Grève générale en Espagne : “La précarité est devenue la norme”
Les principaux syndicats espagnols ont convoqué une grève générale, mercredi 29 septembre, contre la réforme du marché du travail, la première depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement socialiste en 2004. Des internautes du Monde.fr installés en Espagne témoignent de la situation sociale qui prévaut dans le pays.* La grève à l’espagnole, par Julien D.
Je suis actuellement étudiant à l’université polytechnique de Madrid. Dans la cité universitaire, les affiches sauvages, les autocollants et les tags ont fait leurs apparitions sur les murs depuis une bonne semaine. Des prospectus jonchent le sol un peu partout. Cependant dans ma fac, la grève n’a pas l’air de susciter beaucoup de débats. Si je m’en tiens aux paroles de mon professeur, j’ai cours normalement demain matin. Je pense néanmoins que j’assisterai à la manifestation. D’abord par curiosité mais aussi et surtout parce que la réforme proposée par un gouvernement “socialiste” est inacceptable pour une société qui, bien plus qu’en France, souffre de la crise et du chômage !
* “Maintenant le débat sur la retraite à 62 ans en France me fait bien rigoler”, par Colin Poutiers
Je vis et travaille à Barcelone depuis mainteant cinq ans. Ayant grandi en région parisienne, je suis assez habitué aux grèves et autres manifestations sans me sentir vraiment impliqué. En revanche ici, il faut apparement s’attendre au pire. Dur de faire le tri entre les racontars et la vérité, mais cette grève promet d’être beaucoup plus intense, voire violente que les manif-merguez-chansons parisiennes. Tous les magasins du centre-ville ferment en prévision des casseurs, et il est dit que les “jaunes” peuvent être “rappellés à l’ordre” sur le chemin du bureau.
Je me suis renseigné sur les principales revendications et je peux vous dire que maintenant le débat sur la retraite à 62 ans en France me fait bien rigoler. Ici on travaille jusqu’à 65 ans, bientôt 67, 40 heures par semaine et avec bien moins de congés payés. Les licenciements vont être facilités, les retraites gelées, le tout en sachant que le chômage avoisine les 20 %… Donc oui, demain je vais faire grève. Ce pays qui m’a accueilli est socialement à des années-lumière de la France, et j’ai peur que l’écart ne se creuse encore.
* Pour une moblisation massive, par Aina P
Je travaille dans une école de commerce, mais ma situation est identique à celle de plusieurs copains à moi : on travaille avec des limitations. Je bosse comme sous-traitante sans les droits qu’ont mes copains de travail : beaucoup moins de jours feriés, pas syndiquée, moindre salaire (avec le même travail à faire)… et je peux être heureuse ! Parce que en Espagne ils sont des milliers de jeunes qui ne trouvent rien, même si t’as des bonnes études universitaires.
Je ne peux pas participer, parce que je risquerais de perdre une partie de mon salaire et d’avoir une mauvaise réputation (je ne travaille que depuis 3 mois). Par contre je suis pour une mobilisation massive. Si je ne peux pas y aller, au moins qu’il y ait le plus de gens possible.
* “Une simple grippe pourra devenir un motif de licenciement !”, par Matthieu Huet
Je prépare le concours pour devenir professeur de français en Espagne. C’est compliqué. Il y a peu de postes, un concours tous les deux ans et un barème favorisant les remplaçants. La situation est encore plus désastreuse dans le privé : smic à 600 euros par mois, semaines de 40 heures, travail au noir omniprésent. Ma compagne, fonctionnaire, s’est fait retirer presque 3 000 euros de salaire annuel, mais elle ne fait même pas grève, même si elle n’approuve en rien ces mesures. Moi, sans travail, sans aide au logement, j’irai dans la manifestation en espérant que les socialo-libéraux arrêtent un peu le désastre. Leurs mesures d’austérité n’ont rien changé et ils démantèlent encore plus le droit des travailleurs. Par exemple, ils sont en train de faciliter le licenciement : une simple grippe pourra devenir un motif valable ! La solidarité ne doit pas seulement être supportée par les fonctionnaire et les bas salaires !
