“Le fétichisme comme illusion”
Ce texte est paru d’abord en commentaire à la suite de l’article
“de quoi l’indignation est-elle le nom?”.
L’interêt de ce texte nous amène à le publier en tant que tel ici.
Le fétichisme comme illusion
Le problème avec ce texte, c’est qu’il prend le fétichisme comme origine de tous les torts particuliers et donc du tort général. Les formes fétichistes dont parle l’auteur semblent exister par et pour elles-mêmes. Plus rien ne relie ces fétichismes entre eux et ne permet de comprendre leur raison d’être. Je suis d’accord avec l’auteur pour dire que le fétichisme n’est pas « une sorte de voile, de manipulation, de mensonge, une erreur de jugement », en revanche, le fétichisme n’est pas un mode de production sociale ayant sa propre dynamique permettant de transformer les anciens rapports sociaux selon ses propres règles. Les formes fétichistes telles que marchandise, argent, capital ne sont que les formes nécessaires que prend la valeur dans son procès de valorisation; les fétichismes dont il est question ici n’existent pas en soi, ils sont le produit du rapport d’exploitation capitaliste qui a besoin, pour relancer à chaque fois les bases de cette exploitation, de faire circuler la valeur au travers différents supports qui prennent la forme fétichiste parce qu’ils sont les points fixes ou coagulés de cette valeur en mouvement. Les fétichismes ne produisent rien, aucun rapport social, ils sont toutefois bien réels, dans le sens que ces supports de la valeur en circulation sont des supports matériels qui permettent aux individus de rentrer en rapport entre eux. Mais encore une fois, ce ne sont pas les fétichismes qui déterminent cette façon fétichiste qu’ont les individus d’entrer en rapports entre eux, c’est plutôt la séparation des moyens de produire de la richesse sociale face à une masse d’individus qui ne possède que la reproduction de leur force de travail qui est la détermination première. Si les fétichismes existent comme médiation aliénante, c’est seulement parce qu’une classe ne peut vivre et exister socialement quand entrant en rapport avec le capital (c’est-à-dire en abandonnant une partie de son activité quotidienne sous forme de travail contre un salaire), lequel n’est en fait que la propriété des moyens de production que possède une autre classe. En sommes, si les gens fabriquent des choses « en travaillant » et qu’ensuite ces même gens agissent parce que ces mêmes choses « détiennent un pouvoir sur eux », c’est non seulement parce que ces choses ne sont pas la propriété de ceux et celles qui les fabriquent mais aussi et surtout parce que l’activité même de fabriquer ces choses ne leur appartient pas… voilà où se trouve l’origine des fétichismes et de l’aliénation.
En fait, notre auteur abandonne tout simplement l’exploitation et par la même occasion abandonne les classes. Si l’implication réciproque des classes qui définit l’exploitation n’existe plus dans ce texte (comme le souligne le premier commentaire), c’est parce que la capital a disparu en tant que pôle dominant du rapport de classes. En prenant les fétichismes comme « fondement des rapports sociaux présents », notre auteur pose la révolution comme un processus de désaliénation où le prolétariat ne fait que reprendre CONSCIEMMENT ses activités productives sans remette en cause ses activités elles-mêmes… en d’autres mots, le prolétariat ne fait que S’AUTO-ORGANISER. Ainsi, pour se désaliéner, le prolétaire est invité à sortir de son « rêve éveillé » afin de « prendre conscience » de cette vie collective structurée par des fétichismes; tout ceci faisant en sorte que l’activité révolutionnaire du prolétariat n’est plus médiée par sa lutte contre le capital, c’est avec lui-même qu’il doit lutter. La question révolutionnaire se résume donc à un dialogue entre le prolétariat et les formes fétichistes de son activité : dehors le capital et la classe capitaliste. Il n’y a plus d’implication réciproque, parce qu’il n’y a plus de classes qui s’affrontent dans leur implication réciproque.
C’est finalement en raison de cette identité entre révolution et désaliénation que l’auteur ne cesse de nous parler de « conscience », de « sujets somnambules » qui vivent « dans le rêve », bref, de gens « prisonnier » de leur illusion… à croire que tout ce passe dans leur tête. C’est cette perspective idéaliste qui nous fait croire que la politique n’est plus que mensonge, mais mensonge de quoi au juste ? D’être une illusion derrière laquelle se cachent les fétichismes ? Mais ces fétichismes, selon l’auteur, ne sont eux-mêmes qu’une autre forme d’illusion qui fait de l’activité des gens quelque chose qui leur est étranger et qui pourtant leur est propre. Nous sommes donc devant une illusion qui cache une autre illusion… nous sommes devant des miroirs se réfléchissant à l’infini. Mais au bout du compte, rien de tout cela ne nous explique vraiment comment ces illusions réussissent à s’imposer et à se maintenir. Toute cette construction n’est qu’un pauvre château de carte sans fondement.
