Présentation de la revue SIC à Athènes
Traduction de la présentation faite à Athènes par un camarade de Blaumachen lors de la soirée consacrée à SIC à Athènes et distribuée à Paris.
Éléments communs dans l’élaboration théorique effectuée par les participants au projet SIC
La théorie de l’abolition du capital comme théorie de la production du communisme et communisation.
Dans le cours de ses luttes revendicatives le prolétariat s’attaquera concrètement aux moyens de production en tant que tels, c’est-à-dire à leur rôle de moyens de production (comme le font par exemple les ouvriers au Bangladesh au même moment qu’ils revendiquent leur salaire; on peut s’imaginer la généralisation d’une telle situation). Si la révolution continue comme une réaction en chaîne, comme révolution dans la révolution, cette attaque mènera à l’abolition des moyens de production comme valeur, à leur décapitalisation.
C’est l’attaque des banques, où les prolétaires possèdent des comptes avec leur argent, qui va inévitablement poser la question de comment sera une vie sans argent; il ne s’agira pas d’une décision d’abolir l’argent.
L’attaque des commissariats va poser la question de l’armement de la révolution afin qu’elle puisse faire face aux conséquences de ses actes.
L’occupation des réseaux des télécommunications ou de transport va poser la question de la communication des insurgés ou du blocage de la communication entre les forces de répression.
L’attaque des magasins et le pillage des marchandises va poser la question de l’absence d’échange et de distribution à un niveau primaire, pour un laps de temps qui sera petit mais critique.
La continuation de la lutte dans l’espace public, l’impossibilité du retour à la maison, va mettre en question la distinction entre sphère privée et publique et va poser la question du genre.
L’occupation des lieux de production, et la destruction de certains d’entre eux, va poser la question de comment sera reproduite la vie dans son ensemble. La révolution ne pourra avancer que si les insurgés qui communisent entraînent (bien sûr, à travers un processus conflictuel) une grande partie de la société dans l’application de mesures communistes. Et plus important encore : ce n’est que si tout cela se passe ensemble et pas séparément, si tout cela se passe en parallèle et sur plusieurs fronts, non depuis un centre, qu’il y aura la révolution comme communisation.
Dit autrement : dans le cours de la lutte révolutionnaire, l’abolition de l’État, de l’échange, de la division du travail, de toute forme de propriété, l’extension de la gratuité comme unification de l’activité humaine, c’est-à-dire l’abolition des classes, des sphères privée et publique, sont des « mesures » abolissant le capital, imposées par les nécessités mêmes de la lutte contre la classe capitaliste. L’abolition du capital, c’est-à-dire la révolution et la production du communisme, est immédiatement abolition des classes et donc du prolétariat, dans la communisation de la société qui est ainsi abolie comme communauté séparée de ses membres. Les prolétaires abolissent le capital en produisant contre lui une communauté immédiate à ses membres, ils transforment leurs rapports sociaux en relations immédiates entre individus. Relations entre individus singuliers qui ne sont plus chacun l’incarnation d’une catégorie sociale, y compris les catégories supposées naturelles comme les sexes sociaux de femme et d’homme. La pratique révolutionnaire est la coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou auto-changement.
Affirmer que la révolution est communisation signifie qu’elle n’a pas le communisme seulement comme projet et résultat, mais avant tout comme contenu.
On n’abolit pas le capital pour le communisme mais par le communisme, plus précisément par sa production. Les mesures communistes ne sont pas des embryons de communisme, elles sont sa production. La communisation n’est pas une période de transition, c’est la révolution; la communisation n’est que la production communiste du communisme. La lutte contre le capital est bien ce qui différencie les mesures communistes du communisme.
Historicité du contenu de la révolution et du communisme.
