Théorie Communiste n°27 « à propos de la révolte dite des « Gilets jaunes » »
Les camarades de «Théorie Communiste» nous ont fait parvenir un des prochains textes à paraître dans le numéro 27 de leur revue.
Nous en avons extrait le dernier paragraphe; quant à la lecture de la totalité il va falloir être patient. dndf
« Un mouvement « mondial » ? »
A propos de ce mouvement, il y a un point qui est souvent négligé : nous n’en avons qu’une vision nationale.
Le collectif Ahou ahou ahou, amalgamant cependant des mouvements de nature très différente, souligne dès les premières lignes de leur livre (La révolte des gilets jaunes, histoire d’une lutte de classes, nietéditions) un mouvement général à l’échelle mondiale : « Dans le monde capitaliste en crise depuis 2008, on ne compte plus les soulèvements. Après les révoltes dites “arabes”, la fin des années 2010 a vu la paix sociale à nouveau battue en brèche dans de nombreux pays du globe : Algérie, Irak Soudan, Chili, Liban, Iran, Hongkong, Equateur, Catalogne, etc. Partout des manifestations, des émeutes, des occupations de l’espace urbain. Partout des mouvements sans représentants ni encadrement, où se mêlent des revendications de dignité sociale et une contestation des systèmes politiques. Partout des prolétaires et des classes moyennes en voie de marginalisation qui se côtoient derrière une volonté commune de “dégager” des dirigeants que l’on regarde comme coupés du “peuple”. La révolte des gilets jaunes participe de ce mouvement mondial. » (Ahou, op.cit, p.5)
Il faut comprendre la signification d’un mouvement comme celui-ci dans la crise du mode de production capitaliste comme crise de sa mondialisation. A la racine de cette crise comme actuellement crise de la mondialisation, il y a la déconnexion entre la valorisation du capital et la reproduction de la force de travail. Au niveau mondial, ce régime de croissance au sein duquel la part des salaires dans la valeur ajoutée ne cesse de baisser est arrivé en bout de course[1]. De même la révolte des gilets jaunes a mis en évidence le caractère sociospatial de cette déconnexion dont le zonage des territoires est une fonction. La déconnexion entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail est une rupture de la continuité nationale des territoires.
De ce point de vue, un mouvement comme celui des Gilets jaunes permet de préciser quelques points au sujet de la restructuration-contre révolution. Pour le moment une « restructuration » demeure encore très hypothétique. Mais si nous commençons à y réfléchir à partir des caractéristiques particulières de la crise actuelle du mode de production, le « populisme » n’est en aucune façon le contenu de la contre-révolution / restructuration pouvant advenir. Le « populisme » ne porte pas de « réponses économiques » et il ne pourra être le socle sur lequel se bâtit une restructuration. Il faudra des luttes d’une tout autre ampleur mondialement et qu’elles soient battues (ce qui n’est pas évident) pour que se définisse une restructuration. Pour l’instant, nous pouvons seulement avancer que des mouvements comme celui des Gilets jaunes (et bien d’autres actuellement) portent sur la spécificité de la crise : la rupture de la relation entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail (ce qui n’est qu’une façon de désigner la mondialisation). Ce qui ne veut pas dire que ces mouvements présentent une « solution ». L’important, ce qui est la force et la limite de ces luttes, c’est que la spécificité de la crise est « seulement » désignée au niveau même et dans les termes mêmes où elle se présente et apparaît : comme distribution et redistribution (ce qui n’est pas sans relation avec la composition sociologique du mouvement). Ni Macron, ni les Gilets jaunes, ni même leur conflit, ne représentent alors une restructuration à venir. Pour l’instant, ce conflit est concrètement, pragmatiquement, l’existence manifeste et en actes de la contradiction à résoudre : réarticuler mondialement l’accumulation du capital et la reproduction de la force de travail globale. C’est déjà très important, mais c’est tout. Il faut ajouter cependant que la façon dont, dans le cas des Gilets jaunes, la contradiction à résoudre est posée par ceux qu’elle désigne comme ses porteurs s’accompagne de trois grandes absences : les « pauvres de centre-ville » (majoritaires parmi les personnes en dessous du seuil de pauvreté) ; les prolétaires des cités de banlieues ; les ouvriers des entreprises de plus de cent ou deux cent salariés (il y en avait dans le mouvement mais c’était marginal). Comme si nous avions avec les ronds-points une forme de socialisation revendicative de ceux et celles pour qui cette socialisation est impossible dans le cadre du travail même. Constater la chose n’implique aucune hiérarchie entre ces deux formes de socialisation revendicative et même on peut dire que celle des ronds-points brise l’idiotisme de métiers. En partant de la distribution en général, en dehors de catégorisations professionnelles, c’était toute la vie quotidienne qui était en jeu et ça c’était fort.
