A propos de “la relève de la garde”
Traductions de dndf des remarques critiques de TH et de Ady Amatia, membres du collectif Sic
Remarques sur « la relève de la garde »
1) L’insuffisance de la notion de négociation purement spectaculaire
– Si nous voulons poursuivre la compréhension machiavélique d’une négociation jouée, nous sommes incapables de comprendre ce que notre camarade décrit: “Et lorsqu’en mai Syriza est venu avec une proposition de quarante-sept pages déclarant officiellement sa volonté de continuer avec l’austérité, les négociations se sont effondrées après que les contre-propositions de l’Eurogroupe ont exigé de nouvelles réductions à un niveau jamais atteint dans les cinq dernières années d’austérité non négociée “. Si la poursuite de l’austérité en Grèce était le but, alors pourquoi cette proposition a-t-elle été rejetée? Syriza avait déjà capitulé, et ce fut tout simplement une proposition, le document de 47 pages pouvait en devenir un de 55 pages sans problème. Le Capital européen, et le Capital allemand en particulier, n’auraient même jamais pu rêver une telle chance d’appliquer l’austérité dans un pays ravagé avec un maximum de tolérance populaire.
2 La spécificité de la situation actuelle en Grèce
– Comprendre Syriza comme une autre Gauche destinée à faire le sale boulot comme d’habitude c’est sous-estimer à la fois la crise mondiale et la destruction de l’économie et de la société grecque. Bien sûr, un Jedi doit faire ce qu’un Jedi a à faire, et nous sommes en mesure de savoir une chose ou deux au sujet de tout gestionnaire d’un morceau du capitalisme mondial avec quelques traces de visage humain. Mais la critique radicale doit comprendre ce qui est nouveau, différent, spécifique, et comment tout cela tient dans la configuration inter et intra-classe locale et mondiale. Elle ne peut pas prendre le risque d’être comprise comme une dénonciation gauchiste habituelle.
3- Qu’est ce qui motive les différentes forces capitalistes dans leur attitude envers la Grèce ?
– En ces temps, la mondialisation ne garantit pas que tous les désaccords et chaque confrontation soient faux. Il ya une certaine histoire réelle qui se déroule, tout n’est pas mise en scène. La critique radicale ne peut pas accepter de se reposer sur les théories du complot, même si certains «complots» existent. L’histoire n’est pas le déploiement d’un script donné.
- L’explication par une cupidité allemande à récolter autant que possible et aussi rapidement que possible à partir d’une économie grecque écrasée est plutôt hors de la question. Tout le monde, y compris le FMI et tout économiste, même à distance respectable, savait dès le début que la dette grecque était insoutenable et ne serait jamais remboursée en totalité. Comme pour les actifs réels, les capitalistes allemands ou d’autres peuvent facilement obtenir ce qu’ils veulent en y mettant un prix décent.
- L’explication par la nécessité d’imposer la discipline allemande sur le reste de la zone euro est beaucoup plus plausible, mais il faut aussi voir ce que cela signifie. La leçon était déjà sévère, et la propagation sur les obligations italiennes, espagnoles, etc., était à craindre en cas de Grexit. L’Allemagne a-t-elle l’intention d’être plus généreuse dans un tel cas? Les tailles rendent ceci très relatif. Il ne fait aucun doute que l’Allemagne vise à imposer fermement sa domination en Europe. Cependant, il y a des preuves aussi fortes qu’elle a aussi méthodiquement poussé vers un Grexit. Ces derniers jours, il se révèle que Schäuble avait déjà proposé un Grexit consensuel au ministre grec des Finances en 2011, Venizelos, et que même après « l’agreekment », il continue de le faire. Un accord définitif n’est pas certain.