La révolution n’a pas toujours été communisation. Cela pourrait paraître comme une tautologie mais il faudra bien le répéter : le capital est une contradiction en procès, et les restructurations du mode de production capitaliste, en tant que contre-révolutions, effectuent aussi une restructuration du contenu du communisme. On pourrait se demander : pourquoi cela n’arrive qu’aujourd’hui? Les révolutions passées n’étaient-elles pas communistes? Sans aucune hésitation, la réponse est si, elles étaient communistes, mais avec un contenu différent. C’est le contenu du communisme qui change, parce que le communisme est le mouvement vivant qui est produit par le présent historique de la contradiction du capital; il n’est pas un état de choses connu d’avance qui devrait s’établir, un idéal auquel la réalité devrait s’adapter. Le fait que la révolution en 1917, en 1936 et, de façon plus contradictoire, même en 1968 avait en son centre l’identité ouvrière, avait comme but le triomphe de la classe ouvrière, l’emprise des ouvriers sur la société et pas son abolition en tant que telle, le fait que leur révolution consistait en l’édification de leur État ou de leurs conseils ouvriers, donc en la gestion de la production par les ouvriers en tant que classe, tout cela ne fut pas une sorte d’erreur des ouvriers. Il s’agissait de la révolution de leur époque, c’est cela qui se produisait alors comme abolition du capital, il ne pouvait pas y en avoir d’autre. Et cette révolution-là fut vaincue.
Pourquoi de nos jours la révolution produite historiquement a-t-elle le contenu concret de la communisation?
SIC explique comment ce contenu est produit par le développement de la lutte de classe dans le capitalisme restructuré. Il accepte donc qu’il y a eu une restructuration de la lutte des classes avec la crise du fordisme/ keynésianisme et qu’un nouveau cycle de luttes a commencé. Ce que fait SIC c’est chercher comment la révolution est produite dans ce cycle de luttes, c’est-à-dire comment elle s’annonce dans les luttes actuelles comme dépassement de leurs limites, comment la forme actuelle des luttes produit ce contenu et pourquoi ce contenu prend cette forme pendant le processus de sa production.
D’après SIC il y a quelques caractéristiques fondamentales du cycle de luttes actuel, lesquelles s’intensifient au fur et à mesure. Une d’entre elles est la décomposition, jusqu’au point de la disparition pure et simple, de l’identité ouvrière. Il n’y a aucune perspective sur la base d’une quelconque identité ouvrière. Pourtant, cela constitue une dynamique révolutionnaire des luttes actuelles, permettant au refus radical de la condition prolétarienne contre le capital de se manifester à de nombreuses occasions (luttes sans revendications ainsi que luttes revendicatives qui se muent en affrontements violents sans aucune perspective de compromis).
SIC accepte que la communisation s’annonce dans les luttes menées aujourd’hui en tant que dépassement de leurs limites, que la lutte du prolétariat en tant que classe est en même temps la limite de la lutte de classe.
Ou encore, vu sous un autre angle, que la reproduction du mode de production capitaliste devient une question de contrainte, de discipline (l’appartenance de classe comme contrainte extérieure). Les limites du mouvement sont saisies comme intrinsèques, comme éléments de sa définition même. La limite n’est pas simplement quelque chose qui encadre le mouvement, une frontière que le mouvement n’a pas traversée. La limite est saisie comme un élément de la définition de ce qu’il contient, c’est-à-dire du mouvement même. Les limites ne sont pas circonstancielles, jusqu’ici la force du mouvement est en même temps sa limite. (Par exemple, la force des émeutes en Grèce-Angleterre-France : on lutte contre tout ce qui fait de nous des membres de cette société et ainsi nos pratiques se séparent des pratiques du reste du prolétariat. Cette non-extension des pratiques constitue la définition de leur force et en même temps leur limite).
Dans cette problématique de la révolution en tant que dépassement des limites de la lutte de classe actuelle, c’est-à-dire du dépassement de cette dernière en tant que lutte de classe, le prolétariat trouve dans sa définition sociale même la limite qu’il doit dépasse.
Les prolétaires n’ont pas en tant qu’individus un rôle qui leur serait imposé et qui réprime leur nature prolétarienne-humaine. En faisant la révolution, le prolétariat se détruit en tant que tel. En conséquence de cette conception de la révolution, les participants à SIC partagent aussi la critique à la conception de la révolution comme constitution d’une “ communauté prolétarienne ”, le plus souvent présentée de concert avec une bonne dose d’humanisme.
