Bloquer le port n’est que le premier de nombreux derniers recours
traduction en français d’un texte qui a circulé aux states après le mouvement “occupy” en 2011 et surtout le mouvement gréviste dans le port d’Oakland
Bloquer le port n’est que le premier de nombreux derniers recours
Par toute standard de mesure raisonnable, la grève générale du 2 Novembre fut un succès imposant. La journée fut certainement le moment le plus significatif de la saison du mouvement Occupy et a montré la possibilité d’une nouvelle direction pour les occupations, loin d’un démocratisme vague et auto-réflexif et vers une confrontation directe avec l’état et le capital. Au niveau local, en tant que réponse contre le premier raid policier sur le camp, la grève a montré qu’Occupy Oakland était capable de s’étendre tout en se défendant, d’organiser son propre entretien tout en attaquant au même moment son ennemi. C’est de cela dont il est question quand on fait référence au camp et à ses participants en tant que Commune d’Oakland, même si une véritable commune n’est seulement possible que de l’autre côté de l’insurrection.
En regardant les évènements de la journée, il est clair que sans la fermeture du port, cela n’aurait pas été du tout une grève générale, mais plutôt une journée d’action particulièrement imposante. Les dizaine de milliers de gens qui ont défilé vers le port ont surpassé toutes les estimations. Voisins, collègues, membres de la famille – on y vit toute sorte de gens qui n’avait jamais montré d’intérêt dans ce genre d’évènements, dont l’activité politique avait été restreinte à des grognements d’insatisfaction en direction du poste de télévision et un voyage aux urnes électorales une ou deux fois par an. C’était comme si l’entière population de la région de la Baie avait été transferrée dans un étrange purgatoire industriel, pour y errer, y errer encore, et y rencontrer soi-même et sa propre puissance.
Maintenant, nous avons l’opportunité de bloquer les ports une fois encore, le 12 Décembre, conjointement avec les autres participants des mouvements Occupy de toute la côte Ouest. C’est déjà Los Angeles, San Diego, Portland, Tacoma, Seattle, Vancouver et même Anchorage qui ont donné leur accord pour bloquer leurs ports respectifs. Ces évènements sont passionnants, c’est certain. Maintenant que la plupart des principaux camps aux Etats-Unis ont été évacués, nous avons besoin d’un tel évènement pour maintenair la séquence qui va passer au travers des mois d’hiver et fournir un point de référence pour de prochaines manifestations. Pour des raisons qui seront expliquées brièvement, nous croyons que de telles actions – actions directes centrées sur la circulation du capital plutôt que sur sa production – joueront un rôle majeur dans les soulèvements et les insurrections inévitables des années à venir, tout au moins dans les pays post-industriels. La confluence entre cette tactique et les tentatives en cours d’exproprier directement des bâtiments abandonnés pourrait transformer le mouvement Occupy en quelque chose de véritablement menaçant pour l’ordre actuel. Mais selon nous, beaucoup de camarades continuent de penser ces actions comme étant essentiellement dans la continuité de la lutte de classe du vingtième siècle et de l’ère industrielle, ne remarquant jamais adéquatement combien la grève générale d’Oakland de 2011 ressemble peu à la grève générale d’Oakland de 1946.
Le non-lieu du lieu de la circulation
L’industrie du transport (et le transport en général) a été depuis longtemps l’un des secteurs les plus important pour le capital et l’un des lieux privilégiés de la lutte de classe. Le capitalisme se développe et s’étale essentiellement à l’intérieur de la matrice des expérimentations mercantiles, colonialistes et impériales de l’Europe post-médiévale, toutes établies sur les marins, les navires et les routes du commerce. Mais au moment où le capitalisme arrive en tant que nouveau système social durant le 19ème siècle, l’engin d’accumulation le plus important n’est plus le commerce lui-même, mais l’introduction de technologies réduisant le travail dans le procès de production. D’énormes profits réalisés à travers une production mécanisée sont réacheminés dans le développement et l’achat de nouvelles machineries de production, sans faire mention des vastes et infernaux projets d’infrastructure que ce système industriel requiert: mines et chemins de fer, autoroutes et centrales électriques, déversements urbains de bois, de pierre, de ciment et de métal au moment où les centres métropolitains s’étalent et absorbent les gens expulsés des campagnes. Mais à partir des années 70, alors que de nombreux futurologistes et prévisionnistes sociaux prédisaient une société de surabondance complètement automatisée, le cycle d’accumulation dirigé par la technologie arrivait à sa fin. Les technologies réductrices de travail sont à double tranchant pour le capital. Même si elles permettent temporairement l’extraction de profits énormes, le fait que le capital traite les corps des travailleurs comme la fondement de sa propre richesse signifie qu’à long terme, l’expulsion de plus en plus de gens du lieu de travail finit par saper les propres conditions de survie du capital. Bien sûr, l’une des horreurs les plus sombres du capitalisme est que les condition de survie du capital sont aussi les nôtres, quelle qu’en soit notre haine. Directement ou indirectement, chacun de nous dépend du salaire et du marché pour notre survie.