Dans la crise telle qu’elle se développe maintenant comme crise de la mondialisation, cette crise de la mondialisation est une crise de ce qui en constituait le cœur : la double déconnexion de valorisation du capital et de la reproduction de la force de travail. Les linéaments d’une possible restructuration (qui s’effectuera réellement comme d’habitude dans l’affrontement entre la classe capitaliste et le prolétariat sur les modalités de l’exploitation, de l’extraction de surtravail) passent pour l’instant par le conflit avec les mouvements populaires plus ou moins nationalistes sur les thèmes de la répartition du revenu, de la famille, des valeurs, de la citoyenneté. La double déconnexion est au cœur du moment présent de la crise de la mondialisation (voir Vie quotidienne et lutte des classes).
C’est cela que manifestent des mouvements comme celui des Gilets jaunes, mais tant que la crise de la mondialisation se déroulera ainsi ce n’est que la dynamique conflictuelle des termes la crise qui est à l’œuvre. Rien d’autre, même si de telles oppositions ne doivent pas être sous-estimées.
Dans une période de crise, la lutte des classes est souvent duelle. Elle est d’une part l’existence des contradictions qui ont construit la crise et, d’autre part, la perspective de leur dépassement dans le jeu qui lie intimement révolution et contre-révolution/restructuration. La lutte des classes met à jour les contradictions et impasses du mode de valorisation et d’accumulation du capital qui est entré en crise.
D’abord, une crise du rapport salarial. Le mode de production capitaliste n’a jamais eu pour but le bonheur de l’humanité, mais la pauvreté est devenue un problème et par là la question de l’Etat revient au cœur de la lutte des classes.
Les questions sont maintenant sur la table : la nature de l’Etat ; la relation entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail ; les modes de mobilisation de cette force de travail par le capital ; les modalités du rapport salarial dans les relations entre emploi / chômage / précarité ; les relations entre salaire / revenu / crédit. Actuellement, la crise va rebondir comme crise de la création monétaire en tant que forme de la valeur, c’est-à-dire la crise de la possibilité de mesurer l’activité humaine globale en tant que flux continu et de la possibilité pour les produits de cette activité de se rapporter les uns aux autres dans une abstraction (substance de la valeur). Ce sera la suite de la crise du rapport salarial et c’est important car c’est alors la crise de la valeur comme crise de la valeur comme capital.
En dehors de la perspective de leur dépassement (tant comme révolution que comme contre-révolution/restructuration), les contradictions qui sont mises sur la table, le sont alors de façon unilatérale. La contre-révolution/restructuration elle-même est en panne. Les termes des contradictions que l’on peut caricaturer d’un côté comme, au travers de la préservation du système financier, celles des modalités de l’accumulation dans les formes en crise de la mondialisation telle qu’actuellement configurée et, de l’autre, comme la reproduction de la force de travail par le capital même, ne sont plus que des moments morts, chaque terme ne fait que reprocher à l’autre d’être ce qu’il est.