Une explication possible pourrait être que Syriza devait être complètement écrasée, de façon à bannir à jamais toute idée de dévier du seul et unique « pas d’alternative » allemand (allemand-européenne, mais disons allemand pour rendre les choses plus faciles). Cela est vrai, mais le scénario d’un «très bref passage dans le temps» pour une anti-austérité de gauche avait déjà été contrarié, comme Syriza conservait une immense popularité, beaucoup plus forte que leur score électoral. Pourquoi ne pas s’asseoir et regarder Syriza faiblir en appliquant l’austérité qu’il avait été élu pour combattre? Une réponse à cette question serait à chercher dans les imminentes élections espagnoles, mais l’acceptation de l’austérité par Syriza aurait été un signe suffisant pour tout gestionnaire anti-austérité espagnol du capitalisme.
La pression allemande pour un Grexit contient bien sûr un élément de propagande. Le plan de sauvetage, notamment, des banques allemandes et françaises exposées à la dette grecque par le biais de la dette publique de la Grèce en 2010, a présenté l’avantage de tout mettre sur le dos des grecs paresseux, et pas sur la spéculation financière. La même chose pourrait être dite à propos des risques de propagation à l’Europe du Sud ou sur la recapitalisation des banques en Europe du Nord (surtout allemande et suisse) à travers l’assèchement des dépôts d’Europe du Sud. Il est cependant à noter que la propagande n’est jamais l’élément décisif. Ce que l’Allemagne privilégiait, c’est une zone euro compacte sous sa domination (on m’a dit que récemment, il était beaucoup question en Allemagne d’une telle zone euro «compacte»). Ce qui signifie, entre autres, un euro plus fort que dans le cas d’une zone euro plus souple. Il ya quelques années, les employeurs allemands ont poussé des cris d’alarme quand l’euro augmentait par rapport au dollar. Cette année, leur association s’est déclarée en faveur d’un Grexit. La question de base n’est plus un euro faible pour stimuler les exportations allemandes. Un euro fort et stable semble être plus souhaitable. Cela rend moins cher les actifs réels dans les pays en difficulté (La Grèce aujourd’hui, demain l’Italie, l’Espagne, et ainsi de suite). Mais cela signifie aussi un renforcement de la position de l’euro en tant que monnaie de réserve internationale. Celui qui contrôle cela peut attirer les placements financiers de partout dans le monde, payer les obligations à des taux d’intérêt faibles voire négatifs et, si besoin, créer de l’argent à volonté pour dominer le monde et imposer une grande partie de la dévalorisation du capital mondial sur les autres. Pas mal, sauf qu’il y a un conçurent.
Comment expliquer éventuellement les interventions répétées et continues de l’administration américaine en faveur d’une certaine indulgence allemande pour une Grèce géré par le gouvernement de Syriza? Ce fut une surprise pour tout le monde en Grèce, et le vice-Premier ministre grec Dragasakis a admis hier qu’il n’y aurait probablement pas eu d’accord sans la pression américaine. Cela semble également bien cadrer avec une attitude plus audacieuse que jamais de la France et de l’Italie au cours de la dernière semaine cruciale de négociations (pour ne pas mentionner la volte face spectaculaire de Sarkozy en seulement une semaine, d’un « Grexit, oui, absolument », à un « Grexit, pas question »). Une explication de l’attitude américaine, popularisée par les médias, est la géopolitique. Vrai, mais les États-Unis auraient simplement insisté sur la poursuite de l’adhésion de la Grèce dans l’UE et l’OTAN et pas beaucoup plus sur la zone euro. Une autre explication, c’est la nervosité américaine à propos de l’éclatement de la bulle financière. Vrai également, mais cela ne suffit pas en soi. D’une part, le problème grec était connu de tous et en promotion dans les marchés au jour le jour. Ce n’est en généralement pas la façon dont les bulles éclatent. D’autre part, la taille financière du problème grec était assez grande, mais pas beaucoup par rapport à une situation similaire, disons, en Italie, pour ne pas mentionner la taille colossale du marché mondial des produits dérivés. Je pense que l’on doit tenir compte de ce que je disais à propos de monnaies de réserve internationales. Il est improbable que les Etats-Unis ne combattraient pas l’émergence d’une Europe compacte sous contrôle allemand.
- 4. Comment les relations de classes sont elles reconfigurées au niveau politique et idéologique ?
