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« The American Revolution – A propos du mouvement Black Lives Matter »

Sur le blog « Agitations »

« The American Revolution – A propos du mouvement Black Lives Matter »

« À la suite du texte de Tobi Haslett que nous avions traduit ici, nous poursuivons notre série sur les émeutes suite au meurtre de George Floyd dans le contexte de Black Lives Matter, avec une analyse (article original) basée sur une relecture de « La Révolution américaine » de l’activiste noir James Boggs.
L’auteur montre comment la race façonne les luttes de classe aux États-Unis depuis la période de la guerre civile jusqu’au mouvement BLM, en passant par les soulèvements et grèves sauvages dans les secteurs racialisés et non qualifiés des industries automobile et métallurgique après la Seconde Guerre mondiale.
Restituant la singularité irréductible tant de la distribution spatiale que de la composition socio-raciale de cette rébellion eu égard les émeutes à Ferguson et Baltimore en 2014, Smith propose de lire cette séquence comme une « rébellion multiraciale » et ce à deux niveaux : d’une part, d’un point de vue immanent, il contient à la fois des segments noirs et blancs de la classe ouvrière appauvrie et d’autre part, d’un point de vue extérieur, la classe moyenne noire qui, depuis l’après-guerre, a fait son entrée dans les conseils municipaux et les commissariats de police – « 21 des 50 plus grandes villes américaines ont des chefs de police noirs » – a participé à la pacification intégratrice de la révolte au nom de la représentation communautaire. Son concept de « blancheur » est une articulation convaincante et non réductionniste de la domination de classe et de race. »

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https://agitations.net/2021/12/06/3434/?fbclid=IwAR2JV6XJ0ZCKpNm9qG8CzAX1Eu0f9nd4w_6-HZvBHVEDbbcPPQv5XLn06PY

  1. yo
    22/01/2022 à 04:19 | #1

    L’autre mot pour « Leadership Noir » est autoritarisme

    /Après la manifestation, nous arrivons au commissariat du 3e à East Lake St et Minnehaha Ave. Des organisateurs et organisatrices de Black Lives Matter commencent à crier au megaphone à propos des revendications, avec quelques prières accompagnées de chants monotones. Je remarque quelqu’un s’approcher doucement derrière moi et commencer à mettre des coups de poing dans la vitrine. Inquiets qu’elle se brise, trois témoins de la scène commencent à le sermonner à voix basse « C’est pas le lieu pour ça, il faut que ça reste pacifique ! ». La personne rétorque doucement mais avec un ton de colère dans sa voix « C’est ça le problème, vous voulez jamais rien faire à part défiler et scander des slogans… ». Découragé, il commence à s’éloigner. « Je suis d’ton côté mec » je lui dis. « Cool – eux je les emmerde » il répond en s’éloignant. A peu près une minute plus tard, je perds patience à écouter le discours de Black Lives Matter sur la nécessité d’être pacifiques et je décide de retrouver le type de tout à l’heure. Je tourne au coin de la rue, derrière le commissariat et je remarque que ça s’agite. Un groupe de 5 à 7 personnes « noires » fait blocage devant la porte de derrière en verre du commissariat, en s’engueulant avec un groupe d’une vingtaine de jeunes « noirs » et « métisses » énervés – celui de tout à l’heure est parmi eux. Incapable de contenir ma propre frustration, je me retrouve moi aussi à m’engueuler avec celles et ceux qui défendent la police. Finalement, au milieu de la pagaille, deux jeunes « noir » et « métisse » se mettent à tagger « fuck 12 » [6] à proximité. Des applaudissements derrière moi s’élèvent de la foule qui a maintenant triplé de volume. Une bagarre éclate à côté des portes et puis une pierre percute la fenêtre du commissariat et elle est direct suivie d’une pluie de pierres, de cônes de chantier, de bouteilles d’eau, et de tout ce qui se trouve à portée de main. Le groupe de 5 à 7 pacifistes « noirs » crie désespérément pour faire arrêter la casse, allant jusqu’à essayer de retenir physiquement des gens, mais ils finissent par être dépassés. Ils essaient de ramasser les pierres qui ont été jetées, ce qui les conduit plusieurs fois à se battre. Des gens qui étaient devant le bâtiment accourent et se joignent à la casse. Finalement, après que chaque fenêtre a été brisée, la foule se dirige vers le parking du comico et commence à péter les bagnoles. Je fais une pause pour reprendre mon souffle quand j’entends une grenade assourdissante exploser. Des flics sortent par une autre porte et se mettent à tirer des balles de caoutchouc et du gaz lacrymo. La foule se disperse, non sans des rires de joie et de satisfaction. Le commissariat du troisième est en ruines – et je ne savais pas à ce moment-là que ce n’était que le début./