La classe capitaliste réfléchit constamment à son avenir et au devenir de son monde, mais elle ne devance jamais l’histoire, il faut que les contradictions de son propre monde apparaissent, et c’est au fil de l’eau, par bricolages et improvisations, conflits internes à la classe capitaliste, que se construisent le dépassement des crises et les restructurations. Dans la situation présente, les luttes ne font que formaliser les contradictions spécifiques de la crise actuelle. C’est au nom du mode de production capitaliste que les Gilets jaunes disaient que ça ne pouvait plus marcher. En ce sens mais en ce sens seulement l’affrontement était un affrontement réel. Les contradictions étaient là, exprimées, les termes polarisés, mais sans une confrontation massive avec le prolétariat ils sont sans vie, condamnés à se caricaturer eux-mêmes. Le conflit exprimait bien les termes du rapport d’exploitation entre le prolétariat et le capital tel qu’il est entré en crise, mais seulement dans la mesure où les termes étaient reflétés dans un seul de ses pôles : le capital. Pour l’instant les termes de la crise sont polarisés à l’intérieur du seul pôle capital de la contradiction entre capital et prolétariat, ils sont l’un et l’autre un des termes opposés du problème, mais aucun des deux n’en est la solution. Ils ne sont que l’apparition du problème.
[1] Voir Too much monkey business, TC 22.
petite erreur “crise de la valeur comme” est doublé
Ca n’est pas une erreur
mais ça veut dire quoi alors “crise de la valeur comme crise de la valeur comme capital” s’il vous plaît ?
« 4 ANS APRÈS, QUE TIRER DES GILETS JAUNES POUR GAGNER DEMAIN ? »
« En février dernier, dans le cadre d’un mouvement contre la réforme des retraites à ce moment-là stagnant, nous appelions à “un gilet jaune salarial”, c’est-à-dire à tirer un bilan des succès et limites du mouvement des Gilets Jaunes, pour ne pas se contenter d’un énième mouvement classiquement syndical sous encadrement bureaucratique, qui a prouvé son inefficacité.
Par la suite le mouvement a pris brièvement un tournant très proche de celui que nous préconisions (à part sur la question, essentielle, de la grève reconductible…) avant d’être tué de l’intérieur par les directions syndicales et ses journées d’action isolées et donc inutiles.
Tirer un bilan des Gilets Jaunes, c’est justement ce que propose le collectif Ahou Ahou Ahou dans son ouvrage sobrement intitulé “La révolte des Gilets Jaunes : histoire d’une lutte de classes”, une des analyses les plus brillantes qui ait été faite du mouvement, grisante et motivante, bien écrite, touchante et hyper documentée, et donc particulièrement utile en période de mouvement social.
Frustration y consacre donc un “dossier-recension”. »
https://www.frustrationmagazine.fr/gilets-jaunes-4-ans-apres-quelles-lecons/
C’est la question que je me suis posé pour @Frustration_web à partir du super livre du collectif Ahou Ahou Ahou “La révolte des Gilets jaunes : histoire d’une lutte des classes” auquel je consacre un dossier. /1
On y casse l’idée reçue que, parce qu’initialement focalisé sur les questions d’impôts et autour de la personne de Macron il n’aurait pas s’agit d’une lutte de classes. L’occasion de revenir sur le rôle de l’Etat en régime capitaliste aujourd’hui /2
On revient sur ce qui a fait une partie de la force du mouvement, son identifiant commun : “l’automobiliste travailleur” qui a permis de regrouper des colères éparses. /3
On détaille les tactiques de luttes mises en place par les Gilets jaunes : l’auto-organisation, la désobéissance civile, les blocages, les actions directes, les émeutes et les occupations /4
On rappelle le niveau de répression inouï auquel à été confronté le mouvement, ce qui permis de dévoiler à un large public la nature réelle du régime dans lequel nous vivons /5
Les Gilets jaunes ont aussi été porteurs d’une aspiration forte à la démocratie directe et à l’horizontalité, loin des hiérarchies bureaucratiques habituelles /6
Surtout : ils et elles ont été extrêmement novateurs et novatrices par rapport aux méthodes des syndicats et partis, en se fichant d’apparaître comme “respectables”. /7
Comme d’habitude ces organisations ont voulu tout encadrer, tout institutionnaliser, se distinguer au lieu de se fondre, promouvoir des méthodes inefficaces… Laissant chez les Gilets jaunes une forte rancœur, largement justifiée. /8