– Quelle est la masse derrière Syriza en Grèce, au moins jusqu’à l’accord? Un aperçu sociologique ne le dira pas, alors que les remarques de Zach sur les formes concrètes de la décomposition de l’identité ouvrière sont plus que pertinentes. La Grèce n’est évidemment pas représentative de la situation dans d’autres pays, mais, étant un cas extrême d’un ex-pays avancé ravagé, il est utile de montrer la forme que prendra l’avenir. Le discours partisan a été érodé comme jamais. Vous pouvez parler à presque tout le monde, y compris les électeurs de droite traditionnels, à propos de presque tout. Vous pouvez presque parler à un fonctionnaire un travailleur (salarié, demi salarié, non rémunéré, sous payé ou au chômage), un pensionné, ou un commerçant, tous unis par le sentiment d’une situation commune, d’une précarité commun, d’une ruine commune. Les voix sont faibles, les visages sont graves, il ya beaucoup de discussions, de la confusion, de la schizophrénie, du désespoir, et beaucoup, beaucoup de colère. Le résultat surprenant du référendum avait peu à voir avec l’espoir ou la conviction; il était essentiellement la colère contre la peur et la colère dominait largement. “Les salauds ruinent nos vies, on ne va pas dire merci”.
Je suis sérieusement tenté d’appeler cela un méta-peuple. Peu à voir avec ce que nous avons l’habitude d’appeler «peuple», petites existences avec une petite survie, peu à voir avec le citoyennisme, avec l’affirmation de droits; tout est une question de survie, une communauté de détresse, une colère contre les corrompus, les pilleurs de la richesse publique, les ploutocrates qui échappent à l’impôt, et ainsi de suite. Il est impossible de prévoir quoi que ce soit, notamment en raison de la mondialisation réelle dans la machine à broyer méga-capitaliste. Cependant, je ne peux cesser de penser à ce méta-peuple comme la possible préfiguration du prolétariat à venir: pas en soi, pas pour lui-même, mais contre «eux».
TH
16 juillet 2015
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Quelques réflexions sur le texte de Cognord et la réaction de TH
[…] Comment un «peuple» peut-il éviter d’être nationaliste et citoyenniste? Je n’étais pas en Grèce au cours des dernières années et ne suis donc pas en mesure de savoir clairement ce que tu veux dire.11) En revenant, j’ai remarqué beaucoup de misère, une mauvaise santé physique et mentale et bien sûr la colère, qui est, cependant, très souvent mal dirigée (racisme, tentatives désespérées pour se remettre de l’«humiliation nationale») … Qu’est-ce qui a changé dans les discours «populaires» depuis « les places »? Voilà une question très intéressante et je voudrais en savoir plus.
Quelques réflexions supplémentaires:
Après avoir lu les textes de Cognord, ainsi que sa réponse à TH, je pense que la réaffirmation de son approche (exposer les incohérences ou les manipulations de Syriza) clarifie ce qui me pose problème. Alors que ses textes soulignent les incohérences qui devraient alarmer tout « croyant », je sens que cette approche réduit les choses au niveau des personnalités et de la prise de décision. Tsipras a dit cela, Varoufakis a dit X et fait Y, ils ont cédé et ne sont pas fidèles à leur programme, ils voulaient mettre en œuvre des réformes de toute façon. Mais pourquoi l’ont-ils fait? Les choses aurait-elles pu être différentes si Syriza défendait vraiment les intérêts des travailleurs? Il y a certaines limites, une fois que les radicaux autoproclamés se retrouvent à la tête de l’Etat, et ce sont les limites de la reproduction capitaliste. Non pas parce que la personnalité des gens serait corrompue par le pouvoir, mais parce que l’État joue ce rôle très spécifique. Par exemple: l’Etat doit gérer le système des retraites ; quand il n’y a pas de fonds parce qu’ils ont été dépensés en coupes et dettes, et comme le chômage est à 30%, alors ils décident de relever l’âge de départ en retraite. Peut-être que certains le pensaient Syriza allait faire de la Grèce un Cuba ou imprimer de l’argent sans réserves. L’aile gauche de Syriza voulait en effet que la Grèce devienne une espèce de Cuba. Mais est-ce cela aurait rendu la vie plus facile pour les prolétaires ou encore plus désastreuse? Je suis sûr de ne pas dire quelque chose de nouveau ici que Cognord n’aurait pas pensé, alors, quel est le but de cette critique? Quelles sont ses implications et quelles conclusions en tire-t-il? Je sens que Cognord est plus irrité par les politiciens de Syriza que par le fait qu’il est maintenant plus clair que jamais que la souffrance des travailleurs, des chômeurs, des retraités les plus pauvres de la Grèce n’a aucun espoir de s’apaiser, même légèrement, indépendamment de ce que toute politicien grec peut faire, et aussi, ce qui est pire, indépendamment de combien ils luttent. Oui, nous savions que les revendications étaient asystémiques, mais je pense que les choses sont encore pires. Même les revendications les plus défensives et modestes sont asystémiques, ce qui signifie une implacable et très rapide aggravation de la vie, dont l’ampleur est sans précédent. Nous avons imaginé la communisation comme destructrice, mais maintenant il semble que même la moindre lutte a un scénario de «terre brûlée» suspendue au-dessus de sa tête.