* “La précarité est devenue la norme”, par Thierry
Je me joindrai à la grève générale par solidarité avec la personne avec qui je vis. En Espagne, les barrières à l’emploi sont nombreuses. Quand on a déjà la chance d’en trouver un précaire (contrats d’un mois, travail temporaire, etc.) payé moins de 1 000 euros, on saute dessus. Si le président n’est pas bling-bling ici (c’est déjà quelque chose), la précarité est devenue la norme. Il est temps ici aussi de montrer que le peuple vote pour qu’on le représente, pas pour qu’on l’utilise.
appel temoignage
* Une grève qui ne sert à rien !, par Sara
Je suis espagnole et j’ai 24 ans. Il y a trois semaines, on m’appelait pour me demander si j’étais disponible pour travailler pendant un mois. J’ai fini mes études (bac+5 en traduction et interprétation) en juin 2009. Depuis, malgré tous les CV que j’ai envoyés, je n’ai travaillé que deux mois, à raison de 3 heures par jour. Ça peut sembler bizarre, mais je suis contente : au moins j’ai l’occasion d’acquérir de l’expérience comme enseignante de langues étrangères et j’ai de quoi payer l’essence pour aller travailler dans la voiture de mon père… La plupart des mes collègues d’université, eux, n’ont rien trouvé, même pas un travail de serveur dans un bar.
Avec un taux de chômage qui dépasse les 20 %, on se sent chanceux si on trouve de quoi se sentir occupé, même si on a un master de recherche et qu’on fait un doctorat. Même si j’angoisse quand je pense à mon avenir, je vais participer à la grève uniquement parce que mon entreprise m’y oblige. Si j’avais pu choisir, j’aurais boycotté une grève qui a été convoquée trop tard et qui ne servira qu’à aggraver la situation économique et sociale du pays. Je regrette que cette grève n’ait pas eu lieu il y a un an, quand on pouvait encore faire en sorte que certaines lois ne soient pas approuvées. Aujourd’hui, je rêve de partir en France, où l’on fait les choses juste quand et comme il faut.
* Le gouvernement aurait dû réagir plus tôt, par Pablo Farfán
Je crois que les mesures prises par la gouvernement socialiste pour réformer le marché du travail sont malheureusement nécessaires. Selon moi, le gouvernement aurait même dû réagir plus tôt. On ne peut pas assumer un taux de chômage de 19 % sans rien faire… Moi, je suis fonctionnaire. Mon salaire a été diminué de 5 % et je n’aurai pas d’augmentation l’année prochaine. Pourtant, quand je parle avec les copains et les voisins, je suis conscient d’être un privilégié. Qu’est-ce que les syndicats peuvent faire pour aider 3 800 000 chômeurs ?
* Le pays a-t-il vraiment le choix ?, par Xavier
Je suis stagiaire dans une grande entreprise de Madrid. Depuis lundi, des tracts appelant à la grève ont fleuri un peu partout en ville et dans nos bureaux. En Espagne, ce genre de mobilisation est assez rare. Elle est perçue comme un évènement historique. Pourtant, les dés semblent jetés. Même si bon nombre d’avantages sociaux vont disparaître, le pays est dans une situation économique telle qu’il va falloir sérieusement se serrer la ceinture. Même le secteur immobilier, ancien fer de lance de l’économie, est au plus mal. Il y a un nombre assez impressionnant d’écriteaux “appartements ou bureaux à vendre ou à louer” à l’entrée des bâtiments.
Personnellement, je ne ferai pas grève, mais je ne devrais pas avoir de gros problèmes pour aller travailler car la communauté urbaine de Madrid a négocié avec les syndicats des transports en commun un service minimum (un métro sur trois). Bon nombre de mes amis espagnols à Madrid (stagiaires pour la plupart) se rendront également au bureau, quelques-uns ayant subi de petites “pressions” de leurs manageurs. En revanche, cela risque d’être beaucoup plus dur dans d’autres communautés autonomes.
* “Je prie pour qu’on continue de m’exploiter”, par Sandra
Je ne pensais pas vraiment faire grève, mais je ne crois pas que j’arriverai à me rendre sur mon lieu de travail. Techniquement, oui, je serai en grève, mais je n’irai pas à la manifestation. Je n’approuve pas spécialement la réforme du travail élaborée par le gouvernement, mais je suis assez sceptique quant aux resultats de la grève générale. On est tous déçus par le gouvernement socialiste, mais il n’y a pas d’alternative valable. Je travaille dans le tourisme, j’ai un contrat “fijo” (à durée indéterminée), 30 jours de congés annuels. Je fais des heures supplémentaires non recupérables. Mais vu la situation actuelle, je me la boucle. Je prie pour qu’on continue de m’exploiter.