A partir des années 70, l’une des réponse du capital à la crise de sa reproduction a été de déplacer son centre des lieux de la production aux (non)lieux de la circulation. Une fois que l’introduction des technologies réductrices de travail dans la production de biens ne généraient plus de profits substantiels, les entreprises se sont focalisées sur le fait de circuler plus rapidement et à meilleur marché à la fois le capital marchandise (dans le cas des industries du transport, de la vente en gros et du commerce de détail) et le capital argent (dans le cas de la banque). Une telle restructuration est une grande part de ce qui est souvent appelé “néolibéralisme” ou “mondialisation”, modes d’accumulation dans lesquels l’industrie du transport et les chaînes d’approvisionnement mondialement distribuées jouent un rôle principal. L‘invention du transport de containers et du bateau a containers est analogue, de cette manière, a la réinvention des échanges de produits dérivés dans les années 70 – une invention technique qui multiplie par de nombreuses fois le volume de capital en circulation.
C’est pourquoi la grève générale du 2 Novembre apparut ainsi, non comme le retrait volontaire du travail à partir des larges usines et de ce qui va avec (où si peu de nous travaillent), mais plutôt comme des masses de gens qui travaillent dans des lieux non-organisés, qui sont au chômage ou sous-employés ou bien précaires d’une manière ou d’une autre, convergeant au points d’obstruction des flots du capital. Là où les employés des grands lieux de travail – les ports, en l’occurrence – ont retiré leur travail, cela ne s’est fait qu’après l’intervention d’un prolétariat extrinsèque. Dans une telle situation, le piquet volant, développé à l’origine comme un instrument de solidarité secondaire, devient le premier mécanisme de la grève. Si le capital post-industriel se centre sur les routes maritimes et les autoroutes, les rues et les centre-commerciaux, se centre sur le fait d’accélérer et de volatiliser ses flux en réseaux, alors ses adversaires auront aussi besoin d’être mobiles et multiples. En Novembre 2010, pendant la grève générale en France, on a vu comment une douzaine de piquets volants pouvait interrompre de manière efficace une ville de millions d’habitants. De tels blocages mobiles sont la technique d’un temps et d’un lieux où la production se fait offshore, une époque dans laquelle la plupart de nous travaillent, pour ceux qui travaillent, sur des lieux de travail petits et non-organisés, dédiés au transport, à la distribution, à l’administration et la vente de biens produits ailleurs.
Comme le système financier qui est son miroir déformant, le système actuel pour la circulation de marchandises est incroyablement fragile. Des chaînes d’approvisionnement informatisées, complexes, basées sur des modèles de production à flux tendus ont réduit le besoin d’entrepôts et de dépôts. Cela veut souvent dire que les lieux de travail et les détaillants ont souvent moins d’une journée de réserve à disposition, et comptent sur l’arrivé constante de nouvelles cargaisons. Quelques interventions tactiques – aux ports principaux, en l’occurrence – pourrait amener une économie entière à ses genoux. C’est de manière évidente autant un problème pour nous que pour le capital: la fragilité de l’économie signifie que, tandis qu’il est facile pour nous de bloquer les instruments de notre propre oppression, nous n’avons nulle part accès aux choses qui pourraient les remplacer. Il y a peu de lieux de travail que l’on peut reprendre en main et utiliser pour commencer à produire ce dont nous avons besoin. Nous pourrions reprendre en main le port et continuer à importer ce dont nous avons besoin, mais il presque impossible d’imaginer cela sans maintenir la violence de l’économie actuelle.
