Des nouvelles de « Théorie Communiste, la soute »suite
Nouvelles notes de lecture sur « théorie communiste, la soute »
Nedjib Sidi Moussa :
La Fabrique du Musulman, éd. Libertalia 2017
Avec deux Annexes :
Sur l’idéologie anti-islamophobe (Flora Grim et Alexandra Pinot-Noir – G/P – sur le site ddt21, suivi d’un entretien sur le même site)
Racisme anti-musulmans et logique identitaire
(non signé, publié sur le site Zones subversives le 18 février 2017)
Sidi Moussa : La Fabrique du Musulman
- La toile de fond de la problématique de Sidi Moussa℠
D’abord, quelques citations :
« Si la fin des immigrés a précédé la fabrique des Musulmans, la disparition de ce dernier groupe au profit d’individus libérés de toute assignation identitaire et de leur condition minoritaire ne se produira qu’en liaison avec le mouvement de la classe ouvrière alliée à la petite bourgeoisie intellectuelle. » (p.37)
« N’est-on pas en train de tout mettre en œuvre pour séparer le prolétariat français d’origine algérienne – à commencer par sa jeunesse — du reste du prolétariat de France. Et donc se servir de ce groupe pour faire exploser la classe ouvrière, ses organisations et ses conquêtes ? (…) Certains segments de “la gauche de la gauche” ont contribué à leur échelle, par leurs prises de position ou leurs alliances, à mettre l’accent sur les préoccupations identitaires au détriment de la question sociale. (…) dans la France de 2017, et sans doute pour les années à venir, chaque individu épris de liberté est ou sera sommé de choisir son camp celui des “intégristes républicains” contre celui des “islamo-gauchistes”.» (pp.8 – 9)
« Cela ne doit toutefois pas conduire à sous-estimer, dans cette conjoncture, le rôle crucial du mouvement ouvrier, de ses institutions, maisons d’édition et médias. En dépit de sa faiblesse et de son éclatement, cette famille politique demeure un pôle d’attraction pour des milliers de personnes. Elle peut en influencer des millions d’autres qui veulent lutter contre l’exploitation et la domination d’un ordre injuste car il s’agit d’une nécessité pour des pans entiers de la population laborieuse. Mais elle peut aussi les conduire à une impasse tragique. » (p.9)
« L’énigme de notre époque réside sans aucun doute dans la possibilité d’une alliance entre la petite bourgeoisie intellectuelle et les classes populaires ; tout en faisant tomber les obstacles de l’unité entre leurs divers segments érigés au prétexte de l’origine supposée ou de la religion présumée. » (p.19)
Une dernière citation fixe la problématique de SM dans ses limites qui proviennent de toutes les questions qu’il ne voit pas du fait même de cette problématique qui lui interdit de les voir.
« Une interrogation demeure toutefois devant l’attitude d’individus et de groupes a priori hostiles à l’idéologie dominante. Lorsqu’ils ne sont pas saisis de mutisme devant les tentatives de confessionnalisation et de racialisation de la question sociale, certains soutiennent ces processus sans réelle critique ou vont jusqu’à leur donner une caution théorique. En quête d’un prolétariat de substitution ou d’une nouvelle cause étrangère de proximité, ces activistes ont ainsi trouvé les « Musulmans » quand ils ne les ont pas réinventés à leur image. Qu’elle récuse ou non le label “islamo-gauchiste”, cette gauche cléricale à tendance racialiste a substitué la lutte des races à la lutte des classes (souligné par nous), en vouant aux gémonies le vieux combat contre l’oppression religieuse, sans oublier celui de la séparation des Eglises et de l’Etat. Ce faisant, cette gauche bien spécifique participe avec les racistes antimusulmans, les institutions étatiques et les entrepreneurs identitaires à la formation d’une communauté musulmane distincte des autres composantes de la société dans son organisation, ses objectifs et ses moyens d’expression politique. Ce courant consolide par ailleurs les frontières culturelles qui sont autant d’obstacles au grand “tous ensemble” dans la mesure où elles enferment chacun chez soi. En outre, cette gauche assigne à résidence identitaire des individus qui voudraient s’émanciper de toute appartenance confessionnelle ou raciale, pour vivre libérés des tutelles auxquelles leurs alliés de circonstance échappent de nos jours. » (pp.20 – 21)
Fondamentalement, tous les développements de SM trouvent leur origine dans la vision classique que le « mouvement ouvrier » au travers de « ses institutions » donnait de lui-même comme représentant d’une classe ouvrière une et indivisible dans un « grand tous ensemble » ℠, devant s’affirmer et prendre le contrôle de la société « aux côtés de la petite bourgeoisie intellectuelle » ℠. Malheureusement, « les institutions ayant encadré des générations entières de travailleurs – toutes origines et confessions confondues (affirmation bien audacieuse, nda) » (16) se sont effondrées, toutes les dérives actuelles « confusionnistes et réactionnaires » résulteraient de la « décomposition du vieux mouvement ouvrier » dont SM fixe la reconstruction comme la tâche la plus urgente : « Où se trouve aujourd’hui le “parti des travailleurs” ? » (123). Dans un entretien sur le site de Ballast, ultérieur à la publication du livre, SM semble même, sans plus de précisions, avoir retrouvé « le mouvement ouvrier et révolutionnaire » même s’il est « plus que jamais, pris en étau entre ses tendances opportunistes et sectaires ». De cette thèse de base qui n’est jamais critiquée ni même interrogée (si ce n’est sous la forme de la proposition trotskyste relative à « la crise historique de la direction du prolétariat » — entretien Ballast) découlent les deux limites majeures du livre de SM.
Premièrement, l’absence de toute reconnaissance et de toute question relatives aux processus objectifs de la segmentation raciale qui est ramenée à une activité purement idéologique dans le sens le plus plat du terme (manœuvres et tactiques intentionnelles de trouble des esprits et de divisions) de la part de groupes divers (entrepreneurs en racialisation et leurs alliés) et d’institutions d’Etat. L’organisation même du livre est révélatrice de cette vision. Page 46, l’auteur prévient qu’il ne faut pas se focaliser sur les Indigènes, ce qui n’empêche qu’ayant commencé à en parler à la p.36, il en parlera jusqu’à la p.68, sans compter les remarques, citations et critiques qui parsèment tout le livre, sur 147 pages cela fait tout de même beaucoup pour quelqu’un qui ne « focalise » pas.
Mis à part la « décomposition du mouvement ouvrier et de ses institutions » (dont, bien qu’elle soit la toile de fond explicative de l’ouvrage, on ne saura même brièvement jamais les causes), de processus objectifs, tout au long du livre il n’en sera question qu’une seule fois (et encore de façon très rapide et ambigüe) :
« Cette catégorie (l’appellation de musulmans, nda) procède de facteurs objectifs – qui relèvent pour partie des dynamiques propres de l’immigration maghrébine, des évolutions de la société française ou de l’agonie de la démocratie représentative – et du travail subjectif d’acteurs plus ou moins conscients de leurs buts : entrepreneurs communautaires (intervenant dans les secteurs économiques, associatif ou religieux), hauts fonctionnaires, élus politiques, journalistes, éditeurs, universitaires, etc. » (31). Pour les « facteurs objectifs », nous en resterons donc aux « dynamiques propres de l’immigration maghrébine » et aux « évolutions de la société française », on sent l’auteur beaucoup plus à l’aise dès qu’il s’agit du « travail subjectif ». Il ne s’agit pas de nier l’extrême importance de ce « travail subjectif » dans la mesure où aucun processus objectif n’existe sans être mis idéologiquement en forme et sans que les pratiques que ce processus détermine n’opèrent sous ces idéologies. Mais sans exposer les conditions particulières qui font qu’au tournant des années 2000 (la chose s’accélère à partir de 2010), la segmentation raciale opère sous le marqueur de l’islam, la « fabrique du musulman » demeure un phénomène que l’on va décrire seulement de façon « subjective » et manipulatrice, mais jamais expliquer.
En définitive, SM ne peut expliquer objectivement aucune segmentation raciale de la classe ouvrière car ces segmentations, fondamentalement, sont, pour lui, irréelles, n’ont aucune raison objective d’être puisque par nature la classe est une, les divisions ne sont pas essentielles mais des aléas, des manœuvres, des accidents que l’unité substantielle de la classe surmontera nécessairement. Elles ne peuvent être que des opérations subjectives, des stratégies d’organisations, la résultante de confusions idéologiques, etc. : « L’action d’individus décidés à construire une communauté distincte du reste de la population (avec ses institutions représentatives, son agenda, ses médias, ses relais politiques) n’est qu’un élément parmi d’autres – mais pas des moindres – dans la fabrique des Musulmans qui regrouperaient indistinctement salafistes, athées, commerçants, prolétaires, Ch’tis ou Marocains, l’essentiel étant de les mettre à distance ou en joue, de les intégrer et de les séparer dans un même mouvement ethnodifférencialiste. Sans les interventions alarmistes des xénophobes ou le soutien tapageur des xénophiles, l’écho donné à la question des Musulmans resterait sans doute confidentiel et ne sortirait qu’occasionnellement des préoccupations strictement communautaires. Mais dans la compétition idéologique actuelle, à défaut d’être pleinement des sujets politiques – ce que personne ne souhaite en réalité -, les Musulmans sont devenus souvent les boucs émissaires d’une société française qui peine à célébrer ce qu’elle a perdu sans réels combats : code du travail, conventions collectives, diplômes nationaux, retraite par répartition, Sécurité sociale, services publics, statuts des fonctionnaires, etc. » (31−32)
Tout le monde sait que le racisme n’a jamais ségrégué les personnes en « communautés distinctes », il faut « l’action d’individus » plus ou moins malintentionnés vis-à-vis de la lutte de classe, de la classe ouvrière et ses institutions pour que tels malheurs arrivent. Non seulement « l’action d’individus décidés à construire une communauté distincte du reste de la population, etc. » n’est « pas des moindres » parmi les éléments de la « fabrique du Musulman », mais encore, à la lecture du livre qui est tout entier consacré à cette action, il apparaît que c’est le seul efficace et déterminant. A tel point que l’on trouve cette affirmation ahurissante : « Sans les interventions alarmistes des xénophobes ou le soutien tapageur des xénophiles, l’écho donné à la question des Musulmans resterait sans doute confidentiel ». Comme s’il n’y avait pas eu d’ « affaires du foulard », de déclarations gouvernementales lors des grèves de l’automobile au début des années 1980, de débats sur la construction de mosquées et des menus de substitution dans les cantines scolaires, de tapages médiatiques autour des perquisitions administratives et des assignations à résidence, comme si la « double peine » n’avait pas existé et l’inflation du soupçon administratif à chaque étape de la vie quotidienne, comme si personne n’aurait entendu parler de l’effondrement des « Twin Towers » sans les xénophobes et les xénophiles, sans qui également le massacre du Bataclan serait sans doute resté « confidentiel ». Enfin, pourquoi le « bouc émissaire » est-il devenu « musulman » et n’est pas resté « arabe », « travailleur immigré » ou « immigré » tout court ? Quant à la « décomposition du mouvement ouvrier », voilà un facteur objectif bien général et bien antérieur à la fabrication du musulman comme marqueur racial. Résumant toutes les limites et les fausses pistes de son livre, en bon ancien trotskiste, SMconclut : « Le marasme actuel trouve son origine dans les impasses théoriques et stratégiques de la gauche social-démocrate qui ne peut plus proposer de véritables réformes et de la gauche révolutionnaire qui ne veut plus assumer la perspective de la révolution » (145). La « crise historique de la direction révolutionnaire » en quelque sorte.
