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Grèce: Syrization ou la reproduction du capital par la crise politique

Un camarade grec nous a fait parvenir deux textes. Le premier est le compte rendu d’une réunion publique tenue à Athènes le 25 mai dernier et organisée par un groupe de discussion auquel participe ce camarade.

Le second, qui sera traduit ultérieurement, est un texte interne écrit il ya quelques mois, qui  est en quelque sorte influencé par les sentiments généralement pro-SYRIZA après les élections. Dans ce document, le lecteur pourra trouver quelques autres éléments sur la relation de SYRIZA aux luttes des années précédentes

Les deux textes sont accessibles en anglais sur le blog « Communisation  »

SYRIZATION
OU LA  REPRODUCTION DU CAPITAL PAR LA CRISE POLITIQUE

A.le 7 juin 2015

Le 25 mai 2015, nous avons organisé, dans un squat du centre-nord d’Athènes, un débat public avec pour titre:

«Le gouvernement SYRIZA et sa relation avec le cycle de luttes antérieur: perspectives contemporaines de résistance contre la gestion néolibérale ».

Le point de départ de cette discussion était le fait que, pour la première fois dans l’histoire de la formation sociale capitaliste grecque, un gouvernement bénéficie du (fragile)  soutien de l’ensemble du spectre politique allant des anarchistes [organisés]  jusqu’aux fascistes [organisés] [1]. En outre, l’objectif de la discussion était de faire le point sur la batterie de concepts dont nous avons besoin pour analyser la façon dont les mouvements précédents la période 2008-2012 ont graduellement disparus et se sont quasiment ralliés à l’actuel gouvernement de coalition au travers des “convertisseurs” que sont l’antifascisme et de l’anti-memorandum.

Sans sous-estimer l’importance de la dette comme instrument d’analyse de la crise actuelle, nous avons essayé de souligner l’importance de discerner la manière avec laquelle la contradiction entre l’État et la société est reproduit à l’intérieur des mouvements et, de cette manière, d’ aider à sortir de la politique comme un moyen de socialisation distinct mais pas indépendant, lié mais pas identique à la valeur. En d’autres termes, l’Etat reste la forme politique de la relation capitaliste, mais dans le même temps, il peut imposer sa propre logique afin de stabiliser une formation sociale en crise; en tout cas, le rapport capitaliste ne peut pas être considéré comme identique à la formation sociale capitaliste.
Ce qui suit est un compte rendu personnel et des commentaires, générés par cette discussion.


La discussion de 3 heures et demi a été précédée par une vidéo de 35 minutes d’Aristeidis Baltas, actuel ministre de l’Éducation et chef du comité qui a composé le programme politique de SYRIZA. Lors de cet entretien, donné à la fin de 2012, Baltas décrit quelles étaient les forces sociales qui ont donné un coup de pouce à SYRIZA, après les élections de mai-juin 2012, quel était le profil et la structure interne de SYRIZA, constituée d’une douzaine d’organisations distinctes  (les prétendus «composants») menés par Synaspismos ; il parle de la notion contemporaine du socialisme dans un seul pays [sic] et dessine les grandes lignes de la façon dont SYRIZA allait traiter les mouvements sociaux dans son processus vers un gouvernement socialiste(2) .
En introduction de la discussion,  nous avons avancé que l’on doit prendre Baltas au sérieux dans le sens que, après les élections du 25 Janvier 2015, après cinq années consécutives d’austérité et de crise, SYRIZA a estimé qu’il était possible à la fois de mettre en œuvre une sorte de programme de transition et de s’accommoder des «institutions» (BCE, UE, FMI) ; en tout cas en tant que dirigeants d’un gouvernement socialiste. Dès le début, cependant, la question de traiter la prétendue «crise humanitaire» en adoptant des mesures socialistes était inextricablement lié à la question de la régionalisation du capital, c’est-à-dire quel serait le bloc capitaliste le plus approprié pour cette tâche et est-ce que la sortie de l’euro permettrait de promouvoir ce projet ? Même à l’intérieur de SYRIZA, il y eut de profonds désaccords au sujet de cette perspective qui arrivait rapidement (début de Juin 2015). Le déplacement des contradictions au niveau politique, l’importance continue et croissante du dilemme « à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE » n’ont pas encore produit de polarisations de masse au niveau de la rue, mais une chose est certaine cependant: toute manifestation publique pro-UE  devra faire face à la forte opposition des «spécialistes”, de  l’ultra-gauche pro-russe et des “avant-gardes” anarchistes. Maintenant qu’il est devenu clair pour tout le monde que l’Etat grec ne peut pas remplir ses fonctions sans aide financière extérieure, il demeure essentiel de comprendre quel genre de regroupements sociaux sera produit alors que les quelques grèves isolées au cours de mai ne semblent pas en mesure d’agir comme catalyseurs sociaux. Voilà pourquoi, après l’introduction, nous avons posé explicitement la question de ce que pourraient être les réactions sociales  contre une nouvelle signature (la troisième) du mémorandum et quelles formes elles pourraient adopter. Il reste à voir si le processus de dénationalisation de certains composants du mécanisme de l’Etat grec peut être inversé en faveur d’un programme de retour à une pleine souveraineté; un processus qui, à nos yeux, a besoin de beaucoup plus que des sentiments nationaux “innocemment” excitants.