Il ya aussi une inexactitude, dans le paragraphe introductif du texte récent de Cognord avec la référence au programme « keynésien minimal»: Lapavitsas, un député Syriza, a appelé le programme de Syriza «keynésianisme léger» bien avant les élections (voir son interview à la BBC). Il est assez clair que Syriza est un parti inconsistant de toute façon, mais je ne pense pas que cela aide l’analyse de les représenter tous comme des cyniques égoïstes qui étaient de connivence avec les politiciens EZ dans le but d’imposer plus d’austérité. Cela n’est pas parce que je suis convaincu qu’ils sont de bonnes personnes, mais parce qu’une analyse ad hominem suggère que, s’ils étaient plus honnêtes de meilleures choses adviendraient. Mais ce n’est manifestement pas le cas. S’ils étaient plus honnêtes, ils devraient soit ne pas avoir pris le pouvoir du tout, soit tout simplement démissionner parce que leur programme est impossible, et Samaras serait de retour au pouvoir. C’étaient les options. Vous pouvez m’appeler «réformiste», mais je ne voudrais pas un retour du gouvernement ND, au moins jusqu’à que Syriza parvienne à devenir absolument identique à lui, à savoir un gouvernement de racistes virulents. Et je pense que l’adoption de lois qui accordent la citoyenneté à la 2ème génération d’immigrés et le partenariat civil pour les couples homosexuels peut avoir une importance pratique et symbolique, même maigre et limitée, pour ces groupes dans un contexte où le racisme et l’homophobie, y compris l’échelle des abus, ont été à la hausse. Oui, toutes les options sont vraiment sombres, mais certaines sont carrément infernales. Voilà pourquoi je ne vois aucune raison d’applaudir ou de vilipender Syriza.
La vraie question est, à mon avis, quelles sont les options maintenant, pour la lutte de classe en Grèce? Parce qu’il est maintenant clair que quelle que soit l’importance des luttes, elles seront écrasées par une combinaison de lourdeur policière et de chantage, ce qui était déjà le cas, mais maintenant tout devient beaucoup plus flagrant. Il est facile de voter «non», mais l’effondrement économique total est effrayant dans la réalité, et pas seulement pour ceux au pouvoir. La réponse à l’absence d’argent est le pillage de masse, bien sûr, mais cela peut-il vraiment aller plus loin, surtout s’il n’a lieu que dans un seul pays? Nous avons vu encore et encore comment l’ordre social est rétabli rapidement et violemment après de telles révoltes. L’autre réponse à un manque d’argent est l’alternative monétaire et l’économie solidaire alternative. Nous connaissons les limites de celles-ci aussi. La chose la plus déprimante pour moi est le manque de mobilisations importantes partout ailleurs en Europe à l’exception de l’Espagne (et ceux-ci sous la bannière Podemos, ce qui pourrait signifier qu’ils sont sur le point d’être affaibli).
Ady Amatia
17 Juillet 2015
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