“Tottenham-Clichy, les révoltés du “no future” “(édito du Monde)
“Soyons fair-play ! En novembre 2005, lorsque les banlieues de la région parisienne et de nombreuses villes françaises avaient été balayées par plusieurs nuits d’émeutes spectaculaires, les médias anglo-saxons s’étaient montrés mi-compatissants, mi-narquois. Ils avaient volontiers souligné l’impasse de “ghettos” français qui s’embrasaient pour mieux faire ressortir les mérites du modèle britannique de mixité urbaine et sociale.
Alors que de nombreux quartiers de Londres, Manchester, Birmingham ou Liverpool émergent, hébétés, de quatre jours d’une comparable tornade de violences, on ne leur rendra pas la pareille. Tant cette explosion subite peut nous sembler, malheureusement, familière.
Certes, les singularités britanniques sautent aux yeux. Chacun l’a noté, en effet : les pires saccages de ces derniers jours ont eu lieu non pas dans les banlieues les plus déshéritées, comme en France il y a six ans, mais dans ces quartiers “mixtes” qui sont la norme à Londres et où se côtoient des communautés sociales et ethniques très diverses. Tout se passe comme si le creusement, parfois vertigineux, des inégalités sociales avait cruellement mis à nu les limites de cette cohabitation.
L’impuissance initiale de la police anglaise peut également surprendre des Français habitués à voir des forces de l’ordre constamment en alerte – et équipées en conséquence – pour prévenir et surtout contenir de telles explosions. Mais il est certain que la tâche est moins délicate quand les foyers d’incendie sont cantonnés à l’extérieur des centres-villes que lorsqu’ils y sont disséminés.
Enfin, il ne fait pas de doute que la crise économique de ces dernières années et la réponse qu’y a apporté le gouvernement de David Cameron depuis 2010 en taillant drastiquement dans les budgets sociaux n’ont pu qu’exacerber les risques de révolte.
Mais, au-delà de ces particularités, le ressort profond des émeutes au Royaume-Uni est bien le même qu’en France en 2005. Dans les deux cas, c’est la révolte des laissés-pour-compte d’une société qui ne sait plus leur offrir une place et un avenir. En particulier des jeunes, en rupture d’école, de famille, de valeurs et dont l’horizon est, de plus en plus massivement, celui du chômage, de l’inactivité et de la délinquance. Déshérités et frustrés, ils n’ont, en réalité, rien à perdre.
Dans les deux cas, la colère, la provocation et l’opportunisme font de la police la première cible, et des magasins à piller la seconde. Surtout quand, en Grande-Bretagne comme en France en 2005, les responsables politiques ont placé la défense de la loi et de l’ordre au premier rang de leurs priorités – ou de leur rhétorique.
Dans les deux cas, enfin, qu’il s’agisse du gouvernement Villepin-Sarkozy en 2005 ou du gouvernement Cameron en 2011, la réaction dominante est de ramener les émeutes à des problèmes de délinquance. C’est légitime, évidemment, dès lors que la sûreté est la première des libertés. Mais ce réflexe conduit trop facilement au déni des racines profondes du mal.”
Article paru dans l’édition du 12.08.11″ le monde”
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