Pouvoir à tous les vagabonds et ainsi à aucune classe
Cela nous amène à un aspect très important du moment actuel, déjà évoqué plus haut. Le sujet de la “grève” n’est plus la classe ouvrière en tant que telle, bien que les ouvriers soient toujours impliqués. La grève n’apparait plus seulement comme le retrait volontaire du travail des employés au sein du lieu de travail, mais comme le blocage, la suppression (ou même le sabotage et la destruction) de ce lieu de travail part des prolétaires qui en sont étrangers, et qui sont peut-être même entièrement étranger au travail salarié. Nous devons abandonner nos idées concernant les sujets “véritables” de la grève ou de la lutte de classes. Bien qu’il soit toujours préférable et parfois nécessaire de gagner le soutien des travailleurs dans le but de fermer un lieu de travail particulier, cela n’est pas absolument nécessaire, et nous devons admettre que les idées pointant du doigt qui a le droit de faire grève ou de bloquer un lieu de travail particulier sont de simples extensions du droit de propriété. Si les grèves générales historiques ont impliqué une grève coordonnée de larges lieux de travail, autour desquelles les “masses”, incluant les étudiants, les femmes qui performaient un travail domestique non-salarié, les chômeurs et les lumpen-prolétaires du secteur informel se rassemblaient finalement pour former une offensive généralisée contre le capital, là, la causalité est précisément renversée. On n’a curieusement pas remarqué que les camps des mouvements Occupy, bien que se réclamant eux-mêmes les manifestations essentielles d’une certaine vaste hypermajorité – les 99% – sont formés en grande partie des rangs des sans-abris et des sans-emploi, même si un groupe démographiquement divers les rempli lors des marches ou des manifestations. Qu’un groupe tel que celui-là – avec peu d’attaches au travail organisé – puisse appeler et organiser avec succès une Grève Générale devrait nous dire combien le monde de 2011 est différent de celui de 1946.
Il est ici utile pour nous de distinguer la classe ouvrière du prolétariat. Bien que beaucoup d’entre nous soient membres de la classe ouvrière et prolétaires, ces termes n’ont pas nécessairement la même signification. La classe ouvrière est définie par le travail, par le fait qu’elle travaille. Elle est définie d’un côté par le salaire, de l’autre par sa capacité à produire de la valeur. Mais le prolétariat est défini par le fait qu’il n’ait aucune propriété. A Rome, proletarius était le nom de celui qui ne possédait aucune propriété si ce n’est lui-même et ses progénitures, et vendait fréquemment tout cela en tant qu’esclaves par conséquent. Prolétaires sont ceux qui sont “sans réserves” et ainsi ne dépendent que du salaire et du capital. Ils sont “dénués de tout”, n’ont rien à vendre si ce n’est leur propre peaux. Ce sur quoi il faut ici insister est que tous les prolétaires ne sont pas de la classe ouvrière, puisque tout les prolétaires ne travaillent pas en échange d’un salaire. Avec l’intensification de la crise du capitalisme, une telle “vie sans salaire” devient de plus en plus la norme. Bien sûr, l’exploitation nécessite la dépossession. Ces deux termes renvoient aux inextricables aspects des conditions de vie sous la domination du capital, et même les prolétaires qui ne travaillent pas dépendent de ceux qui travaillent, de manières directes ou indirectes.
La question, pour nous, est que certaines luttes tendent à mettre l’accent sur l’un ou l’autre de ces aspects. Luttes qui mettent l’accent sur l’exploitation – son injustice, sa brutalité – et visent à améliorer les conditions et le caractère du travail dans le capitalisme, prennent la classe ouvrière comme sujet. De l’autre côté, les luttes qui mettent l’accent sur la dépossession en tant que fait véritable de la classe, tendant à abolir la différence entre ceux qui sont “sans réserves” et tous les autres, prennent comme sujet le prolétariat en tant que tel. A cause de la restructuration de l’économie et de la faiblesse du travail, les luttes d’aujourd’hui n’ont pas d’autres choix que de devenir des luttes prolétariennes, peu importe combien elles peuvent se parer du langage et des armes d’une classe ouvrière vaincue. C’est pourquoi le mouvement Occupy, même s’il ne fait que marmonner vaguement les plus faibles des mesures de redistribution – taxer les banques, en l’occurrence – refuse d’émettre la moindre revendication. Il n’y a pas de revendication à faire. Les luttes d’ouvriers de nos jours tendent à n’avoir que peu d’objets en-dehors de la préservation d’emplois ou la préservation de contrats syndicaux. Ils luttent pour préserver le droit d’être exploités, le droit d’avoir un salaire, plus que pour tout accroissement du salaire et des bénéfices. Le pouvoir du mouvement Occupy jusqu’ici – malgré la faiblesse de son discours – est qu’il pointe dans la direction d’une lutte prolétarienne dans laquelle, au lieu d’adresser des pétitions en vain aux dirigeants proclamés de ce monde, les gens commencent à prendre directement les choses dont ils ont besoin pour survivre. Plutôt qu’une tentative pour réajuster la balance entre les 99% et les 1%, une telle lutte est probablement plus une lutte de personnes subvenant à leurs propres besoins, à un moment où le capital et l’état ne peuvent plus y subvenir.