Enfin, pour toutes ces raisons, les participants à SIC pensent que la révolution contemporaine ne pourrait être une quelconque forme de pouvoir ouvrier ou de gestion ouvrière stable (abolition de l’État et création de conseils ouvriers ou autogestion), ou encore de collectivisation. La communisation ne sera pas une réappropriation des capitaux individuels par les prolétaires. Les prolétaires ne se réapproprient rien, ils ne se réapproprient pas les moyens de production : ils les changent et ils cassent la séparation entra production et reproduction. La communisation n’est pas une lutte pour la réappropriation des “ commons ”. En plus, il n’y a pas aujourd’hui de structures de communisation : les occupations, les locaux comme celui-ci [un local autonome à Athènes], sont des centres de lutte très importants, et leur importance ira en s’accroissant avec le développement de la crise; mais ils ne sont pas de petits territoires communisés qui seraient appelés à s’étendre et qui, avec la révolution, deviendraient tout.
Des questions ouvertes pour les participants à SIC, celles qu’ils débattent entre eux et sur lesquelles se focalise leur critique
La périodisation du mode de production capitaliste et sa signification.
L’analyse du rapport social de genres dans la problématique des luttes de classe actuelles et de la communisation.
La délégitimation des revendications salariales ou autres dans les luttes de classe actuelles, laquelle ramène, de façon bien différente que dans les années 1970, les luttes salariales au centre de la contradiction entre capital et travail.
La théorie de l’écart.
Nous, à Blaumachen, nous utilisons ce terme comme la distance interne entre les pratiques du prolétariat. Je cite une définition du concept, parue durant un échange écrit interne :
“Dans le concept d’ ’écart’ il y a trois moments: l’idée de distance, celle de mouvement et celle d’intériorité. Distance en ce que ce sont des activités qui peuvent se différencier et s’affronter; mouvement en ce qu’il ne s’agit pas de choses indépendantes seulement coexistantes dans un même lieu, mais d’un retour sur soi critique de l’action en tant que classe, d’où la troisième nuance du terme : il s’agit d’un mouvement et d’une distance interne à l’activité du prolétariat en tant que classe. Il s’agit de deux faces (n’avoir pour horizon que le capital / être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe) de la même action en tant que classe, l’écart c’est la dualité devenue visible comme contrainte dans le capital de l’existence en tant que classe”. L’écart entre des pratiques de diverses luttes et des pratiques dans chaque lutte précise produit, dans notre cycle de luttes, l’appartenance de classe comme contrainte extérieure et l’apogée du cycle de luttes (selon nous, en tant que rupture avec l’appartenance de classe, c’est-à-dire que ce qui est produit c’est la révolution comme communisation). Comme n’importe quoi dans le capitalisme, le processus produisant la révolution prendra inévitablement des formes fétichistes. Le fétichisme doit être compris ici dans son sens marxien, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une pure surface mais bien d’une “ forme nécessaire ”, sans quoi le contenu ne pourrait pas exister. L’élément intéressant c’est que ce processus – si nous avons raison et que le contenu de la révolution c’est la communisation – prendra une multitude de formes, à la limite autant que les contradictions sociales dans le capitalisme. Cela signifie que, comme ce fut d’ailleurs le cas avec toutes les révolutions passées, il y aura aussi des affrontements à l’intérieur du prolétariat, mais maintenant ce sera la révolution qui va se produire à travers ces affrontements. Dans la période actuelle nous assistons à la production de ces affrontements : il se crée des distances internes entre des pratiques de lutte, il y a des écarts qui se forment. Mais la généralisation de ces écarts va produire un nouveau type d’ ”unité ” des pratiques. Il ne s’agit pas de la vieille unité de classe, mais d’une multiplicité de pratiques qui formera objectivement des camps à l’intérieur du prolétariat en lutte – des camps qui ne pourront néanmoins pas se cristalliser en formes politiques précises (sous peine de défaite de la révolution), qui seront par définition fluides, précisément parce que pour le “ camp de la communisation ” il n’y aura pas de “ fin ”. La communisation sera le processus qui brisera les caillots tendant à se former et à obstruer le flux entre les individus sociaux, elle maintiendra le “ communisme ” en vie en le rendant “ plus communiste ”.
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