La réponse à cette dernière question est inextricablement liée à la façon dont on considère la relation entre SYRIZA et le cycle de luttes antérieur: les mouvements ne se produisent pas ex nihilo. Au cours de la discussion, il est devenu clair qu’il existait quelques désaccords graves, non seulement parce que certains camarades ne considèrent pas SYRIZA comme un parti social-démocrate ordinaire, ancien ou nouveau, mais strictement néolibéral (3), mais aussi parce qu’ils essaient d’approcher l’arrivée de SYRIZA au pouvoir d’Etat à travers  SYRIZA comme «victoire / défaite des mouvements ». Pour nous, il est tout à fait trompeur d’utiliser ces notions ; SYRIZA en tant que telle n’avait pas de relations sérieuses avec les mouvements de la période 2008-2012 en dehors du mouvement des places et ça n’est qu’ après les élections de 2012 qu’ils ont essayé de servir de médiateur entre les intérêts d’une grande partie du secteur public; les travailleurs du secteur privé avaient été laissés à leur propre sort depuis de très nombreuses années maintenant(4).
Bien que près de quatre ans soit un laps de temps non négligeable, la partie principale de la discussion a été axée sur les indignés, l’occupation de la place Syntagma et la multiplication des assemblées locales dans la banlieue d’Athènes; admettant ainsi implicitement que cela constitue la perspective la plus probable d’une future réapparition des mouvements. Beaucoup de camarades ont parlé à nouveau de la place Syntagma, de la façon dont ils y ont participé et pour un temps assez long,  le  débat a été relancé  de savoir si les révolutionnaires doivent intervenir ou non en ces lieux. Certains ont souligné que nous, comme «milieu communiste», n’avons pas vraiment discuté les raisons pour lesquelles le mouvement des places a été vaincu et ont fait une comparaison entre la façon dont les bolcheviks s’arrogèrent le mouvement des soviets et la façon dont les membres de SYRIZA ont essayé de se présenter comme l’expression réelle du mouvement des places.
La discussion a tourné un certain temps sur la façon dont SYRIZA, comme parti capitaliste, a besoin de trouver un équilibre entre les besoins de capitaux et les besoins de la classe ouvrière; et dans un sens, comment elle est coincée dans cette situation. Pour cela, il faut ajouter que SYRIZA était le seul parti qui était, verbalement en général, du coté de la lutte sociale. De là, peut-être, émerge le besoin d’expliquer ce que sont les fondements contemporains de l’État comme mécanisme qui impose l’équilibre dans un contexte de crise qui apparait d’abord nécessairement comme économique, mais qui ensuite acquiert une dimension politique importante. Depuis plus de quatre mois, SYRIZA utilise la carte de la propagande sur la «négociation difficile avec les institutions», comme matériau de soudure nécessaire, provoquant simultanément une forte vague d’unité nationale. En outre, dans la même ligne de pensée, SYRIZA n’a pas vu d’augmentation de ses militants dans les trois dernières années, ni stabilisé son fonctionnement de parti, après l’incorporation de nombreuses branches locales du PASOK affaibli, tant dans les quartiers que dans le secteur public où, nous allons le souligner , il offre la promesse d’une méthode concrète, parlementaire, de traiter les problèmes en milieu de travail(5).