Dans l’entretien de Ballast, la question du passage à l’islam comme marqueur de la catégorisation raciale est abordée :
« Les musulmans — réels ou présumés — sont l’objet de nombreuses sollicitations contradictoires dans la France de 2017. En tant que consommateurs, ils sont les cibles privilégiées du marketing dit ethnique à travers la niche du halal, pour le grand plaisir des grandes marques et des chaînes de supermarchés. En tant qu’électeurs, ils ont les faveurs des états-majors – toutes tendances confondues – en raison de la croyance dans l’existence d’un “vote musulman” ou de la sensibilité supposée de ce groupe à certaines questions. Qu’ils soient perçus comme consommateurs ou électeurs, l’essentiel est donc qu’ils demeurent “musulmans”, ce qui révèle la force de l’assignation identitaire – à coloration confessionnelle de surcroît – et constitue une véritable violence symbolique pour les athées, agnostiques, libres penseurs, hétérodoxes et non pratiquants. Pourtant, on a désigné par le passé ces mêmes personnes avec d’autres mots ou expressions comme “beurs” dans les années 1980, “travailleurs arabes” dans les années 1970, “ouvriers nord-africains” dans les années 1950. Cela ne signifie pas que ces termes étaient plus corrects mais cette évolution souligne autant la démonétisation du référent ouvrier dans les discours publics que le remplacement des idéaux nationalistes, socialistes ou panarabes par l’hégémonie islamiste sur la rive Sud de la Méditerranée. Bien sûr, les “musulmans” ne sont pas complètement passifs dans la mise en œuvre des processus décrits plus hauts. »
Quand SM pointe un élément essentiel dans cette évolution (nous laissons de côté les supermarchés et plus douteuses les « faveurs des états-majors ») qui va de « l’ouvrier nord-africain » au « musulman », il n’évoque pas les processus réels de la crise et de la restructuration des années 1970 aux années 1980, le regroupement familial, les « deuxième et troisième générations » qui ne prennent pas la relève, c’est-à-dire d’abord les causes de la « culturalisation » de l’immigré et de sa descendance puis la confessionnalisation de cette « culturalisation ». Ce point essentiel devient chez SM : « la démonétisation du référent ouvrier dans les discours publics (souligné par nous) ». Comme si voir dans cette « démonétisation » autre chose qu’une affaire de « discours publics » allait contraindre à s’interroger sérieusement sur la « décomposition du mouvement ouvrier ». Interrogation qui est pour SM l’interdit majeur sous peine de voir son livre s’effondrer ou simplement apparaître pour ce qu’il est : un pamphlet, une entreprise de dénonciation des entrepreneurs sans aucune référence objective à ce qui est l’objet de leur entreprise. Comme pour les « Amis de Juliette », comme pour les auteurs de « Jusqu’ici tout va bien.. », pour SM la dénonciation est suffisante dans la mesure où l’unité de la classe sous le visage ou non du « mouvement ouvrier », sont des référents toujours présents quelles que soient les vicissitudes du moment, ou toujours prêts à se révéler à nouveau. Les segmentations raciales, les assignations, ne sont en conséquence que des accidents de surface, des choses absolument contingentes vis-à-vis de ce qu’est substantiellement la classe. Rien d’objectif là-dedans, seulement un « travail subjectif », des manœuvres : la dénonciation suffira donc. Il est d’une certaine façon comique de voir resurgir sous la plume de SM les pires platitudes relatives au mouvement ouvrier entrecoupées de citations et de références à Socialisme ou Barbarie, Noir et Rouge ou l’Internationale Situationniste. Marx disait à propos de la masse de livres consacrés au coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte qu’il n’y en avait que deux d’importants : le sien bien sûr et celui de Victor Hugo, Napoléon le petit. Mais il ajoutait qu’entraîné par sa haine du personnage, Hugo ne considérait aucune condition de ce coup d’Etat et, ainsi, faisait de Louis Napoléon, non pas un « petit » et piètre personnage mais un surhomme. A lire SM ou les « Amis de Juliette », « Bouteldja la petite » semble en passe de devenir « superwoman ».
« La fabrique du musulman » est un bien joli titre, mais il n’y a rien derrière. Dans cette « fabrique », la mécanique est très partiellement décrite ainsi que certains des mécaniciens, mais rien sur l’énergie qui anime cette mécanique, comme si les mécaniciens qui ont conçu et entretiennent les rouages suffisaient à mettre en branle de purs objets de leur invention. A concentrer sa critique de la « fabrique du musulman » sur eux, SM en fait des démiurges.
« Bien sûr, les “musulmans” ne sont pas complètement passifs dans la mise en œuvre des processus décrits plus hauts. » déclare SM dans cet entretien de Ballast (même si les « processus » en question restent dans l’ombre du « travail subjectif »). C’est la question la plus difficile : pourquoi cette assignation est-elle massivement reprise par ceux qu’elle désigne et enferme ? Plusieurs fois dans ces notes de lecture, nous avons exposé les raisons qui à un certain moment, dans certaines conditions font que l’islam devient le marqueur de la segmentation et de l’assignation raciale ; mais cela n’explique pas pourquoi le groupe ainsi désigné et constitué reprend à son compte l’appellation pour se désigner lui-même. Pas tous bien sûr, mais c’est massif et la question est incontournable.
Il y a la pression sociale et institutionnelle, publique, qui répète « vous êtes musulmans », il y a toujours l’explication un peu passe-partout du « retournement du stigmate ». Cela existe mais demeure un peu superficiel et pas très convaincant. Dans ce même entretien, SM avance une explication que nous avons également développée dans les notes sur le livre d’Hajjat : « De fait, certains courtiers ou entrepreneurs communautaires y voient de nouvelles opportunités afin de satisfaire leurs intérêts personnels ou leur projet de société. Mais cela ne réglera en rien le sort de la grande majorité des musulmans, qui a plutôt à voir avec les couches de la population française les moins favorisées économiquement. Seule une minorité – plutôt bien dotée en capitaux économiques ou scolaires – pourra accéder à des postes de représentation ou intégrer l’élite dirigeante grâce à la “diversité”, qui joue contre l’égalité. » Il est exact que dans les années 1990, on voit apparaître les premières organisations « musulmanes » dans les catégories les plus éduquées des jeunes issus de l’immigration (voir notes sur Hajjat). Cela a joué son rôle, mais cela n’explique pas pourquoi cette appellation va se diffuser dans l’ensemble de la population à moins d’attribuer aux Indigènes et autre « Présence musulmane », un impact que ces organisations n’ont pas. On trouve cependant avec ce dernier point un début d’explication, une piste. La question est insoluble tant que l’on considère le problème comme se fractionnant en deux temps : l’assignation venant du racialisateur puis la reprise de l’assignation (ainsi construite) par le racialisé.
Le procès de constitution des assignations raciales est un processus objectif dans lequel le racialisé n’a pas le choix de son appellation et même de sa lutte contre elle. Revenons à une des thèses de Colette Guillaumin :
« L’existence d’un groupe objectif reconnu pour tel, majoritaire ou minoritaire, ne se produit qu’au sein d’un univers commun dont la codification est la même pour l’ensemble de la société. Ce n’est pas l’hétérogénéité des valeurs qui marque l’existence d’une majorité et d’une minorité, mais bien l’homogénéité du système de valeurs. (…) L’existence des groupes majoritaire et minoritaire se fonde, au-delà du pouvoir, sur un univers symbolique commun. Le minoritaire se trouve en fait intégré dans le système symbolique défini par le majoritaire quels que soient par ailleurs ses essais ou ses échecs à se constituer un système propre. Plus encore, ses efforts pour se définir contre un tel système sont orientés et canalisés par le majoritaire ; il ne peut se définir sur des références internes et indépendantes, il doit le faire à partir des références que lui offre le système majoritaire. L’histoire récente des minorités en offre de bons exemples : le Black Power, le “féminisme”, la “négritude” sont des systèmes d’opposition, des “réponses”. La violence de cette contrainte qui poursuit le minoritaire jusqu’à lui imposer les termes mêmes de sa révolte et le maintenir dans l’ornière d’une définition préétablie par la société qu’il conteste échappe trop souvent. On ne peut donc dire à aucun moment qu’il existe des groupes (ou des systèmes) hétérogènes, mais bien un système de référence par rapport auquel les groupes réels – tant minoritaires que majoritaire – se définissent différemment » (Guillaumin, L’Idéologie raciste, p.125)
Ce « système de valeurs homogène », cet « univers symbolique commun », est, pour ce qui nous préoccupe ici, celui constitué par les couples laïque / religieux ; moderne / archaïque ; individualité libre / communauté ; universel / particulier, etc., dont nous avons présenté les raisons de sa prégnance idéologique à partir des années 2000. L’islam devient une réponse orientée et canalisée par le majoritaire, réponse qui en substance déclare : « je suis une voie propre vers l’indépendance individuelle, la modernité, etc. ». Le fameux « universalisme de l’Occident », la fameuse « modernité », ne sont jamais remis en cause parce qu’ils ne peuvent pas l’être car ils sont objectivement ancré dans le MPC, et personne ne leur échappe. L’opposition à l’universalisme, à la modernité, devient une de leurs déterminations car l’universalisme et la modernité demeurent toujours la norme. La seule contestation possible consiste à chercher à construire une voie autonome vers les mêmes buts : « vous n’avez pas le monopole de l’universel et de la modernité ». (revenir ici sur de nombreux exemples donnés sans le vouloir par Sherene Razack, La Chasse aux musulmans). Le piège est parfait.
Poursuivons avec Guillaumin : « Considérer le racisme comme un schéma de simple mise en présence de groupes hétérogènes (ennemis ou non) néglige donc le fait qu’ils s’insèrent dans une totalité. Le système catégoriel n’est pas le résultat d’un contact entre pures hétérogénéités, que seul le hasard géographique mettrait en présence, mais l’expression d’un ordre symbolique qui recouvre l’ensemble. Une société raciste n’est pas la collection composite de groupes hétérogènes mais fonctionne suivant un système de relation entre groupes de pouvoir inégal ; elle est système d’antagonismes et non juxtaposition de groupes. Dans les phénomènes racistes, la réalité organique de la liaison est un facteur capital, les groupes étant profondément dépendants les uns des autres dans l’univers symbolique tout comme dans la réalité concrète. Aucun n’est lisible si on l’isole de la relation qui, précisément, le constitue » (125−126).
Si la révolte et la lutte du minoritaire est inéluctable et nécessaire, elle est un nœud de contradictions et une impasse tant qu’elle se délimite et s’effectue sur l’identité définie et reconnue socialement construite par le groupe majoritaire et confortée par les entrepreneurs qui veulent en être les représentants. C’est cependant dans ces contradictions que peut surgir la remise en cause même des identités par l’insatisfaction vis-à-vis de soi. Du fait que cette identité est celle que vous voulez que je sois (cf. Cassius Clay et James Baldwin, voir notes sur Guillaumin).
Toujours ce qui revient ce sont les phrases de Cassius Clay : « Je n’ai pas à être ce que vous voulez que je sois. (…) Vous voulez m’imposer la différence que vous me désignez comme étant ma différence d’avec vous et qui me définirait entièrement. » ; ou de James Baldwin « I’m not your negro ».
Deuxièmement, le livre de SM est bâti sur une pensée absolument binaire n’admettant qu’une exclusion réciproque radicale entre race et classe. Entre les deux, il ne pourrait exister qu’une relation de substitution. Que réaliser cette « substitution » soit l’objectif politique des « entrepreneurs » est exact, mais cela ne justifie pas pour autant la pensée binaire des fétichistes de la « classe » qui promeuvent et encensent le livre en se gardant bien de rappeler comment le « mouvement ouvrier » en est la toile de fond nécessaire (sans parler de « l’alliance avec la petite bourgeoisie intellectuelle »). Le problème de SM c’est qu’ayant réduit la segmentation raciale de la classe ouvrière à ces « entreprises » et ayant souscrit à la légende du mouvement ouvrier, il ne peut plus voir que la classe ouvrière ne fut jamais une, que la segmentation raciale la traverse constitutivement dans son existence de classe de ce mode de production. Classe et race ne sont pas dans un rapport d’exclusion réciproque : soit l’un soit l’autre. Le livre passe totalement à côté des questions réelles de la lutte de classe les supposant résolues à la condition de travailler à la reconstruction du « mouvement ouvrier en alliance avec la petite bourgeoisie intellectuelle » (ceux-là on ne sait jamais qui c’est).
