Un milliard d’affamés dans le monde
Dans certains pays, le prix des produits de base continue à augmenter. Le pouvoir d’achat de la population, lui, est en baisse.
L ’image qui décrit le mieux la crise alimentaire de l’année dernière est celle d’un tsunami dévastateur. Aujourd’hui, la situation fait davantage penser à la montée, lente mais inexorable, d’une marée qui emporte un nombre croissant d’individus venus grossir la foule des populations sous-alimentées. [print_link]
Quasiment occultée par la crise économique, la conjugaison d’un ralentissement de la croissance, d’une hausse du chômage et d’une baisse des transferts d’argent effectués par les émigrés, le tout accompagné de prix alimentaires élevés, a fait passer pour la première fois le nombre de ceux qui ont chroniquement faim à plus de 1 milliard de personnes. La tendance s’est ainsi inversée par rapport au déclin, enregistré depuis un quart de siècle, de la proportion des sous-alimentés dans la population mondiale. “Nous ne sommes pas près de surmonter la crise alimentaire”, déplore Josette Sheeran, chef du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies à Rome, qui a besoin d’environ 6 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) cette année pour nourrir les plus démunis, soit une hausse de 20 % par rapport au record établi l’année dernière (5 milliards de dollars). “La flambée des prix en 2008 continue à faire sentir ses effets. De plus, les pays voient leurs revenus amputés par la crise financière internationale”, ajoute-t-elle, se faisant l’écho des craintes exprimées par de nombreux autres spécialistes interrogés par le Financial Times. Les migrants quittent en masse les villes et retournent à la campagne, ce qui intensifie la pression, met en garde Kanayo Nwanze, le nouveau président du Fonds international de développement agricole (FIDA) des Nations unies. “Il y aura des bouches supplémentaires à nourrir avec peu ou pas de nourriture.”
La crise s’étend au-delà de l’Afrique, alors que la récession économique aggrave l’impact de la hausse des prix. Des pays qui n’ont guère connu de problème alimentaire depuis près de vingt ans, comme le Kirghizistan, demandent maintenant de l’aide. Et le pire est encore à venir. Car l’aggravation de la récession pèse clairement sur le pouvoir d’achat, et les prix des denrées alimentaires restent élevés. Robert Paarlberg, un expert en agriculture respecté qui enseigne les sciences politiques au Wellesley College, aux Etats-Unis [dans le Massachusetts], se dit même “plus préoccupé par la faim dans le contexte actuel de crise économique qu’au plus fort de l’envolée des prix alimentaires durant l’été 2008”. Peter Brabeck, président du géant de l’agroalimentaire suisse Nestlé, estime lui aussi que la situation est en train d’empirer. “Il ne faut pas oublier que les produits alimentaires sont en ce moment 60 % plus chers qu’ils ne l’étaient il y a seulement dix-huit mois. Cela signifie que les personnes qui consacrent 60 ou 70 % de leurs revenus disponibles à la nourriture ont été très durement touchées”, commente-t-il.
Les récoltes devraient diminuer cette année
Certes, les prix des produits agricoles ont fortement chuté depuis les sommets atteints l’année dernière. Ceux des denrées de base comme le maïs, le blé et le riz ont été pratiquement divisés par deux. Mais ils ne font que revenir à leur niveau de la mi-2007, souligne Allan Buckwell, professeur émérite d’économie agricole à l’Imperial College, à Londres. “Les prix des produits alimentaires n’ont pas fléchi au même rythme que ceux d’autres matières premières comme le pétrole”, note-t-il. Ils se situent bien au-dessus de leur moyenne décennale, certains produits valant encore deux fois plus cher que pendant la période 1998-2008.
Par exemple, le riz thaïlandais, qui sert de référence mondiale, se négocie actuellement à 614 dollars la tonne [467 euros], soit le double de sa moyenne sur dix ans (290 dollars). En outre, dans de nombreux pays en développement, en particulier en Afrique subsaharienne, les prix intérieurs n’ont pas du tout reflué. Dans certains cas, ils remontent même, conséquence d’une mauvaise récolte et du manque de crédits pour les importations. “Les prix augmentent localement, ajoute Josette Sheeran. Ils ont par exemple doublé l’année dernière au Malawi pour le maïs, tandis qu’en Afghanistan le blé a augmenté de 67 %.”
Plus grave encore, partout dans le monde, les paysans ensemencent moins de terres arables, ce qui aura comme conséquence de faire chuter la récolte de cette année – et poussera sans doute les prix à la hausse, même si la demande reste faible en raison de la crise économique. Aux Etats-Unis, premier exportateur mondial de produits agricoles, les agriculteurs devraient mettre un terme à cinq années consécutives d’extension des surfaces cultivées, en réduisant leur superficie de près de 3 millions d’hectares – la plus forte baisse enregistrée depuis vingt ans. Ailleurs, il est à craindre que les paysans en mal de liquidités, notamment dans les greniers à blé de la planète, comme l’Ukraine, l’Argentine et le Brésil, utiliseront moins d’engrais et de semences hybrides à rendement élevé [qui coûtent cher], ce qui réduira d’autant la production.
Les responsables de l’aide alimentaire et de l’agriculture – mais aussi les industriels de l’agroalimentaire – redoutent maintenant que des conditions météorologiques particulièrement mauvaises ne portent un coup à la prochaine récolte, et ne provoquent par là même une véritable catastrophe. Alors que les stocks n’ont jamais été aussi bas depuis des années, les tensions sur les prix seraient telles qu’une autre crise viendrait s’ajouter à la récession économique.
16.04.2009 Financial Times
Les derniers commentaires