* L’économie est déjà atteinte, par Marc Tabeau Garcia
Je suis hôtelier aux îles Canaries, la région au plus fort taux de chômage d’Europe. Dans le secteur touristique les conventions collectives prévoient 15 mois de salaire et 48 jours de congé par an et pour cette année une augmentation de salariale de 3,5 % ! Malgré ces conditions, il m’est difficile de trouver du personnel pour remplacer mes salariés qui partent en congé ou en congé maladie. Seuls postulent ceux qui seront payés au noir, car ils préfèrent profiter des largesses de Zapatero : soit le chômage soit les 420 euros pour ceux qui sont en fin de droits. A mon avis, la grève du 29 septembre risque d’enfoncer un peu plus l’économie espagnole, déjà suffisamment atteinte.
LEMONDE.FR | 28.09.10 | 19h06 • Mis à jour le 29.09.10 | 11h13
Le mal-être et l’envie de vivre éclatent à Barcelone
Les gens ont dit basta. Les autorités affirment que c’étaient des groupes anti-système, des jeunes au look okupa…Et bien non. C’était nous, ce nous que les fourgons de police hystérique poursuivaient dans la ville des heures durant sans parvenir à le trouver. Ce nous qui applaudissait lorsque les vitrines du Corte Inglés ont été brisées. Ce nous qui a pris la parole lors de la première assemblée dans la banque expropriée de Plaça Catalunya et dit : “J’ai presque 50 ans. Je suis au chômage depuis 4 ans après avoir passé ma vie à travailler. Je suis désespérée mais cette okupation m’a rendu le sourire”. Dans la dictature démocratique tout peut se dire et ça ne sert à rien. C’est sûr. Mais que d’un des plus haut bâtiment de la cité une bannière immense proclame : “la banque nous asphyxie, les patrons nous exploitent, les politiciens nous mentent, ccoo,ugt nous vendent :au chiottes !” est une vérité trop insupportable pour le pouvoir. Car les gens venaient toujours en plus grand nombre. Et il n’y avait pas de drapeaux ni de slogans faciles auxquels plus personne ne croit désormais. Le discours banal de la gauche était resté derrière. Nous étions simplement des vies précaires qui prennent la parole, et alors pointait tout le désespoir et aussi l’immense envie d’inventer des chemins pour résister ensemble*. Pour sortir de cette prison qu’est devenue la vie.” Au chiotte” était un cri de rage. mais peu à peu ce cri s’organisait, s’amplifiait, s’enrichissait… et des milliers de voix le faisaient sien. Pour la dictature franquiste tout trouble de l’ordre public était causé par une minorité, et la façon de la disqualifier consistait à dire qu’il s’agissait d'”étudiants”. Etudiants étaient synonyme de bons à rien. A présent la dictature démocratique insiste à nous qualifier comme toujours de minorité, bien que dans ce cas on nous appelle voyou et vandales. Il ne savent pas que cette minorité -ce nous qui se rebelle- est celle qui fait l’histoire. La dictature franquiste est ( partiellement ) tombée. Nous savons aussi que tôt ou tard ce système d’oppression et de misère sera troué comme un gruyère. Parce que des milliers de personnes sont en train d’inventer des milliers de sorties. Et il tombera. Eux, ils ont le jour. Nous, la nuit. Ils ne peuvent pas nous identifier et jamais ils ne sauront qui nous sommes. C’est à cause de cela qu’ils nous craignent tant.
Vidas precarias (vies précaires)
Gent del carrer ( en catalan : Gens de la rue )
* au féminin
Face à cette guerre économique et sociale qui ne dit pas son nom, cette guerre d’une élite face à son peuple, cette guerre d’une caste de nantis qui tente partout en Europe, et dans le monde, d’imposer sa vision des choses et son unique valeur, la cupidité, une seule solution : le combat à armes égales… mais différentes : la désobéissance générale !
Et oui, la génération de 36 n’est plus là, ces femmes et ces hommes libres, rebelles et héroïques. Ils ont pourtant tracé la voie et leur combat est toujours là, avec les mêmes en face, même si des étiquettes changent. Toutes les grandes causes ont aussi leurs traîtres. L’expérience des uns ne sert pas forcément aux autres, me direz vous mais il n’y a de loups que là où il y a des agneaux. La barbarie avance à grand pas, refuser de l’affronter c’est se soumettre et la laisser gagner. Pourtant l’Espagne a eu la classe ouvrière la plus digne et la plus combative et des dirigeants parmi les meilleurs. A ne pas vouloir s’en souvenir, à ne pas vouloir reprendre l’exemple, on se condamne à la barbarie.