Reprenons en lisant la suite une citation de l’entretien déjà utilisée : « De fait, certains courtiers ou entrepreneurs communautaires y voient de nouvelles opportunités afin de satisfaire leurs intérêts personnels ou leur projet de société. Mais cela ne réglera en rien le sort de la grande majorité des musulmans, qui a plutôt à voir avec les couches de la population française les moins favorisées économiquement. Seule une minorité – plutôt bien dotée en capitaux économiques ou scolaires – pourra accéder à des postes de représentation ou intégrer l’élite dirigeante grâce à la “diversité”, qui joue contre l’égalité. Le reste sera condamné à la stagnation ou à la relégation –au même titre que les autres composantes des classes populaires de France – les discriminations en plus (souligné par nous). »
La dernière phrase dit une chose et sont contraire : c’est « la même stagnation et relégation » … « les discriminations en plus ». Mais c’est précisément là le problème que SM escamote. Nous pouvons voir au travers de tout l’appareil statistique officiel que ces discriminations ne sont pas « en plus », mais constitutives de la division du travail, de la reproduction de la classe ouvrière, constitutives de l’existence de la force de travail globale face au capital. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir de luttes communes, mais il est rare qu’elles ne soient pas traversées par ces « discriminations ». L’ouvrier blanc (« de souche ») ne jouit pas pour autant de « privilèges » (le « privilège blanc » des Indigènes). Un privilège est un avantage dont on jouit contre le droit commun, contre la loi commune, il ne peut donc être que le fait d’une minorité. Ce sont les travailleurs racisés qui sont exclus légalement ou non de la loi et des pratiques communes concernant l’embauche, le poste de travail, le salaire, les promotions, le logement, l’éducation, etc. Et, pour l’ouvrier blanc, la loi et les pratiques communes sont loin d’être des « privilèges ». Cependant, sans parler de « privilèges », en France, aux Etats-Unis ou ailleurs, il est vrai qu’il vaut mieux être un ouvrier blanc qu’Arabe ou Noir, simplement pour être dans la loi et les pratiques communes ou en obtenir l’application. Les processus de discriminations à l’intérieur de la classe ouvrière sont des dispositifs constitutifs de l’existence ouvrière mais sur lesquels les ouvriers n’ont aucun pouvoir même si, catastrophiquement, ils peuvent être amenés parfois à défendre ces discriminations (Aigues Mortes à la fin du XIXe siècle ; les dockers de Londres au début des années 1970, les licenciements dans l’automobile en France au début des années 1980, etc.). La classe ouvrière n’est qu’une classe de ce mode de production, si c’est pour cela qu’elle a la capacité de l’abolir et de se supprimer, cela n’est pas le fait d’une nature révolutionnaire qui, en se manifestant, rendrait toutes les choses simples (les « dérapages » relevant de manœuvres et de dévoiement).
Toutes les contradictions et segmentations sont définitoires de la « position commune » des prolétaires dans le mode de production capitaliste, elles existent de façon interne à l’existence et à la pratique de la classe ; le prolétariat n’existe pas d’abord tel qu’en lui-même et est seulement ensuite traversé par ces segmentations et contradictions. Comme si le prolétariat était (ce qui est toujours implicitement présupposé) blanc et masculin (parce que si les femmes se disent « camarades mais femmes » c’est aussi une entorse malveillante à l’unité de la classe). Etre une classe n’existe plus que comme un rapport au capital, c’est alors avoir de façon intérieure toutes les segmentations et contradictions produites par les catégories du mode de production et leur reproduction. La segmentation et la position commune, race et classe, ne sont pas des contraires exclusifs et seulement substutuables.
On peut clamer qu’il faut l’unité de la classe, le « grand tous ensemble » et que les divisions ne sont que le fait de « malveillants entrepreneurs », mais voilà cette « unité » ce n’est jamais ce qu’il se passe et il faudrait comprendre pourquoi : dans la situation commune des prolétaires qui est leur rapport au capital il n’y a que leurs divisions, c’est pourquoi la révolution est l’abolition par les prolétaires de leur propre condition, vouloir la révolution comme abolition de toutes les classes et promouvoir l’unité préalable de la classe est un non-sens auquel la légende du mouvement ouvrier donne des allures de tradition respectable. Ce n’est, à l’intérieur de la lutte en tant que classe, que par des pratiques d’attaques par les prolétaires de ce qui les définit dans leur situation de prolétaires y compris toutes les formes de représentations, que la segmentation est posée comme problème, c’est-à-dire quand elle se confond avec l’appartenance de classe elle-même et non quand c’est cette appartenance de classe qui est supposée contenir l’unité et résoudre la question des divisions. C’est un point théorique et pratique essentiel qui distingue les théories de la communisation d’un bricolage programmatique new look faisant de la communisation un nouveau programme sans que celui-ci soit relié aux transformations de la contradiction entre prolétariat et capital et aux formes de valorisation du capital. Bref, on garderait tout comme avant et on ajoute : « voilà le but véritable que nous pouvons atteindre maintenant, voilà ce qu’il faut faire ».
L’abolition du capital, de l’Etat, etc., ce sera un nœud de contradictions entre les prolétaires et la classe dominante à toute sorte de niveau et d’instances et entre les prolétaires eux-mêmes, dans lesquelles se liquideront ou non les identités construites inhérentes à leur existence de prolétaires, entre les hommes et les femmes dans l’abolition de la propriété, de la division du travail et du travail.
Dans la lutte contre la racialisation, le déni normatif des segmentations et la proclamation de l’unité mystique de la classe sont le rêve de militants qui se sont trompés d’époque. Si SM a raison de dénoncer dans l’idéologie des Indigènes, le « refus de la lutte contre l’exploitation capitaliste » et « l’occultation des luttes d’une immigration intégrée (souligné par nous) à la classe ouvrière » (137), nous ne pouvons avoir cependant qu’une opinion extrêmement réservée quant à l’irénisme de cette « intégration » à l’intérieur du mouvement ouvrier et de ses institutions. SM peut développer des critiques factuelles précises et pertinentes des idéologies et des pratiques en cours parmi les « entrepreneurs » et les « islamo-gauchistes », mais elles resteront toujours limitées du fait de sa vision non-critique et non-historique du mouvement ouvrier et de l’unité de la classe dont l’attente du retour est la toile de fond de tout son ouvrage.
Au-delà de la « décomposition du mouvement ouvrier » et de l’unité mystique de la classe, dans le cours actuel des luttes, ce qui importe c’est une vision pragmatique des conflits internes, des divisions, de leur dynamique, de ce qu’elles représentent, des alliances ou non. La fluidité, la labilité, l’historicité des constructions raciales c’est là-dessus qu’il faut se battre et non se réfugier dans le déni, la condamnation manœuvrière et la norme. La fluidité, etc. c’est aussi ce qui permet de penser la possibilité de la lutte antiraciste, elle en est la possibilité et le contenu même. L’objet de la critique, sa cible, son point d’appui, c’est cette labilité, cette plasticité et cette fragilité : l’historicisation, la « déconstruction », la contextualisation et, pourquoi pas, dans certaines situations, le fait que ces identités peuvent être des processus dynamiques de constitution d’une lutte spécifique et particulière et par là la reformulation d’un rapport de forces général entre les classes.
En ce qui concerne ce dernier point, dans un entretien publié sur le site Ballast, SM reprend un fragment de l’Adresse aux révolutionnaires d’Algérie et de tous les pays de « l’Internationale situationniste » : « Les prochaines révolutions ne peuvent trouver d’aide dans le monde qu’en s’attaquant au monde, dans sa totalité. Le mouvement d’émancipation des Noirs américains, s’il peut s’affirmer avec conséquence, met en cause toutes les contradictions du capitalisme moderne (c’est nous qui soulignons) ; il ne faut pas qu’il soit escamoté par la diversion du nationalisme et capitalisme de couleur des Black Muslims. » SM n’a vu que la fin de la phrase sur la « diversion », là il était chez lui, mais le début est une réfutation radicale de toute sa problématique : la mise en cause de « toutes les contradictions du capitalisme moderne » est le fait d’un mouvement qui reconnaît et assume la segmentation raciale à l’intérieur du prolétariat : « le mouvement d’émancipation des Noirs américains ». De même, on pourrait citer C.LR.James dont SM se réclame au cours de l’entretien : « Aujourd’hui, leur composition prolétarienne et leur relation avec le prolétariat américain sont telles que leurs luttes (celles des « Nègres », nda) indépendantes (souligné par nous) constituent probablement le stimulant le plus puissant dans la société américaine pour que le prolétariat organisé américain prenne conscience de ses véritables responsabilités dans la marche d’ensemble du processus national et de la force qu’il représente contre l’impérialisme américain. » (Une histoire du Nègre aux Etats-Unis – 1943 – in C.L.R.James, Sur la question noire, p.143, éd. Syllepse).
« Je refuse avec la même force la confessionnalisation et la racialisation de la question sociale car leur triomphe définitif signifierait la disparition de toute issue réellement émancipatrice » déclare SM (entretien de Ballast). Proclamation très noble mais qui n’avance à rien. C’est en comprenant comment racialisation et confessionnalisation (je préfère cet ordre des termes) sont objectivement construites qu’on peut lutter contre, c’est-à-dire à partir de leur reconnaissance dans la constitution même du prolétariat en classe et non de leur « refus ». Le problème de la lutte de classe, c’est la classe.
Dans le même entretien : « De nos jours, des notions comme la “race” et l’ “identité” ont été rapidement réappropriées, sans la moindre critique par certains milieux militants porteurs d’un discours radical (…) Il faudrait tout de même réussir à démontrer l’utilité politique de ces outils théoriques dans une perspective révolutionnaire, en particulier dans le contexte français. » L’ « utilité politique » n’a pas à être « démontrée » puisque ces déterminations de races et d’identités sont parties prenantes de la constitution des classes et de la lutte des classes. Races et identités ne sont des outils théoriques que dans la mesure où on comprend leur construction réelle dans le mode de production capitaliste, comment elles s’insèrent de façon toujours historiquement spécifique dans la lutte des classes. On ne parlera pas de la même façon des grèves des maçons italiens en région marseillaise au début du XXe siècle, des ouvriers de Billancourt au début des années 1970 ou des émeutes de banlieues en 2005. Certaines segmentations raciales peuvent disparaître, de nouvelles apparaître. En définitive, la principale question ne porte pas sur les identités ou les races, mais sur le prolétariat lui-même qui n’est pas une substance possédant en elle sa mission historique. On pourrait simplement répondre à SM que races et identités nous servent à comprendre ce qu’il se passe et que ce n’est que dans ce qu’il se passe que se forge la « perspective révolutionnaire ». Nous serions curieux de voir comment SM parvient à analyser les grèves de l’automobile de 1981 – 1984 ou les émeutes de 2005 sans « l’outil théorique » de la race. En parler, l’analyser, lui faire toute sa place, ce n’est ni l’exalter, ni en faire l’alpha et l’oméga de tous les faits sociaux. Crier « La classe ! La classe ! » en sautant sur sa chaise comme un cabri n’est pas plus efficace dans une « perspective révolutionnaire » que de crier « La race ! La race ! ». Il ne s’agit pas de combiner les deux, comme dans une mauvaise compréhension de « l’intersectionnalité », les choses sont en fait assez simples : le prolétariat n’existe pas préalablement dans une sorte de pureté théorique avant de compter en son sein des Arabes, des Noirs, etc. Tout est donné simultanément mais conceptuellement tout n’est pas au même niveau. C’est à partir du mode de production capitaliste, de l’exploitation, des classes que nous déduisons les constructions raciales comme nécessaires et le cours des luttes de classe comme intégrant cette nécessité. La lutte des classes est bien le « moteur de l’Histoire » pour parler comme SM, mais la question raciale n’est pas « subordonnée à la lutte de classe » comme le dit SM à la suite de C.L.R.James, elle lui est interne.