Le deuil du démocratisme radical
Par contre, notre auteur à le mérite de poser l’enjeu réel du mouvement des indignés et ça, en critiquant la pratique démocratique comme la limite de ce mouvement. Mais cet enjeu il ne le pose pas de la bonne façon. Ce n’est pas la politique qui fait illusion ici, c’est le démocratisme radical qui se confirme comme illusion, c’est lui qui croit que « l’auto-détermination démocratique » est fondement de la société. Par conséquent, la question n’est pas de savoir de quoi s’indigne-t-on, mais pourquoi s’indigne-t-on de cette manière, qu’est-ce qui fait que ce mouvement existe et qu’est-ce qui est en jeu dans ce mouvement.
S’il est clair maintenant que ce mouvement commence à produire l’idée pratique – soit l’indignation comme unité du mouvement – que « l’économie domine finalement la politique, que l’impératif catégorique de la croissance économique domine toute possibilité de démocratie réelle » c’est parce que la conjoncture d’une crise économique, « d’un grand sceau d’eau glacé pris dans la figure à coup de plans d’austérité, de plans d’ajustement structurel, de RGPP, de coupes budgétaires, d’expulsion de son logement par la banque » et j’en passe, bref, c’est parce que l’ensemble des mesures prisent par la classe dominante contraint les populations visées à cette manière de s’indigner. Ici, les indignés ne seront pas amenés à critiquer la politique parce qu’elle est « illusion », comme le voudrait notre auteur, mais parce que la politique ne pourra rien pour eux dans le contexte actuel de crise de l’économie mondiale.
Ainsi, si la classe dominante ne peut rien donner qui puisse réellement sortir les indignés de leur misère; intégrer les multiples individus qui sont carrément exclus du marché du travail; redistribuer les richesses et donner à tous et chacun une part du gâteau grâce à l’intervention de l’État; le mouvement des indignés se trouve donc dans l’impasse démocratique de rien attendre des pouvoirs politiques d’un côté (et donc de ne rien revendiquer) et de l’autre, d’être au cœur d’une mobilisation massive qui réclame la justice mais ne sait pas trop comment l’obtenir pour le moment. En fait, le mouvement des indignés se trouve dans la contradiction d’être contraint à remettre en cause tout ce qui définit son propre développement démocratique. Pour sortir de cette contradiction, le mouvement doit se saborder lui-même et passer à autre chose… Le mouvement est à peine commencé qu’il produit déjà sa fin.
Dans cette contradiction c’est le démocratisme radical qui est en jeu; non pas dans le sens que le succès de ce mouvement sera son succès et inversement l’échec du mouvement son échec, mais dans le sens que la contradiction du mouvement est signe de la faillite définitive du démocratisme radical comme mouvement qui se propose de gérer l’économie par le biais de politiques sociales et de redistribuer les richesses au travers les infrastructures publiques. Le fait est que c’est justement ce « rêve démocratique » qui se révèle inadéquat actuellement, car les infrastructures publiques qui ont été développées dans le cadre du compromis « fordiste » font maintenant l’objet d’un assainissement forcé afin de réduire la part de la plus-value qui se perd dans ces infrastructures non rentables. C’est cette nécessité qui rend toutes revendications impossibles et élimine le démocratisme radical comme dynamique à l’intérieure du mouvement des indignés.
Cette absence de revendication était déjà présente dans la lutte étudiante aux États-Unis et en Angleterre, mais le mouvement des indignés est plus qu’une simple absence de revendication. De prime abord, il est évident que le mouvement des indignés est incapable d’avancer une quelconque revendication qui soit digne de ce nom; même les dirigeants politiques se plaignent de cette absence de revendication compatible avec les mesures nécessaires contre les effets de la crise. Mais contrairement au mouvement étudiant cité plus haut, le mouvement des indignés se trouve également dans l’incapacité de défendre une catégorie sociale particulière plus qu’une autre. Le mouvement des indignés est un mouvement populaire dans le sens qu’il reconnaît l’ensemble des catégories sociales qui divise la société sous l’abstraction commode de « peuple indigné » (d’où le besoin de se réclamer du 99%) faisant en sorte qu’aucune revendication, aucune reconnaissance de droits ou besoins matériels n’a de priorité, d’où finalement cette pratique dite « antiautoritaire » et cette absence également de hiérarchie formelle dans le mouvement. Mais bien que les catégories sociales qui divisent la société soient partiellement neutralisées, elles ne sont d’aucune façon dépassées, le mouvement ne fait que les intégrer et les unifier dans cette communauté abstraite de l’indignation collective… sans savoir quoi faire avec ces catégories qui la traverse. Les nombreux exemples de gens qui travaillent et vont ensuite rejoindre le mouvement pour retourner au travail le lendemain prouvent que les catégories sociales fonctionnent toujours.