    Dès le lendemain, une plus grande foule de jeunes pour la plupart « noir » et « métisse » s’est pointée et a continué de faire la guerre au commissariat du 3e. Dans la nuit, un rayon de cinq kilomètres a été libéré du contrôle de la police par les gens dans ces rues. Ils s’étaient emparés du commissariat du 3e et l’occupaient. La police a complètement abandonné la zone. Leur bâtiment a été pillé et leurs voitures ont été déplacées dans la rue puis brûlées. Un Target [7] de l’autre coté du parking, ainsi que d’autres magasins dans la zone, ont été forcés et dévalisés. Les gens célébraient la victoire en tirant des coups de feu en l’air. Des inconnus chantaient et dansaient autour des voitures enflammées, /se checkaient/ en se croisant et se partageaient de la nourriture volée. Les gens papotaient devant les bâtiments enflammés comme si de rien n’était, pendant que d’autres jetaient des pierres à travers ce qui restait des vitrines des magasins pour s’entraîner à viser.

    Si ça semblait être une utopie parfaite, ça ne rompait pour autant pas avec la réalité. Des rixes ont éclaté entre des petits groupes de personnes et des conflits personnels de longue date ont été réglés dans les rues dépourvues de flics. Des gérants de magasins ont tiré sur des pilleurs, voire en ont tué et un bâtiment de logement sociaux a été incendié. Mais c’est la différence entre les idéologies politiques édulcorées des livres et la pure rage sans médiation. La révolte ne s’est pas déclenchée grâce aux enseignements de Mao ni grâce à des messages divins. Les incendies, les pillages et les attaques contre la police n’avaient pas besoin du marxisme, d’un exemplaire de l’/Insurrection/ qui vient ni d’un cours universitaire sur l’Histoire de l’anarchisme. Tout ce qu’il fallait, c’était l’expression chaotique de la rage envers les représentations de l’autorité.

    Comme prévu, beaucoup de gens sur Internet – y compris plusieurs personnes se disant anarchistes – se sont prononcées sur la situation – le plus souvent depuis une position idéologique qui valorise l’uniformité et un nombre réduit de formes « acceptables » de révolte. D’après mon vécu, les soulèvements comme celui-ci se développent le mieux lorsqu’ils sont le moins contrôlés ou organisés. Plus ces expressions de colère sont contrôlées et organisées, moins elles sont anarchiques – elles deviennent pacifiées principalement pour s’adapter à une vision politique particulière. Selon moi ce n’est pas souhaitable et c’est irréaliste. La destruction, c’est la destruction, la violence sera la violence, et s’attendre à autre chose d’un soulèvement est au mieux naïf. Même si certaines personnes peuvent rester en retrait et faire la morale quant à certaines tactiques ou formes d’expression émotionnelle, elles ne tiennent pas compte de la réalité selon laquelle la lutte ne porte en elle aucune morale. Les boutiques qui étaient barricadées et déclarées comme « appartenant à une personne noire » n’ont pas été épargnées par quelque considération morale qui soit ; elles aussi, elles ont été forcées et pillées, puis incendiées.

    Au cours des jours suivants, il y a eu des attaques contre le commissariat du 5e pendant que les progressistes, les pacifistes et les politiciennes de l’Identité revenaient pour venger leurs pertes et leur incapacité à contrôler la première révolte. Internet est alors devenu l’épicentre de l’une des pires campagnes de mensonge et de sensationnalisme que je n’ai jamais vu.

    Alors que les images victorieuses de bagnoles de flics et de comicos en feu venant de tout le pays circulaient sur Internet, les progressistes se pointaient sur les scènes dans une tentative autoritaire désespérée de revendiquer leur morale idéologique et leur programme politique. Ils insistaient sur un discours faisant de toute personne qui sabote un « suprémaciste blanc » ou un « policier en civil » qui infiltrait le soulèvement.