Même si « le slogan “Noirs et Blancs unissez-vous et luttez” est inattaquable en principe, mais souvent trompeur et parfois même dangereux au regard de la réalité » (CLR James), en revanche le déni fut toujours nécessaire et vital pour le mouvement ouvrier et il l’a toujours pratiqué. Quand, dans la suite de l’entretien, SM cite C.L.R. James, il n’en lit et n’en comprend que la moitié. Quand James parle de subordination, il ajoute immédiatement : « Mais négliger le facteur racial comme simplement accessoire est une erreur à peine moins grave que de le rendre fondamental. » (The Black jacobins, cité par SM dans l’entretien). Pour SM cela vaut autorisation pour ne pas s’en préoccuper face au « moteur de l’Histoire » (ce n’est pas moi qui ajoute la majuscule). Parodiant SM, « A quoi sert cet “outil théorique” ? » serait-on tenté de demander à James.
Sur la lancée de cette lecture hémiplégique de James, SM fait un pas de plus et enchaine sur une citation de Louzon où, là, la race est rejetée hors de tout espace théorique : « La colonisation n’est donc pas, en fait, ce qu’elle apparaît être à première vue ; elle n’est pas affaire de races et elle est bien moins affaire de religion, elle n’a pour raison ni d’exterminer une race ennemie ni de convertir des infidèles ; elle est simplement l’extension à d’autres parties de la planète du système à fabriquer des prolétaires que la bourgeoisie a commencé à appliquer chez elle dès sa naissance ». Exit le « Code noir », le « Code de l’indigénat », le refus de la citoyenneté, les collèges électoraux séparés, etc.,etc. Pas de racisme dans la colonisation : « faut pas pousser SM ! ». A force de se focaliser sur les « forcenés de l’identité » ℠ et de réduire la segmentation raciale à leurs activités, SM en arrive à dire n’importe quoi au nom de la préservation de la pureté prolétarienne s’exprimant dans le mouvement ouvrier « allié à la petite bourgeoisie intellectuelle » qui, au prix d’une petite entorse intellectuelle à la « non mixité de classe », trouve tout de même sa place.
A la suite de son « refus de la confessionnalisation et de la racisation de la question sociale » (ce qui est tout à fait contraire à tous les textes de James), SM introduit un parallèle entre la situation actuelle et la « main tendue aux catholiques » de Maurice Thorez dans l’Humanité du 17 avril 1936 et la réponse de Marceau Pivert à Thorez (« Frères en tant qu’exploités mais non pas frères en tant que catholiques »). Ce parallèle passe totalement à côté des questions auxquelles nous sommes malheureusement confrontés maintenant, il a la curieuse caractéristique d’occulter ce dont il est censé parler, c’est-à-dire le racisme et actuellement son marqueur religieux. Le parallèle entre catholiques de 1936 et musulmans de 2017 n’a aucun sens. Les ouvriers catholiques français de 1936 n’étaient pas un groupe racisé (sauf peut-être les mineurs polonais à Montceau-les-Mines — je plaisante). Toutes les difficultés dans lesquelles nous sommes embarqués relatives à la compréhension et aux prises de position face à la constitution actuelle du racisme sur marqueur religieux sont évacuées par ce parallèle.
On ne peut sortir de ces difficultés que par une compréhension de l’« islamophobie » qui paradoxalement ne fait pas de l’islam le début et la fin de l’affaire (voir notes sur Hajjat). Les mesures « islamophobes » sont des mesures racistes dont l’islam est la forme conjoncturelle. Il importe alors de montrer et de mettre l’accent sur les raisons de cette conjoncture qui implique l’ensemble des rapports de classes (voir divers passages dans les notes sur Guillaumin et sur Hajjat). En sortant l’islamophobie de sa vision comme relevant d’un « choc culturel » on l’historicise comme une construction raciale particulière mais relevant des mécanismes généraux des constructions raciales dans le MPC, on demeure de plain pied dans les mécanismes de reproduction du capital. On montre qu’être musulman n’est pas une qualité inhérente à une somme d’individus mais une assignation construisant le groupe comme tel, traversé lui-même de conflits entre hommes et femmes et selon les classes sociales, conflits parfois propres mais le plus souvent identiques au reste de la population dans la même situation sociale. On défait l’homogénéisation induite par « l’islamophobie ». On s’opposera aux défenseurs de l’islam qui ont besoin d’en faire le début et la fin de « l’islamophobie » non pas au nom de la critique anticléricale mais parce qu’on aura démonté la construction de l’islamophobie, ce n’est que ce faisant que l’on peut alors poser, en situation, si nécessaire, la critique de la religion parce que les adversaires auront été autrement définis. On critique des mesures racistes en expliquant pourquoi elles ont acquis cette « forme », et si on ne défend pas l’islam, on ne défend pas non plus la laïcité. La laïcité parle de Liberté, mais derrière la Liberté, c’est l’Etat qui se profile, et avec l’Etat, le pouvoir et l’Ordre qui assigne à chacun, au nom de la laïcité, sa place dans la hiérarchie de la civilisation justifiant sa promotion ou sa relégation, le traitement qui lui est réservé, sa place dans la société.
ANNEXE 1
Sur l’idéologie anti-islamophobe (Flora Grim et Alexandra Pinot-Noir – G/P – sur le site ddt21)
Dès le premier paragraphe, le texte se donne un adversaire taillé sur mesure : « Ce texte entend répondre à ceux qui, parmi les communistes libertaires, sont engagés dans un combat contre “l’islamophobie” et, à ce titre, prétendent interdire toute critique de l’islam et promouvoir une théorie de la “race sociale”… ». Il ne s’agit pas de comprendre comment l’islam devient le marqueur des construction raciales anti-arabes et/ou anti-immigrés et leurs descendants, mais de « répondre » à ceux qui prennent l’islamophobie au pied de la lettre pour ce qu’elle dit d’elle-même aussi bien du côté des islamophobes que de leurs adversaires plus ou moins justement désignés comme « islamophiles » et qui en outre « prétendent interdire toute critique de l’islam ». Le terrain est balisé pour ne pas sortir d’une stricte critique idéologique n’ayant pas à expliquer et justifier son objet et surtout pour ne pas en parler.
L’islam comme marqueur du racisme devient alors l’effet d’un simple « tour de passe-passe qui assimile la “race” à la religion ». Les raisons de cette assimilation ne sont jamais abordées si ce n’est sous l’angle de la manipulation et de la soumission à de vieilles idéologies comme le tiers-mondisme recyclées pour l’occasion. Le but du « tour de passe-passe » est de « faire taire toute critique de l’islam ». A n’en pas douter « faire taire toute critique de l’islam » était certainement le but de toutes les lois sur le voile et des interventions des polices municipales chassant le « burkini ». Tout le texte ne sort pas d’un certain « entre-soi » à l’intérieur duquel il s’agit de prendre position, l’enjeu essentiel est la prise de position et non l’objet lui-même des prises de position. Entre manipulateurs et dénonciateurs, on est dans l’idéologie au sens le plus vulgaire et on y reste.
« Assigner une identité musulmane à tous les immigrés « arabes » et leurs descendants » n’aurait aucune cause sociale et historique dans l’évolution de la société française, ce ne serait que le fait de quelques entrepreneurs en racialisation ayant trouvé un nouveau créneau pour diviser la classe ouvrière que tout le monde sait être, en tout temps et tout lieu, en soi, absolument une et indivisible. Considérer l’islamophobie comme une idéologie profondément sujette à la critique est une chose, ne pas considérer les faits que cette idéologie met en forme à sa manière en est une autre. Dans ce texte, les faits disparaissent, ne subsiste que l’idéologie dont la critique suffirait. Il est vrai que par ailleurs on peut lire : « Quant au terme “islamophobie”, le problème ne réside en réalité pas dans la notion elle-même mais dans l’usage qu’en font ceux qui la manipulent. ». Nous n’en serons jamais plus sur la notion elle-même distinguée de son utilisation, sa réalité, sa formation, son « objectivité » ou non, sa fonction de marqueur de la racialisation. Tout au long du texte la notion se confond avec son utilisation, parce que c’est le seul objet des auteures.
Quand G/P écrivent : « C’est sur ces bases que l’idéologie identitaire anti-islamophobe vient s’associer, notamment chez certains marxistes, à celle de la “race sociale”… », il faut se rappeler que les « bases » ici évoquées renvoient à ce qui dans le paragraphe précédent était qualifié de « discours identitaire », nous tournons un peu en rond à l’intérieur d’une critique de la segmentation raciale réduite à un discours. Pour les auteures, il suffit alors de pointer du doigt les manipulations de quelques entrepreneurs en racisation et la naïveté de quelques libertaires.
De même, la « culturalisation du racisme » n’est abordée que sous l’angle de l’histoire des idées, elle n’est reliée à aucun fait objectif dans l’histoire de l’immigration en France. Pour les auteures, il s’agit de dénoncer les accointances entre la Nouvelle Droite et les anti-islamophobes, cela suffit à leur propos qui est un simple positionnement dans un milieu. S’il est bon de critiquer le « discours identitaire qui considère que tous ceux qui ont un lien d’origine ou familial avec l’un ou l’autre pays du Maghreb (ou d’autres pays « arabes ») doivent se considérer comme musulmans… », il serait bon également de considérer qu’il ne s’agit pas que d’un discours et que l’assignation ne vient ni seulement, ni en premier lieu des « anti-islamophobe » trop facilement assimilés pour les besoins de la distinction idéologique à des censeurs de toute critique des religions et de l’islam spécialement.
S’il semble vrai, au premier abord, que « ce n’est pas en raison de la religion qu’ils pratiquent ou qu’on leur prête qu’ils sont discriminés mais parce que ce sont des travailleurs immigrés ou issus de familles ayant immigré. Ce n’est pas l’identité qui est en jeu mais l’appartenance de classe. » ; il aurait été cependant intéressant de chercher à comprendre pourquoi et comment la discrimination en tant que travailleurs immigré opère sous une discrimination religieuse et culturellement identitaire. Mais on ne voit pas comment G/P pourraient se poser cette question quand elles ne voient même pas la question que recèle leur affirmation précédente. Si, comme elles l’écrivent, on est « discriminé en tant que travailleurs immigrés » (c’est moi qui souligne), conclure que ce n’est pas « l’identité qui est en jeu mais l’appartenance de classe » relève d’un « tour de passe-passe ». D’un coup de bonneteau, dans « travailleur immigré », « immigré » a disparu.
Ce n’est pas par oubli ou pour délimiter leur sujet que les auteures escamotent toutes ces questions, c’est parce que leur problématique leur interdit de voir ces questions. C’est à la page deux que nous entrons dans le vif du sujet, au cœur de leur problématique.
« Cette vision « racialiste » qui prétend créer une nouvelle classe de “race” ne sert en réalité qu’à masquer, voire à nier, la réalité du rapport social capitaliste : l’exploitation des prolétaires, de tous les prolétaires, quels que soient leur origine, leur couleur de peau, leur religion et leurs us et coutumes personnels. » Qu’une « vision racialiste » serve à « masquer la réalité du rapport social capitaliste » est une chose, que la segmentation raciale relève de processus objectifs du mode de production capitaliste en est une autre. Les deux ne sont évidemment pas sans lien, mais ce lien est précisément l’interdit de la problématique des auteures. Pour elles, tous les prolétaires « quels que soient leur origine, etc. » sont exploités, point final. Que dans l’exploitation même et sa reproduction gisent les mécanismes de la segmentation raciale du prolétariat, cela est l’interdit absolu de leur propre idéologie. C’est en cela qu’elles ne peuvent faire de la racialisation (quel qu’en soit le marqueur) qu’une « vision » et une manipulation, au mieux un discours. Et c’est seulement à cela qu’elle s’attaque, la réalité de la chose n’est pas leur objet. Elles peuvent alors reprendre à leur compte les violentes inepties des auteurs de « Tiens ça glisse » qui « nomment racialisation (et donc raciste, voir d’autres textes des mêmes, nda) toute analyse contribuant à développer ou à diffuser une théorie de la race ». En tant qu’objet théorique, la segmentation raciale n’est jamais considérée comme une réalité, ce n’est qu’une vision des racialisateurs dont on va décortiquer les accointances, les alliances, les rencontres, la biographie, remplaçant l’analyse concrète d’un objet concret par un rapport des Renseignements Généraux (voir les Amis de Juliette) qui comme tout rapport de police se conclut par un « Circulez, il n’y a rien à voir ». Que ces « racialisateurs » soient à combattre est une affaire mais pas en supprimant l’objet du débat que l’on a réduit aux personnes, à leur projet politique et à leur « vision », à un « tour de passe-passe ».
