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A propos de la grève de la faim de Dimitris Koufontinas

Second texte du camarade grec

Le 22 mars, deux articles[i] sur la grève de la faim de Dimitris Koufontinas ont été publiés dans lundi.am. Les deux articles développent un raisonnement qui est, à tout le moins, valide et qui aide à comprendre la situation récente ; en même temps, cependant, l’absence de certaines références nécessaires est tout aussi importante et doit donc être soulignée comme telle.

Comme il s’agit d’articles dont la cohérence interne s’est accrue et qui ont une corrélation valable avec l’histoire de la lutte des classes en Grèce, afin de décoder leur contenu, nous les mettrons en contact avec d’autres textes, dont la lecture est de toute façon recommandée par nous.

*

Le 15 mars, le lendemain de la fin de la grève de la faim, un journaliste[ii] alternatif, que nous ne connaissons pas personnellement, pousse plus loin les réflexions critiques de Babis et L.B. Citons son article dans son intégralité :

Le gréviste de la faim “connu” a-t-il gagné ou perdu ?

Le gréviste de la faim “connu” a-t-il gagné ou perdu ? Sa demande n’a pas été accordée. Le gouvernement n’a pas cédé ou n’a pas été soumis à un “chantage”, comme elle le dit, même si le gréviste s’est rapproché de la mort. Ses cadres et ses partisans font la fête. Cela aura des implications, tant dans son attitude désormais, sans doute plus dure et implacable. Ainsi que dans sa gestion de luttes similaires à l’avenir. Jusqu’à présent, l’État a cédé ou trouvé un compromis pour que le prisonnier ne meure pas.

Elle a maintenant montré qu’elle pouvait “gérer” un gréviste de la faim mort, ainsi que les réactions qui seront provoquées. Cela aggrave la position des prisonniers dans leur ensemble, même ceux qui ne feront valoir leurs droits qu’en dernier recours, c’est-à-dire leur vie.

D’autre part, comme le fait valoir à juste titre le mouvement de solidarité, le gouvernement a été démasqué après que sa vindicte à l’égard de ce prisonnier a été démontrée, au point même de violer la loi photographique qu’il a adoptée à son encontre.

Elle a été combattue non seulement par les organisations de solidarité et de défense des droits de l’homme “bien connues”, mais aussi par des associations d’avocats, de juges, de personnalités du centre et même de la droite qui considèrent qu’il est inacceptable pour un État démocratique de mettre à mort un prisonnier.

Le profil de centre-droite du gouvernement a été mis à mal au profit de la droite/extrême-droite. En termes électoraux, il n’a pas perdu puisque la demande du gréviste de la faim n’a jamais été largement acceptée, bien au contraire. Mais cela a réduit la portée de son attrait politique.

Enfin, dans son message, le prisonnier tente de s’approprier les mobilisations de masse de ces derniers jours, affirmant qu’elles ont été déclenchées par sa propre lutte. Mais il s’agit plus d’un vœu pieux que d’un fait.

Le lockdown sans fin et la violence policière ont déclenché ces manifestations. L’arbitraire de l’État qui n’est plus dirigé seulement contre les quelques milliers de personnes qui manifestaient en faveur de sa juste cause. Elle touche beaucoup plus de personnes, jeunes et familles, même dans des quartiers de classe moyenne comme Nea Smyrni.

Le gouvernement a tenté d’associer ces manifestations à celles en faveur du prisonnier, afin de les délégitimer et de les isoler. Mais elle a échoué, précisément parce que leurs causes et leur dynamique sont autonomes et impliquent des personnes qui s’opposent même à la demande du gréviste de la faim.

Les manifestations de masse dans les quartiers ont éclaté lorsque la répression et l’arbitraire de la police ont dépassé les limites de l’espace anarchiste/gauchiste pour se retourner contre des personnes “normales”, au-dessus de tout soupçon.

Le prisonnier, cependant, reste cohérent dans ses illusions. Comme 17N, elle a tenté de s’approprier les luttes sociales qui se développaient parallèlement à son action, présentant cette action comme leur forme la plus avancée. Ainsi, aujourd’hui encore, il considère que sa grève a été le catalyseur d’un mouvement de masse.

Les avant-gardes autoproclamées “trouvent” toujours les masses à diriger, même lorsque ces dernières ne sont pas conscientes de leur existence.