Le crépuscule des syndicats
Cela nous amène finalement à la question des syndicats, en particulier l’ILWU 1, ses différentes sections locales, et la bas des travailleurs du port. Les travailleurs des ports aux Etats-Unis ont une histoire énormément radicale, commençant ou participant à certains des épisodes les plus signifiants de la lutte de classe aux Etats-Unis, de la Grève Générale de Seattle en 1919, aux batailles sur les quais de San Francisco en 1934 et les grèves de solidarité qui s’étalèrent tout le long de la côte Ouest. Les actions féroces des travailleurs du port de Longview, dans l’Etat de Washington, essayant de repousser l’incursion de l’exporteur de grains EGT qui refusait de passer de passer par le syndicat pour les embauches, nous rappelle cette histoire dans ses détails saisissants. Se mettant en grèves sauvages, bloquant les trains et les vidant de leur cargaison, repoussant les flics envoyés pour restaurer le chargement et déchargement en ordre des cargaisons – les travailleurs du port de Longview nous rappellent le meilleur du mouvement ouvrier, de ses conflits sans médiations avec le capital. Nous nous attendons à voir plus d’actions de ce genre dans cette nouvelle ère d’austérité, de chômage et d’émeutes. Malgré tout, notre excitation devant le courage des travailleurs de Longview ne doit pas nous aveugler quant à la place de cette lutte à l’intérieur de la crise actuelle du capitalisme. Nous ne pensons pas que ces actions tendent vers une certaine revitalisation d’un syndicalisme radical, mais plutôt qu’elles indiquent une crise réelle dans les formes établies de la lutte de classe. Elles indiquent un moment où même les revendications les plus maigres sont impossibles à obtenir. Ces conditions d’impossibilité auront un effet radicalisateur, mais pas dans le sens que beaucoup escomptent. Elles nous amèneront des alliés, travailleurs de Longview ou d’ailleurs, mais pas dans le sens où beaucoup l’escomptent.
Bien qu’ils utilisent les tactiques du mouvement ouvrier historique à son point le plus radical, le contenu de la lutte de Longview est bien différent: ils ne se battent pas pour un accroissement du salaire ou des bénéfices, n’essayent pas de syndiquer de nouveaux lieux de travail, mais tout juste de préserver les droits juridiques de leur syndicat. C’est une lutte défensive, de la même manière que la lutte à Madison, l’occupation du capitole du Wisconsin, était une lutte défensive – une lutte entreprise pour préserver les droits suspects de négociations collectives, sauvegardés par la loi. Ce sont des luttes pour la survie des syndicats en tant que tels, dans une ère où les syndicats n’ont plus un pouce de vent dans leurs voiles, au mieux cherchant à se maintenir un pas au-dessus des salaires en chute, au pire collaborant avec les patrons pour se débarrasser des employés en douceur. Ceci n’est pas pour calomnier les actions des travailleurs eux-mêmes ou leur participation dans une telle lutte – on ne peut pas plus désormais choisir de participer dans une lutte pour sa propre survie que l’on ne peut choisir de respirer, et parfois de telles actions peuvent devenir le détonateur qui met le feu au poudre d’un antagonisme généralisé. Mais nous devrions être honnête quant au limites de ces luttes, et essayer de pousser au-delà d’elles, là où cela est possible. Trop souvent, il semble que nous comptons sur un ouvriérisme sentimental, agissant comme si notre alliance avec des travailleurs du port nous restaurerait une authenticité perdue.