Quand G/M disent que le racisme n’est pas « indispensable » au développement capitaliste, c’est parce qu’elles considèrent qu’il ne serait que « justification « ou « excuse ». Si le racisme est constamment lié au développement du MPC (sans en être l’origine comme dans l’idéalisme de l’idéologie décoloniale), ce n’est pas parce qu’il « justifie » ou excuse » quoi que ce soit, mais parce qu’il est inhérent à l’universalité du capital et à l’historicisation hiérarchique des sociétés qui en découle, à la division du travail, à la valeur morale de la force de travail, à la citoyenneté de l’individu libre isolé et à la nation. Pour Grim et Pinot-Noir, l’idéologie n’est que justification et excuse et elles nous assènent que « dans leur ensemble, pillage et colonisation, tout comme l’exploitation proprement dite, n’ont pas besoin de quelconque excuse. », telle que le racisme. Il ne s’agit pas d’ « excuse », et pourtant que de volumes, de traités, de codes de lois, de théories les plus folles, de bibliothèques entières d’Economie politique, de dispositifs divers, que la classe dominante, ses économistes, historiens, anthropologues, géographes, médecins et philosophes, mais surtout militaires, administrateurs et fonctionnaires ont produit pour construire, délimiter et hiérarchiser des groupes raciaux, nommer et fixer les ethnies, expliquer la nécessité du colonialisme et de l’exploitation en général. G/M vont alors chercher deux exemples de colonisation qui, selon elles, sont exemptes de racisme : les Irlandais et les Ukrainiens. Rappelons que les Irlandais ont été décrits par les Anglais comme des bêtes et ont très difficilement accédé au statut de « blancs » aux Etats-Unis. Quant aux Ukrainiens face aux Russes, autre exemple de colonialisme sans racisme selon G/P, parler de colonialisme entre l’Ukraine et la Russie serait déjà un vrai sujet de discussion. En outre, c’est sous le règne de Catherine II(1762−1796) que le servage est étendu et renforcé en Ukraine orientale (l’Ukraine occidentale n’est acquise à la Russie que lors du second partage de la Pologne en 1793) avec l’interdiction faite aux paysans de quitter le domaine et globalement de quitter leur condition, au plus grand bonheur des propriétaires ukrainiens. Les exemples de G/P contredisent leur problématique, non seulement dans les faits mais dans les notions employées. Dès que je parle d’ « Anglais » et d’ « Irlandais » ; de « Russes » et d’ « Ukrainiens », j’ai construit des ensembles historiques, culturels ou raciaux, peu importe, mais j’ai commis le crime suprême : j’ai amalgamé comme le plus vulgaire anti-impérialiste les classes sociales de part et d’autre de la ligne de la colonisation (cf.l’Ukraine). Il faut voir comment les élites aztèques se sont vite accommodées de la conquête espagnole aux dépends des paysans tenanciers.
Rien ne se donne jamais en clair, l’idéologie est partout, pas comme « excuse » ou « justification » mais comme rapport aux rapports de production et comme ensemble de solutions crédibles aux conflits nés de ces rapports. L’unité immanente et indistincte du prolétariat que nous présentent Grim et Pinot-Noir est un bon exemple d’idéologie sous laquelle peuvent opérer de nombreuses pratiques telles que celles du mouvement ouvrier qu’idéalise Sidi Moussa dans son « très bon ouvrage, La Fabrique du musulman » (dixit Grim et Pinot-Noir dans un entretien postérieur à leur texte, sur le site ddt21). Face à la terrible unité immanente de la classe, les dominants ne pourraient que faire feu de tout bois : « Le racisme, comme la xénophobie, est un outil qu’utilisent les dominants contre les dominés ». Quelle pauvreté de pensée que l’instrumentalisme ! Il fonctionne comment cet « outil », quelle énergie utilise-t-il, par quelle transmission passe cette énergie pour l’actionner ? « Il s’agit de créer des catégories permettant de diviser pour prévenir ou écraser les rébellions et les luttes sociales » (G/P). Il faut avoir une bien piètre idée des prolétaires, des luttes sociales et des rébellions pour penser qu’un simple outil de diversion suffise à les prévenir ou les écraser. Mais alors, c’est la conscience de leur situation et de leur immanente unité qu’il faudrait apporter à ces prolétaires mystifiés puisqu’ils se laissent berner par des manipulations et des visions.
Dans la séquence particulière que nous traversons et vivons (cf. TC 25), la théorie de la communisation s’est sclérosée en un ensemble de propositions et de mesures codifiées, en un nouveau programme dont la production historique a disparu. La théorie de la communisation ne se soucie plus de sa propre production dans un cycle de luttes, de son embarquement dans l’immédiat. Encore une fois, la chouette de Minerve a pris son envol au crépuscule. La communisation est devenue un but fixe et défini à atteindre par un prolétariat imaginé et imaginaire semblable à celui du mouvement ouvrier qui fait tant rêvé Sidi Moussa dans le livre que G/P trouve si « important ». Elles se gardent bien de citer tous les passages où l’auteur déclare son amour au mouvement ouvrier, ses institutions et ses conquêtes ainsi que l’espérance du renouveau de son « alliance avec la petite bourgeoisie intellectuelle ».
Le passé ne fait pas rêver que Sidi Moussa : « Et, même à l’époque du plein-emploi, le pouvoir et ses media ont toujours plus ou moins entretenu la xénophobie, encourageant la stigmatisation successive de chacune des différentes vagues de travailleurs immigrés (les « Polaks », les « Macaronis », « les Portos », etc.). La grande différence était que, dans les unités de travail, la solidarité ouvrière prévalait sur les préjugés et que tout le monde travaillait et combattait au coude à coude. Mais c’était avant…. » (G/P). Passons sur le fait que les vagues d’immigration des « Polaks », des « Macaronis » et « des Portos » n’ont pas toujours correspondu à des « époques de plein emploi », l’essentiel est dans la dernière phrase. Que la « solidarité ouvrière » était belle au temps d’Aigues Mortes et quand les ouvriers « français » applaudissaient à l’expulsion des mineurs polonais en 1937 ! Lisez les articles de Daniel Mothé dans Socialisme ou Barbarie sur Billancourt à la fin des années 1950 et dans les années 1960. Il y avait bien solidarité ouvrière mais au travers de toutes sortes de conflits, de luttes menées ensemble ou les uns contre les autres créant un espace commun mais qui jamais en ce qui concernait alors les travailleurs nord-africains ne dépassait la coupure entre « eux » et « nous ».
Le racisme ne sera dépassé que par et dans la lutte de classe disent G/M, c’est vrai mais pas dans un mythique « grand tous ensemble » à la Sidi Moussa car la position commune de l’appartenance de classe contient toutes les segmentations. Ce n’est que dans leur contradiction avec l’appartenance de classe devenue contrainte extérieure que les prolétaires peuvent, abolissant le capital, dépasser les segmentations raciales. Ce n’est pas dans leur situation commune de classe mais en se retournant contre elle que les prolétaires dépassent les segmentations raciales. En attendant, la lutte de classe peut travailler la fragilité, la labilité, des segmentations raciales (elle n’est pas étrangère alors à l’anti-racisme, n’en déplaise aux « radicaux ») qui sont des processus objectifs mais des configurations mouvantes.
Il est vrai que « avant », quand « la solidarité ouvrière prévalait sur les préjugés et tout le monde travaillait et combattait au coude à coude », le monde était beau comme dans un poème d’Aragon.
ANNEXE 2
Racisme anti-musulmans et logique identitaire
(non signé, publié sur le site Zones subversives le 18 février 2017)
Il s’agit d’un commentaire (souvent une paraphrase) du livre de Sidi Moussa, accompagné de nombreuses citations.
Comme d’habitude, aucune explication (la question n’est même pas posée) des raisons pour lesquelles les constructions de groupes raciaux en est venue à opérer sous le marqueur religieux de l’islam assignant plus ou moins de force tout immigré nord-africain ou originaire d’un pays « arabe » à être un « musulman ». Le premier paragraphe nous livre la description habituelle de la « montée des logiques identitaires », du « racisme qui s’amplifie », du « républicanisme franchouillard » et de « la laïcité autoritaire », bien sûr tout cela passant par les « médias ». Nous demeurons dans l’ordre des discours et on suppose que, selon le refrain bien connu, « La Crise » doit expliquer tout cela. Une « cause » est cependant sortie du lot : « L’agressivité et le racisme des républicains contribuent à éradiquer la nuance et le recul critique ». Il s’ensuit, selon cette « explication », la raison pour laquelle « l’extrême gauche insiste également sur les thématiques identitaires au détriment de la question sociale. ».
Quand les « thématiques identitaires » viennent se substituer à la « question sociale », nous sommes face à des adversaires qui ont leur propre agenda politique. Mais le problème de Sidi Moussa ℠ et des commentateurs (trices) de son livre est qu’il ne raisonne que de façon binaire : en termes de « substitution ». Parce qu’il est juste de dire que les « thématiques identitaires » se substituent à la « question sociale » ou se développent « à son détriment », toute analyse reconnaissant la réalité de la segmentation raciale du prolétariat et ne se contentant pas, au nom de l’unité éternelle et immanente de la classe, de la réduire à du discours ou une manipulation, est renvoyée dans l’enfer du racialisme et de la thématique identitaire. Ce n’est que leur propre incapacité à sortir des fondamentaux du programmatisme, c’est-à-dire de la révolution comme unité et montée en puissance d’une classe appelée à s’affirmer, que Sidi Moussa et ses commentateurs (trices) exposent (même si certaines d’entre elles, un peu gênées se gardent d’évoquer la toile de fond de son livre).
Existe-t-il une segmentation raciale du prolétariat, et quel est le statut de cette segmentation : purement manipulatoire ou objective ? Existe-t-il des processus objectifs de segmentations et assignations ? Pourquoi l’essentialisation raciale dans le MPC est-elle devenue religieuse ? Si l’on ne répond pas à ces questions, on reconstruit un prolétariat et une lutte de classe fantasmatiques et mythiques qui n’ont jamais existé si ce n’est dans l’efficacité du discours sur lui-même du mouvement ouvrier que SMet G/M croient sur paroles (efficacité tenant aux caractéristiques du rapport d’exploitation jusqu’à la fin des années 1960 : le mouvement ouvrier n’était pas la réalité du prolétariat, mais la réalité du prolétariat faisait croire qu’il l’était).
Tout le reste du texte est une critique des Indigènes à laquelle on pourrait souscrire, mais ce n’est que cela. Une critique des Indigènes est indispensable mais le problème avec ce type de texte, c’est qu’une fois celle-ci faite, on s’imagine être quitte envers la question au nom de la « substitution » et du « remplacement ».
Entièrement d’accord avec ce qui est dit (notamment la périodisation de l’islamophobie proprement dite, qu’on ne peut pas vraiment faire remonter aux années 80 avec la stigmatisation des OS “musulmans”), et avec la critique du livre de NSM, à une inflexion près : je partage la conception du “commun” telle qu’elle est très clairement formulée par Guillaumin, mais je pense aussi qu'”aucun processus objectif n’existe sans être mis idéologiquement en forme et sans que les pratiques que ce processus détermine n’opèrent sous ces idéologies”. En particulier, il me semble que s’il est abusif de parler de “privilège blanc” en tant que tel, il est difficile de ne pas sérieusement prendre en compte le fait qu’à l’exclusion des uns répond l’inclusion des autres, et que celle ci n’existe que parce qu’elle donne lieu à des pratiques (à quoi ça servirait d’être Blanc si on n’en profitait pas un peu, pas vrai ?). A titre d’exemple, le concept de “préférence nationale” ne pourrait même pas être formulé si n’existait pas l’idée que l’appartenance raciale et/ou nationale n’était pas (et ne devait pas être) socialement avantageuse pour les français blancs, et ce non seulement dans le domaine du travail, mais dans tous les aspects de la vie sociale.
