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«Le travail est de plus en plus une question de vie ou de mort»

Cas isolé ou escalade du désespoir social ? Le drame toulousain fait suite à un an de radicalisation.
«Les salariés se foutent en l’air, mais c’est un miracle qu’aucun d’entre eux ne s’en soit pris, jusqu’ici, à son patron.» Jeudi après-midi, un haut responsable syndical confiait ses craintes à Libération. Le lendemain, un employé toulousain réglait un conflit avec son employeur à coups de fusil. Un cas isolé dans un contexte professionnel (une PME familiale) bien différent d’une multinationale et de ses enjeux managériaux.[print_link]

Il n’empêche, après les séquestrations de patrons au printemps, les menaces de faire sauter son usine durant l’été, puis la question des suicides de salariés à l’automne, ce geste apparaît comme un degré supplémentaire dans l’expression d’une tension au sein du monde du travail.

«Marges». Car selon les informations disponibles vendredi, et à défaut d’explication alternative, c’est bien parce qu’il voyait s’évanouir l’occasion de s’échapper d’une situation de forte charge de travail que le salarié toulousain en est venu à commettre un acte désespéré. Au sein même de l’entreprise UPS, donneur d’ordre de la PME où s’est déroulé le drame, Luc Brunner, délégué syndical CFDT, a vu arriver il y a quelque jours, sur le site de Chilly-Mazarin, «un salarié qui a menacé son chef de revenir avec un flingue pour se tuer devant lui». Et de dénoncer «une charge de travail toujours plus importante», au sein d’une entreprise qui, selon lui, «ne fait ses marges que sur la réduction des coûts, donc sur les salariés». Or, si la pression est très forte sur les salariés,«elle l’est encore davantage sur les sous-traitants et leurs employés». Le passage à l’acte de vendredi intervient également trois semaines après la maîtrise, sur son lieu de travail à Evreux, d’un employé de France Télécom venu armé d’un fusil non chargé pour «allumer un chef», selon un délégué syndical du site.

«Le travail est de plus en plus une question de vie ou de mort. Ce qui s’y joue est si crucial qu’il peut conduire à une vraie radicalité, explique Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS. Soit on menace de tout faire sauter, soit on se tue, soit on tue les autres. Mais au final, on se tue toujours soi-même, face à une situation vécue de plus en plus comme une injustice personnelle.» Si les conflits du travail ont toujours existé, ajoute Danièle Linhart, «l’individualisation de la relation de travail, l’isolement des salariés face à leur questionnement, empêchent de résoudre les problèmes de manière collective, comme c’était le cas auparavant».

Une individualisation des rapports sociaux partagée par Jean-Pierre Le Goff, sociologue du travail, qui note «une montée des conflits atypiques dans le monde du travail», où, à défaut de solidarités collectives, «l’aggressivité est orientée vers des cibles individualisées». Tout en notant qu’une PME du transport est aussi «un milieu professionnel où les rapports restent très paternalistes».

Aussi exceptionnel qu’il soit, le double homicide de Toulouse intervient également au moment où le GIGN s’intéresse de plus en plus au monde professionnel. «Suite aux séquestrations de patrons, nous avons réalisé que nous connaissions très mal ce milieu, reconnaît un membre du groupe d’élite de la gendarmerie nationale. Nous avons donc formé nos négociateurs à la problématique du monde du travail, en organisant des rencontres avec des DRH et des spécialistes de ce milieu, au cas où nous devrions intervenir dans un conflit qui dégénère.» Un réflexe de formation classique pour le GIGN, selon lui, pour aborder «un problème qui ne faisait pas partie, jusque là, de nos préoccupations».

Medef. Vendredi soir, aucun responsable syndical national n’a souhaité réagir au drame de Toulouse. Laurence Parisot, présidente du Medef, a envoyé un télégramme de condoléances à la famille de l’employeur, l’assurant «de [sa] profonde émotion». Mais sans le considérer, pour l’instant, comme une violence liée au travail. Même chose au ministère du Travail où, «à défaut d’informations complémentaires», on appréhendait cet acte «comme un fait divers abominable».

Par LUC PEILLON

liberation.fr

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