Rappelons-nous que, dans le cas présent, l’initiative vient d’en-dehors du port et d’en-dehors du mouvement ouvrier en tant que tel, même si elle inclue des ouvriers et des syndicats. Pour la plus grande partie, cette initiative est venue d’une bande hétéroclite de gens qui sont dans des lieux de travail non-syndiqués, ou qui (et pour de bonnes raisons) détestent leur syndicat, ou qui travaillent à mi-temps ou qui n’ont pas de travail du tout. Les alliances sont importantes. Nous devrions être dehors en train de parler aux camionneurs et aux opérateurs de grues, leur expliquant le blocage, mais cela ne veut pas dire suivre aveuglément les recommandations de la section locale de l’ILWU. Par exemple, on nous a rabâché que, pour bloquer le port, on doit aller à chaque poste d’amarrage, cassant une foule de milliers de gens en petits groupes étalés sur plusieurs kilomètres. C’est parce que, à partir du système qui a été mis en place par l’ILWU et l’association des patrons, seul un piquet de grève à chacune des portes d’entrée du port permettra au médiateur local de déclarer les conditions de travail dans le port dangereuses, et ainsi de fournir aux travailleurs une protection légale. Dans une telle situation, nous ne bloquons par réellement le port. Nous participons à une pièce de théâtre en deux actes, pièce de théâtre de la légalité, interprétée dans l’intérêt du médiateur.
Si ce jeu de l’arbitrage est la seule manière d’éviter des conflits violents avec les travailleurs du port, alors peut-être que c’est ainsi que nous devons faire pour l’instant. Mais nous sommes plus que déprimés de voir combien peu de réflexion a eu lieu autour de cette stratégie, combien elle a peu été critiquée, et combien de gens semblent avoir réflexivement accepté la nécessité de passer par ces procédures. Il y a deux raisons pour laquelle cette mascarade est problématique. Premièrement, nous devons nous rappeler que l’insertion de formes de médiations sanctionnées par l’Etat dans la lutte de classes, la domestication de la lutte de classes par un vaste dispositif légal est le principal mécanisme par lequel les syndicats ont été transformés en aides du capital, leur monopole sur la force de travail étant un partenaire idéal pour le monopole du capital sur les moyens de production. Sous un tel système, non seulement les syndicats s’assurent que le système produise une classe ouvrière avec un pouvoir d’achat suffisant (ce qui est de moins en moins possible de nos jours, sauf par le biais du crédit), mais ils garantissent aussi que l’antagonisme de classes ne trouve que des exutoires validés par l’Etat, passant par le filtre bureaucratique des syndicats et son dispositif légal, qui dit quand, comment et pourquoi les travailleurs peuvent agir dans leur propre avantage. Voilà ce que “médiation” veut dire.
Deuxièmement, examiné d’un point de vue tactique, nous mettre, lorsque nous faisons un blocage, dans des petits groupes stationnaires étalés sur des kilomètres de routes nous laisse dans une position lamentable pour résister à un assaut de la police. Comme beaucoup s’en sont rendu compte, il serait bien plus facile de bloquer le port en fermant les deux entrées principales avant le port – au croisement de Third et Adeline et au croisement de Maritime et West Grand. Des milliers de gens à chacune de ces intersections pourraient fermer définitivement tout trafic vers le port, et ces groupes pourraient être bien plus facilement renforcés et approvisionnés (il est facile d’obtenir de la nourriture, de l’eau et des renforts à ces endroits). Il y a maintenant un intérêt substantiel à étendre le blocage du port au-delà d’un seul tour d’équipe, transformant ce blocage d’une nuisance temporaire en quelque chose qui pourrait avoir de sérieuses répercussions sur la reproduction du capital dans la région de la Baie, étant donné la dépendance sus-mentionnée sur la production à flux tendus. Mais procéder ainsi causerait probablement une attaque de la police. Ainsi, en bloquant le port avec des moyens légalo-théâtreux nous sacrifions notre habilité – assez à portée de main – de le bloquer matériellement. Nous nous laissons être détourné vers une position tactiquement faible sur l’avion du symbolique.
L’intensification à venir des luttes, à l’intérieur et à l’extérieur du lieu de travail, ne trouvera aucun succès dans la tentative de revitaliser des syndicats moribonds. Les travailleurs devront participer aux même genre d’actions – occupations, blocages, sabotage – qui ont montré avoir été les points culminants du mouvement Occupy dans la région de la Baie. Quand des milliers des personnes ont défilé sur le port pour le 2 Novembre dans le but de le fermer, ils ne l’ont généralement pas fait pour défendre la juridiction de l’ILWU, ou pour prendre position contre la destruction des syndicats (comme il apparaît, la plupart des gens étaient même dans l’ignorance de ces contextes). Ils l’ont fait parce qu’ils détestent l’économie présente, parce qu’ils détestent le capitalisme, et parce que les ports sont l’un des liens les plus évidents de la toile de misère dans laquelle nous sommes tous pris. Reconnaissons cette antagonisme pour ce qu’il est, et ne le parons pas des costumes et des idéologies d’un monde révolu.
Society of Ennemies, 7 Décembre 2011
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