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Blackwater, superarmée privée : 23 000 hommes dans 10 pays

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Le titre d’un article signé de Jeremy Scahill, paru dans l’hebdo The Nation le 4 août, fournit peut-être l’épilogue d’une longue histoire assez nauséabonde : « Le fondateur de Blackwater impliqué dans un meurtre ». Même si dans le corps de l’article on en reste au conditionnel prudent, son livre dédié à la société permet de ne pas être étonné.

Jeremy Scahill connaît bien cet univers : en octobre 2008 paraissait en France son livre « Blackwater : l’ascension de l’armée privée la plus puissante du monde » (Actes Sud Collection). Dans cet ouvrage, le journaliste développe la « biographie » de cette société militaire privée (SMP) et celle de son dirigeant, Erik Prince.[print_link]

Prince, l’héritier d’une famille d’industriels du Michigan, se décrit volontiers comme un croisé, un chrétien fondamentaliste chargé d’éliminer la foi musulmane.

Il participe financièrement à des associations comme Catholic Answers, organisation fondamentaliste basée à San Diego, ou Prison Fellowship, dont le but est de réformer les prisons américaines par la foi.

Il est proche de Garry Bauer, l’un des membres du « Projet pour un nouveau siècle américain » (PNAC), ainsi que de Rumsfeld ou Cheney.
« Le marécage lugubre »

“Blackwater : L’ascension de l’armée privée la plus puissante du monde” de Jeremy ScahillEn 1992, Erik Prince s’engage dans les « Sea, Air and Land » (SEAL), forces spéciales de la Navy. Le décès de son père le ramène aux affaires en 1996. Il en profite pour revendre les industries familiales et s’achète un vaste terrain en Caroline du Nord -« the great dismal swamp » (le grand marécage lugubre)- d’où naîtra le nom de sa société Blackwater (eau sombre).

Après des débuts discrets faits de concours de tirs ou de formation pour certains corps de police, c’est le 11-Septembre qui va donner le vrai départ de la société.

Plusieurs départements de sécurité ou de renseignements (et ils sont nombreux ! ) le contactent. Avec A.B. Krongard, directeur exécutif de la CIA, il signe le contrat chargeant Blackwater de la protection du premier « proconsul » d’Irak : Paul Bremer (le même Bremer qui publiera le 28 juin 2004 le fameux Ordre 17, accordant l’immunité totale aux compagnies de sécurité engagées en Irak…).
La société militaire privée à découvert

Tout est encore d’une grande discrétion. Il faudra attendre le 30 mars 2004 à Falloujah pour que le grand public découvre la présence massive de sociétés militaires privées (SMP) en Irak. Quatre hommes de Blackwater sont tués et chacun se souvient de la photo des deux cadavres suspendus aux poutrelles d’un pont.

Et puis, le 4 avril à Najaf, une tuerie contre les partisans de Moqtada al-Sadr fait de vingt à trente morts et plus de deux cents blessés. Parmi les forces responsables, huit « contractors » de Blackwater. Le même jour les Marines lancent l’opération Vigilant Resolve à Falloujah…

Prince, pour défendre la cause de sa société un peu malmenée par les questions de plus en plus nombreuses, fait appel à quelques lobbyistes. Les activités doivent se diversifier et c’est ainsi que Blackwater se retrouve dans le Caucase, un peu en Georgie, un peu en Azerbaïdjan et au Kazakhstan… Le but : mettre sur pied des unités spéciales capables de protéger l’oléoduc BTC.
Un recrutement d’anciens militaires chiliens et gardes privés honduriens

Comme tout cela demande du monde, il faut recruter ! Par exemple pourquoi pas en Amérique Latine ? Des anciens militaires du Chili de Pinochet, ou bien en Colombie où la « lutte contre la drogue » bat son plein et où les Etats-Unis aident à la formation…

Ou encore au Honduras où des « gardes privés » sont formés par « Your Solution Inc. » qui s’avère être une filiale de « Triple Canopy ». Une belle base le Honduras !

Dans les années 80, le site de Lepaterique, à 60 kilomètres de la capitale hondurienne, servait au Batallion 316, unité chargée de la répression et entraînée par des militaires argentins et du personnel de la CIA, également chargés d’organiser les réseaux de soutien logistique aux « contras » (révolutionnaires) nicaraguayens en guerre contre le parti des sandinistes au pouvoir…

Les contras appelaient « chef », un certain Negroponte, ambassadeur des Etats-Unis au Honduras de 1981 à 1985. C’est lui qui succèdera à Bremer en Irak…
Le volet intérieur de Blackwater

Le livre de Scahill aborde également le volet « intérieur » de Blackwater qui fut conviée à la protection des biens des habitants de La Nouvelle-Orléans après le passage de Katrina. « Lutte anti-drogue » et contrôle de la frontière mexicaine sont aussi de ses attributions.

A la fin de l’année 2006, Prince peut compter sur 23 000 hommes répartis dans une dizaine de pays et sur une réserve à peu près équivalente. La société s’est dotée d’avions, d’hélicoptères, de navires, et se permet même d’utiliser des véhicules blindés ou des drones.

Comme pour toute société bien gérée, la diversité est vitale : sa petite filiale de renseignement « Total Intelligence Solutions » est dirigée par des anciens de la CIA qui trouvent du soutien auprès de leurs anciennes relations.
Le développement des sociétés militaires privées a été encouragé

Aussi bien documenté et précis soit-il, Scahill ne peut avoir tout appréhendé. Le foisonnement de faits, l’idée que tout ceci n’est qu’une partie visible, laissent penser que bien des événements nous sont dissimulés, non pas volontairement mais par la complexité et les ramifications que tout cela suppose.

Privatiser la guerre représente un coût financier certain. Mais le coût moral est bien supérieur. Il serait vain de penser que Blackwater est le seul problème en Irak ou ailleurs. D’autres sociétés -Triple Canopy par exemple, qui a embauché d’anciens Blackwater « interdits » en Irak- possède aussi son passif.

Les responsabilités sont aussi à rechercher du côté des administrations successives -celle d’Obama incluse- qui ont encouragé le développement de ce genre de fruit empoisonné.

Hillary Clinton à déclaré en février son désir « de réduire autant que possible » la dépendance du gouvernement américain envers ces sociétés. « Mais nous en passer complètement ne serait guère envisageable dans les circonstances actuelles ».

Rue89

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