RS écrit : “Les processus de discriminations à l’intérieur de la classe ouvrière sont des dispositifs constitutifs de l’existence ouvrière mais sur lesquels les ouvriers n’ont aucun pouvoir même si, catastrophiquement, ils peuvent être amenés parfois à défendre ces discriminations (Aigues Mortes à la fin du XIXe siècle ; les dockers de Londres au début des années 1970, les licenciements dans l’automobile en France au début des années 1980, etc.).” Je trouve que ce passage tend à rendre inapparent tout ce qui constitue, hors des moments catastrophiques et de la pure division du travail telle qu’elle est directement mise en œuvre par les capitalistes, une conscience commune du français blanc et la défense des avantages réels ou supposés qu’elle implique, et ce dans une quantité de champs sociaux qui dépasse largement celui des luttes ouvrières. Le “racisme” c’est ce qui fait idéologiquement le lien entre tous ces champs de discrimination, qui sont bel et bien mis en œuvre activement par des sujets racistes. Que leurs intérêts ainsi idéologiquement conçus soient réels ou non n’y change rien.
Ce qui reste peut-être à voir de plus près c’est comment cette segmentation particulière qu’est la race est mise en œuvre ou en tout cas accompagnée par les prolétaires blancs. Pour le cas des grèves d’OS dans les années 80, par exemple, on remarque que la CGT défend activement les revendications religieuses (salles de prières, etc.) au début du mouvement, mais que dès que le mouvement se radicalise et que l’incrimination “musulman” devient trop chaude politiquement elle finit par se rétracter. Il y a même un moment où la défense des libertés religieuses faisait partie des statuts, puis a été retirée. Bref, il y des choses à regarder en détail.
Je note aussi que dans le passage où il est question du “privilège blanc”, RS parle explicitement de la “classe ouvrière”, ce qui n’est pas courant. Or, ce n’est pas seulement en tant qu’ouvriers que les racisés subissent une discrimination, d’où d’ailleurs l’existence du PIR : la classe moyenne racisée fait aussi l’objet de discriminations, qui ne sont évidemment pas du tout les mêmes que celle du prolétariat racisé, mais qui se formulent sur la même base. C’est là que le facteur commun “musulman” peut jouer comme formulation interclassiste, comme le racisme l’est lui-même, ce en quoi il lui est parfaitement adéquat.
Bon, sur les limites politiques du bouquin, oui, on peut dire que SM n’est pas communisateur. Jusqu’ici tout va bien. Mais derrière cette note de lecture se manifeste surtout le nouvel appareil théorique de TC qui visiblement n’a pas du côtoyer assez de luttes ces derniers temps et a été contraint de piocher du côté de l’université et ses périphéries. Le premier texte “Classes / segmentation / racisation” relevait d’un coup de force où on pouvait lire des inepties du genre “Une reprise des luttes en France, dans un rapport de forces favorable est en grande partie suspendue actuellement à la lutte particulière et autonome des prolétaires racisés contre leur racisation, cela ne peut se faire en niant la racisation comme nulle et non avenue.” ou encore “Quelle blessure narcissique que de ne plus pouvoir s’identifier aux « lascars de banlieue » !”. En gros, TC a un nouveau jouet, la race. Je ne comprends pas la confusion qu’ils entretiennent entre d’une part une segmentation bien réelle, de type historique liée au développement particulier du MPC, et d’autre part l’utilisation du concept de race pour définir cette segmentation. Je trouve que ça ne tombe absolument pas sous le sens. C’est à dire que quand on me parle de “division raciale” qui est un état absolu, je trouve qu’on se fait juste embarquer dans la discussion du moment et qu’on apporte rien à l’analyse de ce qui fait du prolétariat sa propre limite, dans son atomisation en abyme. Parce que la question de la racialisation (c’est à dire d’un processus partant d’un pôle émetteur vers un pôle récepteur qui vise à différencier donc discriminer des catégories de la population grâce à l’idéologie de la race) n’est pas le seul exemple de division qui marche avec la baisse du coût du travail pour faire très simple (c’est bien des fois). J’ai en tête le système huku en Chine, ce fameux passeport intérieur mais on peut prendre les différents contrats de taf également. Si on ne prend pas un peu de distance, on finit par créer des blocs superstructurels dans l’analyse, à l’image du commentaire d’au dessus sur “le privilège blanc”, bientôt on verra apparaître la CMSB (classe moyenne salariée blanche) différente de la CMSR. Je trouve ça complètement ahurissant d’essayer de faire passer la pilule en appelant tous ceux qui ne sont pas “blancs” des “racisés” et faire zarma “non non on essentialise personne, c’est un processus du MPC” alors que vous ne vous donnez même plus la peine d’énoncer l’émetteur de ce processus de “racialisation”, son côté labile, intermittent etc. Vous en faîtes quasiment des sujets politiques centripètes. Dites non-blancs et acceptez d’être tombés dans le panneau des entrepreneurs en race ça sera plus simple. Derrière la sophistication de l’appareil théorique de TC, on retrouve la surface, le particulier et surtout les nouvelles lubies universitaires. La surdétermination nous perd parfois.
“Si de tels propos avaient été relayés par un autre support, je n’aurais pas pris la peine d’y répondre mais, par égard pour les militants et sympathisants d’AL soucieux de préserver la crédibilité de leur organisation et de leur journal, une mise au point s’imposait.” (Nedjib Sidi Moussa)
http://www.alternativelibertaire.org/?Droit-de-reponse-La-Fabrique-du-musulman-une-publicite-gratuite-mais-mensongere
“la crédibilité de leur organisation et de leur journal”
Des barres.
Salut
Par commodité, je répondrai en un seul envoi à l’intervention d’AC, puis à celle de B.
A propos du commentaire d’AC.
Le commentaire d’AC me pose un « petit problème » car il me prend à mon propre jeu de l’idéologie en me renvoyant à juste titre une phrase de mes notes sur Hajjat et Mohammed « Aucun processus objectif n’existe sans être mis idéologiquement en forme et sans que les pratiques que ce processus détermine n’opèrent sous ces idéologies ».
Il me semble que nous sommes d’accord, AC et moi, sur le fait que « privilège blanc » est une expression inadéquate. Cependant, il est vrai que, dans ces notes sur SM, si je critique la réalité du « privilège » tout en disant qu’il vaut mieux être dans la « règle commune » qu’en dehors, je laisse de côté, à propos de ce « il vaut mieux », l’efficacité de « l’appartenance raciale et/ou nationale ». Celle-ci n’existe que si elle est pensée et pratiquée comme devant être « socialement avantageuses pour les Français blancs, et ce non seulement dans le domaine du travail, mais dans tous les aspects de la vie sociale. » (AC). En conséquence, il est vrai que dans ces notes sur SM je laisse de côté comment se constitue la « règle commune » et surtout (quant aux remarques critiques de AC) le rôle et l’efficacité d’ « une conscience commune du Français blanc et la défense des avantages réels ou supposés qu’elle implique, (…). Que leurs intérêts ainsi idéologiquement conçus soient réels ou non n’y changent rien. » Une fois produites selon des processus objectifs et historiquement conjoncturels et opportunistes (comme les virus), les constructions raciales développent leurs propres déterminations, leurs critères, leurs pratiques et leurs objectifs.
Il est évident que globalement je ne peux que trouver très pertinent ce « rappel à l’ordre » que m’adresse AC. Cependant (j’aurais un peu de mal à préciser pour le moment) une chose me gêne dans ce commentaire : la « conscience commune du Français blanc ». « Commune » à qui ? Et produite comme « commune » selon quel processus ? Ce qui est commun en matière de faits sociaux n’est jamais l’intersection d’ensembles par ailleurs discrets. Le « commun » est toujours produit dans une implication réciproque entre les classes dont une subsume la reproduction d’ensemble. Le « commun » est alors toujours traversé par la structure de classes du mode de production et en dernier lieu de la société. Je pense qu’en outre il faut spécifier historiquement l’apparition de cette « conscience commune du Français blanc » pour comprendre qu’elle n’est pas si « commune ». A ce propos je renvoie au texte « Une séquence particulière » (TC 25)
« Dans la crise de la société salariale, les luttes qui se déroulent autour de la distribution désigne l’Etat comme le responsable de l’injustice. Cet Etat, c’est l’Etat dénationalisé, traversé par et agent de la mondialisation. La citoyenneté devient alors l’idéologie sous laquelle est menée la lutte des classes, nous voyons partout des drapeaux. Dans la « période fordiste », l’Etat était en outre devenu « la clé du bien-être », c’est cette citoyenneté qui a foutu le camp dans la restructuration des années 1970 et 1980. Si la citoyenneté est une abstraction, elle réfère à des contenus bien concrets : plein emploi, famille nucléaire, ordre-proximité-sécurité, hétérosexualité, travail, nation. C’est autour de ces thèmes que dans la crise de la société salariale se reconstruisent idéologiquement les conflits de classes. (…) Dans le cadre de la « préservation de l’Etat social » ou de sa « restauration » au nom du contre-type social, économique et idéologique des « Trente Glorieuses », la nation, la citoyenneté nationale et « l’authenticité » s’entremêlent avec le clivage entre « ceux qui n’en peuvent plus de faire des efforts » et les « Autres ». (…) Cette racialisation de la « préservation de l’Etat social » suit un principe identique à la racialisation de la lutte contre le chômage. » (« Une séquence particulière », TC 25).
Je ne rejette pas l’idée de « position commune » telle que tu la formules de façon générale (« la conscience commune du Français blanc »), mais je pense qu’il faut montrer comment, chaque fois spécifiquement, la même position commune, se différencie selon les positions sociales. Si en tant que « Français blanc », on peut parler de position commune, en tant que bourgeois, cadre ou prolétaire, cette position commune, ni objectivement, ni subjectivement n’a, pour les uns et les autres, le même contenu et les mêmes pratiques. J’avancerai l’hypothèse que le principe de cette différenciation se situe actuellement dans la relation entre rapport de distribution et rapports de production. C’est à partir de la problématique développée dans « Une séquence particulière » qu’il faudrait travailler en tenant compte des graves lacunes de ce texte telles qu’elles sont critiquées dans « Se positionner : rapports de distribution et rapports de production, une relecture critique d’une séquence particulière, TC 25, p.59). Tu as raison de dire qu’il faudrait « voir de plus près comment cette segmentation particulière qu’est la race est mise ne œuvre ou en tout cas accompagnée par les prolétaires blancs » (AC), il faut voir les évolutions de ces prolétaires sur une période ou au cours d’une lutte particulière en fonction des rapports de forces, du climat politique, etc., mais cela ne dit pas, chez ces prolétaires, la nature du matériau susceptible d’évolution. Je pense que c’est la dualité du travail salarié comme rapport de production et rapport de distribution qui est ce matériau intrinsèquement susceptible d’évolution (parce que toujours instable) et qui est la racine de la « mise en œuvre » ou de l’« accompagnement » dont tu parles à propos de « l’appartenance raciale et ou nationale ».