En conclusion, nous avons fait quelques remarques qui se rapportent non seulement à la discussion spécifique, mais tentent de généraliser, dans  la conjoncture actuelle:
• La façon dont la station de radio de SYRIZA , « Kokkino »,  a essayé de monter les femmes de ménage permanentes du ministère de l’Economie contre les temporaires,  embauchées par un sous-traitant(6), ainsi que la proposition d’embaucher des chômeurs avec des caméras pour filmer des transactions illégales et qui échappent à l’impôt dans les restaurants révèlent que SYRIZA excelle dans les tactiques néolibérales.
• Au début  de février 2012, une manif  organisée par des anarchistes contre l’état d’urgence imposé a eu lieu et au moins 3.000 personnes y ont participé. Juste après les élections à partir du 25 Janvier 2015, et bien sûr jusqu’à aujourd’hui,  une seule manif  anarchiste anti-étatique  de 200 personnes a eu lieu à Athènes, dans l’organisation de laquelle presque aucune  organisation n’a participé, chacun pour ses propres raisons.
• Aux origines théoriques de l’operaisme et de l’ultra-gauche française, de retour dans les années 60 et les années 70, et peut-être à quelques très rares exceptions près, nous ne pouvons trouver aucune trace d’une théorie spécifique de l’Etat. Peut-être, cela souligne t-il l’inefficacité des instruments théoriques qui pourraient nous aider à composer avec les mouvements des places et le printemps arabe. Seul Negri a essayé d’historiciser et de périodiciser non seulement le sujet  « travailleurs », mais également la forme  Etat elle-même.
• Contrairement à ce qui est arrivé à la place Tahrir, au parc Gezi et même sur Maidan, aucun groupe de femmes n’a été formé pendant l’occupation de la place Syntagma, sans parler de la présence d’éventuels immigrants.
• La centralité du sujet  « travailleur »  a été clairement contestée pendant le mouvement des places et, plus généralement, dans la quasi-totalité des manifestations dans les grandes villes grecques, et au-delà. Lorsqu’ils ne sont pas ouvertement conflictuels, la coexistence et la présence parallèle de plusieurs groupes sociaux sur le  même terrain historique est un indicateur fort de l’utilité durable du schéma théorique du «non-sujet», traité par Woland et Blaumachen qui bien sûr n’ont pas fournit d’analyse de l’Etat comme facteur centripète ni, plus généralement, traité sérieusement la réalité de la stratification des mouvements des places(7). Toute tentative visant à discréditer cela du fait de la défection de Woland est inutile et à visée interne.
• La position politique, promue par certains camarades ici (8), selon laquelle seules les luttes de la classe ouvrière peuvent tirer vers le haut le reste de la classe est un vestige de l’ancien temps au cours duquel  l’identité ouvrière était encore reconnue par l’Etat; sans compter qu’elle sous-estime clairement le véritable enjeu de réintroduire les conflits à l’intérieur du possible mouvement  des places futur lui-même. Au-delà de ceci, un mouvement des places qui pourrait rapidement se propager à de nombreuses villes et impliquer tous les prolétaires, sans considérer leur pays d’origine, leur genre ou leur race, ressemblerait-il au plus récent? Est-ce que l’auto-confirmation de la classe ouvrière ne serait pas devenue un véritable obstacle pour la lutte elle-même?