 Si la perspective journalistique excelle en quoi que ce soit, c’est parce qu’elle traite la grève de la faim avant tout comme une revendication de prisonnier avec des enjeux spécifiques, sans qu’il soit nécessaire de la réduire à un événement hyper-symbolique et de l’examiner en termes de mythification, en minimisant les connotations idéologiques qui ont été produites en grande quantité tout au long des 66 jours. Il est évident, ici comme ailleurs, que l’analyse privilégie un niveau de réalité plus matériel en même temps qu’elle s’adapte aux exigences de son public cible. À cet égard, en effet, l’issue de cette grève de la faim représente un tournant pour le mouvement d’affirmation des prisonniers, non seulement parce qu’une campagne de solidarité à l’échelle nationale n’a pas atteint son objectif, mais aussi parce qu’elle s’est déroulée sans aucun lien avec les autres prisonniers et leurs besoins, surtout pendant cette période d’incarcération étendue et de cartes de visites supprimées. Le lien tardif et opportuniste entre le confinement social dû à la gestion étatique de covid-19 et le régime d’emprisonnement vécu par les prisonniers – n’oublions pas que la grande majorité des acteurs du mouvement de solidarité considéraient jusqu’à récemment que la restriction des mouvements imposée par le gouvernement allait dans le bon sens – est resté creux car les besoins des prisonniers n’étaient pas exprimés en tant que tels. En d’autres termes, tant qu’un intermédiaire social crucial restait inactif.

Des questions se posent également quant au calendrier de la grève de la faim. Cinq jours après son début, le 13 janvier, sont annoncés les résultats d’un sondage[iii] montrant que le soutien social au gouvernement de la Nouvelle Démocratie reste élevé, tandis que l’écart avec Syriza – dont les membres, adhérents et sympathisants ont largement soutenu la grève de la faim pendant toute sa durée, quelle que soit leur position – est de 18,6 %. Dix jours après la fin de la grève, un sondage réalisé par la même société a enregistré une baisse de seulement 3%. Si, en même temps, nous tenons compte[iv] du fait qu’un an après l’apparition du coronavirus et la récession qui a suivi, il y a un 55% de la population “qui pense que les mesures restrictives aident à combattre la pandémie” (alors qu’au printemps dernier ce chiffre était de 77%, selon un sondage Eurobaromètre) et 49% “qui font confiance au gouvernement pour gérer les crises”, la question de savoir quel type de bloc social on a en face de soi quand on commence une mobilisation est urgente. Il est confortable pour de nombreux participants au mouvement de solidarité, qu’ils soient de gauche ou anarchistes, d’assimiler la situation actuelle à une “junte” et le ministre de la Protection des citoyens à un “fasciste”, car ils évitent ainsi de parler du consensus interpartite et interclassiste qui a été produit depuis le début. Nous ne connaissons personne qui ait directement confronté ce qui est peut-être l’argument principal du gouvernement, qui est le fondement de sa légitimité, à savoir que “le transfert du détenu à Domokos, en dérogation à la législation en vigueur, est imposé en raison de la crise sanitaire, et personne ne peut demander un traitement spécial”. La rhétorique d’extrême droite et d’anti-gauche ne fait que suivre ; après tout, nous n’avons vu aucun partisan des “droits de l’homme” de Koufontinas réclamer des excuses pour le traitement spécial dont font l’objet les Roms de Larissa, les populations turcophones minoritaires de Thrace, les migrants dans les centres de détention de Grèce, depuis un an maintenant.

La vérité est que l'”Organisation Révolutionnaire 17 Novembre” – outre le fait qu’elle ne pouvait pas être révolutionnaire en elle-même, seule l’activité historique du prolétariat en est un critère suffisant et non l’idée qu’un groupe de militants se fait d’elle-même – n’est pas non plus célèbre pour sa relation avec l’intense lutte de classe de la période dans laquelle elle est apparue, ni pour sa critique du régime démocratique en tant que tel qui a remplacé la junte des colonels[v], ni pour la production de sa théorie ; seulement pour le fait qu’il a réussi à rester insaisissable pendant 37 ans. Mais cela pourrait-il se faire sans la tolérance de certaines composantes du PASOK, le parti qui a gouverné le pays pendant 18 ans, entre 1981 et 2002 ? Est-il vrai que, en même temps, d’autres groupes de guérilla urbaine faisaient leur autocritique ou cessaient leurs activités lorsque les conditions dans lesquelles ils opéraient changeaient ? La lutte armée peut porter en elle une surestimation d’elle-même en tant que violence symbolique, mais dans le cas du 17 Novembre, il semble que la séparation de l’environnement social et politique ait pesé plus lourdement sur la conscience des membres de l’organisation et ait suivi le cours d’une gauche de plus en plus déconnectée des conditions de vie du prolétariat recomposé. Il s’agissait de la même gauche largement perçue qui soutenait idéologiquement et politiquement le 17 Novembre comme un symbole armé de son soi obsolète, comme un passé glorieux abstrait.