Pour faciliter les échanges, ces deux textes de TC 25 sont en ligne, ici:
Sur un autre point du commentaire d’AC :
« Or ce n’est pas seulement en tant qu’ouvriers que les racisés subissent une discrimination… » (AC) ; « … une quantité de champs sociaux qui dépasse largement celui des luttes ouvrières » Je suis totalement d’accord mais il ne suffit pas de dire que cela « dépasse », il faut dire comment les différents niveaux s’emboitent et à ce sujet je dévoilerai deux fragments du texte en cours de travail pour le prochain n° de TC (le second fragment est déjà repris au début des notes sur Tévanian, je l’ai ici un peu modifié)
1 ) « Au fondement, on trouve le procès de production immédiat (unité du procès de travail et du procès de valorisation) : la division du travail, la « valeur morale « de la force de travail prises et configurées comme segmentation raciale dans et pas l’universalité du MPC et l’historicisation hiérarchique des sociétés qu’il instaure. Mais en même temps que le capital se constitue non plus comme rapport social mais comme objectivité économique (toutes les conditions du renouvellement du rapport se trouvent, à la fin de chaque cycle, réunies comme capital en soi face au travail), les instances politiques, juridiques, idéologiques, morales, toutes les institutions sociales et éducatives, et, toujours présentes en chacune, la force coercitive et répressive de la police ou de l’armée au besoin, deviennent des moments nécessaires de la reproduction du rapport « purement économique ». C’est la multitude des rapports qui ne sont pas purement économiques qui sont les lieux où la production des identités devient un phénomène social total. Le procès de production immédiat ne suffit pas à définir comme fixe et étant sa nature l’identité raciale d’un individu s’il est séparé de toutes les instances de la reproduction. Il faut toutes ces instances de la reproduction pour qu’une fonction et une place racialisée dans le procès de production s’impose comme une identité quotidiennement inhérente à l’individu, c’est-à-dire sa nature et pas seulement sa fonction. Il faut toutes les discriminations quotidiennes pour faire d’une fonction l’assignation à une nature. »
2) « Une approche objective part du fait que les mécanismes de production et de reproduction relevant des catégories du capital se combinent de façon historiquement mouvante pour construire des différences hiérarchiques définissant des cultures et des populations surdéterminant toutes les modalités d’appropriation du surtravail dans la mesure où ces différenciations hiérarchiques sont le fait des catégories concourant à cette appropriation (le bouclage des causalités est très important car cela explique pourquoi ces catégories peuvent avoir ces effets). Du fait des catégories en jeu et de la définition même du mode de production capitaliste, la segmentation de la force de travail (c’est-à-dire de la classe ouvrière) devient la segmentation raciale première (originelle) qui fait apparaître ou disparaître l’infériorisation raciale affectant d’autres catégories sociales d’origine ou de culture identiques, cela peut même aller jusqu’à dispenser de la stigmatisation certaines fraction d’autres classes sociales pourtant de même origine ou de même culture. Est racisé d’abord (en premier et logiquement) celui qui est exploité. Le pouvoir objectif et matériel de la segmentation est déjà tout plein (il est gros) de toutes les « références symboliques » : universalité du MPC et historicisation hiérarchique des sociétés.
Si on produit les choses ainsi, c’est, de fait, une critique et une évacuation de la vision communautariste et interclassiste de la racisation. Pour que cette dernière le devienne (communautariste et interclassiste) il faut un autre travail particulier appliqué sur les mécanismes de la segmentation raciale. »
Ya encore du boulot sur toute cette question.
Amicalement
R.S
A propos du commentaire de B
En attendant de « côtoyer des luttes » (c’est-à-dire de rester à côté) je retourne à mes « lectures universitaires », mes « inepties » et mes nouveaux « jouets ».
Allez, tout de même trois points à commenter :
a) personne n’a jamais dit que la segmentation raciale était la seule.
b) « l’émetteur de ce processus de racialisation » : j’aurai aimé que B en dise plus sur cet « émetteur » qu’il ou elle a l’air de côtoyer. Quant à moi, considérant les productions raciales comme résultant de processus objectifs dans les catégories du MPC, sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un « procès sans sujet », je ne suis pas loin de le penser (ce qui n’est pas du tout contradictoire avec l’existence d’ « entrepreneurs en racisation »).
c) « Je ne comprends pas la confusion qu’ils (TC) entretiennent … ce qui fait du prolétariat sa propre limite, dans son atomisation en abyme » (B). Deux choses dans ce passage du courrier de B.
• Nous utilisons le concept de race pour définir cette segmentation parce qu’elle est, de façon intrinsèque à sa construction, raciale. La race ne se définit pas autrement que par cette construction.
• Ce que cela apporte « à ce qui fait du prolétariat sa propre limite » ?
Dans son existence de classe dans son rapport au capital, le prolétariat ne trouve dans sa position commune de force de travail globale face au capital que les divisions inhérentes à ce rapport qui le constitue (dont la segmentation raciale). Ce n’est donc pas l’unité préalable de la classe (unité toujours rêvée et en réalité construite autour d’un segment occultant les divisions, cf. l’identité ouvrière) qui porte le dépassement de cette segmentation, mais la remise en cause de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure et plus quotidiennement l’action sur la labilité de ces constructions qui reconnait leur existence objective.
R.S
Si, par la suite, je ne réponds pas à d’éventuels autres commentaires c’est que je vais être absent et sans connexion pendant un mois.
R.S
C’est donc R. S. qui a écrit tout ça et qui appelle Nedjib “SM” (perfidie érudite pour qui est tombé sur l’usage ironiquement et littérairement coquet du mot « algolagnique » par Debord évoquant Foucault dans une correspondance tardive). R. S. reproche à Nedjib d’oublier le “Code noir” ou les grèves d’OS chez Renault. Mais Nedjib n’a pas écrit le livre que R. S. feint de souhaiter qu’il écrivît. Son bouquin porte “sur un processus à l’œuvre depuis une quinzaine d’années”, voir au moins la présentation de l’éditeur, plutôt que de ne pas lire le livre qu’on a sous les yeux mais celui qu’on voudrait qu’il fût.
R. S. voudrait que “l’islamophobie” soit “un marqueur de discrimination” mais il ne veut pas voir l’acceptation que ce marqueur porte par son nom même. Ce mot a une grande puissance de travail. Il produit l’identification de toute une partie de la population à une identité religieuse en même temps qu’une séparation pseudo-objective entre racistes, bourreaux et phobiques, et “racisés”, victimes effrayantes. Qu’ils sont bien pratiques les nouveaux habits du racisme ! Puisqu’il faut défendre les gentils, il faut en rabattre sur l’anticléricalisme (pourtant mère de toutes les critiques des idéologies chez Marx). Puisqu’il faut combattre les méchants, il faut s’attaquer au “laïcard”, derrière lequel se cache l’État (qu’il s’agit, ça tombe bien !, de renverser). Ben oui, l’État est un appareil idéologique, comme disait Althusser le mécano.
C’est super, le syllogisme. Ça ressemble à la dialectique. One, le raciste, le Blanc hein !, l’Occidental des pays capitalistes, n’aime pas les Zarabes. Two, ça passe mieux en disant « Musulman », l’Oriental du dernier printemps des peuples. Three, ergo, il suffit d’être anti-raciste pour être révolutionnaire. “Révolution décoloniale” que beuglaient quelques jeunes crétins à la manif du 12 septembre 2017, ne manquait plus que l’onction théorique de R.S., laquelle ne tarda pas. Faudrait tout de même pas rater le sujet révolutionnaire qui vient.
De quelle intelligence est donc faite toute cette bêtise, dont le PIR n’est qu’un condensé ? De cinquante ans de marxologisme en quête de son sujet rédempteur depuis la disparition de « l’identité ouvrière », laquelle était pourtant, et demeure, une condition sociale. L’intersectionnalisme comble l’identité disparue. La sociologie produit des identités plutôt que de critiquer et combattre les aliénations. Ne reste plus qu’à croiser les identités, spontanément positives, et à en appeler à « la convergence des luttes ». Comme l’ancien, le nouveau kit idéologique se refuse à envisager la prolétarisation comme un processus d’aliénation, et particulièrement celle que construisent, en invoquant la déconstruction, « les entrepreneurs identitaires », que Nedjib a le courage de critiquer.
Il est plus simple de comprendre le prolétariat comme une donnée sociologique, une strate sociale, qu’on peut même segmenter en sous-strates, quitte à y mettre une classe moyenne juste au-dessus, que comme un des deux pôles d’une opposition dialectique. On peut même en faire un portrait fractal, l’historiciser, l’ethnologiser, le « dégenrer », diachroniser à partir du synchronique, comme le proposait encore le mécano. Mais qu’on dise au moins que c’est le bon Marx prêché à l’université, celle de l’appareil idéologique d’État.
…”il faut en rabattre sur l’anticléricalisme (pourtant mère de toutes les critiques des idéologies chez Marx)”
Ne serait-ce pas plutôt “critique de la religion”?
“Puisqu’il faut combattre les méchants, il faut s’attaquer au « laïcard », derrière lequel se cache l’État (qu’il s’agit, ça tombe bien !, de renverser).”
Ne s’agit-il pas plutôt “d’abolition”?
“C’est super, le syllogisme. Ça ressemble à la dialectique. One, le raciste, le Blanc hein !, l’Occidental des pays capitalistes, n’aime pas les Zarabes. Two, ça passe mieux en disant « Musulman », l’Oriental du dernier printemps des peuples. Three, ergo, il suffit d’être anti-raciste pour être révolutionnaire.”
Manque la donnée essentielle: le racisme structurel. Pas le Blanc,l’Occidental: it’s the structure, stupid!
Il ne suffit pas, mais c’est une condition nécessaire, non pour être révolutionnaire, mais pour produire une révolution.
“« Révolution décoloniale » que beuglaient quelques jeunes crétins à la manif du 12 septembre 2017, ”
Jeunes, crétins,et en passant : colored. De vrais bestiaux.
…”depuis la disparition de « l’identité ouvrière », laquelle était pourtant, et demeure, une condition sociale.”
Ce qui demeure, en effet c’est “une condition sociale”, ou plutôt des conditions sociales:ouvrier-ères spécialisé-es/serveur-euses, caissières, routier-ères. Ce qui a été perdu,pour toujours c’est la “classe” : le prolétariat pour soi, et non en soi. Le prolétariat est révolutionnaire ou il n’est rien.
“La sociologie produit des identités plutôt que de critiquer et combattre les aliénations.”
La sociologie ne produit pas des “identités”, comme la critique du capitalisme ne produit pas les classes.
Les aliénations? C’est quoi? Combattre les “aliénations”,une tâche de sociologues?
“Ne reste plus qu’à croiser les identités, spontanément positives, et à en appeler à « la convergence des luttes ». Comme l’ancien, le nouveau kit idéologique se refuse à envisager la prolétarisation comme un processus d’aliénation,”
Qui a parlé d'”identités spontanément positives”? Qui appelle à la “convergence”?
” comme un des deux pôles d’une opposition dialectique.”
Antagonisme ET implication réciproque.
” Puisqu’il faut combattre les méchants, il faut s’attaquer au « laïcard », derrière lequel se cache l’État…”
L’Etat est laïc, c’est une religion d’Etat.
On est en plein dans l’idéologie française, et Sch. vient nous gonfler avec la critique des “aliénations”, “Schizo”, en quelque sorte “sophe”, il repassera, s’il est encore temps…
Salut
Je lis et relis le méchant commentaire de Skizomachin à mes notes de lecture sur le livre de Sidi Moussa (SM), je lis et je relis mes notes et je ne vois pas le rapport entre les deux. Est-ce bien de mes notes dont il parle ou alors Machin (je l’appelle « Machin » parce que si j’abrégeais sa signature SkizoSophie en SS, même « algolagniquement » il pourrait mal le prendre) regrette-il que RS n’est pas écrit les notes qu’il souhaitait « qu’il écrivît » (je mets entre guillemets car je ne voudrais pas faire croire que je sais manier l’imparfait du subjonctif) ? Il me semble que je cite abondamment le livre que je critique et je remarque que Machin ne le cite jamais, comme s’il fallait, comme tous les défenseurs post-situs et post-programmatiques de l’ouvrage, en rester au titre et fasse (ce n’est qu’un présent du subjonctif mal employé) le canard sur ce qui est la toile de fond de toute l’argumentation de SM : le mouvement ouvrier et sa compagne « la petite bourgeoisie intellectuelle ». Je n’ai peut-être « pas lu le livre que j’avais sous les yeux », mais je pense que Machin ne l’a eu qu’entre les mains : la couverture et sa quatrième.
Je vais reprendre dans l’ordre les flèches que me décoche Machin (je ne vais pas me fendre d’un commentaire composé). Cela prend du temps, c’est fastidieux, ça me gonfle de faire ça et ça gonfle le lecteur, mais bon c’est le boulot. Puisque je délivre des « onctions théoriques », faut assurer un minimum de service après-vente.
