Accueil > Nouvelles du monde > Chine : le ras-le-bol ouvrier

Chine : le ras-le-bol ouvrier

Faibles salaires, conditions harassantes… Les conflits sociaux se multiplient dans des usines où la production est touchée par le ralentissement de la demande européenne et américaine.

Dans une maison de thé de la banlieue est de Shanghai, Chen Ling, ouvrière en grève, parle au téléphone avec l’une de ses collègues : « Tu veux renoncer ? » demande-t-elle. Voilà une semaine qu’un millier de salariés ont cessé le travail dans l’usine du groupe Hi-P, un sous-traitant qui fabrique des pièces en plastique et des composants électroniques pour Apple, entre autres. Emmitouflés dans leurs manteaux d’hiver, les grévistes campent toute la journée devant les grilles de l’usine. Quelques-uns ont été arrêtés la veille par la police, et sont toujours en détention.

Les dirigeants de l’entreprise veulent déménager les chaînes de production vers un district éloigné, ce qui entraînerait trois heures supplémentaires de transport par jour. Impensable pour ces ouvriers qui travaillent douze heures quotidiennes sur les lignes d’assemblage, et bénéficient de trois ou quatre jours de repos par mois.

Pour eux, cette histoire de déménagement équivaut à un licenciement sans indemnités. « Pour moi qui ai 33 ans, confie Chen Ling, il sera difficile de trouver un emploi ailleurs. » Chaque semaine, avec une collègue, elle alterne le travail de nuit et celui de jour : « Le passage de l’un à l’autre est épuisant. » Elle se sent piégée. Par son employeur, bien sûr, mais aussi par la police, qui l’a détenue pendant douze heures pour avoir « troublé l’ordre public » du fait de sa présence sur le trottoir, devant l’entrée de l’usine.

À l’intérieur des terres, une main-d’œuvre bon marché

Les grèves se multiplient en Chine. L’année dernière, déjà, un mouvement sur les chaînes d’assemblage de Honda avait mis en lumière le malaise ouvrier. À la même époque, une série de 14 suicides sur son gigantesque complexe de Shenzhen (sud) a poussé Foxconn, un autre sous-traitant d’Apple, notamment, à réévaluer la paie de ses employés de 50 % et à installer des filets sur les toits de ses bâtiments.

Largement commentés sur Internet, ces événements ont provoqué une onde de choc : un an et demi plus tard, les salaires ont augmenté de 15 à 20 % selon les régions. Mais les bénéfices de cette hausse sont amputés par la progression des prix, qui a fait les gros titres de l’actualité pendant toute l’année. Plus que jamais, les entreprises sont tentées de délocaliser leurs usines vers des régions à l’intérieur des terres, où la main-d’œuvre demeure bon marché.

Le mécontentement social reprend de plus belle depuis quelques mois, alors que les gains des industriels sont affectés par le ralentissement de la demande en Europe et aux États-Unis. À Dongguan, dans le très industriel delta de la rivière des Perles, les ouvriers d’un fabricant de chaussures ont obtenu de leur patron qu’il leur garantisse un nombre suffisant d’heures supplémentaires pour compenser un salaire de base particulièrement faible. Fin novembre, plusieurs centaines d’ouvriers ont organisé un sit-in à l’entrée d’une usine du Sichuan (centre) en cours de privatisation et dont la distribution d’actions était jugée inéquitable. À Jinhua, au sud de Shanghai, une centaine d’ouvriers de Tesco protestaient au même moment contre la suppression annoncée de leurs emplois. « Il y a presque une grève par jour, résume Liu Kaiming, un activiste du droit du travail et de la responsabilité sociale des entreprises. Les salaires ont certes progressé mais le coût de la vie aussi ; au bout du compte, il est toujours nécessaire de manger à la cantine, de vivre au dortoir et d’accumuler les heures supplémentaires pour joindre les deux bouts. »

Les heures supplémentaires n’en finissent jamais

Le cas de Chen Ling est parlant. Si elle gagne environ 4000 yuans par mois, soit 480 euros, son salaire proprement dit n’est que de 1280 yuans, le minimum fixe imposé à Shanghai pour une semaine de quarante heures. Plus des deux tiers de ses revenus (2720 yuans) proviennent des fameuses heures supplémentaires, qui n’en finissent jamais. Or c’est la promesse des 4000 yuans mensuels qui les a décidés, elle et son époux, à quitter la province rurale de l’Anhui, il y a quatre ans. Attirés par les lumières de la ville, ils ont laissé leur fille, aujourd’hui âgée de 7 ans, à la belle-mère de Chen Ling, souffrante. La mère et sa fille ne se voient qu’une fois par an, pendant deux semaines : « Lorsque j’ai des soucis au boulot, je pense encore plus fort à elle », confie l’ouvrière.

L’idée de faire grève est venue aux ouvriers de Hi-P en observant un mouvement lancé l’été dernier par les mécontents d’une autre usine du quartier. D’un naturel peu vindicatif, voilà l’ouvrière Chen révoltée : « La police aide les patrons mais nous, elle nous arrête. Les grévistes abandonnent, ils pensent que personne ne les soutiendra », constate-t-elle, impuissante. Puis elle soulève la question sensible entre toutes, au pays du Parti « communiste » : « Pourquoi le gouvernement n’aide-t-il pas les ouvriers ? » Réputés pour leur docilité et leur capacité à ravaler leur peine et leur salive, les ouvriers chinois se rebiffent, d’autant qu’ils sont mieux informés grâce à Internet. À l’usine Hi-P, certains disposent désormais d’un smartphone et se renseignent sur leurs droits grâce à Baidu, le grand moteur de recherche chinois, pendant leurs heures de repos.

Quant à la réaction du gouvernement, elle varie selon les provinces. Les autorités de la province atelier du monde, le Guangdong, dans le sud-est du pays, essaient d’encourager la négociation entre patronat et ouvriers, afin d’éviter que les conflits fassent tâche d’huile. Autour de Shanghai, en revanche, la répression est plus fréquente.

Des organisations officielles, simples relais du pouvoir

Dans ce pays où les syndicats indépendants sont interdits, les organisations officielles sont de simples relais du pouvoir. « Je ne sais pas trop qui sont les représentants syndicaux, indique Chen Ling, mais ils sont du côté de la direction. » Elle a bien constaté cependant qu’une cotisation mensuelle obligatoire de 10 yuans était prélevée sur sa paie… Les grèves, dans ces conditions, ne sont pas toujours victorieuses. La plupart des ouvriers abandonnent le combat après un ultimatum du patron. Chen Ling s’apprête à rentrer chez elle, dans l’Anhui. Déçue et sans indemnisation.

Leur presse (Arthur Henry, L’Express), 21 décembre 2011.

Posted in Les luttes de classe en Chine | Tagged Guangdong, Haimen, Wukan | Leave a comment

Categories: Nouvelles du monde Tags:
  1. Pas encore de commentaire
  1. Pas encore de trackbacks

%d blogueurs aiment cette page :