Ci-dessous, avec quelques corrections principalement stylistiques, nous incluons un texte interne écrit il ya quelques mois, qui  est en quelque sorte influencé par les sentiments généralement pro-SYRIZA après les élections. Dans ce document, le lecteur pourra trouver quelques autres éléments sur la relation de SYRIZA aux luttes des années précédentes, avec l’élaboration de la thèse selon laquelle, quelles qu’en soient  les conséquences, la direction de SYRIZA, avec la majorité de ses membres, devrait  finalement arriver à un accord avec les créanciers étrangers du pays; et cela a à voir avec la place de la Grèce dans la division européenne du travail concernant la gestion des flux de prolétaires immigrants. Si, au contraire, en l’absence d’accord,  la Grèce est contrainte de quitter la zone euro (et peut-être l’UE de ce fait) ce facteur, qui est souvent négligé dans le souci d’une analyse théorique plus intellectuelle et prestigieuse,  va certainement montrer tout son poids en modifiant les conditions actuelles et futures de l’accumulation capitaliste, dans un sens ou dans l’autre, et la forme Etat.

  • Retour à 1989, alors que la classe ouvrière était toujours reconnue comme un partenaire à l’intérieur de l’état, et dans la relation capitaliste en général, et les syndicats et les partis de gauche conservaient encore une grande partie de leur aura idéologique en tant que porteurs des révolutions des travailleurs, la nouvelle coalition formée du parti de Synaspismos (dont l’un des membres fondateurs était le Parti communiste de l’époque de la Grèce) fait face à une grave crise politique interne dans sa collaboration avec le parti de droite de Nea Dimokratia pour faire un gouvernement de coalition, le premier “gouvernement d’unité nationale” après la chute de la junte en 1974 et le première à inclure un parti-gauche, ce qui  a poussé une grande partie de ses membres vers la sortie. Les effets du bi-partisme entre «gauche» et «droite», si caractéristique de l’environnement politique grec dans toutes ses dimensions, était encore forte. Maintenant, 26 années après, et la défaite  évidente de l’identité ouvrière, il semble naturel de soutenir un gouvernement de gauche-droite. À notre avis, la seule mesure correspondant à la distance historique entre ces deux moments a été la vaste restructuration des rapports de production et le changement très important de la composition de la population active depuis.2-Ceux qui veulent en savoir plus sur cette interview, qui, malheureusement, ne peut pas être reproduite intégralement ici, peut vérifier le lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=I8V1-2hLFlc.3-Ce point est important car il donne un autre sens aux luttes qui surviennent seulement maintenant, mais faiblement, et exigent quelque chose de la part du gouvernement. Considérer SYRIZA comme un parti néolibéral exclut ab initio la possibilité que le parti au pouvoir  poursuive l’intégration  des luttes comme motivation pour l’ordre du jour d’un gouvernement nouvellement nommé, malgré l’impossibilité actuelle d’une telle tâche. Les quatre premiers mois démontrent le contraire: SYRIZA essaie vraiment d’établir une dialectique entre le parti et les mouvements, aussi fragmenté et individualisés qu’ils puissent apparaître; ceci se remarque dans sa propre structure en tant que parti et les cadres qu’il a choisis pour des postes gouvernementaux sensibles et qualifiés, Woland inclus. Par exemple, après la mort de quatre travailleurs pendant des travaux d’entretien au “Greek Petroleum” il ya quelques semaines -un des plus grandes entreprises grecques, qui est co-détenue par l’État grec et Latsis, N° 782 dans la liste  Forbes, et où SYRIZA a récemment a établi des relations étroites avec l’union locale SYRIZA – non seulement il tolère certaines attaques symboliques faites par des anarchistes au siège de “Greek Petroleum”, à la résidence de Latsis et à la fondation de bienfaisance de Latsis, mais ses membres, avec des bannières du parti, ont rejoint officiellement la manifestation contre ” Petroleum grec “à Thessalonique. L’un des arguments en faveur du fait de considérer SYRIZA comme un parti néolibéral souligne le mélange de répression et les tactiques de division que SYRIZA utilise au moment de prendre des positions gouvernementales et la nécessité incontournable pour canaliser et même briser toute résistance sociale à l’austérité même si celle-ci vient des  intérêts importants des couches petite-bourgeoises et / ou de la classe moyenne.
    L’absence d’un sujet « travailleur » massif ne signifie pas que la perspective d’une nouvelle social-démocratie, même instable, est devenue obsolète une fois pour toutes. Mais nous devons tenir compte du fait que la question de la régionalisation pénètre et se déplace à différents niveaux de la distinction entre le néolibéralisme et la social-démocratie .

    4- Bien sûr, en plus du grand appel à la classe ouvrière à SYRIZA, en particulier après les élections de 2015, il convient d’ajouter le vote de très larges couches de la petite bourgeoisie traditionnelle et des agriculteurs.

    5- Là, il faut noter que certains camarades ne croient pas vraiment que les membres SYRIZA qui ont pris part aux luttes de 2010-2012 avaient vraiment à l’esprit que la conquête du pouvoir d’Etat était en aucune façon imminente; Le pourcentage de SYRIZA dans les élections de 2012 a été une surprise totale pour eux. Parallèlement à cela, d’autres camarades objectent le fait que ceux qui descendaient dans les rues massivement ont voté pour SYRIZA, rappelant le précédent historique de Mai 68 en France quand, juste après la grande vague de grèves, De Gaulle a remporté les élections.

    6-  Pour plus à ce sujet, consultez le lien suivant http://www.pandiera.gr

    7- Même le schéma de «l’ère des émeutes » ne doit pas être complètement abandonné dans le visage de la récurrence des récentes émeutes aux États-Unis.

    8- TPTG en est un exemple typique.

  1. salle des machines
    23/06/2015 à 08:50 | #1

    l’original en grec

    ΣΥΡΙΖΟΠΟΙΗΣΗ
    Ή ΑΝΑΠΑΡΑΓΩΝΤΑΣ ΤΟ ΚΕΦΑΛΑΙΟ ΜΕΣΩ ΠΟΛΙΤΙΚΗΣ ΚΡΙΣΗΣ

    ΣΥΡΙΖΟΠΟΙΗΣΗ

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