Marché de dupes dans le Grand Nord norvégien
Entraînées dans la spirale des subprimes, sept bourgades de Norvège sont désormais ruinées. S’estimant trompées, elles portent plainte contre le géant américain Citigroup.
Les 2 800 habitants de Vik, petit village perdu dans l’un des bras du magnifique Sognefjord, en Norvège, sont furieux et impatients de récupérer leur argent. Il en va de même pour ceux de Bremanger, Hattfjelldal et Hemmes, sans oublier Kvinesdal, Narvik et Rana. Ces sept petites communautés se sont laissé piéger par des marchés financiers aussi lointains que ceux de Londres ou de New York. A l’époque, elles pensaient avoir découvert la poule aux œufs d’or. Mais, après avoir investi dans des placements dont la complexité dépassait largement leurs capacités, elles se sont retrouvées sur la paille quand la crise financière mondiale a éclaté. Le 10 août, elles ont engagé des poursuites devant un tribunal new-yorkais contre le géant américain Citigroup, auquel elles réclament 200 millions de dollars [140 millions d’euros] de dommages et intérêts.[print_link]
L’improbable voyage du modèle d’investissement de Citigroup, des salles de marché effervescentes de Londres et New York jusqu’au tranquille village de Vik – où personne ne ferme sa porte à clé -, permet de comprendre pourquoi le système financier international a fini par exploser. Il y a eu l’appât du gain, l’imprudence et la certitude qu’il suffisait de faire circuler tous ces millions pour créer une source inépuisable de profits. “Les petites communautés qui se sont lancées sur les marchés espéraient toutes devenir riches”, explique Morten Oystein Holmberg, membre du conseil municipal. “Nous savons maintenant que nous n’avons pas le droit de jouer avec l’argent des contribuables. Voilà ce que j’en conclus.” Dès le mois de mai 2008, il était devenu évident que les sept collectivités avaient fait un mauvais placement, et leur sort était déjà scellé lorsque la crise s’est propagée dans le monde entier. TerraSecurities, la maison de courtage norvégienne qui a joué les intermédiaires avec Citigroup, a été contrainte de se déclarer en faillite. Ses intérêts – pour ce qu’il en reste – sont aujourd’hui représentés par un célèbre avocat d’Oslo, Jon Skjorshammer, dont le cabinet Selmer & Co est à l’origine de la plainte déposée contre Citigroup. “Les seuls à avoir gagné de l’argent avec ces investissements sont l’émetteur et le courtier, reconnaît Jon Skjorshammer. Et, maintenant, les avocats”, ajoute-t-il avec un petit rire.
Selon Adam Castellani, porte-parole de Citigroup à Londres, la banque américaine rejette toute responsabilité pour les pertes subies par ces collectivités. “Comme nous n’avons cessé de le répéter, déclare-t-il, nous sommes certains que les risques liés à ces investissements étaient décrits dans les documents fournis à TerraSecurities. Nous avons l’intention de défendre fermement notre position.”
Une bande de paysans benêts roulés dans la farine
De leur côté, les conseils municipaux s’efforcent de réparer les dégâts. Le gouvernement a dû modifier la loi afin de leur donner plus de temps pour équilibrer leur budget. Et leur réputation en a pris un coup. La presse nationale les a décrits comme une bande de paysans benêts roulés dans la farine par les requins des grandes villes. Plus concrètement, pendant la nuit polaire, les lampadaires sont restés éteints dans les rues de Narvik. Plusieurs mairies ont également baissé le chauffage dans leurs locaux pendant l’hiver glacial. A Vik, le budget a été tellement réduit que certaines personnes âgées se sont regroupées pour dormir dans le hall d’entrée de la maison de retraite et que la piscine municipale n’a pu être remplie. Dix fonctionnaires municipaux ont été renvoyés afin de réduire les coûts de personnel. “Dans tous les services, nous avons dû faire la chasse à la dépense”, déplore Kurt Arne, membre du conseil économique de la ville. Une taxe foncière exceptionnelle a été créée, à la grande colère de Carl Andre Riiber, propriétaire et gérant de l’hôtel Hopstock, qui devra débourser cette année l’équivalent de 7 000 euros. “Si ces pertes avaient été liées à un placement classique, peut-être aurions-nous été plus compréhensifs, explique-t-il. Mais ce n’était pas un investissement ordinaire.”
Les sept cités exploitaient des centrales hydroélectriques, alimentées par les nombreux cours d’eau, qui leur assuraient des revenus confortables. C’est alors que les sirènes d’Oslo se sont fait entendre, leur faisant miroiter encore plus de profits grâce à des investissements sur les marchés financiers internationaux. Le message était porté par des représentants de TerraSecurities, société d’investissement en partie contrôlée par Terra Group, qui rassemble soixante-dix-huit banques d’épargne norvégiennes. Vik et les autres communes se sont laissé tenter car elles disposaient de fonds à investir. En 2001, elles avaient découvert dans la stricte loi norvégienne sur la gestion des finances municipales une faille qui leur permettait d’utiliser d’importantes liquidités sans attendre de percevoir les revenus annuels générés par la production d’électricité. Elles ont alors emprunté l’équivalent de plusieurs millions d’euros, gagés sur leurs ventes des dix années à venir. Avec cet argent, elles ont lancé une première série d’investissements en 2005, via TerraSecurities. Certains de ces placements, adossés à des crédits hypothécaires à risque [subprimes], se sont révélés perdants, quoique modérément.
C’est comme lorsque vous achetez une Volvo
Au printemps 2007, expliquent le cabinet Selmer et les responsables municipaux, TerraSecurities leur a proposé de se refaire grâce à une nouvelle offre liée aux tender option bonds [des instruments relativement complexes]. Ce produit, affirment-ils aujourd’hui, leur a été à l’époque décrit comme relativement sûr, car astucieusement protégé par une cascade de fonds. En réalité, il était évident, avant même la fin de l’année, que le risque était énorme.
Reste à savoir si ce risque avait été ou non signalé. Selon certains édiles locaux, TerraSecurities avait peut-être omis de traduire en norvégien certains passages des documents transmis par Citigroup. Mais, de toute façon, explique Morten Oystein Holmberg, leur décision n’était pas fondée sur une analyse attentive des paragraphes écrits en tout petits caractères. En fait, explique-t-il, les élus de Vik et des autres villes travaillaient depuis des années avec les représentants de Terra. Ils étaient donc tout disposés à suivre leurs conseils. C’est comme lorsque vous achetez une Volvo. Vous ne l’inspectez pas sous toutes les coutures. Vous faites simplement confiance à la réputation de Volvo.
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