    Beaucoup de ces progressistes sont les mêmes personnes « noires » qui n’ont pas réussi à empêcher les rebelles « noires » et « métisses » de piller et de détruire. Elles n’ont pas réussi à convaincre toutes les personnes « blanches » de quitter les émeutes (parce que même certaines personnes « blanches » savaient que toutes les personnes « noires » ou « métisses » n’ont pas de problème avec leur présence – les considérant comme des complices). Et dans un effort pour préserver les valeurs capitalistes et réformistes, les progressistes de toutes les races ont cherché à faire cesser le pillage et le vandalisme en inondant les médias sociaux d’informations manifestement fausses. Ces fausses informations sont truffées d’expressions comme « agitateurs extérieurs » et « suprémacistes blancs » pour pousser émotionnellement les lecteurs et lectrices à choisir un camp au sein d’une fausse dichotomie. Et celles et ceux qui ne sont pas physiquement dans la rue ou ici avec les rebelles à se battre contre la police constituent le public cible de ces représentations étriquées et déformées de la réalité.

    Des motivations idéologiques différentes créent des interprétations différentes des évènements. Et puisque les progressistes et les pacifistes ont tendance à être plus présents sur les médias sociaux que celles et ceux qui sont trop occupées dehors dans la rue, ils ont un avantage. Et puisque les progressistes catégorisent moralement /toutes/ les personnes de couleur comme obéissantes, comme des héros victimistes, la plupart des gens ont du mal à admettre que des personnes de couleur /sont/ capables de détruire et de participer à des formes de protestations violentes. Ça joue aussi dans l’obsession à rendre les personnes « blanches » responsables des formes de rébellion considérées comme moralement indésirables. Toutes les émeutes/soulèvements ne sont pas belles et utopiques. Elles sont les éléments dangereux de la libération qui se produisent lorsque toutes les autres options ont échoué. Que les gens aient ou non peur de la violence ne changera rien au fait que la police tue et continuera de tuer tant que le concept de maintien de l’ordre existera. Selon moi, il n’y a pas à améliorer la police et il n’y a pas de « justice » à réclamer lorsque quelqu’un est déjà six pieds sous terre.

    Et puis les flics ne sont pas tous « blancs ». Il y a aussi des flics « noirs » qui tuent des personnes « noires ».

    Le pire, dans l’interprétation des événements qu’on peut retrouver sur Internet, est que les gens qui diffusent cette désinformation ne communiquent pas au monde la joie, les sourires, les chants et les danses de rebelles d’origines différentes lorsqu’ils célébraient la destruction du commissariat du 3e.

    Je veux dire, imagine-toi être une personne de couleur, harcelée par la police toute ta vie, et puis viennent un jour et une nuit où tu vois de tes yeux un commissariat en feu et la police qui déserte complètement la zone. Tout cela est effacé de l’Histoire lorsque les progressistes attribuent ces événements à un groupe de gens – les suprémacistes blancs – qui n’était pas présent lors des affrontements.

    A l’heure où j’écris ces lignes, il y a encore des gens qui diffusent des théories du complot sur Internet comme la célèbre vidéo « brick bait » [8] où l’on voit des flics qui déchargent des pavés (derrière leur propre bâtiment – et non dans une ruelle comme ça a été dit au départ). Je ne peux certes pas dire avec une certitude absolue qu’il n’y avait aucun suprémaciste blanc durant ces événements (en fait j’en ai vu certains passer dans leur pick-up en gueulant des trucs racistes ainsi que le type « métisse » qui a débarqué dans son camion en scandant des slogans pro-police et en agitant un drapeau confédéré) mais je suis sûre de ne pas en avoir vu dans les affrontements. J’ai vu des photos de personnes « noires » faire une chaîne pour protéger la police anti-émeute, des alliés blancs livrer d’autres « blancs » à la police au nom du soutien aux « noires », et finalement la police reprendre le contrôle et se servir de ces efforts de pacification pour frapper des manifestants /pacifiques/.

    (…)

    Flower Bomb
    – Extrait de “Nécrologie des politiques d’identité” (Texte original “An Obituary for Identity Politics” daté du 12 juin 2020)

    [6] NdT : signifie « Fuck the police ».

    [7] NdT : Target est une chaîne de grande distribution.

    [8] NdT : Cette expression étant difficilement traduisible en français, nous avons décidé de la laisser telle quelle. Il s’agit d’une théorie du complot selon laquelle des flics auraient mis à disposition des émeutiers des palettes entières de pavés.

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