmise syndicale, deux tendances ont émergé : une structure en décrépitude, les « AG interpro », une impatience naïve et débile, les AG « titi » ou anomique. La question qui se pose est : pourquoi n’y a-t-il eu que ça ? Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être avancés : la fin de la classe ouvrière ; une recomposition du rapport au travail ; et l’adhésion relative à la société telle qu’elle est, dont le crédit individuel est un élément important. Ces dynamiques sont là depuis l’après-guerre. Les attaques contre le monde du travail sont réelles : il y a une peur de la précarité. Mais cette crainte comporte aussi un versant très subjectif : même dans le privé, il est possible de faire grève sans se faire virer, même si on n’est pas suivi de ses collègues. On observe la même intériorisation de la peur dans l’éducation nationale : le statut d’enseignant est certainement le plus protégé du monde, avec des syndicats très puissants, et une hiérarchie lointaine et ça n’empêche pas une poltronnerie spectaculaire. Bien sur, il existe des établissements où les rapports hiérarchiques sont très violent, mais c’est bien plus dû à une atomisation des équipes qui peut tout-à-fait être contrecarrée. C’est une question de volonté, aussi, même si ça ne suffit pas. Idem pour les crédits qui paralysent les gens : ils sont contractés, et pour une bonne part, sans nécessité « objective » : on connaît des salariés qui gagnent six fois le SMIC et qui refusent de faire grève pour des raisons financières…

Bien entendu, on ne peut pas dissocier l’offensive réelle de l’oligarchie politique et économique de la soumission de la population : les deux sont enchevêtrées. Mais l’idéologie de la vulgate marxiste et gauchiste met toujours l’accent sur la prédation des dominants, sinon sur les mécaniques aveugles du « Capital ». Comme on disait du temps de « Ras l’Front » : « Leurs avancées sont faites de nos reculs ».

Par exemple, la situation matérielle des ouvriers du XIXe était absolument terrible, et incomparablement pire de celle d’aujourd’hui : pourtant (parce que ?) il y avait des luttes très dures. De la même manière, l’offensive thatchérienne des années 80 était impensable quelques années auparavant : c’est bien le délitement de la classe ouvrière qui a permis à la vague dite libérale de déferler, et pas le contraire.

Tout cela amène la discussion à la question du nouveau type anthropologique créé par la société contemporaine, dont l’escamotage de la volonté est une caractéristique. Nous vivons dans une situation où la provocation n’a plus prise les zazous sont aujourd’hui représenté par Lady Gaga… Autant l’esprit de discipline traditionnel était « facilement » attaquable, autant l’hédonisme libéral-libertaire actuel change radicalement la donne et oblige à un repositionnement politique important.

Positions générales
Le collectif est interrogé sur ses positions vis-à-vis de la « critique de la valeur », notamment celle défendue par le groupe allemand Krisis.
Il est répondu que nous nous retrouvons plus dans un héritage (celui de Socialisme ou Barbarie) qui a mis l’accent sur la question de la bureaucratisation plutôt que sur celle du capitalisme, autrement dit, sur l’aspect politique et « anthropologique » plutôt que strictement économique. Postérieurement, et plus généralement, nous enchâssons l’économique dans le culturel : la fixation sur la valeur, justement, sur la production, sur la richesse nous semble un trait culturel engendré par la formation de la classe bourgeoise depuis le haut moyen-âge. Concrètement, c’est en vertu de ces positions que nous avons formulé durant le mouvement le slogan « Egalité des revenus », afin de sortir de cet univers mental en rompant avec la course aux revenus qui oriente toute la vie sociale et même existentielle.

Le collectif est ensuite interrogé sur la question de l’anticipation de la société telle qu’on la souhaite. Il est répondu qu’en fonction de la réponse précédente, nous avons rompu avec toute la mythologie économiciste et téchnophile qui remonte jusqu’à Marx, qui appartient à l’univers capitaliste (Cf. Rosanvallon par exemple dans Le capitalisme utopique sur le noyau commun des projets libéral et marxiste) dessinant une société future nécessairement meilleur et surtout paradisiaque, transparente et sans conflit. Mais surtout, au terme d’ « anticipation », nous préférons celui de projet : la question « quelle société est en train de se dessiner ? » ne peut aujourd’hui plus être confondue avec « quelle société voulons-nous ? ». Le marxisme ne nous semble toujours pas sorti de cette contradiction. Le débat sera serré à ce propos, nos aimables interlocuteurs s’arc-boutant sur une exégèse de la Critique du Programme de Gotha. Formuler ce qu’on veut est un pas crucial dans la recherche de ce qui, dans la société actuelle, pourrait aller dans le sens d’une autonomie collective et individuelle.

La question de la pénurie
Une critique du texte est formulée : on y retrouverait, dans la partie consacrée à la pénurie de pétrole esquissée au mois d’octobre, des accents primitivistes (de type « Pièces et Main d’Oeuvre ») où la débrouille est la source de la révolution et la rencontre sociale opérée à cette occasion serait une perspective paradisiaque.

Il est répondu que tout au contraire, l’horizon de frugalité qui est de toute façon le nôtre n’est en rien un paradis : les réflexes de gaspillage et d’opulence qui sont amené à disparaître sont profondément ancré, sans parler de la dépendance quasi toxicomaniaque à la consommation en tant que telle.

La réunion est close à 22h.

source: le site de lieux communs

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