Comment Pékin expulse ses exclus
A l’orée de Pékin, plusieurs villages vont être rasés pour laisser place à des quartiers résidentiels, des villas et des stations de métro. Nul ne connaît la date des destructions, alors les habitants, dont quelque 60 000 travailleurs migrants, attendent les bulldozers.
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Les destructions ont déjà commencé
C’est une après-midi comme les autres dans le village de Liu Niangfu.
Sur la berge d’une rivière qui a déserté son lit depuis longtemps, des hommes jouent aux cartes, en regardant passer vélos et camions sur la route de terre cabossée. Silencieuses devant leurs échoppes, des femmes attendent le client en regardant des enfants jouer parmi des tas de briques éparses.
C’est une journée normale, donc, dans ce petit village du district de Shi Jingshan, à l’ouest de Pékin. Ou presque. Car derrière leur apparente nonchalance, les habitants du coin comptent sur leur doigts les jours qu’il leur reste à passer ici.
Liu Niangfu se trouve après le cinquième périphérique, à plus d’une heure de route du centre de Pékin, après les quartiers d’immeubles résidentiels, après les grands filets des terrains de golfs des nouveaux riches. Là où la nature n’a pas encore tout à fait perdu droit de cité.
Mais comme plusieurs autres villages avoisinants, Liu Niangfu n’existera bientôt plus. Le village s’est fait progressivement rattraper par la mégapole, qui n’en fini pas de s’étendre.
Au nord, seuls un ou deux kilomètres séparent les quartiers résidentiels de ces maisons de briques et de broc. Du côté sud, de grands immeubles rouges et blancs s’élèvent déjà, fiers et modernes, dans le paysage.
Habitants locaux ou travailleurs migrants débarqués (en grand nombre) à la recherche d’une vie meilleure près de la capitale, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui seraient concernées par les expulsions.
Le chiffre est vertigineux. A eux seuls, les travailleurs migrants (dits “mingong”) vont être 60 000 à se retrouver à la rue.
En attendant les bulldozers
“Je suis venu du Henan, explique M.Li, accroupi près d’un camion chargé de briques, la clope au bec. Là-bas, la terre que je possédais était vraiment insuffisante pour survivre, alors qu’ici, en travaillant beaucoup, j’arrive à gagner près de 2000 yuans par mois”.
Un salaire considérable comparé à ce qu’il aurait gagné dans sa campagne, et qui lui permet de louer un petit 11 mètres carrés pour sa famille. Comme M.Li, ils sont des milliers à avoir débarqué à Pékin pour tenter de s’arracher à leur condition. Mais bientôt -personne ici ne semble savoir quand- ils devront repartir.
“On a eu aucune information précise, mais les destructions ont déjà commencé là haut, raconte-t-il, en montrant du doigt l’autre côté de la rivière. Il paraît qu’il vont construire une station centrale de bus, un arrêt de métro, et des tours”.
Comme beaucoup ici, devant cette situation, M.Li ne sais pas trop ce qu’il va faire quand le village aura été rasé. Peut être qu’il restera dans la région et qu’il continuera à faire toutes sortes de petits boulots. Il vivra juste encore un peu plus loin du centre.
“Il y a déjà beaucoup de gens qui sont partis”, explique Mme Xie, debout devant une immense pile de vêtements. Travailleuse sociale, Mme Xie passe ses journées dans le “supermarché de la bonté” à trier, laver et repasser des vêtements donnés par des étudiants de la capitale.
“Les gens sont pauvres, ici, explique-t-elle. La plupart n’ont pas de quoi s’acheter des habits neufs. Donc ceux que nous vendons sont à un ou deux yuans. Les plus chers, les gros vêtements d’hiver, sont vendus 20 yuans”.
La destruction qui vient, elle aussi en a eu vent. Elle a d’ailleurs déjà déménagé provisoirement, avec son mari. Selon elle, ce sont des villas qui couvriront bientôt la zone.
“A leur retour, ils n’auront pas grand chose pour subsister”
“Les migrants qui viennent ici, le font car la vie est trop dure chez eux, explique-t-elle. Mais ici aussi, ils suent ! Avec ces expulsions, beaucoup sont obligés de revenir chez eux car c’est très dur de trouver un logement abordable. Mais ça ne sera pas facile : l’argent qu’ils avaient investi pour venir est parti en fumée, et comme ils n’ont rien planté dans leurs champs, à leur retour, ils n’auront pas grand chose pour subsister”.
La plupart des mingong de Liu Niangfu n’auront droit à aucune indemnisation. En effet, ceux qui ne sont pas locataires habitent dans des logements de fortune qu’ils ont bâtis eux mêmes, et qui n’ont donc pas d’existence légale.
Quant aux locaux, leur indemnisation dépendra de la surface de leurs maisons. “Sauf que la plupart ont une bâtisse toute petite et ont construit autour des extensions eux même pour leur famille. Donc c’est pareil, ils vont pour la plupart toucher très peu” continue Mme Xie.
Caleb, lui, n’est pas vraiment concerné par tout ça. Lunettes noires sur son scooter, ce jeune américain est professeur d’anglais dans l’ensemble de grands immeubles qui borde Liu Niangfu.
A quelques mètres, c’est tout un autre monde. Un monde dont la perpétuelle expansion repousse inexorablement M.Li, Mme Xie et les autres, toujours un peu plus loin.
“La bas, il y a deux autres étrangers, tous deux enseignants, comme moi. Le reste sont des retraités ou des cadres qui travaillent à Pékin mais qui habitent ici”, explique-t-il avant de repartir, son scooter soulevant la poussière de cette route de terre qui ne sera bientôt plus qu’un souvenir.
le 22/7/2010 à 12h47 par Benoît Guivellic (Aujourd’hui la Chine)
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