Ravalement de façade à Pyongyang
Gigantesque pyramide de ciment, dominant la partie nord-ouest de la ville de ses 330 mètres de hauteur, l’Hôtel Ryugyong miroite de parois de verre sur l’une de ses trois faces. Les travaux sont en cours sur les deux autres. Avec 105 étages, visibles de tout Pyongyang, le Ryugyong, dont la construction, commencée en 1987, fut arrêtée quatre ans plus tard, était devenu un embarrassant stigmate des déboires de la dictature nord-coréenne. Sa sortie d’un coma de près de vingt ans est donc symbolique du “lifting” de la capitale.
Pour le centième anniversaire, en 2012, de la naissance du président Kim Il-sung (décédé en 1994), Pyongyang fait “peau neuve” et, pour l’instant, le régime semble indifférent aux sanctions internationales prises par le Conseil de sécurité à la suite de ses tirs de missiles et de son second essai nucléaire. “Nous avons toujours été ostracisés. Un peu plus ou un peu moins, nous avons l’habitude”, est le leitmotiv officiel.
Les bras des grues barrent le ciel, et des immeubles poussent comme bambou après la pluie – 1 200 logements sont sortis de terre en quelques mois dans le quartier de la Porte Pothong et 100 000 devraient être construits d’ici à 2012. Les façades sont ravalées de couleurs pastel et les trottoirs des avenues dotés de parterres de gazon et de massifs de fleurs. Construite à la gloire de la révolution identifiée au régime, Pyongyang, au bord du majestueux fleuve Taedong, est une ville aérée à la verdure abondante : elle se veut plus que jamais la “ville des saules”.
La rénovation de la capitale, vitrine du régime, est devenue une priorité dont témoigne une récente exposition internationale de livres d’architecture à laquelle a participé une petite délégation française. “Dans le passé, nous nous sommes concentrés sur les monuments, désormais notre dirigeant entend mettre l’accent sur le bien-être du peuple”, explique Choe Chung-hyun, membre du Comité des relations avec l’étranger. En province, les images satellite révèlent également nombre de constructions nouvelles.
D’année en année, l’apparition d’une nouvelle “richesse”, restreinte à une petite élite, est tangible dans la capitale : multiplication des restaurants, des modèles récents de voitures de marques étrangères et désormais de téléphones portables : 60 000 en circulation depuis la mise en service, en décembre 2008, par le groupe égyptien Orascom, d’un nouveau réseau qui doit être étendu aux huit grandes villes du pays d’ici à la fin de l’année. Mais impossible de téléphoner à l’étranger. Comme pour Internet, les seules connexions possibles sont nationales.
L’abondance des produits (chinois essentiellement) dans les marchés est un autre signe des changements en cours. Dans le brouhaha de celui de Tongil – le seul accessible à des étrangers de passage -, les chalands se pressent devant les étals derrière lesquels, au coude-à-coude, des vendeuses à coiffe blanche font l’article. Monceaux de fruits, de légumes, de viande, de cosmétiques étrangers, quincaillerie, appareils électroniques, vêtements, chaussures…
Le marché ne désemplit pas, comme ceux des autres quartiers de Pyongyang (une vingtaine), selon les résidents étrangers dans la capitale. Les prix sont fixés par les autorités, mais le marchandage va bon train. A l’extérieur, à l’ombre des ponts routiers, dans les rues ou dans les cours des immeubles, des marchandes vendent à la sauvette fruits, légumes, cigarettes et friandises jusque tard dans la nuit.
L’argent circule : des liasses de devises étrangères sont chaque jour déposées ou retirées des banques, a constaté un résident étranger. Pyongyang donne une impression plus détendue que ce à quoi on pouvait s’attendre dans un pays sous embargo international : “Une image bien différente de celle ressassée à l’étranger”, constate un expert européen qui a fait plusieurs longs séjours en République populaire démocratique de Corée.
Mais il y a un envers à la Pyongyang “pimpante”, avec ses passantes à ombrelle – qui, à l’instar de toutes les Asiatiques, protègent la blancheur de leur peau – ou sa dernière bière, Taedonggang – hors de prix pour beaucoup -, vantée à la télévision pour ses vertus “déstressantes”.
Ce qu’un visiteur peut entrevoir, c’est un peuple qui peine, endure pénurie et sacrifices. Les foules de marcheurs dans la ville, les files d’attente sans fin, pour prendre les trolleys ou les bus surchargés, et la pauvreté de quartiers périphériques, aux rues en mauvais état, ou des hameaux de maisons basses entre les immeubles témoignent des dures conditions de vie de la majorité. La fatigue se lit sur bien des visages.
En dépit des meilleures récoltes attendues persiste un taux préoccupant de malnutrition dans les catégories sociales vulnérables (enfants, femmes enceintes, vieillards), estiment les organisations des Nations unies sur place : un enfant sur quatre souffrait de sous-alimentation en 2004 (dernière estimation de l’Unicef).
Le déficit alimentaire sera cette année de l’ordre de 800 000 tonnes de céréales sur une demande de 5,4 millions de tonnes. Il est difficile à estimer, car les cultures maraîchères sur les pentes, illégales mais tolérées, ne sont pas recensées.
Il pourrait être moins quantitatif que qualitatif : manque de diversité et de protéines. Faisant valoir que les prix des denrées sont, pour l’instant, assez stables, des experts agricoles étrangers avancent que “la situation alimentaire est moins dramatique qu’elle ne le fut”.
Ce n’est pas le cas dans le secteur de la santé : l’offre de soins hospitaliers, sur le papier bien meilleure que celle de la Chine, n’est en fait qu’une pathétique coque vide, manquant de tout : médicaments, anesthésiants, instruments de chirurgie… L’assistance médicale internationale est réduite et les sanctions retardent les livraisons en raison des inspections plus pointilleuses des douanes chinoises.
Focalisé sur l’objectif de 2012, “un pays fort et prospère”, le régime “fouette” les énergies par des campagnes de mobilisation de masse – comme celle des “150 jours” qui s’achèvera le 10 octobre (anniversaire de la fondation du Parti du travail) – destinées à accélérer les cadences et à encourager le sacrifice patriotique.
Depuis son second essai nucléaire en avril, cette monarchie communiste affiche une plus grande confiance en soi, et le renouveau de Pyongyang se veut le reflet d’un pays en marche. Il lui reste à faire redémarrer la production. Au cours des six premiers mois, l’extraction de charbon aurait augmenté et, selon les statistiques chinoises, les exportations d’anthracite ont doublé pour atteindre 2,3 tonnes entre janvier et juin.
Selon Séoul, la production d’acier augmenterait également mais, faute d’énergie, l’industrie tourne à un tiers de sa capacité. Seule une amélioration de ses relations avec la Corée du Sud – et avec le monde extérieur – pourrait permettre à la Corée du Nord de se dégager de l’ornière.
Philippe Pons
Article paru dans l’édition du 28.08.09 du Monde
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