* J’évoque le « Code noir » et les grèves des années 70. C’est vrai, mais c’est lui qu’a commencé, c’est bien SM qui parle de l’évolution des appellations depuis les années 50 et qui cite Louzon à propos du colonialisme. Et même si j’en avais parlé sans que SM en parlasse où serait le mal ? Peut-on en vouloir aux éditions de Moscou qui parlaient de la révolution russe sans citer le nom de Trotski sans feindre de souhaiter qu’ils écrivassassent un autre livre ?
* « RS voudrait que “l’islamophobie” soit un marqueur de discrimination, mais il ne veut pas voir l’acceptation que ce marqueur porte par son nom même »
Passons sur toutes les notes sur le livre d’Hajjat où je critique cette appellation et tout ce qu’elle porte et est destinée à justifier. Mais, c’est en cherchant à comprendre, au-delà des malintentionnés subjectifs, pourquoi elle est utilisée à tel moment historique, dans telle configuration sociale, c’est-à-dire que la posture normative anti ceci ou cela au mieux me fait sourire. Si Machin n’avait pas lu les notes sur Hajjat, il aurait pu lire celles sur SM qui semblent l’objet de sa critique à moins que cela ne soit qu’un prétexte dans un positionnement perso que j’ignore.
Dans mes notes sur SM j’écris : « En sortant l’islamophobie de sa vision comme relevant d’un « choc culturel » on l’historicise comme une construction raciale particulière mais relevant des mécanismes généraux des constructions raciales dans le MPC, on demeure de plain pied dans les mécanismes de reproduction du capital. On montre qu’être musulman n’est pas une qualité inhérente à une somme d’individus mais une assignation construisant le groupe comme tel, traversé lui-même de conflits entre hommes et femmes et selon les classes sociales, conflits parfois propres mais le plus souvent identiques au reste de la population dans la même situation sociale. On défait l’homogénéisation induite par « l’islamophobie » (souligné pour l’occasion). On s’opposera aux défenseurs de l’islam qui ont besoin d’en faire le début et la fin de « l’islamophobie » non pas au nom de la critique anticléricale mais parce qu’on aura démonté la construction de l’islamophobie, ce n’est que ce faisant que l’on peut alors poser, en situation, si nécessaire, la critique de la religion parce que les adversaires auront été autrement définis. »
* « Il faut en rabattre sur l’anticléricalisme » : voir citation précédente.
Une critique anticléricale qui ne démonte pas la construction de l’islamophobie et par là même la construction homogénéisante d’une population sous une appellation religieuse, en reste sur le terrain même qu’elle croit critiquer et n’est qu’une gesticulation. Après avoir dit que « l’antisémitisme était le socialisme des imbéciles », Bebel ajoutait « l’anticléricalisme est le socialisme des petits-bourgeois ».
* Althusser et « l’appareil idéologique »
Il ne me semble pas qu’Althusser dise que l’Etat lui-même est un « appareil idéologique » et, subsidiairement, il ne me semble pas qu’être un « mécano » soit une tare. Il est vrai qu’Althusser était membre de ce PCF dont la disparition met SM au désespoir. Plus sérieusement, je serai curieux que les grands esprits qui traitent Althusser en « chien crevé » et citent la « correspondance tardive » de Debord (toute imbue d’autosatisfaction et de conneries idéologiques du genre « c’était mieux avant ») nous gratifient d’une critique d’Althusser au moins égale à celle que l’on trouve en annexe de TC 21. Je ne vais pas utiliser Engels parce qu’il buvait du Château Margot sur le dos de ses ouvriers et ouvrières, Marx parce qu’il survivait par les subsides du précédent, Lukacs parce qu’il était ministre d’un gouvernement bolchévique, Horkheimer et Adorno parce qu’ils ont travaillé pour les grandes firmes américaines, Hegel parce qu’il était un suppôt du roi de Prusse, Debord devenu « trésor national » de la BNF, etc. Et oui, c’est pas évident tout ça avec les intellos.
One, two, three …ergo on « continuâte »
* « Il suffit d’être antiraciste pour être révolutionnaire ».
Je n’en suis pas à une bêtise près quand j’écris, mais celle-là, j’ai beau chercher dans mes notes, je ne la vois pas. Machin feint-il de souhaiter de lire ce que je n’ai pas écrivassais ?
* « Révolution décoloniale » : le « beuglement » étant inclus dans le cours de la critique de mes notes, il est fortement suggéré, selon la pratique de l’amalgame, que je suis un adepte des « théories » décoloniales.
Machin aurait pu au moins lire les notes qui suivent celles sur SM (mais les a-t-il lues ?) et qui portent sur le texte de Flora Grim et Alexandra Pinot-Noir :
« Quand G/P (Grim et Pinot) disent que le racisme n’est pas « indispensable » au développement capitaliste, c’est parce qu’elles considèrent qu’il ne serait que « justification « ou « excuse ». Si le racisme est constamment lié au développement du MPC (sans en être l’origine comme dans l’idéalisme de l’idéologie décoloniale – souligné pour l’occasion), ce n’est pas parce qu’il « justifie » ou excuse » quoi que ce soit, mais parce qu’il est inhérent à l’universalité du capital et à l’historicisation hiérarchique des sociétés qui en découle, à la division du travail, à la valeur morale de la force de travail, à la citoyenneté de l’individu libre isolé et à la nation. »
Et dans les notes sur Hajjat :
« Malgré leurs critiques, les « Indigènes » ne peuvent abandonner « l’islamophobie » : c’est premièrement une notion actuellement efficace pour souder la « communauté » qu’il leur faut construire pour en être les représentants et, deuxièmement, les « Indigènes » appartiennent eux-mêmes à cette fraction de la population racialisée pour laquelle l’ascension sociale est légitime et les obstacles arbitraires (nous laissons ici de côté tout le fatras idéologico-historique issu des théories décoloniales – souligné pour l’occasion – comme le « déclin de l’identité européenne blanche », il ne s’agit pas d’un déclin mais d’une configuration de la mondialisation et de la « dénationalisation de l’Etat » qui affecte très différemment les individus selon leur position de classes et qui enveloppe les contradictions de classes d’un discours sur l’identité nationale. »
Ya mieux comme « onction théorique ».
* « Cinquante ans de marxologisme en quête de son sujet rédempteur »
Je suis désolé d’avoir à reprendre un aussi long fragment de mes notes sur SM car sa longueur même jette un doute sur le sérieux de la lecture de Machin et sur la véritable cible de sa critique. J’ai la désagréable sensation de répondre à quelque chose qui ne m’est pas adressé ou pour laquelle je ne suis qu’un prétexte.
J’écris dans les notes sur SM :
« Toutes les contradictions et segmentations sont définitoires de la « position commune » des prolétaires dans le mode de production capitaliste, elles existent de façon interne à l’existence et à la pratique de la classe ; le prolétariat n’existe pas d’abord tel qu’en lui-même et est seulement ensuite traversé par ces segmentations et contradictions. Comme si le prolétariat était (ce qui est toujours implicitement présupposé) blanc et masculin (parce que si les femmes se disent « camarades mais femmes » c’est aussi une entorse malveillante à l’unité de la classe). Etre une classe n’existe plus que comme un rapport au capital, c’est alors avoir de façon intérieure toutes les segmentations et contradictions produites par les catégories du mode de production et leur reproduction. La segmentation et la position commune, race et classe, ne sont pas des contraires exclusifs et seulement substituables.
« On peut clamer qu’il faut l’unité de la classe, le « grand tous ensemble » et que les divisions ne sont que le fait de « malveillants entrepreneurs », mais voilà cette « unité » ce n’est jamais ce qu’il se passe et il faudrait comprendre pourquoi : dans la situation commune des prolétaires qui est leur rapport au capital il n’y a que leurs divisions, c’est pourquoi la révolution est l’abolition par les prolétaires de leur propre condition, vouloir la révolution comme abolition de toutes les classes et promouvoir l’unité préalable de la classe est un non-sens auquel la légende du mouvement ouvrier donne des allures de tradition respectable. Ce n’est, à l’intérieur de la lutte en tant que classe, que par des pratiques d’attaques par les prolétaires de ce qui les définit dans leur situation de prolétaires y compris toutes les formes de représentations, que la segmentation est posée comme problème, c’est-à-dire quand elle se confond avec l’appartenance de classe elle-même et non quand c’est cette appartenance de classe qui est supposée contenir l’unité et résoudre la question des divisions. C’est un point théorique et pratique essentiel qui distingue les théories de la communisation d’un bricolage programmatique new look faisant de la communisation un nouveau programme sans que celui-ci soit relié aux transformations de la contradiction entre prolétariat et capital et aux formes de valorisation du capital. ».
* La « convergence des luttes ».
J’aimerai bien, mais je pense, comme je l’écris dans les notes que :
« L’abolition du capital, de l’Etat, etc., ce sera un nœud de contradictions entre les prolétaires et la classe dominante à toute sorte de niveau et d’instances et entre les prolétaires eux-mêmes, dans lesquelles se liquideront ou non les identités construites inhérentes à leur existence de prolétaires, entre les hommes et les femmes dans l’abolition de la propriété, de la division du travail et du travail. » (voir aussi citation précédente).
* Et la question de l’intersectionnalité.
« Crier « La classe ! La classe ! » en sautant sur sa chaise comme un cabri n’est pas plus efficace dans une « perspective révolutionnaire » que de crier « La race ! La race ! ». Il ne s’agit pas de combiner les deux, comme dans une mauvaise compréhension de « l’intersectionnalité », les choses sont en fait assez simples : le prolétariat n’existe pas préalablement dans une sorte de pureté théorique avant de compter en son sein des Arabes, des Noirs, etc. Tout est donné simultanément mais conceptuellement tout n’est pas au même niveau. C’est à partir du mode de production capitaliste, de l’exploitation, des classes que nous déduisons les constructions raciales comme nécessaires et le cours des luttes de classe comme intégrant cette nécessité. La lutte des classes est bien le « moteur de l’Histoire » pour parler comme SM, mais la question raciale n’est pas « subordonnée à la lutte de classe » comme le dit SM à la suite de C.L.R.James, elle lui est interne.
« Même si « le slogan “Noirs et Blancs unissez-vous et luttez” est inattaquable en principe, mais souvent trompeur et parfois même dangereux au regard de la réalité » (CLR James), en revanche le déni fut toujours nécessaire et vital pour le mouvement ouvrier et il l’a toujours pratiqué. » (Je conviens que la dernière phrase « toujours pratiqué » serait à nuancer ; mieux vaudrait dire « toujours très très problématique »).
A lire la conclusion de Machin, on comprend qu’il eût à défenderace SM bec et ongles : touche pas à mon beau prolo à casquette (« pas l’historiciser », « pas l’ethnologiser », « pas le dégenrer », etc. « pas touch »), le même que celui de Flora Grim et Alexandra Pinot-Noir, tout droit sorti d’un poème d’Aragon et du fronton du pavillon de l’URSS à l’expo universelle de 1937.
En résumé, si l’on peut reprocher quelque chose à Debord, outre ses errances théoriques post 68, c’est bien d’avoir donné l’illusion à n’importe quel cuistre maniant l’imparfait du subjonctif d’avoir, de ce fait, quelque chose à dire.
A cuistre, cuistre et demi. Quand nous entamâmes ce travail sur MPC / prolétariat / racialisation, etc. : « L’on nous recommanda à Dieu, parce qu’on ne doutait point que nous dussions courir grande fortune, lorsqu’on nous verrait prendre un parti de cette nature. » (Mémoires du cardinal de Retz, éd. Arléa, p.214).
Amicalement, sans rancune, mais oubliâs moi.
R.S
Inside the “Muslim Factory”: NEDJIB SIDI MOUSSA with Felix Baum
https://brooklynrail.org/2018/02/field-notes/Inside-the-Muslim-Factory-NEDJIB-SIDI-MOUSSA-with-Felix-Baum