Parce que le mouvement ne peut produire aucune revendication, aucune priorité de lutte sectorielle, aucune hiérarchie permettant à une organisation politique de prendre le contrôle du mouvement, aucune décision prise en catimini dans le dos des indignés, aucun jeu de coulisse avec le pouvoir en place, aucune prise institutionnelle pouvant transformer ce mouvement en organisme communautaire caritatif ou autre; bref, parce que le mouvement ne reconnait pas les médiations qui font la réalité de la démocratie, il est donc contraint, d’un côté, à produire un faux dialogue que notre auteur définit comme une « interpellation exaspérée des dirigeants politiques comme s’ils étaient là à régler l’horlogerie profonde des fondements sociaux de nos sociétés » et de l’autre, à bloquer tout ce qui pourrait concrétiser ce dialogue. En sommes, nous sommes face un mouvement qui se réclame de la démocratie réelle mais qui détruit en même temps tout ce qui rend possible cette démocratie réelle; donc, la seule chose que ce mouvement met réellement en forme c’est la limite de la lutte comme auto-organisation : le démocratisme radical a totalement disparu.
En conclusion, le mouvement se veut démocratique et il croit y parvenir, mais étant donné que sa dynamique interne rend impossible cette démocratie, c’est l’auto-organisation comme limite de la lutte qui est définitivement mit de l’avant dans ce mouvement. Mais l’auto-organisation n’est pas la démocratie « vraie », pas plus qu’elle n’est la révolution, elle est simplement la limite des luttes du prolétariat en tant que classe qui s’organise et agit sur la base de ce qui le définit comme force de travail collective disponible pour le capital et contre lui lorsque le capital ne l’emploi pas. C’est dans ce sens que le mouvement des indignés est finalement un deuil du démocratisme radical, car tout ce qui définissait le démocratisme radical est carrément rejeter par ce mouvement… seul reste l’auto-organisation, comme le prouve l’auteur du texte qui est incapable lui-même de dépasser cette limite lorsqu’il déclame que « nous ne pouvons que nous reposer sur la dignité d’être à la hauteur de la situation actuelle (sic) de crise de la forme capitaliste-marchande, en ne comptant que sur nous-mêmes, en nous AUTO-ORGANISANT sans cesse… » Mais qui est ce « nous » au juste qui s’auto-organise tout court ?
Un peu de science-fiction…
Cette dernière partie n’est en fait qu’une spéculation hypothétique sur le développement possible de la deuxième phase de la restructuration (si deuxième phase il y a) en rapport avec la division mondiale des territoires selon la dynamique des zones d’exploitation. Pour ceux et celles qui ignore ce débat, lire le texte des camarades grecques de Blaumachen ainsi que les commentaires sur ce même site : http://dndf.org/?p=10310.
L’idée de prime abord est de mettre en perspective que l’exclusion massive d’une force de travail excédentaire produit déjà des zones d’économie parallèle et d’autogestion de la misère caractérisées par le développement de bidonvilles, de camps de réfugiés, de quartiers mafieux et de régions sous la tutelle de seigneurs de guerre; ensuite, l’idée est de mettre ce développement actuel en parallèle avec le développement d’une masse d’excédentaires propres aux pays industrialisés qui alimente en partie le mouvement des indignés; et enfin, d’avancer l’hypothèse que l’auto-organisation telle qu’elle prend forme dans le mouvement des indignés laisse suggérer que ce mouvement pourrait se transformer en une nouvelle forme de mise en zone à l’intérieur même de ces pays industrialisés : des bidonvilles autogérés côtoyant les grands centres financiers. Ceci dit, seul l’avenir nous le dira.
Amer Simpson
Merci de votre commentaire sur le texte sur l’indignation. Je n’ai hélas pas le temps d’en discuter cette semaine. Mais je reviendrai pour en discuter j’espère la semaine prochaine
Salutations
Clement