L’arrestation des membres du 17 Νovembre en 2002 a été considérée par de nombreux anarchistes – et c’est un point que Babis et L.B. pourraient développer davantage – comme un vide politique qui devait être comblé, ce qui explique pourquoi certaines sections semblent avoir évolué de manière autonome dans cette direction. Certes, les différences avec les partis et organisations de gauche sont réelles et non négligeables, mais il y a une convergence entre la gauche et l’aile anarchiste pro-lutte armée dans le fait qu’ils ont besoin de maintenir la référence symbolique abstraite à la violence armée – même si elle est maintenant personnifiée au plus haut point, même s’il y a plusieurs autres personnes arrêtées en prison à cause de leur participation à une organisation armée – afin de pouvoir se reproduire politiquement.Pour la première fois, ce type de reproduction politique symbolique a été remis en question par l’attitude intransigeante du gouvernement qui, à notre avis, veut avant tout mettre fin à tous les arrangements et références d’après-guerre de la classe ouvrière grecque.  Par définition, il ne peut y avoir de pouvoir exécutif inspiré par des sentiments de vengeance, quelle que soit la forme bonapartiste qu’il ait pu prendre dans l’état d’urgence.

Cette alliance politique s’est impliquée dans les marches de quartier – ces formes de protestation ont commencé en 2008 et les événements les plus récents ont eu lieu à partir du début de l’été 2020, en tant que réactions principalement jeunes aux mesures du gouvernement visant à restreindre la circulation et à établir une police universitaire – mais elle ne les a pas redéfinies, même si elle le souhaitait[vii]. C’est plutôt le contraire qui s’est produit, comme en témoigne le fait que le gréviste de la faim a été poussé à s’arrêter par l’intensité même des émeutes de Nea Smyrni, ce qui, sans le vouloir, a considérablement réduit les possibilités d’action tactique pour toutes les parties concernées. Et ce rétrécissement nécessite plusieurs doses d’idéologie et de patronage pour l’appeler une “victoire” ou l’associer à la guerre civile d’il y a 80 ans…

Post-scriptum : Puisque Michalis Lianos a fait référence à Robert Castel, nous recommandons la lecture de son livre L’ordre psychiatrique : l’âge d’or de l’aliénisme, dans lequel l’auteur montre excellemment la manière historique dont la médecine interfère avec les autres pouvoirs constitutionnels et revendique son espace en tant que tel aux dépens des sujets incarcérés. Une telle approche pourrait être très utile dans le contexte contemporain, celui dans lequel s’est déroulée la grève de la faim dont nous parlons.

[i] https://lundi.am/Quelques-remarques-sur-une-certaine-presentation-de-la-situation-grecque-dans et https://lundi.am/Les-metamorphoses-de-la-question-politique-en-Grece-80-ans-en-66-jours

[ii] https://thepressproject.gr/kerdise-i-echase-o-gnostos-apergos-peinas/

[iii] https://www.efsyn.gr/politiki/287011_dimoskopiseis-meiosi-psalidas-nd-syriza Quelle que soit l’opinion que l’on a sur la quantification de la réalité par les statistiques, il faut au moins tenir compte des effets idéologiques qu’elle produit.

[iv] https://www.thetoc.gr/politiki/article/ereuna-metron-analysis-upoxoroun-oi-antiemboliastes-stin-ellada—meionetai-i-apodoxi-ton-perioristikon-metron/ Ce sondage particulier reflète certaines perceptions de base sur l’état actuel de la formation sociale grecque.

[v] Le soulèvement du Polytechnique du 17 novembre 1973 est considéré par le tout nouvel État grec comme un événement fondateur de la démocratie moderne et est donc célébré chaque année sans faute.

[vi] Notre doute porte uniquement sur le modèle de politisation d’un manifestant moyen είναι φυλακήactuel, qui est loin de celui suivi par la génération des gauchistes comme Koufontina.

[vii] Notre doute porte uniquement sur le modèle de politisation d’un manifestant moyen είναι φυλακήactuel, qui est loin de celui suivi par la génération des gauchistes comme Koufontina.

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